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Citations de Christine Féret-Fleury (411)


Acia

J'étais d'accord.J'etais toujours d'accord.La docilité était une protection contre tout ce qui me faisait peur.
(p.47)
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Hana aimait respirer les parfums qui restaient sur la pulpe de mes doigts quand je cuisinais. Je lui apprenais à les distinguer.J'aimerais tant pouvoir continuer ces leçons-là.Les couleurs, les saveurs, les odeurs.La vie.(p.108)
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-Ce que je raconte, Hana, se passe dans une cuisine. Un soupir de soulagement m'échappe. Si "guerre" est un arche d'acier, "cuisine" chante comme un oiseau perché sur le rebord d'une fenêtre ouverte.C'est un mot rouge, joyeux et chaud; on peut s'y loger et laisser la tempête se déchaîner au-dehors.( p.159)
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-Si tu t'imagines que toute la région va se précipiter ici parce que tu auras servi la soupe à une poignée de vieillards..
-Oui! crie Acia.Oui, reprend-elle plus doucement.J'imagine.C'est tout ce qu'il nous reste, Nebbe. L'imagination. Et ça. Des recettes.Les miennes. Les vôtres. Celles de Kamar.Vous vous rappelez l'autre soir? On était bien.Si les gens sont bien ici...
Elle n'achève pas sa phrase, son regard se perd dans la volute de l'escalier, tout au fond de la salle. Une larme tremble au bord de ses cils.J'ai envie de l'essuyer, délicatement, mais je retiens mon geste.
Ce chagrin- là a le goût de la vie.( p.146)
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Pour Hana, je devais me durcir, comme la lame d'un couteau, capable de percer et de trancher, de nous ouvrir une voie.Vers quoi? Je n'arrivais même pas à l'imaginer.Un abri où respirer, écarter la peur.
Et pleurer, oui, comme ce serait bon, alors de pleurer.(p.10)
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(Les premières pages du livre)
Kamar
En premier, c’était le bruit – ce bruit. Nous étions partis depuis des heures, la nuit était tombée, impossible de compter. Et ils m’avaient pris mon téléphone dès le début, parce que le prix du passage avait augmenté, une femme seule avec une gamine, c’est dangereux, plus cher, ils insistaient. J’ai protesté, vous étiez d’accord, mon oncle vous a payés… Ils ont simplement ri, une main s’est tendue vers les cheveux de ma fille, une autre vers moi, je les ai repoussées et je leur ai donné ce qu’ils exigeaient. Je n’avais pas le choix.
Depuis que les fourgonnettes s’étaient arrêtées devant nous en projetant sur nos chevilles une giclée de poussière, j’avais peur. Les chauffeurs ne sont même pas descendus, une main a donné une claque sèche sur la portière ; mon oncle s’est avancé pour ouvrir la porte du véhicule le plus proche. Il m’a fait signe de monter. Je l’ai regardé. Le blanc de ses yeux était strié de veinules rouges, le bord de ses paupières tout fripé, comme desséché de l’intérieur. Un morceau de tissu brûlé autour de son regard triste. Je me suis détestée de m’accrocher à ça ; il y a tant de façons de dire adieu, celle-là était la pire, rester muette, mon enfant serrée contre moi, ne pas trouver une seule larme à lui offrir, pas un mot, même pas un semblant de sourire.
Il s’est baissé, a soulevé Hana – les toutes dernières secondes, je n’ai pas pu les retenir, elles se sont dissoutes dans le rugissement des moteurs. J’ai peut-être posé le front sur la toile rêche de sa veste, respiré une dernière fois son odeur de vinaigre et de cumin, l’odeur de ma cuisine et de celle de ma tante ; j’ai peut-être trouvé là, dans ce souvenir des jours heureux, de quoi mouiller mes yeux.
Ça n’a pas duré. Pour pleurer, il faut en avoir le temps, il faut être seul et laisser le chagrin venir. Et du temps, je n’en avais pas. Pour Hana, je devais me durcir, comme la lame d’un couteau, capable de percer et trancher, de nous ouvrir une voie. Vers quoi ? Je n’arrivais même pas à l’imaginer. Un abri où respirer, écarter la peur.
Et pleurer, oui, comme ce serait bon, alors, de pleurer.

Nous étions nombreux dans la fourgonnette, plusieurs familles, un bébé criait, la femme qui le tenait lui donnait à téter un coin de tissu mouillé. Trempé dans de l’eau sucrée, peut-être. Elle n’était pas sa mère, cela se voyait. Je n’ai pas osé demander ce que celle-ci était devenue, tant de choses avaient pu se produire, tant de drames, chacun gardait le sien bien plié sous ses vêtements et se taisait. L’enfant, lui aussi, a fini par se taire, hoquetant à petits sanglots épuisés. Il apprenait. À rester silencieux, à se faire petit. Un peu de jour filtrait encore par les trous de la bâche, je voyais les têtes, en face de moi, osciller en cadence, oui, signifiaient-elles, oui, je suis d’accord. Faites de moi ce que vous voulez, vous aurez tout, mon argent, mes prières, ma reconnaissance. Je ne sentirai rien, ni la soif, ni la faim, ni la saleté lentement cristallisée sur ma peau, accumulée entre mes orteils et sous mes ongles. Je ne crierai pas. Mon corps évidé ne demandera plus à se soulager. Mes yeux se fixeront sur le néant, ouverts et aveugles.
J’obéirai.

À mesure que les kilomètres défilaient, ma langue gonflait dans ma bouche, couverte de cette poussière salée jaillie du sol piétiné. Je ne voulais pas boire, pas encore, je gardais l’eau de la petite gourde donnée par ma tante pour Hana, quand elle se réveillerait. De l’eau du puits dans laquelle elle avait plongé une de ses dernières feuilles de menthe séchée, conservée dans un sachet de gaze à l’abri des insectes. « La menthe, m’avait-elle chuchoté bien des fois, est l’amie de la cuisinière. Quand je prépare un repas spécial, je frotte la table avec de la menthe. Son parfum éveille l’appétit, elle fait le ventre léger et la conversation agréable. Garde toujours de la menthe sur toi, kbida. »
Une seule feuille. Je ferais boire ma fille, et ensuite je m’accorderais une gorgée, une merveilleuse gorgée. La maison que je venais de quitter y serait contenue tout entière, la maison d’avant, avec son jardin et sa cour ombragée, ses chambres fraîches, son dallage poli, doux aux pieds comme la caresse d’une paume enduite d’huile de nigelle. La maison délivrée de ses gravats et des bâches qui remplaçaient une partie du toit, celui qui avait été touché par une bombe quelques semaines plus tôt.
La maison.
Il ne fallait peut-être pas boire cette eau. La moindre goutte suffirait à faire vaciller ma résolution. Je me voyais serrer Hana contre moi, me lever, enjamber les corps affaissés et sauter de la camionnette, je me voyais courir sur la route poudreuse, mon voile flottant derrière moi. Je nous voyais aussi couchées derrière un talus, mortes. Tant d’autres n’étaient pas allés jusqu’au bout du voyage. Les passeurs n’attendaient personne, et ils n’avaient aucune pitié. Nous le savions tous, même si nous faisions semblant de l’ignorer. Même si les rares phrases qui circulaient exprimaient un optimisme forcé : tout irait bien. La traversée serait courte. Nous serions bien accueillis. Ceux qui ont envie de travailler trouvent toujours un emploi, un toit, un coin de terre. Mon père le disait souvent, et il savait de quoi il parlait, mon père, il n’avait pas pris un jour de repos de toute sa vie. La mort l’avait saisi au coin de son champ, une pierre dans chaque main. En tombant, il ne les avait pas lâchées. Il ne voulait pas, probablement, qu’elles s’enfouissent à nouveau, gâchant une minute de dur labeur.
Les mères ne cessent de prier pour leurs enfants, et qu’importe le dieu auquel elles s’adressent, qu’importe même si elles implorent un ciel vide. Pendant des mois, j’ai prié, le cœur dévasté, pour que ma fille me soit enlevée, qu’elle vive en paix loin de moi, de ce pays ravagé. J’ai prié aussi pour ne jamais la quitter du regard, pour mourir avec elle s’il le fallait, avant elle, pour ne jamais voir couler son sang. Aujourd’hui, je veux seulement qu’elle ne sente pas le froid de la nuit. Quand les véhicules ont stoppé, je l’ai enveloppée dans une chemise de son cousin, trop grande, j’ai noué les manches autour de sa taille, soufflé dans le col qui bâillait, elle serait réchauffée, habillée de mon haleine. Je ne pouvais pas lui donner plus.

Mes pieds ont repris contact avec le sol. J’ai cru qu’il pleuvait, mais la bruine qui humectait mon visage avait un goût salé. Machinalement, j’ai léché mes lèvres. Pas de quoi apaiser ma soif, surtout avec le sel, juste de quoi imaginer que le renflement de ma chair était comestible, tendre et saisi à point, que je pouvais y mordre pour me réconforter. Depuis combien de temps n’avais-je pas préparé et savouré un vrai repas ?
Quelqu’un a crié un ordre, et nous avons commencé à marcher dans l’obscurité, vers cette rumeur grandissante, rythmée. Je savais que c’était la mer mais aucune image ne me venait, je ne l’avais vue qu’une fois, elle était bleue, luisante et docile, et venait lécher mes pieds nus comme un chat familier. Nous avions pique-niqué sur la plage, les enfants couraient, tête levée vers un cerf-volant dont les rubans frissonnaient et claquaient. Cette nuit, c’était un monstre qui bramait sa faim, il nous attendait, la gueule ouverte, prêt à nous avaler. Les genoux d’Hana pressaient ma taille, elle respirait dans mon cou, je sentais son souffle. Elle se faisait légère, et pourtant j’avais l’impression de porter sur mon dos tout ce que je venais de quitter et tout ce qui avait déjà disparu, les visages aimés, les voix, les pièces pleines des objets accumulés au cours des années, le coussin sur lequel je couchais ma fille quand je l’allaitais, le collier hérité de ma mère et son cahier de recettes, les tasses dont il ne restait plus que des tessons, le vase en verre qui avait volé en éclats au premier souffle des bombardements, j’en avais ramassé un éclat, j’aimais tellement ce bleu, et je l’avais gardé, rangé au fond de mon sac à dos, sans savoir pourquoi.
Peut-être serais-je obligée de le jeter dans les vagues pour que le monstre accepte de nous laisser vivre. Mais c’était une idée d’enfant, une idée d’avant, quand le fil des légendes brillait encore dans la trame de notre vie.
Qui s’était déchirée. Et qui ne pourrait jamais être réparée.
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Un chat des bas quartiers, qui en a vu des vertes et des pas mûres, qui trône sur la pierre lézardée comme si celle-ci avait été le socle d'une statue antique
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Dans un grand bol, tu mélangeras l'oignon, le bourghol et le sel, l'eau et la viande, et tu travailleras le tout jusqu'à ce que tu obtiennes une pâte souple, n'oublie pas de mouiller tes mains, ma fille.
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Pourquoi la beauté fait-elle mal ? Si j'étais un homme, je serais amoureux d'elle.
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O.K., on stoppe tout. Natan est présent, Arlette aussi. Les deux sont en piteux état et moi, je suis capable de voir les âmes en peine. Pourquoi, comment et tout le tas de questions qui va avec : je verrai ça plus tard.
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Un mur entier du restaurant est occupé par des étagères sur lesquelles il ne reste aucun espace libre. Sur ces étagères, classés par ordre alphabétique, des CD de tous les compositeurs classiques, à l’exception d’un seul. Personne ne t’a jamais demandé le motif de cette exclusion, personne n’en a jamais eu l’idée, d’ailleurs, faute de l’avoir remarqué. Même les soi-disant mélomanes, qui battent la mesure avec leur fourchette quand tu insères dans la chaîne 15B & O le dernier enregistrement du Concerto pour piano no 3 de Rachmaninov, capté en live à la Philharmonie en juin 2015 avec Daniil Trifonov au piano et Myung-Whun Chung dirigeant l’orchestre de Radio France, sont en réalité d’une ignorance crasse. D’ailleurs, ils préfèrent Chopin et Vivaldi. Tu as sur ton mur tout ce qui est nécessaire à leur bonheur, depuis l’intégrale des Préludes par Sokolov jusqu’aux innombrables concerti pour violoncelle déclinés en quinze versions, joués par Yo-Yo Ma, Jean-Guihen Queyras, Francesco Galligioni, Paul Sacher et l’inégalable – à ton avis – Alexander Kniazev. Ils n’entendent pas la différence, mais cela n’a aucune importance. Ils sont heureux de prendre leur repas dans un endroit si atypique, si décalé, si cosy. De temps à autre, ils te demandent ton avis avant d’acheter une place de concert, ce qui te permet de les aiguiller vers des interprètes convenables.

Mais aussi d’éviter, dans la mesure du possible, de les croiser en remontant les rangs de l’orchestre.

Car tout, dans la vie, est une question d’équilibre. Chacun dans son monde. C’est ta devise, et elle ne t’a pas trop mal réussi jusqu’à présent.
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C’est en vous que tous ces livres doivent trouver leur place. En vous. Nulle part ailleurs.
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Je lui dis adieu. Désolée, je ne serai jamais toi. Désolée, papa, maman Désolée. J'aurais bien aimé, pourtant, ça doit être si confortable d'être approuvée.
Cette fille idéale, aujourd’hui, je la pleure comme on pleurerait une morte.
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Ce n’est pas ta famille qui n’est pas normale Inès : c’est ce que les autres pensent et disent. Tu écoutes le journal télévisé, parfois ? Quand un enfant meurt sous les coups de ses parents, on dit que ces gens sont des monstres. On se dépêche de les mettre à part de l’espèce humaine, parce qu’on a peur de découvrir en soi la même violence. Si c’était l’enfant de deux femmes ou de deux hommes, on se dépêcherait de clamer qu’il fallait s’y attendre, qu’une famille de ce genre est forcément déviante et perverse. Tu comprends ce que je veux dire ?
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Si j’étais un homme, je serais amoureux d’elle.
J’étais soulagée. J’avais résolu l’énigme. Je m’étais glissée passagèrement dans la peau d’un homme, d’un homme épris, touché par la beauté d’une femme, mais comme je n’étais pas un homme, l’histoire allait s’arrêter là.
Du moins je le croyais.
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Ses yeux nous traversaient. Des yeux bleus, doux, très bien maquillés, mais pas trop, le genre sobre et de bon goût, vous voyez. Cette femme était d'une politesse exquise – mais elle appelait ma mère Fatima, parce que c'était le prénom de sa précédente femme de ménage et qu'elle se trompait tout le temps. Hayat, quel joli nom, elle répétait. Vous dites, cela signifie… ? Lumière ? Oh, charmant.
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"C'est à nous de glaner des encouragements là où notre oeil, ou notre enthousiasme, notre passion, notre... ce que vous voulez est capable de les dénicher".
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- C'est une bonne idée, non ? Je n'ai jamais réussi, ce que Soliman vous demandait de faire: suivre quelqu'un, l'étudier d'assez près pour savoir de quel livre il avait besoin, lequel lui rendrait l'espoir, ou l'énergie, ou la colère qui lui manquaient. Là, j'aurai plein de bouquins dans le minibus, et j'irai voir les gens dans les villages, et je prendrai le temps de les connaître, au moins un peu. Ce sera plus facile. De les conseiller, je veux dire. De trouver le bon livre. Pour eux. (p. 151)
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Vous connaissez le principe des livres voyageurs, reprit-il après quelques secondes de silence. C'est un américain, Ron Hornbaker, qui a créé, ou plutôt systématisé le concept en 2001. Faire du monde une bibliothèque...Une belle idée, non ? On dépose un livre dans un lieu public, gare, banc de square, cinéma, quelqu'un l'emporte, le lit, le lâche à son tour, quelques jours ou quelques semaines plus tard, ailleurs. (p. 34)
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- Arrête. Ou tu vas dire des choses que je regretterai d'avoir entedues. Et que tu regretteras d'avoir laissé échapper.
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