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Critiques de Cécile Ladjali (223)
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Shâb ou la nuit

Cécile Ladjali a mis beaucoup d’elle-même dans ce roman qui semble coller à son vécu, tellement il respire la sincérité et l’émotion. Après l’avoir découverte dans Illettré, j’étais content de retrouver cette autrice dans Shâb ou la nuit, une autobiographie romancée.



Dans ce livre, elle parle avec tendresse et force de l’enfance, de la parentalité puis de la maternité. L’autrice rend ici un hommage appuyé aux femmes, souligne l’hypocrisie des hommes qui prennent leur plaisir puis laissent la future mère tout assumer.

Est-il possible de faire autrement ?

Oui, sûrement, et durant le demi-siècle qui vient de s’écouler, bien des pères se sont investis auprès de celles qui donnent la vie puis auprès de leurs enfants. Les mentalités évoluent en Occident mais nous savons tout le poids des traditions et du machisme dans trop de pays du monde.

Cécile est née d’une mère iranienne, Massoumeh, abandonnée par celui qui l’a engrossée. Jeune fille au pair en Suisse, Massoumeh découvre qu’elle est enceinte de trente semaines à cause d’un déni de grossesse, et ne peut plus avorter. Accouchée par un médecin d’origine iranienne, homme hautain et méprisant, elle donne naissance à Roshan (soleil en farsi) qu’elle ne peut qu’abandonner afin qu’elle soit adoptée.

Cécile Ladjali raconte l’adoption, parle beaucoup de Jeannine et Robert, ces parents qui élèvent cette fille trop brune, qui porte un nom d’origine kabyle car Robert vivait en Algérie où il a porté l’uniforme français et accompli des actes qu’il préfère cacher. Ils l’ont prénommée Cécile, nom d’une sainte aveugle !

Shâb (étoile filante en persan) est le nom donné par l’Iran à ses missiles. Cécile Ladjali décide d’écrire son histoire parce qu’elle est déchirée entre son premier prénom, Roshan, signifiant soleil, et celui qu’elle porte, synonyme de nuit pour la personne qui ne voit pas.

J’ai lu ces pages avec beaucoup d’intérêt car l’autrice ne masque aucune difficulté et détaille tous les obstacles rencontrés. Shâb ou la nuit est un livre sur l’enfance, l’amour, la parentalité et l’émancipation par la lecture et l’instruction. J’ai souvent été ému par ces pages consacrées à Robert puis à Jeannine, ses parents qu’elle aime profondément tout en souffrant jusqu’au bout de cet abandon à la naissance.



Les dernières pages du livre sont encore plus puissantes en émotion mais surtout en réflexion et l’amour affleure constamment. J’ai adoré lire à nouveau Cécile Ladjali, grâce à Marisette que je remercie.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Illettré

"Illettré "raconte l'histoire de Léo Cramps, un jeune homme discret , âgé de vingt ans.

Il habite au 7°étage cité Youri Gagarine, aux portes de Paris.

Il occupe seul un meublé aux murs nus.

Léo pointe chaque matin à 6heures3O à l'usine, une imprimerie où il s'installe devant sa presse ou son massicot .

Toute la journée défilent devant ses yeux des lettres que Léo identifie vaguement à leur forme.

Que s'est -il passé l'année de ses six ans? Ses parents, Lucile et Marius se sont évaporés , il a été élevé par sa grand-mére analphabète et aimante.Il n'a jamais réussi à intégrer les codes de l'écriture et de la lecture, a quitté le collége à 13 ans, régressé et oublié les rudiments appris à l'école.

Désormais sa vie d'adulte est entravée par cette tare sous -marine, invisible qui le dévore de l'intérieur , l'isole et le marginalise.

Il dépense une énergie incroyable à cacher ce qui l'accule...

Pour lui c'est plus une honte qu'un handicap, honte tenace, sournoise, humiliation secrète de plus en plus pesante.....,

Il tente de donner le change, tromper les apparences auprés de Sybille, la jolie infirmière venue le soigner aprés son accident.

Il vit dans une nébuleuse, un brouillard, une errance entre les lettres et les chiffres qui l'aveuglent l'anéantissent, assourdissent son quotidien.

Quelle est la solution?

Réapprendre à lire?

Renouer avec ces mots qui le font tant souffrir ?

Il éprouve une tristesse et une colère qui confinent à la nausée.

La honte constante d'avoir oublié les mots, ceux que l'on écrit , que l'on comprend, qui rendent les choses et les êtres palpables modifie même son corps : démarche hésitante, épaules en creux, yeux baissés , hoquet des syllabes.

Ce sujet extrêmement fort, rarement traité, ce mal sournois ,invisible, discriminatoire dont on croit pouvoir ruser mais qui vous rattrape , sur lequel la volonté se brise est brillamment décrit , avec intelligence, talent et empathie.

L'auteur à l'aide d'une écriture à la langue parfaitement maîtrisée, poétique et imprévue donne un relief particulier à l'importance du langage autour des mots, de l'école, de l'estime de soi, impossibles sans le langage.

Le langage c'est la liberté, le manque de mots signifie l'enfermement, ampute ,sape la confiance et l'estime de soi........

Imagine t- on un instant ne pas pouvoir lire et écrire?

Léo devient le fils de l'absence et du mutisme, il flotte parmi les signes, il a oublié , il sombre,il a égaré la clé des mots............je n'en dirai pas plus..

J'ai été bouleversée par ce livre que chacun devrait lire, une réflexion convaincante autour des incidences psychologiques de l'illettrisme .

Ce sujet est traité avec énergie, conviction et une grande sensibilité.

Un grand livre !









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La fille de personne

Une pépite absolue, totale, qui me met bien en peine pour en rendre

compte...tant la richesse de cette fiction , nous entraînant dans les arcanes de l'oeuvre de Franz Kafka et Sadegh Hedayat, des affres et mystère de l'ECRITURE, de l'histoire des autodafés, des bibliothèques brûlées au fil de l'histoire de l'Humanité ... m'a captivée...et alimentent moult questionnements sur l'Acte de créer !

Très riche, très dense... Je ne sais par quoi commencer ?!!!



La narration se situe entre deux périodes temporelles: les années 1910-

1914 et les années 1950... A l'origine de cette fiction, la narratrice part à Prague, dans l'espoir de retrouver des traces de son père, décédé... , qu'elle n'a jamais connu. Elle prend un poste de jeune fille au pair chez les Kafka, où elle fait la connaissance de Franz...

40 ans plus tard, elle est à Paris, ayant créé sa propre librairie; elle croise

sur son chemin, l'écrivain iranien , Sadegh Hedayat.

L'absence cruelle d'une figure paternelle hante la narratrice. Une attirance

obsessionnelle pour les bibliothèques détruites par le feu ( dont elle a

fait le sujet de sa thèse, jeune) et sa fascination pour ces deux écrivains

talentueux lui offre une identité, une existence à travers les mots,

l'oeuvre de ces deux artistes.



Luce Notte, notre narratrice est comme une sorte de muse, d'inspiratrice pour ces deux artistes... rôle qui lui confère une identité...Elle, fille de personne, et en recherche d'un père idéal !!



"L'obsession des questions concernant l'écriture était venue quelques semaines après ma rencontre avec Franz. Avant, il y avait bien les livres, les hémicycles fréquentés pour la thèse, cependant mon rapport à l'écrit restait celui d'une collectionneuse. Les bibliothèques étaient davantage des décors en trompe-l'oeil que des lieux où la pensée véritable s'exerçait.

J'y étais simple spectatrice. Je glanais des informations sur les salles de lecture qui avaient brûlé, interrogeant la nature de l'incendie. (...)

Les salles de lecture dévastées par les flammes, qui en plus avaient été le repaire d'auteurs ayant détruit ou souhaité détruire leurs travaux, gardaient ma préférence. "(p. 127)



Un texte exceptionnel qui exprime la puissance des mots, de la Littérature. Cette littérature, rempart contre le désespoir de vivre. le troisième texte que je lis de cette écrivaine, après "Ma bibliothèque, lire, écrire, transmettre" (Le Seuil, 2014) et "illettré" (Actes Sud, 2016); je retrouve des échos avec ces lectures antérieures, dont un noyau central souvent

traité par Cécile Ladjali: La Transmission....





Nous revisitons les oeuvres de Kafka et d'Hedayat....pour ma part, j'ai appris de nouveaux éléments comme celui concernant Hedayat,traducteur de Kafka, en 1948 d'après une édition française, qui a été également le premier en Orient à essayer d'analyser l'univers kafkaïen dans sa préface à "La Colonie pénitentiaire", intitulée "Le Message de Kafka" (1948)





"Les livres de Sadegh sont les plus noirs, peut-être les plus angoissants jamais écrits. Mais c'est justement parce qu'ils enferment la nuit qu'ils me donnent le jour. Il écrit pour que nous autres, lecteurs, nous ayons moins peur." (p. 85)



De très beaux passages sur "L'Oeuvre à faire" , mystère des mystères...ainsi que sur la part active, primordiale du Lecteur....



"Ce sont les lecteurs qui arrachent les oeuvres à la damnation, aux flammes de l'oubli, à la poussière des heures qui transforment encre et papier en sable. (...)

La conscience du lecteur est une digue entre un sens qui se perd et l'histoire qui danse devant ses yeux pour être recomposée par sa lecture. Privé de son lecteur, l'auteur n'est rien. Il n'est que le signataire d'un néant, d'une lettre muette, sourde et aveugle.

C'est tout le sang du lecteur qui irrigue la carcasse sèche des livres. (p. 150)



Je reste peu satisfaite de cette chronique...inévitablement, car ce roman est d'une richesse et d'une prodigalité incroyable quant à de vastes analyses, questionnements sur la Littérature, la valeur des mots, le très complexe acte de créer, comportant sa part de ténèbres... Une lecture exceptionnelle dont je suis enchantée !...









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Illettré

Eût-il rencontré un aviateur dans un désert, ce n'est pas un mouton qu'il lui aurait demandé de dessiner, mais des mots, et sans lui emprunter sa plume, car Léo ne connaît pas l'art de déchiffrer et reproduire sa langue. C'est un lointain mais profond traumatisme qui l'a privé de cette faculté : c'est lors de son entrée au CP que ses parents ont disparu, du jour au lendemain sans crier gare, sans plus jamais donner de signes de vie ou de mort. Alors Léo a appris, un peu, et mal, puis oublié. Certes il s'en passe, au prix d'une mise en danger réelle (il aurait pu y laisser la vie, lorsque qu'à l'imprimerie (!) où il travaille il a laissé deux doigts dans une presse, faute d'avoir lu l'avertissement devant l'outil), au prix surtout d'une solitude qui lui pèse de plus en plus, surtout depuis qu'une jolie voisine et sa fille occupent ses pensées. Jusqu'où ira t-il pour l'amour de sa belle?



C'est tout le drame du handicap dans une société normative où le droit à la différence proclamé haut et fort et inscrit sur les tables d'un certain nombre de lois montre bien ses limites. Il ne suffit pas que les textes s'érigent en gardiens du droit, il faut aussi que le sujet s'autorise à vivre dignement avec ses limites. Et Léo en est loin : ses lacunes sont pour lui une torture permanente qui a modelé sa façon d'être au monde.



C'est dans un Paris nostalgique et très graphique perçu par les yeux de notre jeune homme pas comme les autres, qui compense sa cécité à l'écrit par une hypersensorialité bien retraduite par l'auteur (ajoutons à cela un besoin de rituels, et l'on est pas loin de troubles du spectre autistique) .





L’écriture sensible, délicate et élégante, se met au service d’une fine analyse psychologique, très touchante.



Les personnages secondaires font l’objet d’une portrait plus caricatural, beaucoup moins nuancée, une peu comme sur ces photos en noir et blanc ou l’on a colorisé un détail.



Cela donne au final un récit poétique sans mièvrerie, un regard mélancolique mais pas désabusé sur de la différence .





Un très bon moment de lecture.



Merci à Glose de m'avoir permis de découvrir ce roman.


Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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La nuit est mon jour préféré

Est-ce que le dialogue est la vie ? Est-ce que échanger avec l'autre, c'est exister ? Se construire passe-t-il par les mots ?

Mais quand la parole est entravée par un secret qu'on veut taire, par un jugement qu'on veut oublier, quelle est la part de la vérité des échanges ?

Et les silences ? Les mots tus, ou l'absence à la réalité pour se réfugier dans un ailleurs tout aussi peuplé mais d'une autre façon et y partager une autre forme de communication ? Est-ce cela évoluer, grandir, vieillir, toucher la maturité ? Est-ce cela qui "fait vivre" ?



Dans ce livre, Cécile Ladjali virevolte autour de la notion de communication entre les êtres. De façon toujours aussi enrichissante, elle interroge sur le poids et la valeur de ces échanges qui font vivre ensemble. Ou sur le tranchant des mots ou leur absence qui détruisent vie et affection. Est-ce que les sentiments se partagent par les mots ? Est-ce que l'absence de mots engendre une carence affective ?



En plaçant le lieu du récit en territoire à la fois israélien et palestinien, elle suppose immédiatement une rupture de l'écoute et du mot prononcé entre deux nationalités qui ne parviennent pas à vivre ensemble, entre deux peuples qui ne font aucun effort de langage qu'il soit parlé ou gestuel – celui de la main tendue – pour écrire une histoire commune. Certainement, aucune terre n'est autant baignée des ténèbres du mutisme. Et quand des lèvres murmurent une autre histoire possible du voisinage de ces deux peuples, elle est tue par la violence, bien souvent.

Les poètes s'y sont perdus, eux dont les mots traversent toute frontière, eux dont la prose fait figure de voile de paix.

La musique, autre forme de conversation ou de narration, ne connaît pas les nationalités, fait fi des barbelés et de l'hostilité. La musique serait-elle les seules paroles de paix ?



Tom le psychiatre israélien qui accueille dans son unité une jeune palestinienne qui, sur le point de donner la vie, vient de tenter de se suicider, n'est pas le pilier qu'il paraît, fissuré lui aussi dans ses échanges par le souvenir de paroles et d'actes échangées et commis par sa mère alors qu'elle le portait.

Entre passé et présent, celui-ci s'efforce de définir ou commence le dialogue, où se termine l'échange et ce que représente le pouvoir des mots.

Tout autant est-il question de la folie, cette expression d'une autre approche de la vie et des évènements, une autre narration du quotidien quand d'autres mots sont posés sur les actes ou expriment des points de vue qui s'éloignent des conventions.

Et c'est la rencontre avec Hephraïm, musicien, interné, et curieusement le plus libre dans l'esprit.

En miroir des mots, une autre forme de communication plus spirituelle vient ourler ces pages questionnant autant les personnages que le lecteur.





C'est une lecture qui interroge. C'est un livre qui se lit doucement pour tenter de l'approcher, d'essayer de le posséder, ou du moins essayer de le faire sien. On lit, on relit certains passages pour mieux en éclairer d'autres.

Une lecture qui instruit comme toujours avec Cécile Ladjali mais il faudra y revenir…



Merci à Babélio et aux éditions Actes Sud !
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Les vies d'Emily Pearl

Emily et Virginia sont soeurs.

L'une est gouvernante au manoir de Lord Auskin, et la préceptrice de son fils.

L'autre, Virginia, a quitté le domicile familial le jour de Noël pour tenter de vivre selon ses choix, selon ses désirs. Et même si, pour cela, pour s'assumer, elle doit devenir fileuse et connaitre le sort d'une tâche rude, être exploitée dans l'Angleterre de la fin du XIXème siècle. Ces petites mains corvéables à souhait dans une industrie qui ne se soucie que bien peu de ses ouvriers, les femmes besognent au fil des heures, à la merci du contremaitre ou du directeur quand elles ne sont pas rivées aux métiers qui tissent, les enfants employés pour se glisser sous les métiers, et pour qui l'enfance n'a plus que la saveur du souvenir à l'heure où il faut gagner sa part de pain au sein de la famille.



Virginia a choisi la liberté, celle d'aller où elle le souhaite, celle d'être le seul maitre de sa vie et d'en choisir l'avenir, ne laissant pas le hasard décider de tout.

Emily est moins audacieuse et sa vie se résume davantage à se laisse porter, à aller où on a décidé pour elle, sous l'emprise des décisions des parents, du Lord et de ce fiancé qu'elle n'a pas choisi et de ce mariage qu'elle subit.

Son seul "ami" est son cahier, ce confident des pensées pour le meilleur et le pire pour elle et ceux qui la côtoient, dans lequel réalité et affabulations voisinent avec vérité et mensonge...



De leurs vies respectives, les détails sont distillés à travers les échanges épistolaires des deux jeunes femmes, lettres qui bientôt traversent l'océan puisque Virginia a gagné l'Amérique.

Et c'est un peu comme si s'allumaient quelques fenêtres de l'Histoire, quelques lumières sur quelques événements marquants : pour aborder l'abolition de l'esclavage sur les terres américaines, et les perceptions des modifications de la société là-bas et en Angleterre, pour évoquer Salem - lieu de vie pour un temps de Virginia et des siens - et l'ombre des sorcières comme un présage lorsque le nom de celle ville prononcé fait songer au pire, pour poser un regard sur Ellis Island et le poids de la solitude et du désespoir qui accablent le lieu, pourtant gage d'espérance et de liberté...



Virginia comblée de sa condition, même dans les moments d'adversité, femme aimée, dans sa plénitude, vivante, et mère attendrie.

Emily, amante sans attache si ce n'est l'affection qu'elle porte à son élève dont les jours sont comptés.

L'une avance, vit, l'autre observe, jalouse s'aigrit. L'une habite l'existence, l'autre ne côtoie et ne songe qu'à sa fin. L'une s'enthousiasme quand l'autre se laisse porter par ses sentiments et s'éteint, se recroqueville...

L'aventure assumée de l'une rend plus criante la fixité de l'autre comme deux faces d'un miroir qui réfléchit la condition féminine de l'époque.





Un récit, touffu, tout en circonvolutions, comme une lanterne magique dans ce qu'il dévoile et dissimule, dans ce qu'il laisse deviner pour mieux le réfuter. Une écriture choisie, tout en érudition qui happe le lecteur et le dirige jusqu'aux phrases finales qui modifient une dernière fois la perspective que pourrait à nouveau prendre ce récit.

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Illettré

Léo est un jeune homme qui vit seul dans un petit appartement proche de l'usine dans laquelle il travaille. Abandonné par ses parents fuyant des malfrats alors qu'il était encore un tout jeune enfant, il est élevé par sa grand-mère qui le couve d'amour et de tendresse. Analphabète, elle a tendance à le tirer dans son monde plutôt qu'à le pousser vers l'école. Léo apprend les rudiments de lecture et d'écriture mais en quittant l'école à 13 ans, il oubliera bien vite les techniques.

Plus qu'un handicap, c'est une honte qu'il ressent pour son manque d'éducation. Amoureux de Sybille, une infirmière, il met en doute jusqu'à ses capacités de vivre et d'aimer...

Un roman très fort et très dur qui nous raconte l'histoire de Léo. Même si j'ai eu du mal avec l'écriture de l'auteur, tout en métaphores et en images, j'ai beaucoup aimé l'histoire et cette approche différente sur l'illettrisme. L'auteur n'aborde pas les stratagèmes du quotidien pour pallier aux difficultés de Léo, mais plutôt les incidences psychologiques que cela engendre... Ce jeune homme n'est pas simplement en manque de mots écrits...
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Ma bibliothèque : Lire, écrire, transmettre

« La lecture est pour moi un acte antérieur à l’écriture. Un positionnement originel. »


« Je cherche à comprendre le va-et-vient délicieux qui existe entre la lecture et l’écriture »



Dans un élan passionné, animée d'une grande sincérité, Cécile Adjali nous invite à la suivre dans cette recherche en nous entrainant à sa suite dans les rayonnages de sa bibliothèque où elle nous décrit la façon dont se côtoient tous les auteurs admirés, les anciens et les contemporains, unis par la passion de celle qui les a rassemblés. Elle nous en fait parcourir les strates en énumérant les titres mais sait aussi nous faire don de très belles pages comme celles sur Virginia Woolf et son Orlando, sur Emily Dickinson, Ingeborg Bachmann et Paul Celan…. Elle nous laisse entrevoir la relation « scandaleusement décomplexée qu’elle entretient avec les oeuvres, voire les auteurs » comme celle avec Baudelaire lorsqu’elle se voit Jeanne Duval lors d’une visite de l’hôtel de Lauzun


« Je me souviens de cet appartement, où tremblaient les lueurs vert-de-gris de la Seine et l’ombre vibrante des peupliers. Un lieu vide, où rien n’avait été refait depuis la rédaction des Fleurs du Mal. Je me souviens de cette porte à vantaux couverte de miroirs piqués par l’usure et la crasse. Quand j’étais Jeanne Duval, il y a plus d’un siècle, je m’y mirais pour renouer mon corset … Un jour il faudra que je publie ce livre écrit sur celui que j’ai si bien connu et qui dans une autre vie a relacé mes corsets devant la porte aux miroirs. »



Elle nous découvre ses premières amours et rend un bel hommage à son maître Georges Steiner. Elle nous parle aussi d’écrivains actuels qui font partie de ses amis comme Marie-Hélène Lafon, Véronique Ovaldé ou Linda lê avec laquelle elle correspond,

« Les lettres que Linda Lê m’a écrites sont rangées dans la bibliothèque, juste à côté de ses livres. Nous ne faisons que nous écrire, je n’ai jamais eu l’audace d’aller à elle. Je la devine farouche. On verra. En son temps. Je lis ses romans comme des lettres qu’elle m’aurait envoyées et résonne étrangement cette petite phrase d’elle : « en amour il ne faut jamais rencontrer son double ».



J’ai aimé sa relation vivante au livre, qu’elle me dise et me montre que ses « personnages ne sont jamais que les enfants nés de ses lectures » mais aussi que par son intermédiaire se renouvelle mon désir de découvertes, s’alimente mon avidité de lectures. Et je termine par ce bel hommage de sa part qui résume un peu toute la richesse de ce voyage dans sa bibliothèque :

« Tolstoï m’a appris le soleil et le souffle. Kafka l’inquiétude nécessaire. Celan le silence éloquent. Sylvia Plath et Ingeborg Bachmann la poésie des jours blancs. Shakespeare la puissance. Racine la décence. Faulkner les voix. Proust et Woolf le temps. Pascal la ferveur. Flaubert la cruauté. Baudelaire la colère. Montaigne l’homme. Benjamin l’intelligence du désespoir. Ainsi ma bibliothèque a de nombreux visages et, en même temps, il se pourrait bien qu’elle n’en ait qu’un, tous ses livres se condensant dans celui que je suis en train d’écrire. »

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Illettré

Le sujet est des plus sensibles, touche beaucoup plus d'hommes et de femmes, que nous ne pouvons l'imaginer...Pour l'auteur, enseignante, mais

qui fut aussi un cancre ou du moins qui vécut un vrai mal-être scolaire... elle sait magnifiquement nous faire sentir le quotidien de Léo, souffrant jour après jour de cet horrible sentiment-poison: la honte !



Notre anti-héros, Léo, est beau, sympathique, sensible, attentif; tout le monde l'aime... Il est d'autant plus oppressant et plombant pour le lecteur de le voir s'enferrer dans une sorte de toile d'araignée et de

prison d'impuissance...

Cruelle ironie du sort: Léo travaille quotidiennement dans une imprimerie !



"Sensualité barbare de Léo: toute la journée, ses yeux passent sur les signes. Il les voit, mais leurs géographies imaginaires ne veulent rien dire. Des angles, des bosses, des creux, des lignes, des vagues, des points: des continents entiers hors du sens, hors de lui. C'est comme ça. Il s'est habitué à ce que le monde parle une autre langue que la sienne et dispense à ses semblables des messages auxquels lui n'a pas droit; Le secret des hommes qui lisent et écrivent lui a longtemps fait envie. il aurait aimé entrer dans le cercle du secret, être initié à la délicieuse confidence. Cela aurait été vraiment formidable de pouvoir ajouter à sa propre histoire toutes celles des autres et de se sentir modifié par leurs pensées. (p. 40) "





Pourtant Léo aimerait tant être comme tout le monde, savoir lire et écrire, vivre la tête haute ! D'autant plus qu'il aimerait se faire aimer de sa belle voisine , Sybille. Sybille qui prend le temps de lui apprendre à lire chaque soir, essayant de le faire progressivement, pour éviter toute humiliation supplémentaire.



Léo est déchiré entre l'envie d'apprendre à lire et à écrire, de s'ouvrir aux autres et à la vie, sans gêne, sans honte et le réflexe récurrent, régulier de se recroqueviller dans sa coquille, de se cacher des autres...Un balancement constant et douloureux entre l'envie d'intégrer la communauté de ses semblables et la fuite de ceux-ci...

On s'attache infiniment à Léo...on aimerait tant qu'il sorte de ce tunnel, que la vie lui ouvre complètement les bras !



Ma lecture en cours est totalement parasitée par le fait que j'ai entendu malencontreusement à cette émission littéraire que la chute du récit était aux antipodes de ce que l'on pouvait espérer pour notre anti-héros...qui sera rattrapé autant par un chagrin d'amour que par son désamour de lui-même.



Je n'en dis pas plus... pour ne pas trop parasiter la lecture

des autres camarades !!!!



On espère, on voudrait si fort que la lumière se fasse pour

Léo... l'espoir devient très fort, si palpable... Lorsque Léo

se lie d'amitié avec un voisin, atypique , misanthrope...

François, qui lui apportera une possibilité de solution pour ne pas se laisser asphyxier par ce manque des mots...

François encourage Léo à prendre la caméra... lui trouvant

un regard exceptionnellement précieux , original, authentique...

Il lui confie dans une lettre ... que pour lui, c'est la caméra

qui l'a sauvé du désespoir de vivre....



"Léo, l'autre soir j'étais bourré. Pas pu répondre à ta question sur l'importance des mots.

J'aurais voulu te parler de la violence liée à leur absence. Les mots qui se débinent c'est une vraie saloperie. Ne savoir ni lire ni écrire ça rend dingue. j'ai été abandonné puis adopté par une famille d'accueil. Je n'étais pas un bon élève, j'ai quitté l'école très jeune.

j'ai eu la chance d'avoir une caméra 16 mm dans les mains à seize ans. C'est à cette époque que j'ai commencé à filmer et j'ai décidé de ma vie de cette manière. Elle était flanquée sur la pellicule, ma vie. Imprimée sur le triacétate de cellulose. Indélébile. Et je la maîtrisais. Le cinéma est un langage comme un autre et il est fait pour toi. (p. 197) "



Je trouve ce texte très fort,d'une très grande richesse...

Par contre , pardonnez-moi...je vais être "vaniteuse" ...

Je me suis permise de me construire une autre fin, juste

pour moi...car celle proposée me laisse dans une nasse

trop sombre...



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Les vies d'Emily Pearl

Depuis le dernier salon du livre à Paris où j’ai assisté à une intervention intéressante de Cécile Ladjali, j’avais l’intention de découvrir une de ses oeuvres.

Au hasard : Les vies d’Emily Pearl, édité en 2008 chez Actes Sud.

Résultat : bonne pioche ! Emballée par ce court roman, prenant et plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord, je ne l’ai quasiment pas lâché une fois entamé.



Tout, de la couverture à la quatrième laisse penser à un roman de facture classique se déroulant dans un manoir anglais à la fin du XIXème siècle. On découvre rapidement qu’il s’agit du journal d’Emily, préceptrice du jeune fils malade d’un lord, séduisant veuf…évidemment. Elle s’y confie bien sûr, mais toute l’originalité ici vient d’un permanent chassé-croisé entre le quotidien confiné de la narratrice au coeur de la campagne anglaise et la vie de sa soeur Virginia, partie vivre en Amérique, relatée ( ou fantasmée, who knows ? ) grâce à des bribes de sa correspondance.



Emily rêve de liberté et de reconnaissance à une époque et dans un cadre qui ne sont pas précisément les plus propices pour une jeune femme de sa condition. Alors, progressivement, pour donner consistance à ses rêves et aider un peu le destin, elle devient manipulatrice, utilisant entre autre le pouvoir de son journal, intentionnellement laissé à la lecture de son amant…le veuf séduisant, évidemment. Les conséquences prennent une tournure de plus en plus tragiques, jusqu’à l’impardonnable.



Cécile Ladjali a selon moi un réel talent de conteuse, un style à la fois efficace et poétique, alternant phrases courtes et ciselées avec des descriptions plus fouillées, délicatement évocatrices.

La double construction de l’intrigue entre réalité et aspirations fantasmées d’une jeune anglaise et entre Angleterre et Amérique me semble être le point fort et particulièrement réussi de ce récit. Elle permet de pointer à la fois les entraves et convenances qui verrouillent alors la société anglaise, et tout particulièrement la condition des femmes en cette fin de XIXème et d’apercevoir les prémisses d’un nouveau monde en mouvement, tout en surfant en permanence entre "les vies d’Emily Pearl".

Je ne suis pas sûre finalement d’avoir réellement démêlé le vrai du faux dans cette pure fiction qui captive presque comme… une histoire vraie. Qu'importe, j'ai passé un très bon moment de lecture.
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Illettré

Quelle écriture pour décrire l’illettrisme et le manque de culture. A travers Léo, Cécile Ladjali manie magnifiquement les mots. Dans une même phrase, on ressent aussi bien de la compassion que de l’horreur. On compatit et en même temps on est en colère. Ca claque et en même temps c’est plein de tendresse. C’est poétique. Quel brio ! Bravo Madame.



Cécile Ladjali décrit avec force ce que ressent Léo, illettré, abandonné à son triste sort par l’Education Nationale, qui ne sait pas comment faire avec des élèves qui « ne suivent pas » le programme. Qu’est-ce qu’on en a à faire de ce qui se passe dans ces chers têtes blondes ? Qu’elles aient des pensées négatives ou que leur parcours personnel soit plus que chaotique ne rentre pas en ligne de compte.



Quel désoeuvrement et quels tourments ! Quelle honte ! Quelles difficultés à essayer d’apprendre a un certain âge ! Et lorsque l’on tombe amoureux, comment avouer à l’autre que l’on ne sait ni lire, ni écrire.



Une très belle âme et un très beau portrait. A lire absolument !

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Aral

Amours, musique et dépaysement sur fond de catastrophe environnementale.



Le décor : le Kazakhstan, au bord de ce qui était autrefois la mer d’Aral, mer qui a perdu plus de 75 % de sa surface depuis les années 60. Ce qui était autrefois un village de pêcheurs est entouré de carcasses rouillées, de plaines salées contaminées par les pesticides, avec de graves conséquences pour la santé des habitants.



Le héros, Alexei, est violoncelliste, compositeur de talent, malgré la surdité qui l’a frappé à l’adolescence. Depuis l’enfance, il est amoureux de Zena et il l’épousera éventuellement. Il compose pour elle, pour remplacer les paroles qu’il n’entend plus, pour la mer disparue et pour le pays qui les entoure.



Un excellent roman, pour jeter un regard sur un pays lointain, sur des conditions de vie difficiles, mais avec la musique et l’amour qui permettent de survivre.

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Louis et la Jeune Fille



Une auteure dont j’apprécie et le style et les thématiques diversifiées qu’elle traite, avec élégance et finesse psychologique !



Une belle harmonie entre l’intellectuel et une sensibilité, une compréhension , une empathie communicatives… Découvert ce roman épistolaire, en fouinant à ma médiathèque… Fiction qui met en scène deux personnages à des époques décalées : l’un, Louis, soldat perdu dans cette première guerre, qui écrit à sa mère, sa petite sœur, son instituteur admiré, pour les rassurer et lutter contre la peur de la mort. Louis écrit aussi pour ceux qui ne savent pas, dont son ami, Jean. L’Ecriture de ces Lettres pour affirmer la force de la Vie… l’autre,Lorette, toute jeune femme, fille unique, malade de la tuberculose, écrit à ses proches, dont son père adoré, montant à Paris dans les années 50, pour suivre des cours de secrétariat…

Deux destins à plus de 30 années d’écart, la solitude, la peur, le chagrin que l’on tient à distance, en écrivant à ses proches, à ceux qu’on aime, qu’on a peur de ne pas revoir…que cela soit à cause de la guerre ou de la maladie



«La Voie sacrée, le 13 mars 1916-

Ferdinand, (...)

Demain, je vais attendre le courrier.Je recevrai peut-être une lettre. Ce sont les lettres qui nous sauvent tous de la folie. Parfois, on donne le courrier des morts aux gars qui restent et qui sont complètement désespérés de n'avoir rien reçu. (p. 76)”



« le 1er mars 1916

Marcel, (...)



Les feux de cheminée. les châtaignes qui craquent. Les braises qui durent toute la nuit. Le savon noir et son odeur partout dans la maison. Les tricots de maman dans l'osier des malles. La soupe qui parfume l'espace et se mélange à l'air savonneux. La vie me manque tellement . Envoie-moi de la vie, c'est urgent.-- Louis, affamé (p. 70)”



Voilà…les mots-clefs : « Envoie-moi de la Vie »…



les lettres de Louis comme celles de Lorette sont là pour envoyer à travers les mots, de la vie, de l’espoir d’être attendu, d’être aimé… de pouvoir à travers ces lettres se projeter dans un petit carré d’Avenir et réciproquement, en attendant les courriers des êtres aimés…!!



Un ouvrage bouleversant qui exprime à travers les lettres de ce soldat et de cette jeune tuberculeuse , à plusieurs décennies d’écart, la colère, la révolte , le refus de toute guerre et de toute souffrance, qui tuent, abîment les humains…L’espoir reste vivace grâce aux mots que l’on choisit pour l’Autre, les Autres, pour nourrir les échanges, les liens que l’on construit grâce à la magie des mots…

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Aral

Nadezhda au Kazakhstan 1974 / 1984.



Alexeï et Zena se connaissent depuis l'enfance : ils sont inséparables, toujours complices, assistant impuissants à la surdité qui envahit Alexeï, à la pollution de la région où ils vivent - ravage des essais russes sur l'île voisine, et à la disparition orchestrée de la Mer d'Aral.

Zena devient ingénieur-chimiste et s'envole, un jour, pour d'autres horizons, loin de la jalousie excessive d'Alexeï qui ne sait, lui, retenir ce qui lui est cher : sa muse et la mer, berceau de leurs souvenirs communs.

Et c'est la musique, don d'Alexeï, qui reconstruit peu à peu la vie de celui-ci, cette musique qu'il "perçoit" au lieu de l'entendre, cette musique qui lui permet d'exister, de soigner ceux qui l'entourent et qui souffrent dans leur âme - Nulufar et les petits orphelins des Enfants-de-la-Vierge-Noire, musique qui lui permet de parler de et avec Zena si éloignée mais toujours à ses cotés dans les souvenirs.



Roman d'un sentiment très fort qui parle à la fois de deux êtres, qui les unit mais qui les unit aussi à cette mer qu'on assassine et à travers elle, la région qui l'entoure, récit qui parle de la musique dans toute sa beauté et tous ses pouvoirs, cette musique qui fait vibrer et se rejoindre les âmes.

Magnifique écriture que celle de Cécile Ladjali, puissante, riche et pleine de poésie que je peine à quitter en refermant ce livre.
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Illettré

Avant la lecture d'Illettré, je n'avais jamais mesuré le champ des impossibles de cette affliction qu'est l'analphabétisme. Sans jamais tomber dans des excès de pathos, l'auteure parvient à nous faire prendre conscience du quotidien d'un homme qui ne sait pas lire. Un homme qui, malgré son jeune âge, accumule depuis son enfance un lourd passif.

L'envie de plaire à la jolie infirmière offre une lueur d'espoir dans un récit au demeurant très sombre.



J'ai été fortement éprouvée et impressionnée par l'écriture incisive et marquante de Cécile Ladjali. Quel style et quelles vies racontées en si peu de pages. Sa concision renforce la puissance de son récit et le dénouement m'a laissée sur le flanc.



En tout cas, voici un roman à ne pas passer à côté afin de réfléchir, en tant que lecteurs, sur la richesse et la chance de savoir décrypter ces curieuses traces d'encre qu'on appelle lettres. Et de susciter, pourquoi pas, des envies de venir en aide à celles et ceux qui sont démunis de cette capacité à déchiffrer l'écrit.
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Illettré

Léo ne sait ni lire, ni écrire. Un temps il a presque su, mais depuis il a fini par oublié.

Elevé par sa grand-mère analphabète, ses parents ayant vite disparus, il est un jeune homme sensible d'une beauté que l'on remarque.

Il habite la cité Gagarine, en proche banlieue, paradoxe de l'histoire il travaille dans une imprimerie.

C'est un garçon discret, qui a pour seul compagnon un iguane, Iggy, en référence à Iggy Pop.

Il est fortement amoureux de Sybille, une infirmière du même immeuble qui l'a soigné lorsque qu'il s'est fait écrasé et amputé de deux doigts. Timide et honteux il ne sait comment lui déclaré sa flamme.

Alors il traine son désespoir du côté du cimetière de Saint-Ouen. Ne connaissant rien à la drague avec les filles, il passe parfois voir Louisa…

Au quotidien c'est madame Ancelme, la concierge de l'immeuble, qui l'aide à déchiffrer son courrier.

Un roman qui se déguste par sa lenteur, ou tour à tour se mélangent toute la palette des sentiments laissant le lecteur dans l'expectative.

L'écriture tout en finesse de Cécile Ladjali nous rend le personnage de Léo des plus attachants fondant sur lui tous les espoirs.

J'avais mis quatre étoiles jusqu'au milieu du livre, le final me va moins bien, même s'il parait très réaliste.

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Shâb ou la nuit

J'avais débuté pour découvrir cette auteure, un texte publié en 2014: Ma bibliothèque, lire , écrire, transmettre", pour poursuivre par son dernier texte "illettré" ... puis, par hasard, j'ai eu l'occasion

d'entendre Cécile Ladjali à une émission littéraire, où elle

parlait de son milieu familial, taiseux... et le miracle pour elle de pouvoir se construire par la lecture, les mots et l'écriture...



C'est ainsi que j'ai arrêté momentanément son dernier roman pour me plonger dans ce texte autobiographique antérieur " Shâb ou la nuit", débuté en 1999, et publié 14 années plus tard...



Un écrit émouvant, bouleversant, relatant son adoption en Suisse par des parents affectueux, de bonne volonté mais terriblement taiseux...qui lui cacheront bien longtemps, trop longtemps ses origines iraniennes....

Trop typée, Cécile, se sent à part, et se retrouve dans une

intense quête d'explications....



Des lignes foisonnantes qui soulèvent un grand nombre de thèmes prégnants: la quête et la construction de son identité, de ses racines. La douleur de se sentir différente, pas à sa place, le mal-être scolaire, le racisme, l'ambivalence quant à la maternité, le pouvoir des mots et de l'écrit pour se sauver, se trouver, et trouver enfin un sens à son chemin personnel, etc.



Un récit vibrant, dense en émotions, qui s'achève sur un

dernier paragraphe, ultime hommage à son père, avec qui

elle entretenait des rapports moins aisés qu'avec sa maman...



Retrouvailles avec la mère biologique qui aideront à pacifier un chemin douloureux et inquiet...Le reste du livre, dans sa majeure partie est l'expression d'une reconnaissance

durable envers sa maman qui était plus proche d'elle,

même si des non-dits et malentendus ont freiné parfois

leur complicité... Les relations s'amélioreront , alors

que le papa est décédé, et que le premier petit - enfant

naît: un petit-fils, Camille...



L'auteure narre parallèlement son travail d'écrivain, ses

retrouvailles avec son pays originel: l'Iran !



Comme je le décrivais précédemment, un récit foisonnant

de thématiques riches et variées. Un livre qui m'a

littéralement emportée... qui me fait reprendre la

lecture d'illettré" avec un regard neuf, différent, plus attentif...



Un récit d'une très grande qualité, merveilleux résultat de réconciliation d'une enfant avec la vie, avec son identité, ainsi qu' avec ses parents adoptifs ...tout cela grâce au pouvoir magique des mots et de l'écriture. Je termine sur cet extrait des plus explicites et probants !



"Les mots des livres que je continuais à écrire m'avaient permis de placer sous mes pieds un pont de corde . Suspendue au-dessus du vide, je vacillais mais ne tombais pas. Le rapport presque magique que j'entretenais avec les mots allait contre les principes fondamentaux de ma vie: le vide, l'absence, le silence. La recherche effrénée de la parole en classe, le besoin compulsif d'écrire pour raconter des histoires palliaient un manque qui, s'il n'avait pas été comblé, eût été mortel. Les dialogues qui n'avaient pas eu lieu à l'origine, j'allais les inventer. Les explications qui n'avaient pas été données, je me les suggérerais. Je n'étais pas venue aux mots par hasard. C'est eux qui m'avaient fait naître une seconde fois. Par eux, avec eux et en eux, je m'étais mise au monde. Le jour de ma première naissance, je m'étais retrouvée expulsée dans un univers étrange dont on ne m'avait pas donné les clefs. Toutes portes seraient restées fermées, s'il n'y avait pas eu l'écriture. (p. 288-289) "

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La nuit est mon jour préféré

Passionné par l’énigme de ce qu’entendent et ressentent les bébés in utero, Tom, psychiatre israélien à l’hôpital de Hod Hasharon près de Tel Aviv,est hanté par le souvenir des voix confuses ou fiévreuses qui ont précédé de peu sa naissance



Tom va être amené à soigner plusieurs patients, parmi lesquels Hephraïm Steiner, musicien octogénaire, et Roshan, jeune Palestinienne enceinte mais enfermée dans le déni de sa grossesse.



Pour Tom, Steiner et Roshan pourraient être deux cas d’études rêvés car ses recherches portent sur l’inaudible et la communication intra-utérine.



Deux cas passionnants pour ce médecin dont les recherches portent sur l’inaudible, sur la communication intra-utérine – et qu’obsède ce qu’il a vécu et croit avoir entendu, le 11 septembre 1995, depuis le ventre de sa mère, alors que se jouait dans l’espace un drame : Soyouz ne répondait plus.



Interrogeant sous des formes diverses la difficulté d'être au monde et l'identité, Cécile Ladjali nous propose une fiction étonnante sur l’absolue nécessité du langage avec en toile de fond le conflit israélo-palestinien.La grande force de “La Nuit est mon jour préféré”? Mêler ingénieusement voix des morts et des vivants. Cécile Ladjali, raconte avec énormément de brio à quel point le langage peut permettre rendre possible la rencontre improbable de ces personnages, en questionnant le lecteur sur sa identité et son humanité.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Aral

Hymne à la création, lutte avec l’ange, confrontation de l’eau et du feu, ce roman est celui d’Alexeï, né en 1960, année où le gouvernement russe décidait de détourner l’eau des fleuves Syr-Daria et Amou-Daria qui alimentent la mer d’Aral pour intensifier l’irrigation des champs de coton. «C’est à cette date précisément que la mer a commencé à se vider comme une baignoire.», avec toute la tragédie que cela va entraîner.



Le 3  mars 1971 Alexeï a onze ans. Il se rend alors compte qu’il devient sourd.

Au début il se sent prisonnier enfermé dans sa surdité comme dans une cellule qui le coupe du monde, il est déchiré par une lutte intérieure qui lui fera perdre Zena celle qu’il aime depuis l’enfance, celle qui le relie au monde extérieur. Il frôlera, par moment, la folie.

"Parce que la mer a commencé à s’effacer quand je suis devenu sourd, tout mon rapport au monde et à l’effroi a changé le jour où j’ai dû me dire que si je ne voulais pas mourir de peur, il fallait que je brave l’absence et que je la remplace par quelque chose d’autre. Depuis, ce quelque chose (la musique ? l’amour ? la folie ?) marche à mes côtés."

Le monde aquatique auquel appartient Zena est dévoré par le monde minéral où le sel et le soleil brûle.
p119 "Le jaune soufré du désert qui a remplacé la mer a redoublé d’intensité depuis quelques jours. Seul le vide laisse une trace. Il n’y a rien de pire que l’absence sans limite. A cause d’elle, on s’approche trop près du feu, on se grille la rétine et après on n’a plus que des souvenirs de soleil. Avec Zena, le désert était moins vide. Quand j’y marchais avec elle, je parvenais même à confondre l’ombre des dunes avec celle des vagues."

Alexeï tente de combler, d’apprivoiser l’Absence, absence de l’ouïe qui l’isole, de Zena son amour, de la mer disparue avalée par les sables, en composant un opéra où jaillira la huitième note, cette note née du fond de son silence, du manque. Comment faire entendre cette huitième note, celle de sa musique intérieure qui est aussi celle de Zena enfuie, celle de la mer d’Aral asséchée à ceux dont l’audition est polluée par la multitude de sons qui viennent les heurter, qui les environnent ?

Cécile Ladjali nous fait partager par la poésie, la force et la sensualité de son écriture, le bouleversement intérieur, la souffrance de la création qui isole, qui peut rendre monstrueux celui qu’elle saisit tout en le menant vers une plus grande liberté et une transfiguration. Au même titre qu’elle sait nous faire sentir et goûter la brûlure du sel, du soleil et assister à la décomposition ambiante.

p21 (L’île de Vozrozhdeniya = Résurrection en russe) "un point mauve sur l’eau morte, Kantubek capitale de l’île bouton de chair malin abandonné au corps chancreux de la région. La mer n’est parvenue qu’à produire cette tumeur qui déjà menace de métastaser et la géopolitique régionale ne joue pas en faveur d’une rémission."

Son roman tout en partant d’une réalité tragique, ressemble souvent à un conte oriental qui, comme la mer d’Aral, prend "la couleur du bronze flammé". 


Désespérant et douloureux, par moments oui, mais pas totalement ni définitivement. 
Une note d’espoir parvient à se faire entendre. Le lieu où habite Alexeï ne s’appelle-t-il pas Nadezhda qui signifie espérance en Russe ?

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La fille de personne

Une incursion dans la vie de Kafka et de Sadegh Hedayat, un roman audacieux.



Luce Notte fait des recherches sur les bibliothèques pour sa thèse. Pour survivre pendant ses études, elle devient servante dans la maison des Kafka à Vienne. Déjà une atmosphère glauque, un père autoritaire et un fils tourmenté avec qui elle noue un lien d’amitié et qui lui permet de lire ses œuvres.



Elle quittera Vienne pour Paris où elle tiendra une librairie et nouera une amitié avec l’auteur iranien Sadegh Hedayat. Un homme dépressif dont on sait qu’il finira par se suicider. Des retours en arrière sur la vie de Luce et des similitudes entre les destins des deux auteurs qui conjuguent une virtuosité littéraire avec de terribles tourments de création.



Je ne connaissais pas Sadegh, mais avec Kafka, il ne fallait pas s’attendre à la facilité et aux lunettes roses. C’est donc un ouvrage pas si facile d’accès mais c’est aussi une écriture magnifique et une profonde réflexion sur les processus de l’écriture.

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