Citations de Bernard Noël (279)
Les Versaillais, par ailleurs, crurent efficace de bombarder ambulances et hôpitaux. Les protestations de la Société internationale de secours aux blessés auprès du gouvernement de Versailles ne suscitèrent que cette réponse de Thiers : “La Commune n'ayant pas adhéré à la convention de Genève, le gouvernement de Versailles n'a pas à l’observer.
Le vent travaille ici la neige comme ailleurs le sable.
Qu'ont de si attractif ces paysages? Ils ont pour eux de susciter une si forte adhésion à leur espace que cet espace, un instant, nous devient intérieur.
Bien sûr, l'origine est en nous un pays perdu, mais ce pays a son lieu particulier, qui reste repérable à partir de quelques jalons.
La vue
la vue plie dehors sur dedans
île de nuage et de bulle
à l’intérieur ce pli de rien
le toi s’y replie sur l’autre
même toi que toi tout en rien
le corps s’apprend par le désir
les yeux le perdent là fixé
toujours l’âme s’empaille
de quelque regard d’ange
Chaque chose peinte est faite d'une image et d'un espace. L'image n'a besoin que de rappeler son origine ; l'espace, lui, porte la réflexion. Et par là même, il est le jamais vu dans lequel le peintre plonge le déjà vu, qui est le matériau de son travail. Figurer consiste à croiser le déjà vu et le jamais vu de telle sorte que ce dernier nous ouvre les yeux.
Il s'agit de déranger le fonctionnement mécanique du regard pour qu'il voit enfin ce qui d'ordinaire lui échappe. Un arbre reste un arbre, et même un visage un visage : la seule chose qui puisse les changer en eux-mêmes dans nos yeux, c'est le surgissement à l'intérieur de leur image, et donc du regard, d'une relation qui modifie la consistance de la vue. (p. 106)
Lecture du Chilam
Extrait 4
alors
ils se couchèrent dans leurs cendres
et ceux-là vinrent sur eux
ils furent des planches
ils furent des escabeaux
ils furent des choses
*
notre tête est le bol de l'ennemi
dirent-ils
ils vécurent sous la terre
ils semèrent leurs dents sur le chemin
ils eurent ce signe
…
*
LA PEAU ET LES MOTS
POÈME À DÉCHANTER
un projet sous la peau
le seul travail
du sens
organe
à écrire la chance
et maintenant
chose jointe
qui recèle un ça
nous sommes vécus
blessure blette et bleue
ici
vois
qui se lève
de soi
s'efface
se lève...
p.113
LA PEAU ET LES MOTS
POÈME À DÉCHANTER
(parfois, dans l'ombre de la main
qui écrit, la lampe fait surgir
une bouche
et la bouche court sur la page)
oisive
identique
et si apparente
écrire
attendre
toucher l'espace
là
deux encore
deux pourtant...
p.112
LA PEAU ET LES MOTS
POÈME À DÉCHANTER
1968
à Alain Jouffroy
où est la peau
si le vent crie au creux
et quel hiver de moi à je
écoute
on sème ses dents
on noue sa gorge
on ronge ses yeux
écoute
quelqu'un
plante encore des jours
pour égarer la route
p.99
LA PEAU ET LES MOTS
VERS LE DAIVELAND
1969 - I
darde
quel souvenir
comme un poisson qui brûle
en travers du ciel
l'oiseau est devenu lézarde
dans la boule
où les mots s'envolent…
p.121
l'idée qui passe
ne fait pas d'ombre
elle est l'oiseau
d'un ciel d'encre
il coule dans nos yeux
il écrit le monde
Ce qui ne laisse pas de trace
sur le miroir
c'est mon visage
dans tes yeux
déjà
la même glace
tout ce que nous disons est l'écho
d'un mot passé d'un mot
qui voudrait achever aujourd'hui même
une chose autrefois commencée
[...] je crois que la contrainte libère. Dès qu'on s'arme d'une contrainte, comme une prothèse favorable, on peut être libre. [...] Comme dirait Bataille, c'est une méthode de méditation et une méthode d'existence, de traduction de son existence.
A chaque instant la parole est entière comme le corps; à chaque instant, l'écriture se cherche et, se cherchant, produit un avancement qui est la durée fragile d'où lui viendra tout à la fin un corps qu'elle ne connaîtra même pas puisqu'il se forme dans le regard de son lecteur.
Tout visage immobile est une énigme - toute pierre devenue un visage. Nous passons, il n'en finit pas de durer - Le temps tourbillonne alentour, mais lui nous regarde à la fois de très loin et de très près. C'est qu'un horizon nous sépare : la mort franchie. Les pierres du Mexique ont cette fixité souveraine, même si nous ne savons pas qui dure en elles : le regard de quelle conscience ? Ici, nos sculpteurs ont voulu figer la permanence de la vie - la vie au-delà de la mort ; là-bas, au Mexique, leurs pierres parlent de la permanence de la mort - la mort au-delà de la vie...
[...] que de greffes et d'accouplements dans ses oeuvres, mais toujours entre le métallique et le charnel comme pour féconder la pensée au moyen de l'impensable.
GRAND ARBRE BLANC
A André Pieyre de Mandiargues
à l’Orient vieilli
la ruche est morte
le ciel n’est plus que cire sèche
sous la paille noircie
l’or s’est couvert de mousse
les dieux mourants
ont mangé leur regard
puis la clef
il a fait froid
il a fait froid
et sur le temps droit comme un i
un œil rond a gelé
grand arbre
nous n’avons plus de branches
ni de Levant ni de Couchant
le sommeil s’est tué à l’Ouest
avec l’idée de jour
grand arbre
nous voici verticaux sous l’étoile
et la beauté nous a blanchis
mais si creuse est la nuit
que l’on voudrait grandir
grandir
jusqu’à remplir ce regard sans paupière
grand arbre
l’espace est rond
et nous sommes
Nord-Sud
l’éventail replié des saisons
le cri sans bouche
la pile de vertèbres
grand arbre
le temps n’a plus de feuilles
la mort a mis un baiser blanc
sur chaque souvenir
mais notre chair
est aussi pierre qui pousse
et sève de la roue
grand arbre
l’ombre a séché au pied du sel
l’écorce n’a plus d’âge
et notre cœur est nu
grand arbre
l’œil est sur notre front
nous avons mangé la mousse
et jeté l’or
pourtant
le chant des signes
ranime au fond de l’air
d’atroces armes blanches
qui tue
qui parle
le sang
le sang n’est que sens de l’absence
et il fait froid
grand arbre
il fait froid
et c’est la vanité du vent
morte l’abeille
sa pensée nous fait ruche
les mots
les mots déjà
butinent dans la gorge
grand arbre
blanc debout
nos feuilles sont dedans
et la mort qui nous lèche
est seule bouche du savoir
(éditions P.O.L. page 91 à 96)
La tentation, surtout dans un dictionnaire, serait de ramener toute la pensée de la Commune à une définition. C'est un vieux complexe : on veut posséder, on veut savoir. Toute notre tradition culturelle est une tradition de propriétaires. Il s'agit de s’approprier, et vite, l’essentiel. La Commune est révolutionnaire en ce sens, aussi, qu’il n'y a pas moyen de la réduire à ce point.