Ce matin quand Marie emmène son fils à l'école, celui-ci est encore dans les remous de la nuit : Marie et son compagnon se sont disputés, des mots forts, des mots durs que leur fils a entendus et à cause desquels, il se pose plein de questions anxieuses, alors quand l'institutrice, Claire, lui demande d'expliquer son exclamation soudaine "Nénuphar", il sort de son rêve ou plutôt de son cauchemar pour retrouver la trajectoire d'une vie normale, sans peur puisqu'il peut tout nommer. Claire, quant à elle, doit retrouver son compagnon du moment après la classe, elle voudrait cette relation éphémère mais voilà, ils ont rendez-vous pour la première échographie de la grossesse... Dans le métro, à la suite d'incidents, ils se trouvent assis en face de Diane qui a décidé d'errer toute la journée, pour ne pas être chez elle, car aujourd'hui, son amant est enterré et elle ne peut se rendre aux obsèques. En quittant la rame, Diane bouscule un SDF qui n'a cessé de regarder un compagnon de voyage comme l'image de sa propre existence avant de connaître uniquement la rue....
Et ainsi, en continuant la lecture, nous croisons toute une galerie de personnages qui ont la particularité de s'être frôlés, d'avoir échangé un regard, un sourire, des mots doux ou agressifs et finalement d'avoir en commun d'être tous à un moment de leur existence où celle-ci bifurque, se bouleverse : un évènement soudain, une dispute, une peur tapie dans le coeur, un bilan d'une existence, une prise de conscience de n'être rien dans le regard des autres, de n'être rien dans sa propre vie, d'être sans domicile ou sans patrie, de se battre pour exister, et finalement, exister même, ça veut dire quoi ?
Carole Zalberg aurait pu choisir d'écrire un recueil de nouvelles pour nous parler de toutes ces vies, nous faire rencontrer tous ces êtres cabossés de l'existence, mais elle a choisi un procédé beaucoup plus subtil et beaucoup plus original en les reliant par un fil, un fil de regards croisés au cours d'une journée.
Ils ont tous en commun de porter une part de solitude, qu'ils s'en rendent compte, qu'ils la combattent, qu'ils la désirent. Pour certains, ils sont au début de l'histoire, pour d'autres la vie est en train de se refermer sur eux. Et pourtant, ces regards qui s'échangent, ces mains qui se frôlent, ces mots qui se disent ne sont, si on veut bien juste être un peu plus attentif, que le début d'une solution, la conviction que la voie est bonne, comme l'acquiescement que les choix sont ceux qu'il fallait prendre, ou comme la seule fuite possible devant une existence devenue trop difficile à porter, en espérant qu'une main tendue va les secourir et les extirper de tous ces ténèbres.
Un récit tout en subtilité, dans une écriture qui retient, qui interpelle comme les vies que l'on vient d'accompagner pour quelques pages. Que fait-on d'une vie et ce qu'on en fait, est-ce cela à quoi on aspirait ?