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Critiques de Benjamin Whitmer (365)
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Cry Father

Après qu’un gamin m’ait posé dix questions pour que je lui lâche le genre du roman que je lisais et la définition de « roman noir » (ben j’dirais qu’c’est globalement triste) il a crié « Mais pourquoi tu lis ça ?! ». Bonne question.



Qu’est-ce qu’un roman noir si ce n’est humaniser des êtres qui nous sembleraient pathétiques ou flippants en les croisant lors d’une soirée au comptoir d’un bar. Faire concevoir au lecteur que tout n’est pas laid chez eux.



Ici, c’est Patterson et Junior, qui ont une fâcheuse tendance à cramer leurs vies par les deux bouts, qu’on va apprendre à connaître. Et une fois que c’est fait, tout le monde sera d’accord pour dire qu’ils ont de sacrées bonnes raisons de les cramer, ces vies.

Du coup, au final, même s’ils sont violents, même si rien d’optimiste ne sort de leurs bouches, et même s’ils laissent derrière eux des sillons au goût amèrement tragique, on se surprend à retenir d’eux leur attrait pour les belles choses ou leurs brèves démonstrations de grand cœur. Finalement, on en vient à se dire que la façon dont ils s’acharnent à survivre est juste humaine. Loin d’être parfaite.



Parce que la compréhension n’aboutit pas forcément au pardon, le plus de ce bouquin c’est que l’auteur semble insinuer qu’on ne peut pas justifier sa déchéance avec une seule excuse, même si cette excuse atteint un degré d’horreur qu’on n’a pas envie de connaître soi-même.

Chacun en tirera ce qu’il voudra.



Je crois qu’en fait j’aime les bons romans noirs comme Cry father pour la présentation de la complexité du comportement humain.

J’ai donc répondu au gamin insistant : « Tu veux un bonbon ? »
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Pike

C'est violent, c'est noir, c'est sordide, c'est grossier, c'est réaliste jusqu'à la crudité et c'est admirablement écrit ! Les dialogues, fort brefs s'intègrent à un récit efficace (un homme, ancien truand, recherche le meurtrier de sa fille junkie après avoir recueilli sa petite-fille Wendy), les phrases sont courtes, souvent elliptiques, les images sont souvent belles et poétiques, en dépit par ailleurs d'un langage ordurier à vous donner la nausée. Whitmer décrit à travers le monde de la drogue et des paumés en tous genres une sorte de radicalité absolue de la noirceur où toute notion de bien ou de mal est éradiquée au profit d'une violence sans limites. Monde dans lequel les enfants eux-mêmes n'osent pas pleurer, Wendy se voulant une dure à cuire de haut de ses douze ans et employant un langage qui ferait rougir un vieux charretier.

Je comprends bien que cette violence langagière est une révolte face à la vie, un moyen de lutter contre ce qui pourrait faire mal, contre ce qui nous empêche d'être nous-mêmes, une attitude virile, en somme, mais tout de même j'ai trouvé que Whitmer en rajoutait un peu trop et c'est ce qui m'a retenu de mettre quatre étoiles à ce livre, qui a par ailleurs des pages magnifiques sur la façon dont les héros ressentent les paysages et le monde qui les entourent. L'emploi notamment du mot "putain" à tout bout de champ comme adjectif qualificatif finit par affaiblir la force du récit et c'est dommage.

Parce que Whitmer est un très grand écrivain, qui sent bien les choses et sait les rendre avec précision et efficacité. Cela dit l'intrigue mériterait d'être un peu plus étoffée, en dépit du fait qu'opposer un truand repenti (ou plutôt rangé) à un flic complètement ripoux est une idée intéressante qui donne du relief au monde décrit par Whitmer.

Putain de bouquin !
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Évasion

Si nous étions dans un Disney, nos évadés chanteraient : ♫ Libérés, délivrés ♪ On ne nous enfermera plus jamais ♪ Libéré, délivré ♫ C’est décidé, je m’en vais ♫ (1)



Les gardiens de prison chanteraient plus : ♫ Ça vaut pas la peine ♪ De niquer le système ♪ Pour aller faire l’évadé ♫ Dans la neige qui vient d’ tomber ♪ Ça fait rire les méchants ♪ Ça dure jamais longtemps ♫ Ça fait pus rire personne ♪ Quand les gardiens t’assomment ♫ (2)



Mais vu que nous sommes dans un roman de Benjamin Whitmer, les gardiens vont plutôt chanter : ♫ On va vous matraquer, à éclater vos cervelles ♪ Vous buter ♪ À coup d’manivelles ♪ Vous retrouver, vous foutrez plus l’bordel ♪ On va vous buter tellement on est cruels ♪ (3)



Benjamin Whitmer n’a pas la réputation d’écrire des romans feel good, ni des récits avec des licornes, mais des romans noirs de chez noirs, quand bien même le récit se déroule sous la neige.



E, lisant ce livre, vous savez ou vous mettez les pieds. Ici, tout est brut de décoffrage et les prisonniers évadés ne sont pas les pires.



Véritable récit de chasse à l’homme, l’auteur nous expédie dans le trou du cul du Colorado, en 1968 et là-bas, tout est permis pour remettre les gens dans le droit chemin, surtout des évadés. Pas de sommation, on flingue à vue.



La force de ce récit ne tient pas que dans son scénario taillé au scalpel, mais aussi dans ses personnages qui sont de véritables paumés, des types qui n’ont jamais su aller plus loin que leur bled pourri et ceux qui ont réussi à le quitter un jour, ont dû revenir ensuite.



Une alternance de narrateurs (prisonniers, gardiens, journalistes) ajoute aussi du peps au récit car nous pourrons le suivre au travers de plusieurs regards tout en s’immisçant dans la psyché, dans la vie, les pensées, les secrets, les blessures, les liens, des différents protagonistes. Violent, parfois.



Oubliez le rêve américain, c’est une utopie qu’on vous a vendu et qu’on a avalé. Avec Whitmer, jamais tu n’avales des couleuvres car il te remet le pays de l’Oncle Sam au milieu du village et te dresse un portrait au vitriol, sans concessions, sans circonstances atténuantes. Accusé, levez-vous et vous n’aurez pas droit à un baveux.



L’auteur, après nous avoir enfoncé la tête dans une nuit noire (et obscure) sous la neige froide et immaculé, va la maculer d’hémoglobine, de violence, de coups de feu et maltraiter tous ses personnages et le lecteur aussi.



Évasion, c’est une histoire très simple, sans doute racontée des milliers de fois : le pouvoir de l’auteur est de nous la raconter encore une fois, à sa façon, avec ses mots taillé à la serpe.



Son histoire, elle est unique dans sa manière de vous attraper les tripes, dans sa manière de vous coller un pain dans la tronche et de vous laisser ensuite avec un sale goût dans la bouche.



Un roman noir de chez noir et il ne vous reste même plus l’espoir… C’est brut, c’est violent, c’est le portrait d’une ville sans foi ni loi et où ceux qui devraient la garder, ou du moins, la respecter, se torchent le cul avec.



Un roman noir qui mélange l’amour des mots avec la poudre des balles, la poésie avec la matraque. C’est sombre, ça flirte avec le glauque mais jamais il n’y sombre.



Magistral.



(1) Sur l’air bien connu et super exaspérant de "La reine des neiges" et si vous ne connaissez pas cette chanson, je vous envie cette chance ! Restez vierge…



(2) Sur l’air de "La complainte d’un phoque en Alaska" du groupe Beau Dommage ou de Robert Charlebois, au choix.



(3) Sur l’air de "On va s’aimer" de Gilbert Montagné.
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Dead Stars

La famille Turner était établie dans ce coin perdu du Colorado bien avant l’installation de Stonewall, l’usine de plutonium, et de la ville-champignon créée pour loger tous les salariés. Hack Turner, avait échappé à l’emprise de son père très violent en participant à des compétitions de rodéo. Mais, très gravement blessé par un taureau, il avait dû renoncer à cette activité avant d’être recruté par la Stonewall.

Quand son jeune fils de quatorze ans disparaît brusquement, Hack sait intuitivement qu’il va payer très cher ses écarts de conduite ainsi que ses révélations en cours à un journaliste sur les accidents dans l’usine.

Il a rompu les relations avec son père et ne peut compter que sur son jeune frère, un marginal qui vit dans un tipi avec une indienne et son fils. Diminué par une santé précaire, Hack se lance dans une recherche effrénée tout en veillant sur sa fille de dix-sept ans qui culpabilise. Mais toutes les portes se ferment devant lui sans le moindre indice et plus les heures passent et plus Hack se liquéfie, physiquement et moralement, impuissant et en colère.

Personnage essentiel de ce roman noir, la famille Turner, définitivement irréconciliable, cumule beaucoup trop de drames et de rancœurs pour espérer une issue heureuse.
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Les Dynamiteurs

Benjamin Whitmer est le Pierre Soulages de la littérature américaine ! Comme le peintre il crée de l’Outrenoir, le noir le plus profond qui soit mais qui parvient tout de même à jouer avec la lumière.



Denver, 1895, Sam a quatorze ans et vit aux côtés de Cora dans une usine désaffectée qu’ils ont transformé en refuge pour orphelins, loin du monde des Crânes de Nœud, les adultes. Ce « foyer » accueille toute une petite bande de gamins que la vie n’a pas épargné. Ils essayent de se protéger du mieux qu’ils peuvent des dangers d’une ville violente et sans pitié. Les clochards du coin se verraient bien mettre la main sur cet abri mais Cora en mère louve défend leur antre. Lors d’une attaque une aide inattendue leur est apportée par Goodnight, un géant effrayant et muet. Ils n’ont d’autre choix que de lui faire une place mais l’arrivée du colosse signe l’entrée du monde des adultes dans leur repère. Sam va se retrouver embarqué dans des règlements de compte entre jeux, prostitution, corruption, alcool et laudanum. L’immoralité et le vice sont partout et le candide Sam va grandir, devenir petit à petit ce qu’il s’était toujours juré de ne pas être, un adulte, il va exposer à la violence ceux qu’il voudrait protéger et s’éloigner malgré lui de Cora.



Toute cette histoire racontée par Sam a quelque chose d’irrespirable. Aucune issue évidente n’apparait dans la trajectoire de Sam. On voudrait qu’il fasse marche arrière, on voudrait qu’il revienne se terrer dans l’usine mais la machine infernale est en marche. Ca s’étripe, ça se charcute, ça flingue, ça saigne et au jeu de la vie selon Whitmer tout le monde a déjà perdu. Il nous rappelle qu’une part de nos choix sont illusoires et sont déterminés par nos origines sociales

Critique d’une Amérique qui veut séparer et exclure, d’un monde cruel dans lequel les enfants sont jetés trop tôt, dénonciation de l’impossible innocence, Les dynamiteurs c’est de la violence brute à coup de meurtres, à coups de feu, à coup d'hémoglobine, sauf que dans un petit coin on entrevoit l’amour et c’est ce miracle que réussit l’auteur : nous faire supporter l’insupportable.



Traduit par Jacques Mailhos



Un grand merci, une nouvelle fois, au Picabo River Book Club grace auquel j’ai pu faire cette lecture bien noire et de haut niveau.

N’hésitez pas à frapper à la porte de ce groupe Facebook qui réunit 2000 passionnés de littérature américaine.
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Évasion

Voici donc un des romans majeurs de cette rentrée littéraire, et, au vu des excellents premiers échos, je me devais de le découvrir vite...



1968, le soir du réveillon. 12 détenus se font la malle de la prison d'Old Lonesome, dans le Colorado. Se lancent à leurs trousses les gardiens de prison, brutes armées défoncées aux amphétamines, et excitées par leur chef de meute, le directeur de la prison, Jugg, impitoyable et autoritaire. Se trouvent aussi mêlés à la traque, sous un terrible blizzard, deux journalistes, une trafiquante d'herbe, et une bonne partie de la population locale. Tout est en place pour l'apocalypse...



Quel roman noir ! La tension est palpable dès les premières lignes, la violence, si difficilement contenue, est prête à exploser. La construction donnant successivement voix à différents personnages, contribue à l'extrême nervosité du récit, et à son intensité. L'histoire est servie par une écriture au scalpel, directe, brutale et crue (les dialogues sont incisifs et mordants). Voici du noir bien noir, à peine teinté de blanc si l'on tient compte de la neige. Il n'y a guère de lueur d'espoir pour les protagonistes, broyés par la vie, et tous finalement prisonniers de quelque chose (famille, souvenir, job,...), qu'ils soient évadés ou pas. Des personnages sombres, où on décèle parfois un brin d'humanité... sauf du côté des représentants de l'autorité.



Ce roman est puissant, un vrai uppercut, dont l'adaptation sur grand écran ne fait aucun doute tant le récit semble cinématographique. Et dire qu'à ce stade, je ne me suis pas encore extasié sur la formidable couverture ! Voilà, c'est fait... et ce sera ma conclusion.
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Évasion

Un roman noir aux accents du maître du genre, Donald Ray Pollock, comme en témoigne Pierre Lemaître dans sa préface.

À la fin des années 1970, dans une bourgade paumée du Colorado où l'employeur principal est la prison fédérale, une poignée de détenus s'évadent un soir d'hiver, causant quelques dommages collatéraux sévères au personnel de l'endroit.

Tous les habitants sont armés et informés par radio communautaire de la traque entreprise par le directeur de la prison et ses gardiens. Bourrés d'amphétamines, hargneux, fiasques d'alcool au besoin et fusils au poing, les matons seront impitoyables.

Benjamin Whitmer signe ici un thriller digne de ce nom, d'une écriture sauvage et rude que la traduction ne fait pas pâtir. C'est sanglant, pathétique mais ce roman témoigne du désespoir de ces hommes (gardiens comme détenus) pour qui les effets des guerres ont été dévastateurs.
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Cry Father

Un rendez-vous pour une partie de pêche vire mal lorsque Patterson se rend compte que son copain, défoncé à la meth, a enchainé et bâillonné sa conjointe dans le bain “pour avoir la paix”. La bagarre qui s'ensuit déclenchera une vendetta qui perdure tout au long de ce roman. La violence est omniprésente mais n'occulte pas les aspects plus intéressants du livre. Car c'est une plongée sans compromis dans le monde des vendeurs de drogues, de bikers, de cowboys déchus, de piliers de bars, que nous offre l'auteur; un monde fascinant même si l'espoir n'existe pas et gruge tous ces gens, malgré leurs bravades.



On touche à une toute autre dimension avec les nombreuses lettres que rédige Patterson à son fils décédé suite à une erreur médicale; regrets d'une père trop absent parce son métier l'amène à voyager, trop peu attentif lorsque présent, rongé par la culpabilité. Son ex voit ça d'un autre œil et tente bien de le raccrocher à la vie mais ça ne fonctionne pas vraiment. S'intercalent aussi des épisodes de rage incontrôlable du fils d'un ami de Patterson qui en veut à mort, c'est le cas de le dire, à son père pour les raisons floues. Le tout donne un roman extrêmement dur, avec des personnages désabusés évoluant dans un univers très sombre; une réussite sur toute la ligne.

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Les Dynamiteurs

1895, Denver. Sam et Cora, deux adolescents à l’enfance misérable et chaotique, vivent dans l’Usine, bâtiment désaffecté des bas-fonds de la ville, accompagnés de nombreux enfants des rues, recueillis au fil des années par Cora pour les protéger des Crânes de Nœud, autrement dit les adultes. Car ces enfants qui, à la manière des enfants perdus de Peter Pan, ne veulent pas grandir et détestent les adultes, doivent chaque jour, justement, survivre au milieu de la barbarie inhumaine qu’imposent les hommes du quartier – clochards, souteneurs, vendeurs de drogue… -, particulièrement aux enfants abandonnés. Et c’est à cause d’un Crâne de Nœud, qui va d’abord les défendre face à une attaque de clochards voulant s’installer dans l’Usine, que leur existence va radicalement changer, Sam, narrateur du roman, en tête…



Roman qui commence sur les chapeaux de roues en termes de violence et de cruauté, Les dynamiteurs nous fait plonger au plus profond des bas-fonds de Denver, une des plus grandes villes de l’Ouest américain à cette époque, particulièrement corrompue et dangereuse pour quiconque n’en connaît pas les règles tacites. Ainsi, nous découvrons comment les hommes politiques, policiers, détectives – plus précisément les Pinkerton, association de détectives créée dans les années 1850 et œuvrant dans tous les Etats-Unis – font ce qu’ils souhaitent en ville, ont leurs propres moyens de subsistance illégaux, et se débarrassent des petits truands qui mettent à mal leur commerce… jusqu’à ce qu’un de ces truands n’accepte plus les règles imposées par les pontes de la ville. Roman en partie historique en somme, qui nous décrit la ville à l’acmé de sa déchéance, à l’âge d’or du Far West sans foi ni loi qui gangrène la société américaine.



Cette description faite sans gants de Denver, c’est Sam, adolescent des rues au cœur de la bataille, qui nous la transmet, à travers un regard d’une grande maturité pour son âge, regard permettant au roman de prendre des allures originales de récit d’apprentissage, en ce que c’est l’apprentissage pour la vie dans les bas-fonds et la marge qui est fait par Sam tout au long de son aventure.



Roman aux multiples facettes, à l’image de Denver, Les dynamiteurs est un roman que j’ai apprécié pour tout ce qu’il décrit, mais duquel je suis restée un peu trop à distance : je n’ai en effet jamais réussi à entrer pleinement dans le récit. La narration, à vouloir présenter la multiplicité et la vivacité de certaines scènes de manière quasi cinématographique, rend l’ensemble parfois indigeste à la lecture, et en toute logique peu crédible : beaucoup de coqs à l’âne sans explication et sans temps mort m’ont empêchée de m’imprégner de ce que je lisais, mon temps étant dévolu à la nécessité de remettre en place certains éléments de l’intrigue pour que le tout me paraisse logique.
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Évasion

L’ennui avec les écrivains que l’on adule et dont on a vanté plusieurs ouvrages, c’est qu’au bout du compte, on peine à trouver de nouveaux arguments pour vous convaincre de les lire, ceci d’autant plus qu’il est parfois bien difficile d’expliquer le talent que l’on décèle dans cette sensation de spontanéité émanant de certains textes comme ceux de Benjamin Whitmer qui fait partie de ces auteurs américains s’employant à dépeindre sans artifice cette Amérique de la marge au sein de laquelle il est complètement immergé ce qui explique peut-être, du moins en partie, cette sensation de réalisme qui ressort notamment lors des échanges entre les différents personnages qui hantent ses romans. Bien évidemment Pike, premier ouvrage de l’auteur, a suscité un enthousiasme sans précédent auprès des lecteurs, mais il ne faudrait pas sous-estimer Cry Father dont le succès est sans doute moins important, mais qui n’en demeure pas moins un roman absolument exceptionnel ne faisant que confirmer le talent de Benjamin Whitmer que l’on compare désormais à Daniel Ray Pollock, Ron Rash ou même Cormac McCarthy. C’est une erreur. S’il peut s’inscrire dans un courant similaire à ces immenses écrivains, Benjamin Whitmer a la particularité de posséder une voix, « une musique », bien particulière qui en fait un auteur à nul autre pareil. Il convient donc également saluer le travail du traducteur Jacques Mailhos qui parvient à restituer toute la quintessence de cette musique, dans sa version française. Que ce soit avec Pike ou Cry Father, Benjamin Whitmer nous avait habitué à des récits mettant en scène une petite poignée de personnages évoluant dans un cadre très contemporain au cœur de ces grands espaces américains. Se déroulant en 1968, dans une petite ville de l’état du Colorado, il en va tout autrement avec Evasion, un grand récit choral dont l’un des thèmes majeurs aborde la question de l’enfermement aussi bien social que carcéral.



En 1968, à Old Lonesome, petite ville perdue du Colorado, il n’est guère question de profiter du réveillon pour ses habitants qui peuvent entendre la sirène de la prison d’état résonnant dans les rues désertes. Douze prisonniers sont parvenus à s’échapper pour entamer une cavale chaotique en se dispersant dans la tourmente d’un blizzard impitoyable. Pour Jugg, le directeur de la prison, il est absolument hors de question que les détenus puissent s’en tirer. Régnant en despote sur la ville, il mobilise gardiens et habitants pour mettre en place une implacable chasse à l’homme dont la violence va rapidement devenir incontrôlable. Mais peu importe, les gardiens de prison conduits par un traqueur hors pair et accompagnés de deux journalistes locaux, croyant tenir un bon article, vont se lancer à la poursuite des évadés qu’ils sont bien décidés à capturer plus morts que vifs. Tous aussi déterminés que leurs poursuivants, il est absolument hors de question pour les prisonniers de retrouver leur enfer carcéral quotidien. C’est donc dans la désolation d’une nuit hivernale sans fin, que les confrontations sanglantes vont se succéder. Déferlement de sauvagerie et de cruauté, cette quête de la liberté à un prix : La mort.



Il fallait bien toute la maîtrise d’un auteur comme Benjamin Whitmer pour faire en sorte que l’on ne se perde pas dans l’impressionnante succession de points de vue d’une multitude de personnages que l’on découvre au gré de chapitres rythmés et dont les titres désignent les rôles des principaux protagonistes que sont Mopar le détenu, Dayton la hors-la-loi, Stanley et Garret les journalistes, Jim le traqueur, Shitrick et Grace les gardiens et Cyprus Jugg le directeur de la prison. Autour de ces individus gravitent toute une kyrielle d’acteurs secondaires qui donnent encore davantage d’ampleur à cette traque se déroulant sur toute une nuit hivernale au sein d’une région isolée par le blizzard. Isolation, solitude, ainsi apparaissent les différentes prisons que sont bien évidemment l’institution carcérale, mais également la ville de Old Lonesome avec des habitants assujettis au tissu économique et à la manne financière provenant de la prison d’état où règne ce directeur omnipotent. Et c’est ainsi que le lecteur perçoit subtilement la déclinaison de toutes ces notions d’enfermement qu’il soit aussi bien social que carcéral au travers de la multitude de personnages habilement campés et dont les caractères révèlent toutes les failles de l’âme humaine. Le désespoir et la noirceur éclatent bien évidemment au détour des scènes de confrontations, entre poursuivants et évadés, se déroulant dans un climat de violence âpre sans pour autant sombrer dans une débauche de brutalités gratuites. Mais il ne faudrait pas s’arrêter uniquement sur ces scènes d’action pour s’attarder sur toute l’ambivalence des différents acteurs qui traduisent, outre cette noirceur et ce désespoir, une certaine forme de lâcheté et de résignation. Ainsi, même une femme comme Dayton, cette fermière trafiquante de marijuana, accrochée à sa ferme qu’elle tient à conserver, incarne une certaine forme de soumission devant l’ordre établi. C’est encore plus flagrant avec un individu comme Jim, possédant un véritable don pour retrouver la trace des hommes qu’il pourchasse mais qui fait l’objet d’un constant mépris de la part de ses proches et de tous les habitants de la ville et qui ne parvient donc pas à s’extraire de sa condition. Outre des thèmes soigneusement déclinés tout au long de l’intrigue, l’autre force des récits de Benjamin Whitmer réside dans ces échanges parfois vifs et ces dialogues acérés qui donnent au récit cette tonalité à la fois spontanée et dynamique qui est encore plus flagrante avec ce roman choral où l’interaction entre les différents personnages devient l’enjeu central de l’histoire.



Bien plus qu’une simple affaire de traque, Evasion est un roman à la fois prenant et poignant, d’une noirceur terrible parce que l’on s’aperçoit, à mesure que l’on progresse dans les méandres d’une poursuite impitoyable, que les échappatoires, quels qu’ils soient, deviennent complètement vains et qu’il est impossible de briser les carcans sociaux de la ville de Old Lonesome. Un récit sans aucune concession qui vous submergera en vous entraînant dans le sillage de cette déferlante de rage et de haine contenue qui finira éclater en gangrenant les rares lueurs d’espoir et ses dérisoires tentatives d’échapper à son destin.



Benjamin Whitmer : Evasion (Old Lonesome).Editions Gallmeister 2018. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.



A lire en écoutant : Amen Corner de Jay Munly. Album : Munly & The Lee Lewis Harlots. Alternative Tentacles 2004.




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Évasion

« Ce monde n'est pas fait pour que vous vous en évadiez. Ce monde est fait pour tenir votre coeur captif le temps qu'il faut pour le broyer. »



Je ne connaissais pas l'auteur mais ce titre, cette histoire et cette couverture ont agi sur moi comme un aimant, en ce début d'hiver où la grisaille et le froid s'installent dans nos chaumières : Des détenus s'échappent de prison un soir de forte tempête et, malheureusement pour eux et pour les villageois, la neige les contraint à rôder sur leur petite ville américaine et à hanter leurs habitations le temps de la traque. Car pour ne pas se faire capturer, morts ou vifs, il leur faut trouver voitures, habits chauds, nourriture voire argent.





« La traque, c'est pas suivre les traces. C'est deviner ce que sera le prochain mouvement de la chose que tu traques. »



Pendant ce temps, le Directeur de prison Jugg, un néonazi qui ne rigole pas avec l'ordre, organise leur traque avec sa police constituée d'anciens militaires qu'il encourage à se droguer pour être plus performants…



« Ici, c'est la ville du Directeur Jugg. Vous avez peut-être réussi à passer les portes de la prison, mais vous ne passerez pas les frontières de la ville. »





Autant vous dire qu'au nom de la sécurité de la ville, qui deviendra un personnage du roman à part entière, les seules lueurs d'espoir qui demeurent dans ce roman, pour les évadés mais aussi pour les habitants qui vont croiser leurs chemins, seront celles des étoiles qui recueilleront leurs voeux et celle des balles de tous calibres fusant les délivrer de leurs vies sans issues…





« Tout est en place là-haut, tout brûle et brille comme ça le fait toujours.

C'est bon de ne pas l'oublier.

Sauf si c'est faux.

Sauf si toutes les étoiles avaient fini de brûler il y a mille ans et que c'était seulement ce soir que leur lumière s'éteignait. »





★★★★★



J'ai appris entre-temps que Benjamin WIIHTMER était déjà très apprécié pour ses romans précédents. D'après ce que je viens de lire, c'est sûrement très mérité.





« On dit que la première victime d'une guerre, c'est la vérité. Faut croire que ça vaut aussi pour les évasions. »





C'est un roman américain comme je les aime, des portraits de personnages sans concession mais tellement humains, dont la vie est si sombre qu'ils ne voient plus la lumière, celle qu'ils ont en eux. On pénètre avec facilité dans ces ambiances typiquement ancrées dans l'Amérique profonde, mais ce n'est qu'au fur et à mesure, en apprenant à connaître chaque personnage, que l'on perçoit les liens entre eux et que l'histoire se dessine.





Car chaque chapitre est consacré à l'un des protagonistes, et l'on entend tour à tour : les détenus, la hors la loi, les journalistes, le traqueur, les mâtons, etc… pour finir par entendre la ville entière lorsque le dénouement se rapproche. du fait de cette narration au plus proche de chacun des personnages, on se rend compte que chacun n'est pas que gentil ou que méchant et que même, souvent, la frontière entre les deux est bien difficile à discerner, et peut être mouvante, floue, voire trompeuse.





« Peu importe combien il y a d'amour dans le monde, cela ne suffit pas. Pas pour la paix ni la lumière ni le soulagement de la douleur. Peu importe combien il y a d'amour dans le monde, cela ne suffit pour rien du tout. »





La tempête rajoute au désespoir ambiant puisqu'elle bloque les détenus dans la ville, sous une épaisse couche de blizzard et de neige, et force autant les personnages que le lecteur à écouter ce qui se passe au fond d'eux. Elle ralentit la progression, est propice à cette introspection de chaque personnage qui permet au lecteur d'appréhender sa substance, de ressentir son désespoir envers cette vie dont ils ne sont jamais parvenus à devenir réellement maîtres, ainsi que leur désir d'évasion.





Mais l'Evasion ne signifie pas seulement sortir de prison. En réalité, c'est non-seulement l'enfermement qu'ils fuient, mais aussi cette ville qui ne veut pas d'eux, voire même, et peut-être surtout, leurs propres vies. Alors le temps d'un rêve, cette nuit d'évasion, ils y veulent y croire et tenter leur chance, quel que soit le prix à payer. Et même s'ils sont censés être les criminels, et que nous sommes censés vouloir leur capture pour que la ville retrouve sa sérénité, le fait de vivre cette cavale au plus près de chaque personnage créé forcément des liens entre le lecteur et des personnages des deux camps...





« Il y a toujours des moments où vous avez envie d'abandonner. Ce que vous faites alors, c'est penser à autre chose, c'est tout. N'importe quoi qui puisse vous aider à continuer. »





Malgré cette tension, nous ressentons lors de cette lecture cette impression de cocooning, nous qui la vivons bien au chaud sous nos plaids en laine, ce bon livre dans une main et la tisane fumante dans l'autre. Pour toutes ces raisons, je vous recommande cette lecture qui représente, selon les mots de Pierre LEMAITRE que je trouve très justes : « La quintessence du noir dans la plus pure tradition américaine ».





« Parce qu'on survit. C'est tout ce qu'il y a. Il n'y a rien dans ce monde qui vaille qu'on vive pour lui, mais on le fait quand même. On n'y pense pas, on se contente d'avancer. On survit et on espère seulement qu'on pourra s'accrocher à un bout de soi-même qui vaille qu'on survive. »


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Cry Father

Outch ! Après Pike, Benjamin Whitmer en remet une couche et nous montre une Amérique en perdition. Ses personnages se laissent submerger par la tristesse, ils baissent les bras, sachant le combat perdu d’avance. Aucun espoir dans ce roman, même si les figures féminines apportent une petite note de sagesse, elles ne se font pas d’illusions, disons juste qu’elles sont peut-être un poil plus combatives que leurs hommes. Des hommes qui ont eux depuis longtemps baissé les bras, trouvant leur salut dans une fuite en avant semée d’embûches et d’excès en tout genre.



Depuis le décès de son jeune fils suite à une erreur médicale, Patterson Wells sillonne les zones sinistrées par les ouragans et autres catastrophes naturelles afin de déblayer les décombres et de remettre en état les réseaux électriques. A la fin de chaque saison, il retourne avec son chien dans la cabane en bois qu’il a construit de ses propres mains, au fin fond des forêts du Colorado. Il survit en ermite, enchaînant les cuites en attendant le prochain lever de soleil. Le jour où il rencontre Junior, dealer, bagarreur et grand consommateur de cocaïne, Patterson sait qu’il noue une relation avec le diable. Une relation toxique qui va l’entraîner toujours plus près d’un précipice l’attirant comme un aimant.



Cry father, c’est l’Amérique dont personne n’a rien à cirer. Bienvenue chez les camés, les paumés, les sans grades. Bienvenue dans un monde régit par une violence qui surgit sans crier gare. Mettre une raclée ou prendre une branlée, tel est le quotidien de Patterson et Junior. Un duo à la dérive, ayant parfaitement conscience de filer droit sur les récifs, mais ne faisant rien pour résister au courant. La haine d’un monde dans lequel ils n’ont pas leur place chevillée au corps, ces deux-là avancent de concert vers l’inéluctable et le lecteur, pas dupe, sait très bien que les choses vont mal tourner…



Cry father, c’est une noirceur totale, brutale, sans aucun brin de lumière. L’écriture, âpre et concise, se fait parfois lyrique tandis que chaque dialogue est d’un réalisme criant. Il y a quelque chose de profondément immoral dans ce texte abrasif. Il y a aussi tout ce que j’aime dans la littérature américaine d’aujourd’hui.


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Pike

Pike est un gros dur qui s’est rangé des voitures. Depuis son retour à Cincinnati, il vit de petits boulots qu’il effectue avec son pote Rory. Sa fille Sarah, qu’il n’a pas vue depuis qu’elle avait six ans, vient de mourir d’une overdose. Sarah a eu une fille, Wendy. La gamine d’une dizaine d’années débarque chez son grand-père, qu’elle ne connait pas, avec pour seul bagage un chaton prénommé Monster. Pike savait que Sarah se prostituait pour payer ses doses, mais il voudrait en savoir plus sur sa mort. Pour cela, il va devoir s’immerger dans les pires quartiers de Cincinnati, de squats de junkies en motels miteux. Une plongée effroyable dont il ne sortira pas indemne…



Pour un premier roman, Benjamin Whitmer fait fort, très fort. Lire Pike, c’est comme avaler une cuillère à soupe de Tabasco cul-sec. Ça gratte, ça brule, ça vous donne envie de hurler. On à beau se dire qu’à un moment où l’autre les choses vont s’adoucir, on se trompe lourdement et l’effet reste hautement abrasif. Des années que je n’avais pas lu un roman aussi noir. La tension permanente et la violence, sourde ou bien réelle, vous laisse au bord de la nausée. L’écriture de Whitmer, très visuelle, propose des descriptions d’une froideur clinique. Les pires exactions sont exposées sans aucun jugement, comme si tout cela était absolument naturel.



Pike n’est pas un polar. Au-delà de son effet coup de poing évident, c’est aussi un texte d’une infinie tristesse dans lequel il ne faut se lancer que si l’on a le cœur bien accroché.



Pour l’écrivain Stephen Graham Jones, « voici le noir dans toute sa splendeur, ce que le genre devient lorsqu’il renonce à se montrer gentil – une force dramatique brutale rongée jusqu’à l’os qui vous promène de page en page. » Pas mieux.




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Pike

Pike, vieux truand reconverti dans la construction, voit débarquer un matin d’hiver des années Reagan la jeune Wendy, douze ans, sa petite fille qu’il n’a encore jamais vue. C’est que Pike a quitté son foyer, sa femme qu’il battait et sa fille, Sarah, depuis bien longtemps. Mais en apprenant que Sarah est morte, et même si on lui dit que c’est d’une overdose, Pike veut trouver un coupable et part donc pour Cincinnati avec Rory, jeune boxeur qu’il a pris sous son aile. Ils ne sont pourtant pas seuls à écumer les bas-fonds et à piétiner la neige sale qui recouvre la ville. Derrick, flic pourri jusqu’à la moelle, traine aussi par là et tourne autour de Wendy.



Errance de personnages malmenés par la vie, pervertis par le monde de violence dans lequel ils ont vécus ou naturellement corrompus, Pike, premier roman de Benjamin Withmer, suinte la noirceur. Entre un trou du Kentucky peuplé de prolos aussi imposants que vides de sentiments (« Ils l’ont pas encore fabriquée, la cartouche de fusil à pompe capable de perforer trois cents bonnes livres de gros bouseux du Kentucky ») et les quartiers à putes et camés de Cincinnati, on patauge avec les personnages dans cette neige constamment grisâtre et boueuse qui ne dissimule plus rien de la laideur des lieux. Collés aux basques de Pike ou de Derrick, on découvre un paysage aussi bien géographique que mental totalement ruiné d’une Amérique bien loin des golden boys de Wall Street et des yuppies des années Reagan. On plonge dans la merde et la violence sadique d’un lumpenprolétariat parqué dans quelques quartiers ou patelins en ruines et qui évolue dans une autre dimension que le reste de la société.

Là, les bons sentiments n’ont rien à faire et les portes de sortie ne sont qu’illusion. Une illusion derrière laquelle court Rory mais aussi, dans une certaine mesure, Pike, qui veut moins faire la lumière sur les causes de la mort de sa fille qu’essayer de comprendre comment il est devenu ce qu’il est sans pour autant désirer changer. C’est cette faible lueur d’humanité, entretenue par la présence de Wendy et de Rory, qui place finalement Pike du côté des « bons » face à un Derrick qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau et qui ne diffère de lui que par l’absence totale et littérale de cœur puisqu’il est maintenu en vie par un pacemaker déréglé qui l’empêche de dormir.



Si ce voyage dans les entrailles d’une Amérique bien loin du Welfare State vaut que l’on s’y engage, c’est que Benjamin Whitmer, par l’intelligence et la grâce d’une écriture qui sait mêler un certain lyrisme à la sécheresse de ton dans des courts chapitres remarquablement bien construits, réussit à entraîner le lecteur dans un monde peu ragoûtant et terriblement violent sans jamais passer la fragile frontière qui sépare le très bon roman noir, à la Jim Thompson ou à la Harry Crews, du voyeurisme le plus crasse. Parce que, aussi, Whitmer aime ses personnages sans magnifier ou cautionner leurs actes, cherchant à malgré tout laisser transparaître parfois cette petite lueur d’humanité qui les rend si proche de nous et que, malgré la noirceur, l’humour – noir aussi – est toujours là, laissant à penser que tout n’est peut être pas aussi désespéré.



« -T’es aussi grave que ton grand-père, dit Rory.

-Comment ça ? demande-t-elle en se replongeant dans son livre.

-Lui non plus y a pas moyen de le sortir de ses livres. C’est pour ça qu’il a aucun ami. Il passe son temps à lire des livres bizarres. Ou à insulter ceux qui les ont pas lus.

Les yeux de Wendy se tournent furtivement vers Pike.

-Ça m’étonnerait qu’on lise les mêmes, dit-elle.

-Moi aussi ça m’étonnerait, dit Rory. Personne lit les mêmes livres que Pike lit. J’ai fait l’erreur d’en ouvrir un, une fois. Je me suis réveillé deux jours plus tard allongé sur le sol, avec le mal de crâne d’un type qu’on aurait assommé à coup de démonte-pneu. Je me rappelle même plus de quoi ce foutu truc parlait.

-Je t’imagine facilement te retrouver K.-O. à la simple vue d’un truc à lire, dit Wendy. »


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Pike

Derrick

Vous connaissez Derrick ? L’inspecteur Derrick, made in Germany, qui hantait (ou qui hante encore, qui sait ?) les écrans de télévisions des maisons de retraite ? Non, pas celui-ci … Je vous parle de Derrick, un flic ricain qui traine à Cincinnati et ses environs. Un sale type… 10% justicier, 90% salaud. Aussi quand il commence à s’intéresser à Wendy, une gamine de 11 ans, c’est un gros signal d’alarme qui résonne. Wendy, c’est la petite fille de Pike. Lui ne vaut guère mieux que Derrick si on veut comparer. Il n’avait pas demandé à récupérer la gamine, et par la même occasion, à devenir grand-père. Mais voilà, Sarah, la fille de Pike et la maman de Wendy, vient de mourir. Une overdose. Mouais… Vraiment ? D’accord, c’était une pute. Pike en est bien conscient. Et une junkie aussi… ça marche souvent ensemble. Surtout à Cincinnati, dans cette ville de l’Ohio, à deux pas du Kentucky, de la Virginie occidentale et de l’Indiana, carrefour idéal de tous les trafics. Mais il y a quand même quelque chose qui le chiffonne, Pike… Avec son ami Rory, un jeune boxeur, il va tenter d’en savoir plus. Pour Wendy. Pour lui.

Alors si vous avez un petit coup de moins bien, un petit coup de mou, l’actualité pourrie, la défaite du XV de France, les guerres, celle d’hier, celle d’aujourd’hui, celle de demain, le terrorisme, l’automne, la flotte (pas assez, trop…), le réchauffement climatique, le COVID, oubliez ce bouquin. Si vous persistez à vouloir le lire, évitez tout ce qui est létal (couteau, corde, arme à feu, drogue, alcool…) à proximité immédiate. Car aucune chance de s’en tirer indemne. C’est noir, très noir, et ça fait mal, certaines scènes sont à la limite du supportable, l’auteur ne nous épargne aucun détail dans le (très) glauque… Mais c’est très efficace, il faut bien le reconnaître.

Que dire de plus ? Les personnages sont très bien campés, on s’attache vite à Rory et à Wendy, un peu aussi à Pike malgré tout son passif. L’écriture est vive, les chapitres très courts donnent du rythme au récit, si bien qu’il est quasi impossible de le lâcher (je l’ai terminé à 1 heure du mat’, très mauvaise idée, je n’ai pas passé une très bonne nuit !).

Noir, rouge sang.

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Évasion

Comme souvent chez les éditions Gallmeister, ce sont les couvertures qui m'attirent au premier coup d'œil. C'est le cas pour "Évasion", dont je trouve la couverture sublime. Je ne connaissais pas Benjamin Whitmer, je le découvre aujourd'hui et ce fut une belle découverte.



Mais je vais d'abord commencer par le seul point vraiment négatif. Ce livre est d'une vulgarité incessante. Nous n'avons pas une seule conversation sans grossièretés ou obscénités. C'est franchement vite lassant et agaçant. Les personnages sont, tous autant qu'ils sont, mal élevés ; il n'y en a pas un qui sort du lot.



Et c'est vraiment dommage puisque j'ai tout de suite accroché avec la plume de l'auteur, sachant être efficace, saisissante, implacable, et charmante quand elle n'est pas grossière. J'ai également beaucoup aimé la façon dont l'histoire est construite, sous forme de roman choral. Et cette alternance entre les différents points de vue associée à des chapitres courts donnent un rythme de lecture effréné. Je n'oublie pas non plus de parler de l'atmosphère pesante et glaçante des "décors" et de l'ambiance sous haute tension dans lesquelles évoluent les différents protagonistes dans cette chasse à l'homme.



C'est un roman noir tel que je les aime, qui a (presque) tout pour plaire. Et sans son côté trop vulgaire, j'aurais certainement pu le qualifier de coup de cœur et lui aurais accordé cinq étoiles...
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Les Dynamiteurs

Avec Pike, il y avait la beauté marquante de ce ce roman noir la fois âpre et tranchant, qui nous avait permis de découvrir un nouvel auteur, Benjamin Whitmer, récidivant avec Cry Father, un second récit tout aussi désespéré se focalisant sur cette Amérique marginale avec toute une galerie de personnages souvent paumés, parfois déjantés qui se confrontaient dans un déchaînement de violence aussi soudaine que surprenante. On appréciait le côté intimiste de ces portraits d'individus aux caractères rudes et dont les échanges abruptes résonnaient comme autant d'uppercuts cinglants qui vous laissaient complètement sonnés. Se déroulant en 1968 dans le Colorado, Evasion prenait une toute autre allure avec cette galerie de prisonniers parvenant à s'extirper d'une des prisons les plus rude de l'état et traqués par toute une cohorte de gardiens tout aussi sadiques que les détenus qu'ils gardent. Dans un autre registre, Benjamin revient désormais sur le devant de l'actualité littéraire avec Les Dynamiteurs, un roman tout aussi âpre évoquant ce passage de l'enfance au monde adulte avec tout ce que cela comporte comme perte d'innocence dans le contexte impitoyable d'une ville comme Denver à la fin du XIXème siècle.





Denver, 1895. La ville est un immense cloaque miné par le vice et la corruption tandis que l'on règle ses comptes à coups de poings ou de couteaux quand on est pas tout simplement abattu comme un chien, sans autre forme de procès. Dans cet univers impitoyable, Sam et Cora, deux jeunes orphelins se sont mis en tête de s'occuper d'une petite bande d'enfants abandonnés qui survivent dans une usine désaffectée qu'ils doivent défendre farouchement de la convoitise de clochards malintentionnés qui veulent occuper des lieux. Lors d'une de ces attaques, c'est un étrange colosse défiguré qui leur vient en aide avant de s'écrouler, victimes de graves blessures que Cora va soigner du mieux qu'elle peut. Etant muet, le colosse ne communique que par l'entremise de mots griffonnés sur un carnet que Sam, étant le seul à savoir lire, parvient à déchiffrer. Se forme ainsi un duo détonnant qui va s'embarquer dans une série de règlements de compte qui touche l'ensemble des bas-fonds de la ville en précipitant Sam dans l'univers détestable du monde corrompu des adultes qui le fascine et le révulse.





Avec ces enfants abandonnés dans les rues de Denver, il y a bien évidemment quelques tonalités qui nous font penser à l'univers de Dickens même si le texte de Benjamin Whitmer se révèle bien plus abrupt en nous invitant à découvrir une ville de Denver décadente dans laquelle l'ensemble de la population semble tirer parti du vice qui y règne en subissant la corruption qui gangrène les instances étatiques dont la police sur laquelle ne peuvent compter que les plus riches de citoyens. Dans un tel contexte, on se focalise donc sur Sam, un adolescent orphelin, qui rejette ce monde des adultes jusqu'à ce qu'il croise Goodnight, un colosse muet, défiguré et violent avec qui il trouve certaines affinités tout comme Cole, propriétaire d'un bar clandestin qui doit faire face aux autorités qui n'apprécie pas cette concurrence. Ainsi ce trio va donc se révolter et affronter ces édiles de la ville dans un déferlement de violence insoutenable à l'instar de ce lynchage en pleine rue sous les yeux de la police qui regarde passivement le cadavre auquel on a bouté le feu. Mais au-delà de cette violence qui jalonne le texte, Benjamin Whitmer fait également référence à cet amour animant le coeur de Sam qui a jeté son dévolu sur la belle Cora, jeune orpheline tout comme lui, qui se méfie également du monde des adultes. C'est d'ailleurs sur cette ambivalence entre fascination et défiance pour cet univers que l'on suit le parcours destructeur de Sam subissant l'influence de ses deux partenaires en dépit des mises en garde de Cora. On assiste donc à quelques scènes d'une brutalité sauvage comme Benjamin Whitmer sait si bien les décrire, sans toutefois baigner dans la complaisance. On prend ainsi conscience que cette violence n'est finalement que l'écho de cette ville décatie de Denver que l'auteur dépeint avec une fascinante précision nous permettant de nous immerger dans les ruelles sombres de ce cloaque à la fois décadent et fascinant.





Empruntant les codes du roman noir et du western, Benjamin Whitmer nous offre ainsi avec Les Dynamiteurs, un formidable récit d'aventure à la fois épique et tonitruant s'achevant sur un épilogue de toute beauté qui ne font que confirmer la sensibilité d'un auteur talentueux. Eblouissant.







Benjamin Whitmer : Les Dynamiteurs (The Dynamiters). Editions Gallmeister 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos.







A lire en écoutant : My Least Favorite Life de Lera Lynn. Album : True Detective. 2015 Harvest Records.
Lien : https://monromannoiretbiense..
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Les Dynamiteurs

« Ce monde est un monde de têtes coupées, et il n’y a pas beaucoup de place pour les balades dans des putains de champs de jonquilles. »

Voilà ce que pense Sam, le narrateur de cette histoire glauque qui se déroule au début du XXe siècle à Denver, Colorado, une ville où règnent le vice, le jeu et l’alcool en un équilibre bien précaire, toujours proche de l’implosion.

Sam, quatorze ans, vit dans une usine désaffectée avec un groupe d’orphelins recueillis par Cora, quinze ans, qu’il aime d’un amour secret. Se tenant à l’écart du monde des adultes peu fiables, tous deux tentent de maintenir un écran protecteur autour de leur microcosme. Mais l’irruption soudaine d’un géant au visage scarifié, John Henry Goodnight, traînant dans son sillage son acolyte dénommé Cole, emportera tout sur son passage, dans une succession d’actes vengeurs d’une violence inouïe. Dynamite et nitroglycérine au menu, Benjamin Whitner met en scène, dans une suite de chapitre courts et percutants, une flopée d’agents Pinkerton appelés en renfort par des shérifs impuissants et dépassés par l’afflux du banditisme sévissant dans les villes de l’Ouest. Après Évasion, Whitner signe ici un roman d’une noirceur abyssale et absent de toute rédemption.

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Cry Father

Un roman noir avec un personnage principal complètement perdu depuis la perte de son fils. Alcoolique, quelque peu violent et qui joue de malchance dans ces rencontres à moins qu'il ne les provoque par son comportement.

On est projeté dans les côtés les plus sombres et marginaux de la société américaine, les laissés pour compte, les "Jo la débrouille".



J'ai trouvé l'histoire très touchante car il s'agit simplement d'un père qui n'arrive pas à faire son deuil, qui n'a trouvé que la fuite, la violence et l'alcool pour adoucir sa peine.

Malgré la violence tout au long des pages j'ai ressenti une humanité dans l'écriture ce qui rend le roman très très beau.



Je recommande.



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Évasion

Pfiou ! On ne ressort pas indemne de cette lecture !

Tout du long de ce bouquin, j'ai cru entendre la musique d'Ennio Morricone dans un film de Sergio Leone...Et les mecs n'ont pas un cigarillo au coin des lèvres, mais avalent des amphétamines...

C'est une vision désespérée de la société , au fin fond du Colorado. L'opposé du bouquin qui vous fait du bien.

L'auteur raconte la noirceur de l'âme humaine, à la fin des années 60, des bouseux du coin, à l'occasion d'une traque d'évadés de prison pendant une tempête !

Y a pas réellement de gentils, sauf peut-être Charles et Dayton, mais c'est juste qu'ils ont adopté une autre méthode pour survivre que les autres.

Je ne connaissais pas Benjamin Whitmer, on m'a offert ce livre pour Noël...Si ses autres livres sont de la même veine, il vaut mieux lire cet auteur sur un transat, l'été au soleil !!!

Mais j'ai aimé cette lecture, elle décortique avec brio la sauvagerie des hommes libérés de la morale. Et l'écriture est plus qu'efficace.
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