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Critiques de Charles Juliet (332)
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Lambeaux

Ce court opus autobiographique suscite un double émerveillement.



Le parcours en lui-même, tellement inimaginable : l’auteur préface en quelque sorte sa propre histoire en relatant celle de sa mère, en un vibrant hommage pour cette humble femme, avide de savoir, riche d’un potentiel culturel étouffé dans l’oeuf, contrainte dès son plus jeune âge à consacrer son temps aux travaux de la ferme et à l’éducation de ses jeunes soeurs, avant d’être définitivement piégée dans le système par le mariage. Il suffit d’un appel au secours, et du désir d’en finir avec ce destin imposé pour que la médecine de l’époque, assortie des exactions de la guerre, pour qu’un terme soit mis à cette destinée sacrifiée.



Pour ses quatre enfants, c’est le placement, et le plus jeune d’entre eux, en qui l’on reconnait rapidement le narrateur, même si le texte s’adresse ce personnage par un tutoiement qui le rend à la fois intime et distant, souffrira longtemps d’une angoisse d’abandon envahissante.



C’est par des chemins détournés qu’enfin s’accomplira ce qui aurait pu être la réalisation des désirs de sa mère , c’est à dire l’écriture.



Et quelle écriture, riche, sensible, émouvante, simple et élaborée à la fois. Charles Juliet appartient dans mon panthéon personnel au groupe restreint des plus belles plumes francophones des cent dernières années.


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Lambeaux

Magnifique et brillant hommage que rend ici Charles Juliet à ses deux mères.

« l’esseulée et la vaillante

l’étouffée et la valeureuse

la jetée-dans-la-fosse et la toute-

donnée. »

Sa mère biologique, femme esseulée, étouffée dans un profond désespoir existentiel s’est donnée la mort à l’asile psychiatrique, durant la seconde guerre mondiale. Charles Juliet s’attelle à un sensible portrait de femme. Une femme qui a tout donné à sa famille, s’est sacrifiée tout entière, errant dans un puits sans fond, elle qui était si douée pour l’école, sa famille de fermiers modestes ne juge pas l’intérêt de scolariser leurs enfants. Elle en gardera une profonde frustration. Tout autant que l’amour qui ne se dit et ne se montre pas d’où elle vient. Femme mélancolique, fantôme de la mort, elle ne parviendra jamais à s’extirper du malheur pour rejoindre la vie.

Quand cette première s’éteint, le père confie Charles à une autre femme qui deviendra pour Charles un « chef d’œuvre d'humanité ».

Cette femme adoptante deviendra sa mère, lui qui sera comme né sous x. Elle l’élèvera comme son propre fils lui prodiguant sécurité, amour et éducation.

Charles devenu grand homme reconnaîtra combien cette deuxième mère lui aura sauvé sa vie.

Il écrit Lambeaux avec l’idée de tirer ces deux mères de la tombe, de leur donner la parole de ce qu’elles ont toujours tu. Il mesure la chance que cette deuxième mère lui a offerte, face à ces éclopés de l’absence.



« Lorsqu’elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s’avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots

ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance

ceux et celles qui s’acharnent à se punir de n’avoir jamais été aimés

ceux et celles qui crèvent de se maipriser et se haïr

ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’ils n’ont jamais été écoutés

ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte

ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge

ceux et celles qui n’ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse »



Charles Juliet gagnera la vie dans les entrailles de son enfance heureuse. Nouant une farouche admiration pour les sympathiques professeurs, il rencontrera un professeur de français qu’il juge bon à admirer, faisant de lui un élève assidu au cours de français. La littérature et l’art seront ses béquilles, ses yeux, son énergie.



Lambeaux est un récit poignant, écrit d’une main de maître, par un homme qui a compris qu’il existait une frontière entre l’ombre et la lumière. Un homme qui a rencontré la résilience pour renaître du vide. Magistral et beau tout simplement.
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Lambeaux

Je crois que jamais un livre ne m'avait touchée de manière aussi intime.



Mi-autobiographie, mi-biographie, ce court texte est de ceux, rarissimes, dont on ne sort pas indemne, à ranger pas loin des livres d'Henri Calet.



Récit du dépassement d'une dépression mélancolique grâce à l'écriture, il constitue également un hommage de l'auteur à "ses mères" : sa mère biologique, internée quand Charles Juliet a quelques mois, morte en asile psychiatrique pendant la seconde guerre mondiale (histoire fondatrice de son parcours dont il ignorera tout pendant son enfance, cependant source d'un obscur et insupportable sentiment d'étrangeté au monde), et sa mère adoptive, dont l'amour donnera un sens à sa vie. Ce texte, avec une simplicité, une justesse et une délicatesse proprement lumineuses, déroule les lambeaux de cette bataille avec le langage, le sens, la folie, qui durera vingt ans, et lui permettra d'extraire du plus profond de lui-même la douleur et l'incommunicabilité qui le ravageaient. Aussi sobre que passionnant.
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Lambeaux

J'ai rencontré Charles Juliet à Nouméa en juillet 2012.

Un regard clair et vrai, presque tendre. Un homme plein d’humanité et un écrivain talentueux. C’est bizarre, j’avais envie de l’embrasser. Allez savoir pourquoi. Mais je n’ai pas pu, y avait du monde, alors j’ai écouté attentivement. Comme c’est un personnage et un esprit relié directement à la nature, je marchais avec lui sur les diapositives qui défilaient sur l’écran de projection d’une grande salle de conférence. Nous cheminions gaiement ensemble sur un petit sentier bordé d’arbres. Nous foulions de nos pas le tapis de feuilles multicolores d’un automne resplendissant. Le chant des oiseaux et le bruissement du vent nous accompagnaient. Puis, Charles évoqua ses racines. Enfant de troupe qu’il était, et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, c’est bien cet univers rude et austère qui nous l’a gardé, vivant parmi nous. Cet épisode à fait l’objet d’une filmographie « l’année de l’éveil » en 1999. Mais pour comprendre il faut lire « Lambeaux ». Un hommage à deux mères diamétralement opposées, mais formidables chacune dans son grade affectif. L’une, la vraie, décédée trop tôt des suites d’une simple dépression. Internée dans un asile dont on sait que sous la dictature nazie les malades moururent de faim. C’est à 11 ans que Charles apprend, par un hasard dont on se passerait bien parfois, les circonstances de cette mort et du même coup, le rôle de sa mère adoptive. Il ne statuera point pourtant sur l’échelle des valeurs, vénérant les deux à la fois. Cependant que pour survivre il doit tuer en lui ce qu’il est, et à la fois ce qu’il n’est pas. Il va faire là, un travail considérable de construction/reconstruction. Il traversera une période effroyable ou il cherchera un lien, quelque part dans l’espace, quelque chose qui le puisse, relier à cette existence pour laquelle il ne ressent aucun élan, si ce n’est la sève des arbres et cet appel de la nature qui guide son instinct. Peut-être parviendra t-il à revêtir une partie de celle qu’il a peu connue, une enveloppe charnelle qui le couvrira petit à petit au fur et à mesure de cette double naissance. Puis, il rencontrera de belles âmes qui le nourriront et qui finalement l’édifieront comme auteur, des écrivains, des musiciens, des peintres et des poètes, des artistes et comme lui, des amoureux des mots.

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Lambeaux

Charles Juliet écrit à sa mère Hortense morte, qu’il n’a jamais connue. Il lui redonne vie, explorant son passé en employant le « tu ». Une écriture au présent, en fragments, en lambeaux sur plusieurs années. Sa conscience regarde, reconstitue, se souvient. Il est à vif, il accouche, il prend la mesure de sa souffrance par les mots.



Comme un monologue intérieur, il fait parler cette mère biologique, née dans un milieu paysan, vouée au travail de la terre, aux tâches domestiques plutôt qu’aux études. Son goût pour la littérature, la lecture a été sacrifié aux vicissitudes d’une vie de labeurs. Il a mené l’enquête pour reconstituer ce passé qu’il a longtemps ignoré et qui le hantait.



Dans une deuxième partie, l’auteur nous brosse le portrait de Félicie. Il lui est confié provisoirement…

Malgré ses six enfants, elle s’est attachée à ce bébé rebaptisé Jean et ne peut s’en séparer.



Il fait l’éloge de cette seconde mère, son amour sans borne, son admiration pour elle. Dès qu’il ne l’a voit plus, il est insécurisé, hanté par la peur de la perdre. Elle est peu loquace mais si aimante : Il la qualifie « de toute donnée ».



L’écriture de Charles Juliet ne ressemble certainement à aucune autre, elle est réaliste, poétique, pondérée. On mesure son manque aussi par ses non-dits et ses allusions. A travers ces deux portraits, l’auteur nous parle aussi de lui en toile de fonds , de sa vie, de sa distance aux autres, puis de ses tourments qui reprennent le dessus et la nécessité d’écrire pour ne pas sombrer, pour éviter un choix plus radical…..



Un roman court mais d’une grande intensité. Il nous emmène au bout de lui-même, alors j’ai eu un peu le vertige, mais pourtant tout est pesé, équilibré, calibré.



J’ai aimé ce livre mais sans jamais me complaire dans cette souffrance, même si on peut parfois se retrouver par « fragments » dans certains passages.



Cet amour maternel semé chaque jour en abondance a pris racine, triomphant sur toutes ces souffrances devenues rédemptrices de vie, d’espoir, de douceurs pour Charles Juliet.



Une écriture d’une grande lucidité et le choix… de la résilience et non de se résilier.



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Lambeaux

Après "La promesse de l'aube" et "Les noces barbares", voici une troisième variante sur le thème des relations mère-fils. Dans ce récit autobiographique, Charles Juliet, le fils, a voulu rendre hommage non pas à sa, mais à ses mères, puisqu'il y évoque celle qui l'a mis au monde et celle qui l'a élevé.

Dans la première partie, il s'adresse à Hortense, sa mère biologique, et retrace, à la 2ème personne du singulier, sa vie à elle, l'enfant douée qui adorait l'école mais qu'on a empêchée de continuer au-delà des primaires. Parce que quand on naît fille dans une famille paysanne au début du siècle passé, on apprend très tôt à se sacrifier à sa famille pour s'occuper des plus petits et du ménage du matin au soir. Perdre son temps à l'école n'a aucun sens dans ces vies-là. le dernier jour de classe d'Hortense est le premier d'une longue descente dans les abîmes du désespoir. Entre frustration et mélancolie contenues, le vide existentiel (qu'elle tente en vain de combler par l'écriture) est encore exacerbé par un amour brisé, un mariage décevant et quatre grossesses trop rapprochées. Après la naissance de l'auteur, son dernier-né, elle est internée en hôpital psychiatrique et y mourra huit ans plus tard dans des conditions ignobles.

Dans la deuxième partie, l'auteur continue à la 2ème personne mais il s'adresse cette fois à lui-même, évoquant sa propre vie, de son placement, bébé, en famille d'accueil, à sa vie d'adulte. Il raconte le dévouement de sa mère adoptive, paysanne et mère de famille nombreuse elle aussi, sa terreur d'enfant à l'idée qu'elle disparaisse, ses années d'enfant de troupe (lycée militaire), son besoin d'écrire, sa peur de ne pas y parvenir : "Ton trop grand désir de bien faire. Comparée à tes moyens, une exigence beaucoup trop haute. Tous ces textes mort-nés, parce que, avant même d'en consigner le premier mot, tu étais convaincu qu'ils seraient par trop inférieurs à ce que tu aurais voulu réaliser. […] Tu ne peux ni écrire ni renoncer à l'écriture. Une situation proprement infernale". Lui aussi s'enfonce dans la mélancolie, les tourments, le vide, mais contrairement à Hortense, il trouvera la sortie de son labyrinthe intérieur.

"Lambeaux" est un texte sur la construction d'un être, sur l'estime de soi, sur la résilience, sur la lutte contre un manque qui obsède et accable sans qu'on n'arrive à le cerner, encore moins à l'expliquer, sauf à en dire qu'il nous dévore. Oui, "nous", ce n'est pas un lapsus, parce que même si ce récit est très personnel, intimiste, introspectif, ce tourment touche à l'universel. Enfin, il me semble. En tout cas je m'y suis retrouvée, par bribes, par … lambeaux. Mais ce n'est pas le sujet.

Dans cet hommage à deux femmes réduites par le contexte et l'époque aux rôles de mères et de servantes, Charles Juliet rend compte de ce qu'il doit à chacune d'elle : la vie, et ce qu'il a réussi à en faire. Notamment ce texte magnifique, bouleversant, juste, simple, sans artifice et sans un mot de trop, qui transcrit une parole enfin libérée, et que je n'oublierai pas de sitôt.
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Lambeaux

Je n'avais jamais lu de livres de Charles Juliet. Aujourd'hui, la lecture de Lambeaux me permet de toucher de la façon la plus sensible et aiguë qui soit ce que révèle la signification et le sens des mots.

Charles Juliet, nous parle tout d'abord de sa mère, celle qui lui a donné la vie, celle qui a voulu la perdre en portant atteinte à sa vie, celle qu'on laissera mourir de faim dans un hôpital psychiatrique.

Dès le début, on est happé, on est dans l'intimité, la conscience de sa femme dont il entreprend de récrire sa vie, en s'adressant à elle, par ce simple pronom personnel: tu.



Il nous livre les pensées de sa mère, l'évasion qu'elle pressent que sa vie pourrait prendre :

"Cette route, elle se confond avec tes rêves, tes désirs, tes aspirations, et dès que tu la vois, en toi tout s'embrase."

Charles Juliet est le quatrième enfant, il a un mois quand sa mère tentera de se donner la mort. Il en portera longtemps la culpabilité :

"Pardonne, ô mère, à l'enfant qui t'a poussée dans la tombe"

Il est recueilli dans une famille d'adoption, une autre famille dont il ne saura pas pendant longtemps qu'elle n'est pas sa vraie famille. Puis, tout bascule, à 7 ans, l'enfance se déchire comme un cri inatirculé.

Il assistera à l' enterrement de sa mère biologique.

"Depuis ce jour de tes sept ans, tu n'as jamais aimé l'été."

Charles Juliet va devenir un enfant de troupe, pendant des années, chercher, se chercher, lutter contre cette enfance brisée dont il dira:

"La peur. La peur a ravagé ton enfance. La peur de l'obscurité. La peur des adultes. La peur d'être enlevé. La peur de disparaître"

Va suivre des années douloureuses dont seule l'écriture lui apparaît comme la catharsis, la guérison, la possibilité de vivre.., un sens à la vie, une renaissance. L'écriture lui permettra de" relater ton parcours, cette aventure de la quête de soi"

Dire que ce livre est bouleversant est si loin des mots exacts.

Alors, je préfère dédier cette lecture à ma fille Malina, être une mère est un immense bonheur.

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Lambeaux

J'avoue, j'ai lu enfin l'immense écrivain Charles JULIET, une lecture que je différais à chaque fois comme un présent que l'on ne veut pas ouvrir immédiatement.



J'ai attendu la fin du jour et son calme pour me nourrir entièrement des mots de « Lambeaux » qui m'a aimantée et profondément touchée tant sur le sujet que sur l'écriture.



Sublime, admirable , le vocabulaire me manque parce que le récit de Charles JULIET m'a bouleversée, me faisant tanguer vers une ivresse de mots et de sensations et m'a apporté en même temps une très grande sérénité comme si un manque venait d'être comblé.



Lambeaux m'a fait vivre un de mes plus beaux moments de lecture !



Bien sûr, je vais continuer avec la poésie et la lecture du journal pour continuer à découvrir et aimer l'écriture de ce très grand Monsieur de la littérature française.



Merci Monsieur Charles JULIET.
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L'Année de l'éveil

Il y a, dans la littérature contemporaine - et tout particulièrement en France -, pléthore d'autobiographies à peine romancées, dites “auto-fictions”, où s'étalent à la vue de tous en flaques visqueuses et bien souvent nauséabondes les états d'âmes victimaires et les épreuves de la vie - parfois insignifiantes - élevées avec autant d'outrance que d'impudeur au noble rang de “traumatismes”. Leurs auteurs sont souvent très médiatisés, ils ont leur heure de gloire et leurs lecteurs : tant mieux pour eux. Font-ils pour autant oeuvre de littérature ? Rien n'est moins sûr…



Avec Charles Juliet, dont je découvre pour ma part l'oeuvre de fiction avec "L'année de l'éveil", nous sommes dans un tout autre registre. Au travers de son histoire personnelle, de son chagrin silencieux et secret d'enfant abandonné éperdument en quête d'un repère maternel et d'un père de substitution, de ses tourments d'adolescent fragile, solitaire et trop sensible confronté à la froide rigueur d'une discipline et d'un environnement militaires, de sa rencontre bouleversante et douloureuse avec un premier amour à tous égards et a priori impossible, il construit un récit tout en retenue et en pudeur qui transcende son cas particulier pour atteindre à l'exemplarité.



L'histoire est prenante, l'écriture - très simple - est efficace et belle, et ce sont précisément les larmes que l'auteur ne verse pas sur lui-même qui m'ont serré le coeur. Roman d'apprentissage - de la vie et surtout de l'amour -, "L'année de l'éveil", année initiatique qui lui ouvrira les portes de l'écriture, est pour moi une belle rencontre, un beau livre et, pour le coup, réellement de la littérature.



[Challenge Multi-Défis 2020]

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Lambeaux

Être l'enfant de deux mères, l'une qu'on n'a pas eu le temps de connaître , l'autre dont on n'a pas eu le privilège de naître, c'est déjà vouer sa vie à la déchirure. En porter les Lambeaux.



Associer , dans un tutoiement parallèle,  la tentative d'une biographie de la mère inconnue et la reconstitution de sa propre vie , comme si on en était séparé par une vitre,   comme s'il s'agissait d'un autre -" tu" plus que "je"  est un autre - c'est mettre, délibérément,  son moi en Lambeaux.



 Mais retrouver, dans les fragiles témoignages récoltés sur sa mère naturelle, une filiation profonde, un fil sensible,  c'est commencer à les recoudre, ces Lambeaux, à s'en faire un habit.



Et quand ce fil est celui de la soif de connaissance, celui de la reconnaissance du  talent, des  dons, quand ce fil est tissé de mots et tend vers l'écriture, alors l'enfant d'une mère suicidaire, dépressive, niée, internée puis affamée à mort dans les "asiles-mouroirs" de l'Occupation nazie, cet enfant rompu, effrayé, déchiré peut reprendre l'aiguillée maternelle interrompue par le malheur.



Il peut enfin, l'enfant,  se battre à son tour avec son ignorance, aspirer à la connaissance, se mesurer, avec l'énergie du désespoir, à  cette écriture qui était l'espoir secret de sa mère, et en  réparer les accrocs, en recoudre les pièces, en rassembler les Lambeaux, jusqu'alors  épars. Lui bâtir un tombeau.



Et échapper à la solitude noire de la Mélancolie.



Un livre d'une honnêteté absolue, un livre d'urgence.



Un livre qui ne gaspille pas une ligne, pas un mot, mais file droit vers l'essentiel.



Bouleversant.
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Lambeaux

Voici un texte court, lumineux, magnifique, coup de poing et coup de cœur à la fois dont on désirerait citer nombre de mots, nombre de phrases tellement l'écriture est belle, où chaque ligne est ciselée, les mots pensés, justes et sincères, un texte que l'on va garder en soi pour toujours, de la vraie littérature!

Charles Juliet trace le portrait détaillé de sa mère biologique,l'âpreté et la dureté de sa vie à la campagne (comme l'a vécu ma propre grand- mère, à cette époque, on quittait l'école rapidement, souvent avec désespoir...)

Il évoque l'amour de sa maman pour l'école:"Combien tu aimes l'école!Chaque fois que tu pousses la petite porte de fer et t'avances dans la cour, tu pénètres dans un monde autre, deviens une autre petite fille, et instantanément tu oublies tout du village et de la ferme_ le maître, les cahiers et les livres, l'odeur de la craie,les cartes de géographie,....tu le Vénères."..._..il nous livre ses hésitations , ses doutes, ses pensées secrètes de petite fille intelligente qui ne pouvait s'exprimer, et surtout "sa mort spirituelle" à la fin de ses trop courtes études.

"Apprendre. Tu as le désir d'apprendre, de garder contact avec ce monde des livres dont tu te sens exclue..."

A la fin de la première partie ,il raconte comment sa mère a exprimé son besoin de Vocabulaire:"je crève,parlez moi,parlez moi,si vous trouviez les mots dont j'ai besoin vous me délivreriez de ce qui m'étouffe".

Dans la deuxième partie, l'auteur trace le portrait de sa seconde mère adoptive, la vaillante et son amour pour sa famille adoptive.

Puis il nous livre avec une grande sensibilité, sans pathos ni voyeurisme,son propre tâtonnement et cheminement, son lent éveil à soi même, comment il devient écrivain:"tu veux écrire. Tu veux écrire mais tu ignores tout ce en quoi consiste l'écriture....un jour ,il te vient le désir d'entreprendre un récit où tu parlerais de tes deux mères, "l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse","la jetée -dans -la fosse et la toute- donnée."

Je n'ai pas envie d'en livrer plus, malgré tant de souffrance, Charles Juliet nous montre que la détresse peut amener à l'espoir,c'est un livre bouleversant mais salvateur, acheté par hasard, en plus,déniché dans les rayons de ma librairie,



"L'autre Rive à Nancy."

Vive les libraires!









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Journal, tome 9 : Gratitude (2004-2008)

Lire Charles Juliet était un projet vague, qui refaisait surface à chaque évocation médiatique ou à chaque partition de l’auteur. Le prix France-Télévision m’a permis ce passage à l’acte. Sans regret. L’écriture reflète bien l’image que renvoie le personnage, discret, presqu’effacé. Le journal est intime mais sélectif. Pas d’allusion au quotidien , très peu à son entourage proche qu’il désigne par des initiales. C’est plutôt le récit des rencontres nombreuses, fortuites ou professionnelles, dont il analyse les ressentis, et les émotions suscitées.

Bien sûr la poésie est en filigrane à chaque page, la sienne, celle des autres.

C’est aussi une béquille pour les souvenirs, qui ne prend sens qu’a postériori :



« À 15 ans, J'ai commencé à tenir mon Journal, je ne savais rien de ce qui me poussait à l'écrire. Bien des années plus tard, j'ai compris qu'écrire, c'est mener un combat contre le temps et la mort. c’est oeuvrer pour que subsiste la trace de ce que je vis. »



C’est aussi le lieu de dépôt de réflexion philosophique, et d’une recherche de spirituel.



La langue est raffinée, maniée avec une précision d’orfèvre,  mais sans ostentation. Et la délicatesse qui convient lorsqu’on aime l’outil :





«  Ecrire pour un écrivain, c'est avoir le goût des mots, c'est les ressentir, c'est aimer les agencer, c'est percevoir comment ils interagissent les uns sur les autres, c'est être à même d'apprécier leur poids, leur couleur, leur sonorité, leurs vibrations… »



Ce journal est rédigé alors que l’auteur est dans sa septième décennie, c’est l’heure des bilans, et de la fin de l’illusion de trouver une réponse aux questions fondamentales. et une thérapie par l’écriture. Regrets, ou acceptation? Le titre est tout de même gratitude, et l’éponge n’est pas jetée .:



«  Ecrire c’est pour moi tendre à l’intemporel, c’est vouloir parvenir à un texte inaltérable, qui idéalement, pourrait résister au temps, à ce pouvoir qu’il a de tout détruire. Je sais qu’il engloutira ce que j’écris , mais il ne pourra pas me détourner de mener mon combat, et de le mener avec ténacité. « 
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L'Année de l'éveil

J'aime Charles Juliet.



Je connaissais et admirais les portraits remarquables qu'il a faits de Bram van Velde, de Giacometti, de Beckett.



 Trois artistes dévorés par leur art. Trois "chercheurs"  épris d'absolu. Trois frères du même "ordre" quasi monastique, fait de dépouillement,  d'interrogation et d'exigence, voués à des "saints"  différents:  Bram entré en peinture, Samuel en littérature et   Alberto en sculpture,  comme on entre en religion.



J'aime Charles Juliet pour son empathie avec les sauvages, avec les muets, avec les hantés.



J'aime la façon respectueuse et tendre dont il sait les approcher, leur parler, les comprendre, les traduire sans jamais les trahir.



Mais je ne savais rien de lui. Une année d'éveil qui relate ses annees d'adolescence comme enfant de troupe à l'école d'Aix -en-Provence, a été une découverte, une surprise, et surtout  une raison de plus de l'aimer.



 Charles est un "petit paysan", un petit vacher timide, amoureux de sa campagne et  de ses bêtes, qui , tout bébé, a  été placé en famille d'accueil après l'internement de sa mère et adopté avec amour par une  famille  de paysans pauvres , et, singulièrement, par une mère de secours à qui il voue un amour inconditionnel. Mais il garde de son abandon prématuré une angoisse panique qui le fragilise.



 L'école des enfants de troupe est la seule chance , pour cet enfant pauvre mais doué , de poursuivre des études. La vie de caserne avec ses règlements absurdes, ses brimades, ses bizutages violents est une école bien dure pour cet enfant tendre, renfermé. Souvent la seule réponse aux coups reste de les rendre, ce qui n'est pas sans risque: cachot, surcroît de vexations, renvoi...Seules oasis dans cette prison : les cours où le jeune garçon découvre la connaissance, et surtout l'art difficile des mots, ...et les week- ends où son chef, qui l'a pris en affection, l'emmène partager sa vie de famille. Mais ce chef a une femme, mal mariée, malheureuse qui jette son dévolu sur ce tout jeune adolescent qui n'a pas quatorze ans..



La passion et l'orage des sens entre alors en lutte , chez lui, avec un fort sentiment de trahison et de culpabilité à l'égard de ce chef qui lui a tendu la main. Mais le désir est une loi impérieuse. ..



Racontée au présent,  avec une simplicité qui a la force de l'évidence, cette chronique d'une adolescence où l'enfant blessé et fragile découvre l'amour et l'écriture, sans encore les  comprendre ni les  maîtriser ni l'un ni l'autre, serre  le cœur.



Aucune afféterie romanesque, aucun arrangement scénaristique, rien que du brut de décoffrage.



Une écriture limpide et puissante.



Comme un cri d'enfant effrayé dans la nuit qui s'étonne soudain  d'être pris pour un homme.
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Lambeaux

Si je vous propose la lecture de ces quelques vers :



toi qui n'as ni formes ni visage

mais qui es cette femme avec laquelle

je suis en incessant dialogue

cette nuit tu étais là

violent était mon besoin

de te porter en moi

de me glisser en toi

me mêler à ton secret

m'enrichir de ta substance

et des mots gonflés de notre fusion

se sont mis à bruire

ont fini par enfanter ce chant

où j'avais désir de te garder

accepte que ma voix sourde

le dépose en ta mémoire

et qu'il te donne à ressentir

la vénération que je te voue

et que je vous demande de mettre un nom de poète sur ces mots, beaucoup parmi vous connaîtront ou reconnaîtront la plume de Charles Juliet.



Dans - Lambeaux - cette auto-biographie qu'il a mis douze ans à écrire et dans laquelle il rend un hommage terriblement touchant à ses deux "mères", sa mère biologique dont il a été séparé à l'âge de trois mois et sa mère adoptive, une paysanne suisse qui l'a élevé, Charles Juliet nous raconte comment l'écriture est parvenue à recoller les "lambeaux", les fragments de sa vie, lui permettant à partir de ces deux cordons ombilicaux qui l'avaient "éparpillés", de renaître en les coupant de manière consolante.



Il y a une phrase de Jacques Lamarche que j'aime bien et qui me semble parfaitement s'adapter à C. Juliet : “Les lourdes portes de l'oubli se referment mais des lambeaux de souvenirs s'agrippent aux battants.”



Dans cet ouvrage composé de deux diptyques dans lequels sont éparpillés ses lambeaux, l'auteur en ayant recours à un "tu" qui mêle la proximité de l'affect à la distance de l'observateur "privilégié", nous dresse dans le premier un portrait poignant, bouleversant, dramatique et sublime de la première de ses mères.

Une paysanne de très modeste condition, aînée de quatre filles, née au début du siècle, une "cérébrale" éprise de liberté, une surdouée dont l'époque et la condition sociale ont fait une asservie corvéable à merci, la servante, la domestique d'un père lui reprochant plus ou moins consciemment son sexe, un taiseux qui avait fait de son foyer l'antre du silence, un rempart contre la parole ; une dissuasion au savoir.

Lorsque devenue une jeune fille, elle rencontre par un beau dimanche après-midi d'été un jeune parisien venu en vacances chez sa tante, son horizon semble enfin s'ouvrir sur ce pour quoi elle est faite : le monde des idées, des livres, de la quête insatiable du savoir, la liberté... l'amour.

Les deux jeunes gens se retrouvent tous les dimanches après-midi sur le flanc d'une colline, et pour la première fois la jeune paysanne parle, communique, vit.

Mais un dimanche un orage les surprend.

Trempé jusqu'aux os, le jeune homme s'enfuit.

La jeune paysanne ne reverra jamais plus " l'amour de sa vie" ; en vacances dans un sanatorium parce que tuberculeux, une pleurésie consécutive à l'orage l'a emporté.

À jamais inconsolable, la jeune paysanne finira par épouser un brave garçon, toujours absent pour cause de travail et profitant de ses dimanches de repos pour engrosser sa jeune femme.

La quatrième grossesse assumée seule, cette solitude originelle mère nourricière de l'angoisse aura raison de ce qu'elle peut tolérer.

Une tentative de suicide manquée la conduira à l'asile et la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation et la politique de "L'Extermination douce" pratiquée par les nazis dans les hôpitaux psychiatriques :

"La méthode fut facile à trouver. Pour faire périr les patients enfermés dans ces univers clos et coupés du monde, il suffisait de ne plus les nourrir. Ainsi pendant ces années sont mortes quarante mille personnes."

...feront qu'à trente-huit ans, la jeune paysanne sera retrouvée morte un matin dans sa cellule, morte de faim.

Charles, que va recueillir une famille de paysans suisses et qu'elle surnommera Jean ou Jeannot ( confusion = fragments ) aura la chance de trouver une mère adoptive ( "celle qui t'a recueilli est un chef-d'oeuvre d'humanité"), dont "l'inlassable présence" lui permettra de se construire dans un contexte où cependant la fragmentation était inévitable.

Il apprendra à huit ans qui était sa vraie mère, aux obsèques de laquelle il assistera comme "coupé en deux".

"Peu de jours auparavant, une lecture t'a appris qu'un bébé retiré à sa mère au cours de ses premières semaines subit un choc effroyable. Il vivait en un état de totale fusion avec elle, et coupé de celle-ci, tout se passe pour lui comme s'il avait été littéralement fendu en deux. ( En lisant ces lignes relatives à ce que tu indiques là, tu t'es rappelé ce lapsus qui t'avait fait dire un jour : "à trois mois, après mon suicide...")

Dans ce second diptyque, le poète parle davantage de lui et revient sur ses onze années d'enfant de troupe, années racontées dans – L'année de l'éveil -, au cours desquelles il fera à Aix-en-Provence la connaissance avec un monde aux antipodes de celui qu'était le monde rural, sera "déniaisé" à treize ans par la femme de son "chef", entamera après l'obtention du baccalauréat, des études de médecine, études qu'il abandonnera pour devenir écrivain.

Cet impérieux besoin d'écrire lui permettra de se réaliser en tant qu'écrivain et en tant qu'homme au bout d'une traversée de doutes et de souffrances qui durera vingt ans.

Ce n'est que lorsqu'il aura recollé les "lambeaux" que s'achèvera ce long apprentissage, cette douloureuse initiation, cette quête de "l'absente".

Il sera alors capable et légitime d'écrire :

"Ni l'une ni l'autre de tes deux mères n'a eu accès à la parole. du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots. Parce que ces mêmes mots se refusaient à toi et que tu ne savais pas t'exprimer, tu as dû longuement lutter pour conquérir le langage. Et si tu as mené ce combat avec une telle obstination, il te plaît de penser que ce fut autant pour elles que pour toi.

Tu songes de temps à autre à Lambeaux. Tu as la vague idée qu'en l'écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu'elles ont toujours tu.

Lorsqu'elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s'avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots

ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance

ceux et celles qui s'acharnent à se punir de n'avoir jamais été aimés

ceux et celles qui crèvent de se mépriser et de se haïr

ceux et celles qui n'ont jamais pu parler parce qu'ils n'ont jamais été écoutés

ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte

ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge

ceux et celles qui n'ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse."



Excellente lecture avec un vrai moment d'intense émotion pour la biographie de la mère "biologique".

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Fouilles - L'oeil se scrute - Approches - U..

Dans cet ouvrage sont regroupés quatre recueils poétiques du grand poète Charles Juliet.

Chacun de ces recueils a sa spécificité, même si l’introspection chère au poète se retrouve dans chacun. Au lyrisme, Charles Juliet préfère le dépouillement et la sobriété de l’écriture.

La concision est sa marque de fabrique



« L’être

m’élude

se refuse



je suis

l’infirme »



Au-delà de la pureté des vers, il y a une esthétique dans cette brièveté. Il faut savoir que le poète était un grand admirateur des artistes comme Giacometti ou Cézanne auxquels il a consacré des essais.

Les poèmes de « Fouilles », les plus anciens puisqu’ils ont été écrits entre 1960 et 1965, sont pesants et d’une sombre amertume.



« pensée boueuse



mots englués



un morne

déluge

me ravage »



Il poursuivra l’épure de son style dans « L’œil se scrute », c’est aussi un travail d’observation et d’introspection.



« ouvrir des chemins

inutiles



sans soupçonner

que l’issue

est dans l’œil »



« Approches » c’est le combat qu’il faut mener pour vivre, cette vie qui est aussi un cheminement vers la mort



« mon combat

de chaque jour

pour tenter

de reprendre pied



me réinventer

un chemin »



Dans « une lointaine lueur » est la quête de soi, cette recherche de la lumière qui s’exprime à travers le » moi-je » puis le « tu » et enfin le » il » et clôt le recueil sur une note d’espoir :

« monte en lui une lointaine lueur »



Charles Juliet est un poète vers lequel je reviens sans cesse car j’aime ses mots qui prennent tout leur sens, j’aime la concision rythmée de ses vers et leur dépouillement qui les rend si émouvants.





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Lambeaux

Nous voici, à travers ce court roman, en pleine immersion dans le monde paysan du début du XXe siècle. Son esprit, sa rudesse. Jolie écriture qui retranscrit avec justesse un monde où les sentiments, l'émotion, l'individualisme, n'ont pas leur place.



Beaucoup moins convaincue, par contre, par le dernier quart du livre où l'auteur s'épanche dans une introspection, à mon sens passablement longuette et redondante, sur son désir et ses doutes quant à sa capacité à devenir écrivain.
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Lambeaux

Je redoutais la lecture de Lambeaux, j'avais raison, froisser ces pages c'est traverser un paysage de tristesse infinie qui me parlait, comme Charles Juliet l'avait ressenti avant moi, pour écrire son enfance, écrire la peur qui l'a ravagée, la peur qui nait du silence, la peur, sur ses gardes, prête à rugir quand elle viendra, car le drame revient, le prochain sera encore plus long à dompter.



Il aura mis 60 années pour exprimer ce qu'il transportait au plus profond de ses souvenirs dans sa carcasse vieillissante, vider son âme de tous ses regrets, de toutes ses défaites, se voir enfin vivant parmi les ombres.





Dans la première partie du récit Charles Juliet, évoque sa mère, sa vraie mère."Elle ira loin la petite", cette phrase, la maman de Charles, l'aînée de la famille là entendue si souvent que le jour où ses parents la retirent de l'école, c'est un séisme pour elle, un abandon que les professeurs ne comprennent pas, la porte des études est définitivement fermée.





Ce drame en précède un autre, le jour où elle rencontre un garçon instruit, cultivé, délicat même peut-être, il est juste malade, il est au sanatorium, ces jours là, et ce jour où ils se promettent de ne plus se quitter, ils ne savaient pas que demain pouvait contenir un vide éternel.





Mariée à Antoine, arrive un troisième enfant, c'est Charles, mais le cœur n'y est pas, trop de douleurs accumulées, trop de solitude. Il est encore un nourrisson quand on le confie à une famille paysanne et ses cinq filles. L’hôpital sera son destin et son silence, un silence qui tue parfois quand il n'est pas désiré.





"Ta mère adoptive te prend par le bras avec douceur, t'apprend que tu as une autre mère qu'elle vient de mourir"p 99. Pendant la messe tu penses à cette mère, tu voudrais voir son visage, ses yeux, et pourquoi elle était malade... tu te retiens de pleurer" page100.

"Depuis ce jour de tes 7 ans, tu n'as jamais aimé l'été."

Marqué par cette rupture, le moindre faux pas, "la moindre absence engendre chez toi de grandes paniques."





La suite constitue la deuxième partie du livre, sans doute plus émouvante encore pour le jeune garçon, le voilà orphelin, un nouvel abandon se prépare, il fera l'école d'enfants de troupe d'Aix en Provence.





Puis un jour il te vient le désir d'entreprendre le récit où "tu parlerais de tes deux mères l'esseulée et la vaillante, l'étouffée et la valeureuse". Les mots de Charles juillet suffisent à eux-mêmes," Charles a la vague idée qu'en écrivant ce livre, il les tirera de la tombe, leur donnant la parole sur ce qu'elles ont toujours tu.



Entre l'école militaire et l'écriture de "Lambeaux", Charles Juliet revisite inlassablement son histoire, pour mieux l'exorciser, la traduire en volonté d'agir en avidité de savoir. Cet itinéraire est passionnant à reprendre, à démailler, pour basculer un jour du bon côté, et ne plus craindre, au flanc de ses plaies, un drame, le énième abandon.



Ces deux textes s'imbriquent l'un dans l'autre, dans une langue libérée, où les mots ne sont plus bâillonnées, car les textes se lèvent prennent la porte, et n'écoutent plus les échos du passé. Charles juliet s'adresse cette fois encore à ceux et celle qui ne se sont jamais remis de leur enfance page 153, pour mieux saluer cette seconde naissance," tout ce à quoi tu aspirais mais qui te semblait jamais interdit s'est emparé de tes terres".

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Lambeaux

Ce n'est pas un livre facile dans le sens où l'auteur nous offre un texte à mi-chemin entre le roman autobiographique et le récit. Et quel texte! Il se livre à une introspection. On y découvre son mal-être, mais aussi celui de sa mère naturelle et les vies difficiles qu'ils ont pu avoir. Je trouve que son analyse des diverses situations est très bonne, très juste. Il est fin psychologue. Cette oeuvre se compose de deux parties. Dans la première, sa mère biologique se livre et raconte son mal de vivre, son manque de reconnaissance et d'amour qui la conduiront à commettre un geste dont les conséquences lui seront fatales. Dans le second, il présente sa seconde famille, celle chez qui il a été reçu et gardé comme un vrai fils, et cette "mère" de substitution qui aura joué un rôle essentiel, tant elle fût remplie d'amour et de générosité malgré une vie précaire.

Charles Juliet évoque aussi naturellement les études qu'il a pu effectuer grâce à son intégration dans une école d'enfants de troupe, là encore un parcours où les difficultés ne lui ont pas été épargnées. Il parle de ses études abandonnées, de son entrée dans la vie active et surtout de son désir profond de devenir écrivain... Mais pas n'importe quel écrivain, car il met la barre très haut... offrant aux lecteurs une superbe analyse où il se juge avec grande sévérité.

Par bien des points ce livre est sinistre, très déprimant, mais c'est aussi le magnifique témoignage offert par une âme tourmentée parce qu'elle a simplement eu une enfance hors normes, mais après tout chaque parcours n'est-il pas hors normes? L'enfance... écrivains, psychologues, philosophes... beaucoup se sont penchés sur cette période de la vie et ont écrit sur ce sujet. "On ne guérit jamais de son enfance, soit parce qu'elle fut heureuse, soit parce qu'elle ne le fut pas." (Robert Mallet), des poètes aussi, des chanteurs et paroliers (Barbara ou Jean Ferrat : "Nul ne guérit de son enfance"....).

Ce roman autobiographique peut donc parler à tous, et toucher encore un peu plus les "accidentés de la vie" qui traînent les premières années de leur existence comme un boulet, parce qu'ils ont été orphelins, abandonnés, non désirés, mal aimés, rejetés, incompris... et qui, jusqu'à un âge avancé de leur vie d'adultes seront en quête d'un peu d'amour ou tout au moins de reconnaissance...
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Lambeaux

Devant le très grand nombre de critiques, je ne rajouterai pas grand-chose de très important. Sinon que la première partie, qui relate les conditions de vie d'une femme, mère de l'auteur, son impossible choix de vie et pour finir, sa mort dans un hôpital psychiatrique du début du siècle, est effroyable. La deuxième partie, la vie de l'auteur, impensable résilience qui l'amènera à l'écriture après un tumultueux parcours, est moins tragique mais tout aussi passionnante. Effectivement, comme il est dit en quatrième de couverture, on peut lire ce livre comme une oeuvre d'espoir. Mais j'en retiens également un formidable témoignage sur les conditions de vie de certaines personnes dans une société donnée.
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Lambeaux

Charles Juliet rassemble ici des lambeaux de souvenirs, arrachés à sa mémoire d’enfant.



Il nous raconte sa mère de naissance. Une femme qui sombre dans la solitude. Pour s’en extirper elle manque cruellement de mots, d’amour aussi. Personne ne peut partager avec elle ce besoin de comprendre le monde. Son rêve d’ailleurs. Poursuivre le chemin qui va loin au-delà de l’horizon, loin de la ferme où ses rêves croupissent, où le père écrase l'espoir.

Jeune fille douée, elle ne pourra poursuivre ses études. Cela ne colle pas à la vie de paysanne pour laquelle elle est destinée. Les mots errent en elle comme des fantômes, sans corps, sans cris. Ils creusent l’abîme qui la sépare de la vie, des autres. Ils l'étouffent en restant coincés dans sa tête.



Et puis il y a la mère de cœur, celle qui le sauve, qui le prend sous son aile, quand l’autre mère n’en peut plus de vivre.



Charles Juliet nous livre des mots qui ont mis du temps à éclore. Un peu comme un paysan qui doit attendre la bonne saison, préparer la terre avant la semence, prendre soin des plants, accepter de tout perdre sans baisser les bras, puis tout recommencer. Accepter de réveiller ce qui est enfoui, de garder les mauvaises herbes, d'entasser les pierres, de creuser le puits sombre pour arroser la lumière



Il écrit pour ses deux mères et aussi pour consoler l’enfant qui sanglote en lui.



Pour sa mère à qui il manquait le terreau, la goutte de pluie et le petit rayon de soleil pour faire pousser les mots, la faire entrer dans le monde qu’elle ne comprenait pas, qu’elle encombrait de questions trop grandes pour elle.



Pour son autre mère pour lui dire merci. Celle qui donne, qui comprend en silence, qui s’oublie pour aimer. Sans questions, juste des instants offerts.



C’est un livre à l’écriture à la fois riche et simple. Riche car elle charrie de la détresse, de la solitude, des larmes secrètes, l’amour, la beauté d'âme. Simple, car les mots sont ceux de la vie, de la terre, de la guerre, de la pauvreté. Ils vont droit au cœur, sans s’encombrer, sans perdre leurs racines, leurs feuilles et leurs fleurs.



Lambeaux est un roman qui dessine malgré tout l’espoir.

Charles Juliet nous fait vibrer par ces mots. Il a réussi.



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