Citations de Camille Laurens (802)
Etre folle? Ce que c'est qu'être folle? (...)
C'est voir le monde comme il est.
Mais dites-moi, pourquoi une femme devrait-elle, passé quarante-cinq ans, se retirer progressivement du monde vivant, s’arracher du corps l’épine du désir (ah ah, l’épine ! Vous l’avez entendu, docteur ?), disons plutôt l’écharde alors, pourquoi les femmes devraient-elles s’arracher l’écharde du désir alors que les hommes refont leur vie, refont des enfants, refont le monde jusqu’à leur mort ?
Pourtant moi, vous savez ce que je voudrais ? C'est voir, non pas ces deux images, mais le passage de l'une à l'autre, comment s'opere le passage, le saut de page, repérer le tournant, la sortie de route, voir comment ça tourne, ça tourne rond, ça tourne vinaigre, qu'est-ce qui se passe entre les deux, qu'est-ce qui passe, comment ça se passe quand ça passe?
Vous trouvez ça normal vous que l'amour passe ? Qu'il ne fasse que passer?
(....)
Pour te comprendre, il fallait faire comme le poète, regarder les nuages, là-bas, les merveilleux nuages. Au fond, nous etions tous des nuages, et tu avais avec nous tous des manières de nuage. Nous errions tous dans le ciel du temps, étirant nos formes changeantes et cotonneuses, échangeant nos étoffes de ouate, certains dérivant sans cesse au fil du vent, d'autres immobiles et compacts, engrangeant masse et semblant de matière.
Quelquefois, deux nuages se rencontraient, se trouvaient, mêlaient leurs contours dépareillés, fusionnant jusqu'à ne plus faire qu'un, leurs clartés s'interpénétraient, leurs limites s'abolissaient, peaux, sexes, brumes de l'esprit, humeurs, vapeurs, tout se fondait, se confondait, se comprenait, le plaisir faisait la pluie et le beau temps; mais cette union ne durait pas, et peu près chacun reprenait sa route, dérivant dans un coin de gris-bleu , parfois troué d'un rayon qu'on pouvait croire divin .. si l'on refusait de se voir comme on voit les nuages : sans autre destin qu'un ciel sans bords, allant nulle part, dans leur habit de lumière et de néant.
La place du mort, c'est la sienne. On peut comprendre qu'il veuille y échapper: il fuit en avant, il bouge tout le temps, il déplace la frontière du néant. Il passe, oui, il ne fait que passer, il outrepasse, il passe outre, il outrage sans cesse, rien ne l'arrête. Seulement, à un moment, ça va trop loin, ça devient fou: comme dit Lacan, "passé les bornes, il y a la limite"
Il niait la chaîne du Temps, ses maillons dont l'un mène à l'autre, il niait le flus du Temps, ses pports, ses balises, ses amers: il ne s'arc-boutait pas contre la puissance superieure de son fleuve, il en ignorait simplement le flot, ou se reservait la possibilité infinie d'en détourner le cours au gré : il détestatit les rendez-vous, les agendas, la planification, à part les plans sur la comète. de son humeur ou de ses besoins
Je te parle du désir. Je n'en avais jamais eu peur, avant, ni honte, j'étais son égale. Le désir nous fait eprouver le vide, c'est vrai, le puissant chaos qui nous environne et nous constitue, mais ce vide, on l'éprouve comme le funambule sur son fil, on le tâte comme l'équilibriste quand il y balance sa jambe, on est à deux doigts du désastre et de la chute , de l'angoisse mortelle, et pourtant on est là, tout vibrant d'une puissance agrandie, décuplée, immense, on se déploie dans le chaos, retenu par le seul fil de ce qui nous lie à l'autre, notre compagnon de vide, notre funambule jumeau. Quand est-on plus vivant? Plus heureux? Plus libre?
Mon désir était le lieu de ma résistance, mon blockhaus intime, l'abri de mon corps et de ma langue, je le croyais inataquable, insubmersible, indestructible. "Je désire, donc je vis", mon cogito inoxydable.
Le problème dans le jeu de cache-cache, c’est quand vous restez caché sans que personne s’en aperçoive. Si tout le monde abandonne la partie alors que vous êtes toujours derrière votre buisson, qu’est-ce que vous devenez ? Perdre à ce jeu, ce n’est pas être trouvé ; c’est quand personne ne vous cherche.
Mais je me répétais la phrase d'Antonioni dans je ne sais plus quel film: "L'Amour , c'est vivre dans l'imagination de quelqu'un."
C'est dans l'espoir de retrouver chaque fois la première fois que j'ai aménagé le salon pour Chris, je me disais "s'il se sent libre, il restera!" l'amour c'est rester alors qu'on pourrait s'en aller.
Nous sommes tous, dans les fictions continues de nos vies, dans nos mensonges, dans nos accommodements avec la réalité, dans notre désir de possession, de domination, de maîtrise de l'autre, nous sommes tous des romanciers en puissance.
Les hommes mûrissent les femmes vieillissent
C’est le contraire qui s’est produit. Je croyais lui redonner de l’espoir : personne n’était mort pour elle. Et je lui ai apporté le désespoir : personne n’était mort pour elle. J’ai compris trop tard que c’était ce mort qui la faisait vivre. Cette passion tragique la justifiait : elle avait été follement aimée. Au fond, elle ne résidait ici, à la Forche, que pour pouvoir continuer à vivre dans cet amour. Une clinique psychiatrique, c’était le lieu idéal pour elle, l’endroit où vivre : les fous et les amoureux appartiennent à la même espèce, d’ailleurs on dit « amoureux fou ». Ici, on ne la dérangeait pas dans sa jouissance morbide. Sa tragédie était merveilleuse. Si elle me parlait si volontiers lors de nos entretiens, c’était pour le plaisir de rester dans l’histoire. Et j’ai tout détruit. J’ai cru que la vérité la ramènerait à la vie. Mais tout le monde n’est pas prêt à la vérité. Les gens s’en foutent, de la vérité. Ce qui compte, c’est ce qu’ils croient. La vérité, ils écrivent par-dessus. Ils la font disparaître à force de fictions, de récits. Ils vivent de ça, de ce qu’ils racontent. Leur vie est un palimpseste. Inutile d’aller voir dessous. Nous autres, psys, nous prétendons à la vérité. N’importe quoi. L’HP, c’est tout le contraire : c’est pour se protéger de la vérité.
Tout sauf léger... douloureux mais terriblement vrai et actuel.
Roman sur le désir, l'envie de susciter le désir, le bonheur d'être désirable, la soif de vivre...
Voilà un de ces "livres qui prennent soin de nous" comme le dirait R. Detambel en en mettant à nu ce qui se passe en soi, même après soixante ans...
"Les gens heureux n'ont pas d'histoire."
"Il faut trouver les mots, faire cet aveu : l'amour.
Amand, oui je n'invente pas, ça existe, c'est dans le dictionnaire des prénoms, c'est le masculin d'Amandine, du latin Amandus qui signifie choisi pour l'amour.
Elle il l'aime, elle est sa femme, son épouse, son épousée, il s'efforce de lui être fidèle ainsi qu'il l'a promis, il trouve ce courage en lui pour l'amour d'elle.
Peut-on, dès lors croire au progrès, se projeter dans un futur où ne reviendraient pas les mêmes erreurs, les mêmes fautes, les mêmes défaites ? Peut-on encore attribuer cette belle et utopique avancée à la science, au socialisme, à la foi ? Ou rêver avec Nietzsche à l'Eternel Retour, qui ne ferait revenir que l'affirmation et la joie, pas la mauvaise conscience et le nihilisme ? N'est-il pas plus raisonnable de penser, comme Shakespeare, que c'est un idiot qui mène la barque avec "bruit et fureur", sans aucune direction, aucun projet, cap au pire ? Que tout se répète, mais sans produire le moindre enseignement, comme en expiation de vivre : c'est Sisyphe roulant toujours sur la même pente son même rocher - pour rien ?