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Citations de Charlotte Delbo (232)


Il savait que ce matin-là son cœur volerait sous les balles — depuis combien de jours, depuis combien de nuits le savait-il —, il savait que son cœur éclaterait et que mon cœur ne battrait plus que juste assez pour ne pas fléchir, juste assez pour tenir, que mon cœur n'aurait que juste ce qu'il lui faudrait de force pour cela, pas davantage.
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Ce soir-là, la petite gitane qui m'avait accostée tirait de sa manche et l'y refourrait vite une brochure, un tout petit livre.
«Une ration de pain, dit-elle, en français.
— Tu parles bien français, d'où viens-tu ?
— Je suis française. De Lille.
— Et qu'est-ce que ce livre ? Montre-le-moi au moins.»
Elle ressort le petit livre pour que je le regarde, mais sans le lâcher. C'était Le Misanthrope dans la collection des petits classiques Larousse à un franc. Le Misanthrope. Je n'en croyais pas mes yeux. Il y avait donc quelqu'un qui avait emporté un Misanthrope pour le voyage de Ravensbrück...
J'ai donné ma ration de pain. «Tout de même, tu pourrais me faire un prix. Ce n'est pas aussi facile à vendre qu'une culotte.» Rien à faire. Elle avait vu mon regard briller. Qui a jamais payé un livre aussi cher ?
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Je sens une pierre qui tombe à l'intérieur de moi, tombe d'un coup. C'est mon cœur. Et un merveilleux bien-être m'envahit. Comme on est bien, débarrassé de ce cœur fragile et exigeant. On se détend dans une légèreté qui doit être celle du bonheur. Tout fond en moi, tout prend la fluidité du bonheur. Je m'abandonne et c'est doux de s'abandonner à la mort, plus doux qu'à l'amour et de savoir que c'est fini, fini de souffrir et de lutter, fini de demander l'impossible à ce cœur qui n'en peut plus. Le vertige dure moins qu'un éclair, assez pour toucher un bonheur qu'on ne savait pas exister.
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Vous qui avez pleuré deux mille ans
un qui a agonisé trois jours et trois nuits

quelles larmes aurez-vous
pour ceux qui ont agonisé
beaucoup plus de trois cents jours et beaucoup
plus de trois cents journées
combien
pleurerez-vous
ceux-là qui ont agonisé tant d'agonies
et ils étaient innombrables

Ils ne croyaient pas à résurrection dans l'éternité
Et ils savaient que vous ne pleureriez pas.
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Il reste que je connais des êtres plus qu'il n'en faut connaître pour vivre à côté d'eux et qu'il y aura toujours entre eux et moi cette connaissance inutile.
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Tout à l'heure je cédais à la mort. A chaque aube, la tentation. Quand passe la civière, je me raidis. Je veux mourir mais pas passer sur la petite civière. Pas passer sur la petite civière avec les jambes qui pendent et la tête qui pend, nue sous la couverture en loques. Je ne veux pas passer sur la petite civière.
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C'est sans doute ce qu'elles veulent dire, mes camarades, quand elles disent qu'elles se trouvent bien entre elles. Entre nous, il n'y a pas d'effort à faire, il n'y a pas de contrainte, pas même celle de la politesse usuelle. Entre nous, nous sommes nous.
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Ne regardez pas, n'écoutez pas, surtout s'il joue "La Veuve joyeuse" pendant que, derrière les seconds barbelés, des hommes sortent un à un d'une baraque et que les kapos avec des ceinturons frappent un à un les hommes qui sortent et qui sont nus.
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Mon cœur a perdu sa peine
il a perdu sa raison de battre
la vie m’a été rendue
et je suis là devant la vie
comme devant une robe
qu’on ne peut plus mettre.
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Loin au-delà des barbelés, le printemps chante.
Ses yeux se sont vidés.
Et nous avons perdu la mémoire.
Aucun de nous ne reviendra.
Aucun de nous n'aurait dû revenir.
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Et je suis revenue... (p. 179-184)

Et je suis revenue
Ainsi vous ne saviez pas,
vous,
qu’on revient de là-bas

On revient de là-bas
et même de plus loin

*

Je reviens d’un autre monde
dans ce monde
que je n’avais pas quitté
et je ne sais
lequel est vrai
dites-moi suis-je revenue
de l’autre monde ?
Pour moi
je suis encore là-bas
et je meurs
là-bas
chaque jour un peu plus
je remeurs
la mort de tous ceux qui sont morts
et je ne sais plus quel est vrai
du monde-là-bas
maintenant
je ne sais plus
quand je rêve
et quand
je ne rêve pas.

*

Moi aussi j’avais rêvé
de désespoirs
et d’alcools
autrefois
avant
Je suis remontée du désespoir
celui-là
croyant que j’avais rêvé
le rêve du désespoir
La mémoire m’est revenue
et avec elle une souffrance
qui m’a fait m’en retourner
à la patrie de l’inconnu.

C’était encore une patrie terrestre
et rien de moi ne peut fuir
je me possède toute
et cette connaissance
acquise au fond du désespoir
Alors vous saurez
qu’il ne faut pas parler avec la mort
c’est une connaissance inutile.
Dans un monde
où ne sont pas vivants
ceux qui croient l’être
toute connaissance devient inutile
à qui possède l’autre
et pour vivre
il vaut mieux ne rien savoir
ne rien savoir du prix de la vie
à un jeune homme qui va mourir.

*

J’ai parlé avec la mort
alors
je sais
comme trop de choses apprises étaient vaines
mais je l’ai su au prix de souffrance
si grande
que je me demande
s’il valait la peine

*

Vous qui vous aimez
hommes et femmes
homme d’une femme
femme d’un homme
vous qui vous aimez
pouvez-vous comment pouvez-vous
dire votre amour dans les journaux
sur des photos
dire votre amour à la rue qui vous voit passer
à la vitrine où vous marchez
l’un près de l’autre contre l’autre
vos yeux dans la glace rencontrés
et vos lèvres rapprochées
comment pouvez-vous
le dire au garçon
au chauffeur de taxi
vous lui êtes si sympathiques
tous les deux
des amoureux
vous le dire sans rien dire
d’un geste
Chérie, ton manteau, n’oublie pas tes gants
vous effaçant pour la laisser passer
elle souriant paupières abaissées qui se relèvent
le dire à ceux qui vous regardent
et à ceux qui ne vous regardent pas
par cette assurance qu’on a quand on est attendu
dans un café
dans un square
cette assurance qu’on a
quand on est attendu dans la vie
le dire aux animaux du zoo
ensemble qu’il est laid celui-ci celui-là qu’il est beau
d’accord sincèrement
ou non
n’importe
y pensez-vous seulement
comment pouvez-vous et pourquoi
le dire à moi
je sais
je sais que tous les hommes ont aux femmes les mêmes gestes
tes gants chérie, tes fleurs que tu oublies
chérie m’allait bien à moi aussi
je sais que toutes les femmes
ont aux hommes le même ravissement
il prenait ma main
protégeait mon épaule
comment osez-vous
à moi
je n’ai plus à sourire
merci chéri tu es gentil
chéri lui allait bien à lui aussi.

Et ce désert est tout peuplé
d’hommes et de femmes qui s’aiment
qui s’aiment et se le crient
d’un bout de la terre à l’autre.

*

Je suis revenue d’entre les morts
et j’ai cru
que cela me donnait le droit
de parler aux autres
et quand je me suis retrouvée en face d’eux
je n’ai rien eu à leur dire
parce que
j’avais appris
là-bas
qu’on ne peut pas parler aux autres.
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Vous qui avez pleuré deux mille ans... (p. 20)

Vous qui avez pleuré deux mille ans
un qui a agonisé trois jours et trois nuits

quelles larmes aurez-vous
pour ceux qui ont agonisé
beaucoup plus de trois cents nuits et beaucoup plus de trois cents journées
combien
pleurerez-vous
ceux-là qui ont agonisé tant d’agonies
et ils étaient innombrables

Ils ne croyaient pas à résurrection dans l’éternité
Et ils savaient que vous ne pleureriez pas.
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Ceux qui nous aiment veulent que nous oubliions. Ils ne comprennent pas, d'abord que c'est impossible, qu'ensuite, oublier ce serait atroce.
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Je ne me sens pas vivre. Mon sang bat comme s'il coulait en dehors de mes veines. Tout de moi est en dehors de moi et échappe aux autres.
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C'est presque impossible, plus tard, d'expliquer avec des mots ce qui est arrivé à l'époque où il n'y avait pas de mots.
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J'avais réussi , au prix d'efforts infinis, à me rappeler cinquante-sept poèmes. J'avais tellement peur de les voir s'échapper que je me les récitais tous chaque jour, tous l'un après l'autre, pendant l'appel. J'avais eu tant de peine à les retrouver ! Il m'avait fallut parfois des jours pour un seul vers, pour un seul mot qui refusaient de revenir.
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La folie devait être le dernier espoir de celles qui entraient là [au block 25].
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Jusqu'au départ, j'avais économisé ce parfum, au point de me contenter parfois de déboucher le flacon et d'en aspirer l'arôme, le soir avant de m'endormir. Toute nue au milieu des autres, j'avais regardé tendrement le flacon - Orgueil, de Lelong ; quel beau nom pour un parfum, ce jour-là - et j'avais versé lentement tout l'Orgueil entre mes seins.
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Quand on moissonne l’homme comme l’épi
L’épi en sa saison le grain mûr
L’homme en sa saison
À l’été de la révolte
Quand on couche l’homme comme l’épi
Le regard en face de l’acier
Poitrine offerte
Poitrine crevée cœur troué
Ceux qui avaient choisi.
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Qu’il est nu
celui qui part
nu dans ses yeux
nu dans sa chair
celui qui part à la guerre
Qu’il est nu
celui qui part
nu dans son coeur
nu dans son corps
celui qui part à la mort
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