«Marcher, c’est s’échapper»
Dans un roman servi par une langue poétique, Angélique Villeneuve raconte un pogrom perpétré dans un shetl d’Europe de l’Est à travers les yeux d’une fillette de huit ans devenue une juive errante. Un roman puissant, un conte poignant.
Dès les premières lignes, nous voilà pris dans la folie meurtrière: «Au moment précis où, enfin, Henni s’apprête à s’enfuir au-dehors dans la neige, c’est le plus grand, le plus maigre des hommes entrés dans la maison qui arrache le dernier bébé du sein de Pessia et le soulève au-dessus de lui. Le cri qui monte avec l’enfant emplit l’air de faisceaux, de fumées, de roches explosives.»
Henni a huit ans et vient d’échapper à un pogrom dans cette Europe de l’Est où, au début du XXe siècle, les juifs étaient chassés, pillés, massacrés.
Un drame qui entre en résonnance avec le 7 octobre dernier et qui prouve que l’antisémitisme reste plus d’un siècle plus tard solidement ancré auprès d’êtres abjects. La fillette vivait paisiblement dans ce village auprès de sa nombreuse famille, de sa grande sœur Zelda et venait de se voir confier un nourrisson, le petit Avrom, son «trésor».
Si elle a pu échapper aux fous furieux avec Zelda et son frère Lev, si elle comprend que marcher, c’est s’échapper, elle ne va pas tarder à se rendre compte combien le froid et la faim peuvent faire de ravages. Désormais, c’est seule avec son désespoir qu’elle devient juive errante et c’est avec ses yeux d’enfant qu’elle regarde ce monde qu’elle ne comprend pas.
Un monde qui se résume à ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, ce qu’elle sent. Et c’est ce qui fait la force de ce roman. Ici, il n’est pas question de traiter de la grande Histoire, mais de trouver quelque chose à manger, un endroit où se protéger du froid, un motif d’espérance. À l’instinct.
L’écriture d’Angélique Villeneuve rend parfaitement ces perceptions, Trouvant même de la poésie dans ce drame, quand l’innocence permet de se construire un rempart à l’incompréhensible violence. Pour que la vie prenne le pas sur la mort, pour que l’humanité gagne contre la barbarie.
J’ai retrouvé dans ce roman l’univers d’Agota Kristof et sa trilogie des jumeaux. On y retrouve ce regard différent, cette candeur qui devient une force, ce magnifique chant de résilience, quand on s’appuie sur les beaux moments vécus pour se construire un avenir. C’est pour Henni une manière de cheminer avec les siens qui, même morts, l’aident à dépasser sa peine.
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