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Critiques de Christopher Marlowe (25)
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Massacre à Paris

Vous connaissez l'histoire de la Reine Margot, l'époque où elle vécut, les guerres de religion, le sang qui giclait, les morts ? Et ça vous a plu, vous en voudriez encore ? Vous avez adoré Alexandre Dumas, son art du roman d'histoire, son bel effort pour réécrire des faits plus que deux cent cinquantenaires… Ça vous manque l'histoire, les rois, les complots, les ducs embrochés, l'hémoglobine, n'est-ce pas ?



Eh bien sachez qu'il vous reste Christopher Marlowe. Et à la différence de Dumas, lui écrit très fraîchement après les faits, en 1596 pour être précise, c'est-à-dire deux ans à peine après l'entrée d'Henri IV à Paris et deux ans avant l'Édit de Nantes, donc, en une ère encore fantastiquement troublée.



C'est par conséquent une vision particulièrement intéressante que celle de Marlowe, à la fois témoin extérieur à la tourmente et malgré tout complètement imprégné du vent de folie qui remuait l'époque. Sa vision est d'ailleurs assez différente de celle qu'on enseigne dans les livres d'histoire à nos braves petits Français.



Pour lui, les guerres de religion de sont rien d'autre qu'un pur prétexte pour essayer de prendre ou de ne pas perdre le pouvoir. Le religieux véritable qui animait tous les commandeurs des massacres, de la Saint-Barthélémy et consort, était selon Christopher Marlowe, extrêmement ténu.



Je ne suis pas loin de penser comme lui que toute guerre de religion, quelle qu'elle soit, ancienne ou moderne, est avant tout une lutte de pouvoir. Et derrière le pouvoir, bien évidemment, il y a l'argent. En Alsace, par exemple, ma terre d'accueil, une petite enquête personnelle m'a permis de comprendre que la conversion des princes locaux au protestantisme était avant tout un moyen de mettre la main sur le magot et les vignobles qui appartenaient au clergé. Alors, après ça, on peut bien sûr parler de la puissance de la foi, de la plus grande pureté de l'engagement religieux et tout le blabla bienséant qui accompagne le discours des gagnants, mais, au fond du fond, il y eut l'évincement d'un contre-pouvoir important, le clergé, et l'appropriation de ses biens par la noblesse locale.



En ce moment, on nous rebat les oreilles avec la Syrie, à grands coups de sunnites, de chiites, de rebelles, d'armée régulière, Daesh, les Kurdes, la Turquie, l'Iran et tutti quanti. Russes et Américains s'empoignent sur la question mais dans le fond, la Syrie et les Syriens, tous ceux-là s'en fichent royalement, ce qui les intéressent, c'est le pouvoir ou la main-mise qu'elle représente et, par ricochet, l'influence et l'argent qu'il y a derrière, mais le pauvre peuple syrien, malheureusement, tout le monde s'en branle.



Certains par chez nous, du côté du patronat, se disent qu'il y a peut-être un coup à tenter en Europe en faisant venir de la main d'œuvre qu'ils pourront exploiter comme il l'entendront et agitent fort, via les médias qu'ils contrôlent, les chiffons de l'humanitaire et de la morale universelle alors que de l'humanitaire s'ils voulaient vraiment en faire, il y aurait moyen et bien évidemment pas qu'en Syrie, quant à la morale, ça fait longtemps qu'on sait qu'ils n'en ont absolument aucune si ce n'est la meilleure rentabilité.



Bref, c'est donc un gigantesque échiquier politique et stratégique que nous dépeint l'auteur britannique : dans le rôle du fou, un roi, faible, jeune, influençable, ayant quelques principes mais trop peu de poigne pour les mettre en pratique, j'ai nommé le désormais très célèbre (depuis Jean Teulé) Charles IX. Ce fou dont la diagonale croisera immanquablement celle de la reine, sa mère, la machiavélique Catherine de Médicis, elle qui cherchait un roi à sa guise, et qui semble avoir un rôle non négligeable dans le naufrage de son fils Charles.



Ensuite, dans le rôle du roi noir, Henri de Pologne, devenu Henri III, qui n'ignore rien des petites tractations de sa mère et qui s'en méfie comme de la peste. Qui n'ignore rien non plus des complots du Duc de Guise et de ses petits frères, lesquels, sous couvert de faire triompher le catholicisme en allant trucider Henri de Navarre pour la " bonne " cause, lèvent une armée qui pourrait bien servir un jour contre un autre Henri, allez savoir.



Et enfin, dans le rôle du roi blanc, Henri de Navarre, appelé à devenir Henri IV, défenseur du protestantisme contre à peu près tous les autres, pape et roi d'Espagne compris, que Marlowe rend extraordinairement loyal envers son roi Henri III, lequel Henri III, qui avait au départ pour projet d'éliminer Navarre s'en fait un allié pour évincer le désormais trop encombrant Duc de Guise, au grand dam de sa mère qui était au mieux avec le cardinal de Guise, frère du Duc.



Je sais, vu comme cela, cela à l'air assez compliqué, mais on s'y retrouve en vérité, et cette complexité, n'est pourtant qu'une simplification de l'échiquier réel et de la partie qui se jouait en ces temps-là, c'est-à-dire sur une période d'environ vingt-cinq ans, du début des années 1570 à la fin des années 1590.



La pièce souffre d'avoir été amputée au cours des âges, dans sa partie centrale, notamment les actes III et IV, mais reste tout à fait intelligible et cohérente. Beaucoup de scènes ont été perdues et c'est au zèle du critique anglais John Payne Collier au XIXème siècle qu'on doit d'avoir retrouvé des scènes désormais authentifiées qui viennent regarnir moindrement ces actes III et IV, sévèrement déplumés par les outrages de l'histoire.



J'ai parlé récemment avec une enseignante d'anglais de classes préparatoires qui me disait que cette pièce est de loin celle de Marlowe, et très probablement du théâtre élisabéthain, qui fut le plus jouée et ce, pour la simple et bonne raison qu'elle ruisselle d'hémoglobine presque de bout en bout. Elle jouit également d'un " méchant " admirable en la personne du Duc de Guise, héros maléfique comparable au tristement célèbre Iago d'Othello que Shakespeare écrira cinq ans après cette pièce.



Il me reste sans doute encore à ajouter ce qui a pu pousser un Marlowe à écrire une telle pièce. Selon moi, c'est très certainement le risque de contagion à l'Angleterre des querelles de pouvoir maquillées en conflit religieux. le pape est encore très puissant à cette époque et il ne faut surtout pas oublier que l'introduction de la réforme sous le règne d'Henri VIII d'Angleterre est encore une chose récente et quelque peu à vif. Donc, montrer de la probité et au final une victoire pour un roi protestant avait sûrement quelque utilité pour nos voisins d'outre-Manche.



En somme, scéniquement parlant et textuellement parlant, probablement pas un chef-d'oeuvre, mais historiquement parlant, un morceau captivant écrit par un contemporain. Ceci dit, ce n'est bien évidemment qu'un avis, qui n'est pas non plus une tuerie, c'est-à-dire bien peu de chose.



P. S. : une fois encore, j'aimerais saluer le travail éditorial de cette magnifique petite maison d'édition, Les Solitaires Intempestifs, qui fait beaucoup pour l'accès aux pièces de théâtre classiques du domaine étranger et ce dans des traductions très soignées. Merci à vous.
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

Voici le Faust des origines. Moins connu que celui de Goethe, il en est pourtant de 200 ans l'ancêtre. À ce titre, il peut être intéressant de noter qu'on retrouve des bribes de celui-ci tant dans le Faust I que dans le Faust II de Goethe, preuve, s'il en était besoin, de son statut de modèle pour le poète allemand.



Christopher Marlowe, né la même année que Shakespeare mais mort malheureusement beaucoup plus tôt (à 29 ans) et dans des conditions nimbées de mystère, nous a malgré tout légué quelques petits trésors. Il faut en effet s'imaginer un poète jeune, plein de fougue et d'entrain, furieusement décidé à faire évoluer son art et à oser des choses jusqu'alors inédites, littérairement et scéniquement parlant.



C'est toujours assez difficile pour nous, depuis notre perchoir des ans, nous qui considérons trop souvent ces auteurs d'antan comme de vieilles reliques poussiéreuses comme d'authentiques innovateurs plein de jus et d'énergie.



Je ne chercherai pas à vous en faire accroire en montant ce Faust aux nues. Ce n'est pas une pièce sans défaut. Son début est un peu poussif, son déroulement, au contraire, un peu trop accéléré. Il y a probablement un peu trop de citations latines, etc., etc.



Mais imaginez tout de même que le mythe naît ici. " Vendre son âme au diable ", " faire un pacte de sang ", " être une âme damnée ", toutes ces expressions ordinaires naissent ici, sous vos yeux.



Imaginez de plus que nous sommes sur la scène du théâtre élisabétain à la fin du XVIe siècle — non vous ne rêvez pas, XVIe siècle ! — et ce que vous propose Christopher Marlowe, ce n'est ni plus ni moins que des effets spéciaux (disparitions, transformations, membres arrachés sur scène sous l'effet de la magie) ce qui est tout de même assez osé pour l'époque.



Sans compter l'intérêt philosophique de cette pièce. Si Marlowe nous endort un peu avec ses cargaisons de latin, c'est que le latin est la langue véhiculaire de la science (et aussi de la religion) et que tout tourne autour des mérites respectifs de l'une ou de l'autre.



Les gens qui s'adonnaient à la science n'étaient-ils pas des émissaires du diable ? La montée en puissance de la science dans la société et parmi les hautes sphères du pouvoir n'allait-elle pas mettre à mal la pensée religieuse et la foi, alors toute puissante ?



L'autre splendide questionnement auquel nous convie Marlowe est bien évidemment à mettre au compte des jouissances humaines. Lorsque nous pouvons tout posséder sur l'instant, lorsque nous pouvons profiter de tout quand nous le désirons, sans la moindre difficulté, les choses et les plaisirs ont-ils encore un prix ? Passés les premiers instants de cette jouissance, la vie n'a-t-elle pas une saveur invariablement insipide ?



Faust est un grand docteur, probablement le plus grand savant de son temps, mais il veut plus (Ah ! le démon de l'ambition !). Ses grimoires et ses formules ne lui suffisent plus, il veut l'omnipotence et le seul à même de lui procurer cette omnipotence, c'est Lucifer.



Aussi Faust convie-t-il son messager, Méphistophélès, et, après une très courte lutte de conscience, se résout facilement à faire don de son âme au diable moyennant vingt-quatre années de vie terrestre où il pourra plier tout et tout le monde à son bon plaisir, sans limite à sa puissance ni à sa volonté...



Bref, une courte pièce en quatre actes qui se lit vite, facilement (sauf le latin) et qui aura marqué son temps et par delà, toute l'histoire de la pensée et de la littérature occidentale. Vous trouverez peut-être que j'en rajoute un peu, mais ne m'en veuillez pas, ce n'est pas ma faust, quand on assiste à la naissance d'un mythe, il faust ce qu'il faust, d'ailleurs ce n'est là que mon avis (non taché de sang) c'est-à-dire pas grand-chose.
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Héro et Léandre

Héro et Léandre tombent amoureux l’un de l’autre. Ils sont très beaux tous les deux, mais Héro destine sa vie au culte de Vénus. Léandre va lui rendre visite dans son couvent et ils font l’amour, mais au petit matin, Héro, submergé par la honte, se suicide en se jetant du haut de sa chambre, car son couvent est une tour dans un endroit isolé.

L’histoire est entièrement écrite en vers, avec des rimes à la fin de chaque vers. La préciosité est à déplorer : beaucoup de périphrases et de métaphores du même genre, caractéristique de ce mouvement. Concernant l’érotisme on peut remarquer que pour l’époque c’était assez osé (et de nos jours ?). L’amour est forcément lié au coup de foudre, aux sens (who ever loved that loved not at first sight?). La mort apparaît comme la fin logique d’une histoire tragique, éternelle histoire de Thanatos qui plane sur Éros.
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

J'ai découvert l'existence de Christopher Marlowe dans un film, Shakespeare in Love, où le jeune homme apparaissait comme rival plus doué, ou plus chanceux, du jeune Shakespeare. Une seule de ses pièces est mentionnée : « Massacre à Paris », de même que l'assassinat du poète.

Puis j'ai appris qu'il a lancé le mythe moderne de Faust. Secouant tous ces éléments dans un sac, il en est sorti que je devais aller voir de plus près.



Un type intéressant, ce Marlowe. Érudit, c'est sûr ! Son savoir, que s'approprie le docteur Faustus, fuite de chacun de ses vers. Marlowe aligne citations latines non traduites et connaissances antiques ou astronomiques qui devaient laisser pantois le spectateur lambda et enchanter le biographe moderne. Visiblement anticonformiste, quoique n'hésitant pas à s'appuyer pour son succès sur l'antipapisme baignant l'Angleterre depuis que « l'Invincible Armada » espagnole était allée bouffer les pissenlits marins agrémentés au sel de mer par la racine. Ajoutons une carrière d'espion à la Beaumarchais, cela donne une idée de l'atypisme du personnage.



Et cette pièce fondatrice du mythe alors ? Au début Faust chante ses connaissances qui ne devaient guère être compréhensible par le spectateur, lui laissant une vague impression d'avoir affaire à une grosse tête. Mais Faust est blasé. Il se tourne vers la magie, convoque Méphistophélès et négocie son fameux marché : vingt-quatre ans de vie omnipotente contre son âme à Lucifer à la fin.

Faust devient-il omniscient ? Bof. Les réponses de Méphistophélès à ses questions sur les secrets de l'univers évoquent plutôt un enfumage qu'autre chose. En même temps, je pouvais difficilement m'attendre à voir le prince de l'Enfer énoncer la théorie du big-bang.



Le brave diable se révèle bien plus efficace dans la série de farces qui suit et qui m'a beaucoup amusé. Car Faust et Méphistophélès vont passer leur temps à humilier presque tout et quasi chacun. le pape est la première victime ; anticatholicisme oblige, on imagine les applaudissements du public londonien. Puis ce seront le charretier et le maquignon du coin. C'est sûr on se marre, et je ne m'en suis pas privé. Marlowe joue beaucoup avec les métamorphoses – il connait son Ovide l'animal – et je n'ai pas pu m'empêcher de faire un rapprochement avec le Songe d'une Nuit d'Été et sa tête d'âne apposée sur le corps du pauvre Bottom. Vu les dates, Shakespeare a piqué l'idée à Marlowe.



Mais le bon temps de Faust a une fin et il faut payer l'addition à Lucifer au dernier acte. On ne peut pas dire que le savant soit très impressionnant pour ses derniers sursauts. Il ferait plutôt pitié. J'avais plus apprécié l'arrogance humaine de Dom Juan face à la statue du commandeur.

J'ai eu également un peu de mal avec cette main de Dieu tendue vers le pêcheur suprême que représente Faust. Dieu lui accorde sa grâce, malgré tout ce qu'il a fait, mais le fait qu'il ait craché sur son nom pendant un quart de siècle. Mais bon, je ne suis pas protestant. La grâce accordée quelles que soient les actions de l'homme est un concept que je trouve dur à avaler.

Main tendue, encore faudrait-il que Faust puisse l'attraper, et Méphistophélès et Lucifer veillent au grain.



Impression globale ? Pas mal. Intéressant surtout parce que la pièce dit du temps où elle a été écrite et par la maîtrise de la farce.

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Le Juif de Malte

Je vous fais grâce de la bio de Christopher Marlowe, suffisamment obscure pour que je ne me mêle pas d'un sujet aussi délicat. Ne nous reste de lui que quelques pièces alors qu'il fut un dramaturge prolixe et célèbre sous Elizabeth Tudor, à peu près le seul avec Ben Jonson à avoir résisté à l'ombre de Shakespeare, et son Faust est largement plus lu que le reste. Il faut dire que trouver ses pièces en français n'est pas si facile (ou alors ça revient cher).



Le Juif de Malte, écrit en... ben on ne sait pas trop, en fait, mais on va dire que c'est entre 1589 e 1593. Donc, le Juif de Malte. Quand on voit un tel titre, c'est presque immanquable, on pense au Shylock de Shakespeare (plus tardif) dans le Marchand de Venise, et, du coup, on se demande si on va devoir se taper une pièce aussi antisémite que d'autres sont misogynes, l'époque favorisant ce genre d'épanchements sur scène. En fait, non.



On a affaire à un personnage central, Barabbas (oui, bon, le nom ne joue pas en sa faveur), qui vit à Malte, et s'est enrichi grâce au commerce. Or, Malte doit un tribut extrêmement conséquent aux Turcs, non payé depuis dix ans. Tribut que ces derniers viennent réclamer (pourquoi avoir attendu dix ans, ça, c'est un mystère, et probablement uniquement un ressort dramatique), et que le gouverneur de Malte n'a pas les moyens de payer, n'ayant visiblement pas économisé en prévision de la chose. Comment s'en sortir ? En faisant les poches des citoyens juifs. Même si ce n'est pas dit, on se doute bien que d'autres citoyens de Malte ont les moyens de contribuer au paiement du tribut, mais Fernèze, le gouverneur, trouve plus logique de voler l'argent de personnes à qui il exprime clairement son mépris. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que Malte est alors censé être un lieu cosmopolite et de relative tolérance, puisque l'île a justement accueilli à la fin du XVème siècle nombre de Juifs d'Espagne persécutés. Mais pour ce qui est du respect des différentes cultures, la Malte de Marlowe n'est pas vraiment un exemple... Donc, après avoir été spolié comme il faut, notre Barabbas remonte la pente, et ce d'autant plus vite qu'il avait tout de même senti le vent tourner - c'est un personnage particulièrement malin. Mais cet acte de spoliation devient l'événement déclencheur d'une folie vengeresse et meurtrière. Il en devient un tueur à la chaîne, tellement chez lui le meurtre appelle le meurtre, et il en devient même un tueur de masse. Et pourtant, c'est le personnage de méchant le plus sympathique du monde.



C'est là une des grandes réussites de Marlowe, et je ne vois pas d'autre pièce où un personnage qui se singularise par sa cruauté, son manque total d'empathie et son obsession pour le meurtre attire autant la sympathie du lecteur, habitué à voir chez Richard III et autres criminels des repoussoirs. Il faut préciser que Marlowe utilise d'une manière spécifique la fameuse mise en abîme du théâtre élisabéthain : Barabbas est un comédien hors pair, qui s'active tout le temps, en fait des tonnes, manigance machination sur machination, tout cela aux yeux du spectateur. Marlowe utilise notamment un procédé qui pourrait, de loin, paraître fastidieux, mais qui fonctionne à merveille. En effet, Barabbas passe son temps à alterner des phrases prononcées à l'intention de ses interlocuteurs sur scène, et d'autres à l'intention du spectateur. Tout ça est d'une grande maîtrise. Dommage, en revanche, que l'acte IV soit plus faible - on y voit toujours autant de machinations (car Barabbas est très loin d'être le seul à faire preuve de sournoiserie et à concocter des plans méprisables), mais beaucoup moins le personnage-titre, qui porte la pièce, et qui manque forcément lorsqu'il n'est plus sur scène. Ce qui a pour résultat de rendre même le dernier acte un peu moins intéressant (mais peut-être est-ce dû au fait que j'aie terminé la lecture de la pièce tard dans la nuit).



Alors bien évidemment, Marlowe joue sur les clichés concernant les Juifs, mais aussi les Turcs... et les Chrétiens. Et s'il est sous-entendu que ces Chrétiens sont des catholiques, car il ne faudrait pas se moquer de la religion de la Reine Elizabeth, on sait bien que pour Marlowe, la différence est de peu d'importance - les religions, c'était pas son truc. Mais si tout le monde en prend pour son grade, si Marlowe se moque d'ailleurs assez brillamment des idées reçues sur les Juifs et les Turcs, l'essentiel n'est pas là. Malte, c'est le lieu de l'argent comme seule valeur, et c'est là tout le sujet de la pièce. Chacun court après l'argent, ce qui autorise toutes les turpitudes. Mais c'est aussi le lieu du machiavélisme - c'est Machiavel en personne qui préside à l'ouverture de la pièce -, et le plus machiavélique des personnages n'est pas Barabbas, qui donne l'impression d'ourdir des complots pour le seul plaisir des spectateurs, mais bien Fernèze, le gouverneur, qui n'a pas plus de parole que Barabbas, mais se montre bien plus froidement efficace. Seule Abigail, la fille de Barabbas, et Calymath, le porte-parole et chef de la flotte turque, peuvent être considérés comme des personnages positifs. Or, lorsqu'on entend à l'acte I Barabbas dire de sa fille qu'elle lui est aussi chère "qu'était Iphigénie aux yeux d'Agamemnon", on imagine bien quel destin attend la pauvre... Quant à Calymath, il pourra s'asseoir sur son sens de l'honneur, car il est sans valeur face à un Fernèze qui gouverne une île pourrie jusqu'à l'os.



Le Juif de Malte, pièce anti-capitaliste ? Voilà qui donne à réfléchir.







Challenge Théâtre 2018-2019
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Tamerlan le Grand

Deux pièces pour le prix d’une.



Christopher Marlowe s’était lancé dans l’écriture d’une première partie de Tamerlan le Grand. Elle remporta un franc succès, ce qui le décida à se lancer dans une deuxième partie, apparemment tout aussi appréciée.

Je n’ai pas été bouleversé par ce que j’ai lu. L’ensemble est assez homogène dans la forme. C’est une succession de batailles et de conquêtes. Les adversaires commencent par rameuter leurs troupes immenses – je pense que Marlowe aurait adoré être réalisateur à Hollywood – en s’autocongratulant de leur supériorité. Puis ils se font face, se menacent et s’insultent, se battent (presque toujours de manière elliptique) et le vainqueur Tamerlan se comporte en sadique envers son ennemi.



Quelques mises en scène viennent rompre la monotonie, comme la bataille d’Ankara entre Bajazet et Tamerlan où la reine de Bajazet, Sabine, et la reine de Tamerlan, Zénocrate, sont assises et assistent à la bataille se menaçant l’une l’autre du sort d’esclavage qui lui pend au nez. Mais cela manque clairement de contraste tragique-comique comme Shakespeare sait les mixer. On ne rigole pas beaucoup. L’amour a quand même un minimum droit de cité au milieu de ces rêves de gloire exaucés.

La cruauté de Tamerlan envers ses ennemis est mise en avant. Par exemple il attache les rois vaincus à son char et s’en sert de chevaux. Ou il encage Bajazet comme un piaf et le traine partout (épisode apparemment légendaire). Ne parlons pas des habitants de cités qu’il massacre allègrement. Le conquérant est présenté comme un pur mégalo qui ne se soigne pas. Il se dit au début favorisé des Dieux et termine en se considérant leur supérieur. Il va même jusqu’à brûler le Coran (rappelons qu’il était musulman).



Difficile de savoir si Marlowe essayait de suivre la « vérité historique » telle qu’il pouvait s’en informer à son époque. En tout cas c’est assez peu conforme à nos connaissances actuelles. Par exemple, je ne pense pas que les « rois du Maghreb » lui étaient inféodés, alors qu’ici ils le suivent comme des toutous. Autre licence poétique, les personnages normalement presque tous musulmans ne cessent de faire référence aux dieux Romains, et surtout aux Métamorphoses d’Ovide. C’est ici plus la culture de l’anglais éduqué du 16ème siècle qui s’exprime.



Tout cela me laisse plutôt mitigé. Même si je ne l’ai pas trouvé désagréable à lire, je n’ai jamais ressenti d’impatience à reprendre le bouquin et poursuivre ma lecture. Dommage.

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Didon, reine de Carthage

Après Docteur Faust et Tamerlan, c’est ma troisième pièce du tragédien Christopher Marlowe, quelque peu éclipsé par son contemporain William Shakespeare. L’homme n’a à son actif que sept tragédies, mais c’est parce qu’il meurt à 29 ans seulement, dans une échauffourée d’auberge. Je l’ai découvert dans le film Shakespeare in Love et ai immédiatement eu envie de le lire.



Didon, Reine de Carthage, est la première de ces tragédies. Elle s’inspire évidemment du mythe et de la version qu’en fait Virgile dans L’Énéide. J’en ai lu la seule traduction que je connaisse, qui, selon le traducteur à qui le livre donne la parole, est plus une adaptation en alexandrins fidèle à l’esprit de l’ensemble plutôt qu’une retranscription parfaite (différence de métriques entre les langues, paraît-il).

Un résumé rapide ? Énée, qui a fui Troie en flammes avec quelques compagnons, s’échoue sur les rives de Carthage, récemment fondée par Didon. Celle-ci fait très bon accueil aux naufragés. Mais rapidement les héros humains redeviennent les jouets des Dieux qui voient ici une de leurs dernières occasions de jouer les marionnettistes. Didon « tombe » passionnément amoureuse d’ Énée qui le lui rend bien. Mais le destin du Troyen est d’aller fonder une nouvelle Troie en Italie et il se doit de partir. Didon pète les plombs, refuse de laisser partie son amant, supplie, s’enflamme, s’effondre.



Les Dieux sont très présents dans la pièce. Jupiter, Vénus, Cupidon, Junon, Hermès ont leurs scènes. Ce sont Vénus, mère d’Énée, et Cupidon, son fils et donc frère d’Énée, qui tirent le plus fermement les ficelles humaines. Cupidon n’est guère que le bras armé de sa mère qui, franchement, ne réfléchit pas et crée la catastrophe à force de vouloir aider Énée. Incitée par une Junon sournoise, elle ensorcèle Didon et le Troyen et les rend amoureux fous, mais en même temps elle pousse son fils à partir pour l’Italie (pas le choix, ordre de Jupiter). Elle provoque ce tiraillement du héros traduit par ces paroles de la déesse : « Qu’il puisse un jour prochain partir pour l’Italie, A moins que de Carthage il ne devienne roi » (Acte II Scène 1).



Cependant la véritable héroïne est bien Didon. C’est une femme de pouvoir indépendante que construit Marlowe. Elle est reine de Carthage qu’elle a érigée après avoir quitté la Phénicie. Elle refuse jusqu’à présent de se soumettre à un prince, comme le Iarbas de la pièce, et de risquer de perdre les rênes de son pays. Alors que l’ensorcellement commence, on la voit lutter pour y résister : dans la superbe scène 1 de l’acte III, Didon fait montre d’une valse hésitation en demandant à Iarbas tour à tour de rester et de partir, comme si l’homme était une balle de tennis. Même enchainée par cet amour artificiel, elle refuse aussi longtemps que possible de se déclarer et garde sa dignité. Mais les Dieux sont trop puissants et elle vivra de façon pathétique le départ d’Énée.



La fin macabre est beaucoup trop précipitée, qui voit le suicide successif de trois personnages : Didon ayant perdu Énée, Iarbas ayant perdu Didon et Anna, sœur de Didon, ayant perdu Iarbas. Tout cela en une page. Pas le temps d’une longue tirade : un trait pour chacun et c’est terminé. Vraiment pas terrible.

Mais d’autres scènes valent le coup, comme l’expression du carnage de la chute de Troie, longue et poignante (Acte II, scène 1).



En conclusion : une bonne pièce, quoique pas exceptionnelle, qui a l’avantage de remettre en avant un mythe passionnant et donne envie de lire l’Énéide.

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Massacre à Paris

Après les mésaventures de Bussy d'Amboise, je me suis dit : "Ben tiens, si on restait dans le thème et si on gardait les mêmes personnages, mais avec un autre auteur et en remontant un petit peu en arrière dans l'Histoire de France ?" Par un hasard des plus purs et des plus incroyables, il se trouve qu'il existe une pièce de théâtre de Marlowe qui traite de la Saint-Barthélémy : Massacre à Paris.





Massacre à Paris ou la pièce la plus problématique de Christopher Marlowe. Déjà parce que le texte n'est probablement pas complétement de Marlowe - ça commence bien. Date de composition par conséquent imprécise, entre 1589 et 1593, pièce réputée inachevée et, en tout cas, incomplète ; ce qu'on n'a pas de mal à croire quand on lit le texte, deux fois plus court que celui des autres pièces de Marlowe et des autres tragédies élisabéthaines en général. Étant donné qu'on a bien retrouvé un feuillet, un seul, de la main de Marlowe pour une des scènes, et que le texte diffère de celui qu'on prenait pour l'original qui avait été publié, et étant donné tout un tas de recherches dont je ne connais pas les détails, il est fort probable que le texte que nous connaissons aujourd'hui soit une recomposition de la pièce originale (de Marlowe, donc), écrite à partir des différents feuillets, par exemple ceux des comédiens. En effet, à l'époque du théâtre élisabéthain, chaque comédien possédait un texte qui n'était pas le texte entier (il existait de gros problème de droits d'auteur à l'époque, ce qui poussait lesdits auteurs à éviter de distribuer leurs textes dans leur totalité, même à leur troupe) ; le souffleur possédait quant à lui une version spécifique. Sans compter que les pièces évoluaient au fur et à mesure des répétitions et des représentations. Massacre à Paris n'est donc pas la seule pièce élisabéthaine dont l'authenticité du texte, ou du moins la question du texte original, pose problème (le cas de Hamlet est célèbre), mais elle en pose beaucoup plus que d'habitude. Seulement nous, on aime bien les textes incomplets depuis qu'on s'est bien amusés avec Eschyle et Les Suppliantes !





L'histoire, c'est vite vu : ça commence avec le mariage de Henri de Navarre et de Marguerite, soeur du roi Charles IX, juste avant la décision d'éliminer les chefs huguenots. Puis, attentat sur Coligny, et dérapage complet dans la nuit du 23 au 24 août 1572 où entre 10 000 et 30 000 personnes furent assassinées dans la France entière. Au-delà du rôle de Catherine de Médicis et de Charles IX, c'est bien plus le Duc de Guise qui est l'instigateur de cette folie meurtrière dans la pièce - c'est lui, à mon sens, qui était pensé comme le héros, comme Faust ou Tamerlan sont ceux des pièces qui portent leur nom, ou encore comme Barabas est celui du Juif de Malte. Après moult meurtres prenant moult formes, mort de Charles IX, repentance de celui-ci et pause ; et seconde partie concernant la chute et la mort de Guise, jusqu'à la mort de Henri III devenu roi et la passation de pouvoir, Navarre devenant le nouveau souverain.





La structure en deux parties, qui présente d'abord l'ambition démesurée, l'appétit vorace, la soif insatiable d'un personnage prêt à tout pour atteindre son but, c'est du pur Marlowe. Sauf qu'il manque du texte, c'est évident. On a bien droit à un ou deux monologues de Guise, mais sa fureur devrait prendre des proportions bien plus importantes, bien plus imposantes - même Edouard II, qui s'abandonne régulièrement aux volontés des barons, s'adonne à des des accès de rage que l'emportement de Guise est loin d'égaler, mais dont on sent qu'ils ne demandent qu'à se réveiller. Quant à sa chute, elle va un peu vite - pour tout dire, on en profite guère. Et la jalousie qu'il montre envers sa femme n'est absolument pas exploitée.





On voit donc bien tout le potentiel que recèle la pièce, combien la multitude d'assassinats menés par Guise devrait nous mener, comme ailleurs chez Marlowe, à la fêlure d'un homme pour qui le monde n'est pas à sa mesure et qui cherche à atteindre l'inaccessible. Mais, ce que nous retenons plutôt de Massacre à Paris, c'est la folie de la société qui est à la hauteur de celle de Guise. Et donc que les massacres, qui sont censés avoir duré dix-sept ans, ne sont pas prêtes de s'arrêter : c'est ce que laisse clairement entendre le nouveau Henri IV, à qui Henri III mourant a demandé la tête du pape - rien que ça. Massacre à Paris était de toute façon une pièce sur la monstruosité de l'humanité, qui plonge allègrement ses mains dans un bain de sang, mais de par sa forme incompète et bancale, elle ne joue par sur le registre du personnage qui incarne cette humanité plus que tout autre : Guise, évidemment.





J'ajoute tout de même que les dernières paroles de Henri III, qui sont pour... devinez qui... la reine Elisabeth Tudor, dites donc ! - que ces dernières paroles, donc, sont là pour faire plaisir à ladite Elisabeth et sans intérêt. Henri III se convertissant en mourant à l'anglicanisme, on n'y croit pas trop trop, surtout si on est Français, et encore moins quand on sait que Marlowe se fichait assez des religions, voire même qu'il était un libre-penseur.





Pour finir, on sent bien que la pièce n'est pas ce qu'elle devrait être aussi parce que les dialogues manquent singulièrement de relief par moments. J'en ai d'abord accusé la traduction que je lisais, mais il semblerait que le texte original souffre effectivement des mêmes platitudes. Tout de même, je n'ai pas aimé la traduction de Dorothée Zumstein, au-delà des rajouts qu'on lui a commandé pour une mise en scène : l'actualisation du langage n'apporte rien.





Alors évidement, c'est dommage de se dire qu'on a affaire à une pièce qu'on ne peut pas apprécier à sa juste valeur, d'autant que les pièces qui nous restent de Marlowe se font rares. Malheureusement, on n'y peut pas grand-chose.







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Edouard II

J'ai traîné les pieds jusqu'à présent, et surtout ces derniers jours, pour lire Edouard II. Parce que je savais bien qu'il allait me falloir réfléchir plus que de coutume, et certainement aussi aller à la pêche aux infos. Or ; lire Edouard II avec une sinusite, puis se documenter, activer ses neurones (qui préfèrent boire des jus de fruits exotiques, manger des pâtisseries et faire la sieste en temps normal) et enfin écrire cette critique, ça me paraissait... du genre difficile.





Faut ce qu'y faut, allons-y. Sachez d'emblée que ce qui m'a frappée dans Edouard II dès le tout début de la pièce, c'est qu'elle démarre sur les chapeaux de roue. Ce qui m'a posé certains problèmes de compréhension à propos de l'enchaînement des événements, et à propos de la pièce dans son entier. Le fait est que, sans connaître l'histoire d'Angleterre, pas mal de choses restent confuses.





Le véritable Edouard II a régné vingt ans - ce qu'on ne devinerait jamais en lisant Marlowe, qui donne l'impression que tout se déroule en quelques mois à peine, et encore -, de la mort de son père Edouard Ier en 1307, jusqu'à sa propre mort en 1327. Son père lui avait laissé en héritage un conflit qui s'enlisait grandement en Écosse, contre le fameux roi Robert Bruce, une situation tendue avec la France, plus ou moins adoucie par le mariage entre notre Edouard et Isabelle de France, fille de Philippe le Bel et sœur de Charles IV, roi de France (ceci finira en guerre... de Cent ans), plus de grosses dettes. Autrement dit, c'était déjà pas super bien parti pour lui, mais il semblerait qu'en plus, si l'on s'en tient aux sources et aux études historiques, il ait été une roi réputé faible, sans que les historiens d'aujourd'hui aient tranché pour un roi qui se désintéressait de ses fonctions ou un roi incompétent. Ce qui ne donne pas une très bonne image de lui, mais on verra que Marlowe a quelque peu inversé la tendance.





En sus de tous ces problèmes, il a été en butte durant tout son règne à ce qu'on appelle l'opposition baronniale : des comtes et des barons (parmi lesquels un certain Lancaster, très puissant) mais aussi un Warwick, un Pembroke, et j'en passe), ne supportant pas le favori d'Edouard II, Pierce Gaveston, qu'ils jugeaient de basse extraction ; ils étaient outrés par l'arrogance dont il faisait preuve à leur encontre, eux qui étaient si bien nés. Ils l'ont donc assassiné (c'est pas du divulgâchage, le titre entier et très long de la tragédie de Marlowe fait mention de la mort de Gaveston), puis ont continué à harceler le roi pour lui faire signer des ordonnances qui restreignaient son pouvoir, puis s'en sont pris à son favori suivant, Spencer... Bref, ça a donné ce que ça devait donner : une guerre civile. C'était pas la première, et ça n'allait pas être la dernière ! Le roi a été fait prisonnier par l'opposition baronniale, jeté en prison, contraint d'abdiquer en faveur de son fils, et très probablement assassiné en 1327 - un roi emprisonné, c'est toujours un peu gênant. La reine Isabelle, avec son amant Mortimer (de l'opposition baronniale) et l'aide du Hainaut avait mis très largement la main au complot, pris le pouvoir avec Mortimer, qui a lui-même mal fini (ça aussi, c'est dans le titre), puisqu'exécuté, en vertu de quatorze chefs d'accusation, dont le meurtre d'Edouard II. Ça, c'est en gros l'histoire du règne d'Edouard II, même si je suis passée sur la guerre avec l'Écosse, les taxes prélevées pour l'effort de guerre, les épisodes de famine, et ce genre de choses. J'en suis restée à ce qui nous intéresse le plus pour la pièce, et, si la chronologie est un peu bouleversée ici ou là chez Marlowe, en gros, le contexte est le même, et c'est bien utile de le connaître, c'est même nécessaire. J'ajouterai juste que l'on n'a jamais su si Edouard II et Gaveston avait des relations homosexuelles, étaient juste de proches amis, ou des frères adoptifs sous pacte (les hypothèses sont multiples), et que l'homosexualité, si elle était condamnée par l'Église, n'avait pas forcément non plus pour conséquence un rejet et du dégoût de la part de la société. En revanche, il est connu que Gaveston avait été investi de grands pouvoirs par Edouard II, et on a beaucoup dit qu'il y avait deux rois - un en portant le titre, et l'autre qui se chargeait des réelles fonctions royales.





Par conséquent, je n'aurai pas besoin de mentionner à nouveau tout ceci pour résumer la pièce, sauf quand un parti-pris de Marlowe vient s'insérer dans le contexte historique. Tout débute avec le retour de Gaveston, favori d'Edouard II et exilé sous le règne d'Edouard Ier. Le roi voue une passion immense à Gaveston et il semble bien que la première décision qu'il prenne en tant que roi, c'est de lever l'exil de Gaveston. Ce qui n'est pas forcément habile politiquement parlant, ni franchement prioritaire, et pas non plus très discret. Mais après tout, le roi fait bien revenir son favori s'il le souhaite... Oui mais non. Lever de boucliers des barons à l'annonce du retour de Gaveston, alors qu'Edouard ne lui a même pas octroyé la moindre charge, ni le moindre sou, ni même le moindre titre. D'où vient cette opposition farouche à ce qui paraît après tout le bon droit du roi qui vient de monter sur le trône ? Au fait, on est bien en 1307, et historiquement Edouard a 23 ans ; par la suite, il nous sera difficile de nous repérer dans la chronologie. Oui, donc, pourquoi venir agacer le roi en groupe dès le tout début de son règne ? C'est bien la question qui m'a taraudée. Le fait est que les barons ont Gaveston en détestation à cause de sa "basse extraction" ; et de le traiter pendant toute la pièce de gueux, de manant, etc., etc. Mais ça ressemble à de l'obsession. Et ça ressemble aussi beaucoup au comportement d'une meute de prédateurs, qui fondent sur un roi qu'ils sentent ou qu'ils savent faibles, eux qui sont terriblement avides de pouvoir et extrêmement pressés d'exercer du chantage sur Edouard : c'est soit Gaveston, soit la guerre civile - un leitmotiv des barons, qu'ils déclineront à l'envi. Donc réaction d'Edouard : hop, Gaveston est nommé Grand Chambellan, et hop, l'évêque à l'origine de l'exil de Gaveston est jeté en prison. Et toc.





Forcément les barons sont encore plus énervés, et on va aller de confrontation en confrontation, de menaces en menaces, Edouard pliant régulièrement sous la pression de ses ennemis, pour ensuite s'opposer à eux, puis plier à nouveau, puis s'opposer de nouveau à eux, et ainsi de suite. Quant à Gaveston, ils passera son temps à rire ostensiblement au nez desdits barons, ce qui n'arrange pas vraiment les choses. Les barons assassinant finalement par traîtrise Gaveston (eux qui se targuent de représenter des valeurs toutes aristocratiques), ils franchissent un pas de plus en demandant illico la tête d'un autre proche de d'Edouard, Spencer - une fois Gaveston mort, le leitmotiv du favori à dégager, ils sont carrément incapables de s'en passer. D'où conflit, forcément. C'est-à-dire guerre civile, parce qu'il faut bien que le roi réagisse un chouïa. Guerre civile que les barons vont venir reprocher à Edouard... Marlowe, certes, montre un roi faible, faible dans sa chair (Gaveston profitant de plus de l'amour d'Edouard, il l’avoue au public dès le début), comme dans son incapacité à assumer les fonctions royales - toujours, toujours, il est prompt à parler de ses sentiments, et jamais il ne parle de gouverner ; quand il faut tout de même s'occuper des affaires d'État, comme le conflit écossais qui s'achèvera en désastre, ou encore les tensions avec la France, il délègue d'autres personnes pour s'en charger - avec la France aussi, les conséquences seront désastreuses. Il prend des décisions sur le coup de la colère, il peut se montrer tyrannique, il n'assume pas sa charge royale, mais Marlowe, cependant, en fait une victime avant tout. Sa femme Isabelle, qui passe plusieurs actes à proclamer son amour pour lui alors qu'il la rejette avec dégoût, est elle d'une grande ambivalence, notamment dans ses relations avec l'un des barons, Mortimer, dont on ne sait trop s'il est son amant ou pas pendant longtemps, mais à qui elle tient sans cesse un langage très très très courtois.





Edouard, lui, est-il si ambivalent que ça ? Malgré ses changements d'humeur, malgré sa volonté fluctuante, il semble que non. Contrairement au Richard II de Shakespeare, il n'a pas de crime sur la conscience (un évêque envoyé en prison, on va dire que ça ne compte pas plus que ça), et il n'a pas son double en face de lui, comme Richard a Bolingbroke. Il n'est au final que faible et assailli par une horde avide de démontrer et d'accroître sa puissance, horde qui se fiche complètement du bon gouvernement de l'Angleterre - sans quoi les barons éviteraient une guerre civile au lieu d'y précipiter le roi plutôt deux fois qu'une. Mais il est aussi un personnage qui démontre bien la théorie des deux corps du roi (largement étudiée par Ernst Kantorowicz) : le corps physique du roi est le réceptacle d'un corps politique, il représente le royaume et toute atteinte à son corps terrestre met en péril le corps souverain, donc le royaume. Or Edouard ne se comportant jamais, ou presque, en roi, son corps physique étant tout attaché à Gaveston, le corps politique se désagrège. La théorie des deux corps du roi est lié, rappelons-le, à la vision analogique du monde qui était encore en vigueur en 1592, quand Marlowe a écrit la pièce, et qui suppose que tout microcosme renvoie à un macrocosme, et inversement. Le royaume est donc mis à mal par une sorte de faute originelle de la part d'Edouard - qui n'a rien à voir avec son homosexualité, mais bien avec sa passion qu'il fait passer avant ses fonctions de roi.





Edouard n'en est pas moins une figure de martyre, qui meurt de façon... bon, dégueulasse et horrible. Marlowe a repris la légende selon laquelle on aurait enfoncé une broche chauffée à rouge dans le rectum d'Edouard pour le tuer (c'est historiquement peu probable), bien que ce ne soit guère que suggéré sur scène. Une figure de martyre dont on retrouve l'écho dans la tragédie Richard II de Shakespeare, probablement composée après celle de Marlowe. Lire les deux pièces et les confronter s'avère d'ailleurs très intéressant. Mais c'est aussi que l'époque voit alors surgir beaucoup de pièces s'inspirant de l'histoire de l'Angleterrre, sans doute en partie parce que le spectre de la guerre civile est dans toutes les têtes, mais aussi parce que l'histoire d'Angleterre, et l'histoire tout court, devient le terreau de toute une réflexion sur le pouvoir et la gouvernance. Edouard II en est un très bon exemple, la double tétralogie de Shakespeare en est le plus célèbre, mais d'autres auteurs et pièces peuvent révéler d'autres approches. À qui le tour, alors ?







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Héro et Léandre

Hero et Léandre demeure une histoire d'amour universelle, à la manière d'autres célèbres hymens impossibles. Connue depuis l'antiquité, ce récit d'une passion folle et sublimée par l'adversité, fut repris par de nombreux auteurs. Les versions peuvent différer sur certains points, mais pas sur la quintessence de l'histoire, celle d'un amour secret, vécu par deux êtres se consumant peu à peu dans le feu de l'extase charnelle, auquel ils sont incapables de résister, provoquant l'irréparable destin fatal qui les attend : celui d'une impasse existentielle pour leur liaison, voir pire, leur mort prochaine en filigrane. le recueil de Christopher Marlowe sur cette magnifique, mais tragique destinée amoureuse est sûrement l'une des meilleures versions de ce récit. L'auteur en donnant une alchimie moderne et progressiste à ce poème mythique, dépoussière avec brio, une histoire peut-être figée dans ses racines antiques, n'hésitant à laisser la fin du récit ouvert, offrant aux lecteurs toutes les hypothèses spéculatives sur l'issue réelle réservé aux deux amants, on remarquera aussi tout le long de ses vers merveilleusement ciselés, d' équivoques métaphores suggérant peut-être une ode souhaitée pour une bisexualité exaltée, transformant les protagonistes en d' androgynes amants au milieu d'un univers onirique où tout est possible. L'auteur ayant publiquement déclaré son homosexualité, le poème reflète sans doute une certaine volonté libertine, d'immiscer ce sujet indirectement, d'ailleurs, Marlowe verra son oeuvre censurée pour ses propos licencieux à une époque où la pudibonderie puritaine régnait en maîtresse absolue sur le Royaume-Uni.
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Massacre à Paris

"Massacre à Paris" est une pièce de théâtre, qui s'est avérée très en-deçà de mes attentes.

Pourtant, la thématique de la pièce semblait plutôt intéressante, et, même si je ne connaissais pas l'auteur, j'avais, a priori, un bon préjugé, à son sujet. Je pensais que j'allais aimer, très sincèrement.

Ma déconvenue fut à la mesure de mon espoir. Cette pièce ne m'a pas touché, pas ému, elle ne m'a pas procuré ce choc que procure si souvent les belles oeuvres, en littérature. Plus que cela, je me suis ennuyé.

J'ai l'impression que Christopher Marlowe n'a donné dans sa pièce que des faits, que des événements, et n'y a ajouté aucune qualités artistiques.

Les personnages m'ont semblé manqué de complexité, pas assez ambivalents. En fait, j'ai eu l'impression de lire un auteur, dépourvu d'ambitions artistiques, littéraires, esthétiques, et cela m'a déplu profondément.

Je n'aime pas les livres fades et plats, où je ne ressent pas la moindre émotion, pas le moindre sentiment. J'ai besoin de ressentir quelque chose, de faire de la lecture du livre une expérience de vie.

Or, pour ce faire, il faut une histoire qui réussisse à m'accrocher, et, pour ce faire, il est nécessaire que les événements soit mis en scène, de manière à ce qu'il y ait une certaine tension.

Or, il n'y en a pas ici.

Tant pis !
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

Au début de la pièce, Faust vend son âme au diable à Lucifer et Belzébuth, en échange de quoi, pendant vingt-cinq ans, le démon Méphistophélès sera à son service et à ses ordres. Tout au long des scènes, on voit comment il emploie son pouvoir : à jouer des tours pendables aux uns et aux autres, dont au Pape, et impressionner Charles Quint en faisant se produire devant lui Alexandre le Grand et sa maîtresse... A l'issue de la pièce, les vingt-cinq ans ont passé, et Faust prend conscience du destin qu'il va lui falloir affronter... Brrrr



Marlowe est contemporain de Shakespeare, et on retrouve chez lui l'humour, les jeux de mots et les "effets spéciaux" de son compatriote.



J'ai beaucoup aimé cette pièce, et j'ai largement préféré la version de Marlowe à celle de Goethe.
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

Puisque je venais de lire le [Faust] de Goethe, je me suis dit que c’était le moment où jamais de lire cette version antérieure de quelques siècles du fameux mythe. Christopher Marlowe, l’enfant maudit du théâtre élisabéthain livre ici une pièce qui n’a pas dû être facile à monter tant elle regorge de scènes qui demandent de recourir à des « effets spéciaux » (un bel anachronisme que je fais ici, je pense…).

C’est un autre anachronisme que de la comparer à la version de Goethe qui lui est donc largement postérieure, mais l’ordre de ma lecture m’y a poussée, et on sent que le Faust de Christopher Marlowe est moins complexe que celui de Goethe, les scènes un peu bouffonnes trop nombreuses à mon goût, les références au contexte politique de l’époque plutôt amusantes. Mais le mythe est déjà là, les frictions entre religion et savoir, entre pouvoir et vouloir, entre damnation et rédemption sont toutes en place et commencent à se tendre.



S’il ne fallait lire qu’une des deux pièces, c’est celle de Goethe que je conseillerais, mais celle-ci est très intéressante d’un point de vue culturel, pour ce qu’elle dit d’une époque et d’un théâtre que l’on réduit trop souvent à la seule figure de Shakespeare et pour ce qu’elle montre de l’éclosion et de la maturation d’un mythe.
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Tamerlan le Grand

Une pièce démesurée sur une personnalité démesurée, le petit berger devenu conquérant du monde a été un énorme succès pour le jeune Marlowe de 23 ans en 1587, lorsque l'Angleterre élisabéthaine était au bord de la guerre avec l'Espagne.

Il n'est pas surprenant qu'on voit rarement cette pièce. Une pièce de 10 actes! Il y a de quoi s'épuiser dans ce récit d'atrocités barbares et d'ambition colonisatrice. Il est indéniable que cet homme, qui, au cours de ses avancées à travers le monde, aurait massacré 5% de la population mondiale, est considéré comme une sorte de héros imparfait par Marlowe...maintenant, bien sûr, on le jugerait pour crimes de guerre.

Dirigeants et princes bouffons et suffisants, sûrs de leurs droits, ne réalisent pas la menace que présente Tamerlan jusqu'à ce qu'il soit trop tard et que son ascension soit assurée.

Ce n'est pas une pièce facile à aimer. Le jeune Marlowe était doué pour la poésie et le balayage épique, mais dans Tamerlan il privilégie plus l'éclat de l'apparence que l'acuité et la profondeur psychologiques.

Il faudra attendre un peu avant que le théâtre élisabéthain ne crée des personnages dotés de la vie intérieure que leur donne Shakespeare.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

De fait tout est passé en revue de façon très correctement et avisée

Marlowe en son temps encore maintenant " Tout Puissant " écrivain novateur précurseur de ce qui fut décrié des la plus haute Antiquité

O tempora o mores

Les mêmes constatations les mêmes demandes de réponses

L'écrivain qui interpelle en en appelant à nos propres ressources à bien y réfléchir sinon y apporter déjà les réponses



Le mythe BIEN MAL.

LES éléments religiosite OU RELIGION.

les chances de se remettre en avant celles de notre salut

Époque contemporaine revisitée

En pertes de repères et prête à tout pour y parvenir à ses fins de réussite acharnée

Mais à quel prix

Intéressant hautement
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

La légende de Faust aurait eu sa source dans la vie d’un certain Georg Faustus (1466-1539), diplômé de l’université d’Heildelberg, médecin, astrologue, il s’adonne à la magie noire, bénéficie de soutien de gens haut placés. Il mène une vie errante.



Diverses chroniques paraissent en Allemagne, évoquant ce personnage devenu à demi légendaire. En 1587 paraît le Faustbuch, un petit livre intitulé Histoire du docteur Faust, très célèbre magicien et nécromant. Il s’agit de mettre en garde les chrétiens, les inviter à se méfier du diable et de la magie, le Faust de ce livre n’a plus rien à voir avec son modèle historique.



En 1588 paraît le Faustbook, la version anglaise de Faust, l’auteur du texte demeure incertain, c’est la première traduction du texte allemand dans une autre langue. Il s’agit d’une traduction à la mode de l’époque, c'est-à-dire d’une adaptation très libre de l’original, avec des ajouts et des coupures.



La pièce de Marlowe est datée selon les sources soit de 1589, soit de 1592 ou 1593, certains la considèrent comme sa dernière pièce. Si la pièce est donnée à plusieurs reprises après la mort de l’auteur, ce n’est qu’en 1604 qu’elle paraît pour la première fois en volume (texte A). En 1616 paraît un texte significativement différent appelé texte B, il est plus long que l’autre, même si le texte A contient quelques passages absents du texte B.

Dans le texte de l’édition bilingue de GF que j’ai lu, le traducteur a choisi de présenter un mélange des deux textes, en essayant de donner la version la plus complète de la pièce.



L’histoire de Faust est suffisamment connue pour ne pas nécessiter de résumé très long ; le très savant docteur Faust a la sensation d’avoir fait le tour des connaissances accessibles à un homme, et décide de se consacrer à la magie noire. Il invoque le Diable et lui vend son âme pour en faire son serviteur, et obtenir la toute puissance pendant 24 ans. Il profite de ses pouvoirs pendant le laps du temps qui lui est imparti, devient l’ami des puissants, ridiculise qui lui déplaît, mais parvenu à la fin des années imparties, il n’a plus qu’à attendre dans l’angoisse la venue du démon venu réclamer son dû.



Faust choisi en quelque sorte de ne pas sauver son âme, de ne pas se repentir.



C’est un texte très étrange, très composite. Il y a, avant les actes et à la fin de la pièce, l’intervention d’un chœur, comme dans le théâtre antique. Les références à l’Antiquité, en particulier mythologique sont d’ailleurs très nombreuses dans la pièce. Le moyen-âge aussi est très présent, les moments de farce, très nombreux, font penser aux farces du moyen-âge. La thématique de l’homme qui se damne, en particulier en ayant vendu son âme au diable, est aussi une thématique du moyen-âge, il s’agissait de mise en garde, et aussi d’une démonstration de la toute puissance divine, qui peut sauver une âme repentante, quelque soit ses pêchés, comme par exemple dans Le miracle Théophile, ou la Vierge, sauve le pêcheur qui a pourtant signé un pacte avec le démon, pacte déchiré par la Vierge, qui démontre ainsi sa supériorité sur le diable.

Mais ce qui appartient à la Renaissance, c’est la remise en cause du désir d’être sauvé, Marlowe a été accusé d’athéisme, et son personnage semble savoir que s’il acceptait de se repentir, il pourrait échapper à son funeste destin. Mais d’une certaine façon, il préfère garder son orgueil, ne pas s’humilier à demande pardon, et rester lui-même quitte à payer le prix fort. En fait il ne regrette pas ce qu’il a fait, mais juste que les bonnes choses, la puissance, et la satisfaction de tous ses désirs doivent s’arrêter. Il voudrait en fait pouvoir signer un deuxième pacte diabolique.



Pièce étranges, troublante, mais j’ai été gênée par le parti pris du traducteur de donner un texte exhaustif, très long. Les intermèdes comiques, qui pour certains impliquent d’autres protagonistes, ne sont pas forcement passionnants, et un peu répétitifs. Sans doute ils étaient appréciés sur scène de leur temps, mais de nos jours en lecture, ne sont pas d’un très grand intérêt. Il semblerait qu’ils ne soient en plus pas forcement tous de Marlowe. Une version plus resserrée serait à mon sens plus intéressante.

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Edouard II

Edward II, roi d'Angleterre au XIVe siècle, s'est entiché d'un "mignon" , le Français Piers (Pierre) de Gaveston et, à la mort de son père qui l'avait exilé, le rappelle auprès de lui.

Il lui donne toute une série de titres et lui passe toutes ses fantaisies, notamment de faire emprisonner l'évêque qui l'a fait exiler. Les barons et nobles, dont Mortimer le Jeune, s'opposent au roi contre Gaveston. Il le force à le renvoyer en exil sous peine de destitution. le roi, effondré, se refuse à la reine Isabelle tant que Gaveston reste en exil. Mais les barons, sous l'impulsion de Mortimer le Jeune, rappellent Gaveston pour le tuer. le bonheur du roi et de son amant est de courte durée.

La reine Isabelle, qui s'est rapprochée de Mortimer le Jeune, part chercher de l'aide en France avec son fils, le futur Edward III, pour finir le règne d'Edward II. Le futur jeune roi fait promettre à sa mère de ne pas tuer son père mais une lettre en latin mal ponctuée, ruse de Mortimer, sème la confusion sur l'homme des basses oeuvres, Matrevis qui finalement décide tout seul de son interprétation funeste. le roi est enfermé à Killingworth et subit les pires traitements.

La lettre tombant entre les mains du jeune Edward III fournit à celui-ci les preuves et les instigateurs du meurtre de son père. Il se venge sans tarder.

Ecrite un an avant, on ne peut que remarquer tous les points communs de cette pièce avec le Richard II de Shakespeare.

D'abord cette obsession du titre de "roi de droit divin", le roi étant déposé, tous ses droits sont bafoués. Comme Bolingbroke (le futur Henry IV), Gaveston est exilé en Irlande, même si la pièce finit mieux pour Bolingbroke.

Le dénouement est peut-être amené avec moins de subtilité et de mesure que chez Shakespeare. Une fois le complot découvert, tout s'enchaîne alors que la pièce possède des longueurs, des langueurs, des atermoiements. L'avènement d'Edward III est synonyme d'action rapide. Peut-être était-ce une volonté de l'auteur d'en faire sentir la différence.

La fin d'Edward II est sordide et le film de Derek Jarman (1991) possède en ce sens une ambiance étrange, presque minimaliste dans le décor.

Comme Richard II encore, Edward II est l'histoire d'un homme dépouillé de son pouvoir, de ses besoins vitaux, de sa vie.

Cette pièce de Marlowe -qui, on le rappelle, en a écrit peu, étant donné sa mort prématurée, assassiné d'un coup de poignard à l'oeil dans une taverne- est très sombre, proche de la tragédie grecque et presque prémonitoire de la fin de son auteur qui était, lui aussi attiré par les hommes.

Ce ne fut pas facile à lire, surtout en version originale.

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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

Le théâtre élisabéthain est un pan du théâtre européen méconnu en France mais dont la richesse et le foisonnement artistique dans la Renaissance anglaise a été déterminant dans l'histoire culturelle de l'île. Shakesepeare est celui qu'on connait le plus pour des raisons évidentes tant ses pièces sont aujourd'hui au répertoire mondial mais il ne fut pas le seul à briller sur la scène de Londres : d'autres dramaturges ont dont certains sont bien connus dans la littérature anglaise comme Ben Johnson, Thomas Kyd où George Peele. L'un d'eux a cependant marqué les esprits pour ses thèmes incendiaires, sa personnalité turbulente, les mystères l'entourant et les mythes qu'il a crée, un auteur légendaire de l'ère élisabethaine qui a influencé le jeune Shakespeare dont il fut le modèle : Christopher dit Kit Marlowe. Ce tragédien hors normes, au mode de vie iconoclaste (il fume le tabac, rit du dogme religieux et s'éprend de jeunes hommes dont il ne cache pas son attirance sexuelle auprès de ses collègues), arrêté un temps pour blasphème avant d'être relâché pour y mourir peu de temps après, poignardé à l'oeil, au cours d'une bagarre entre ivrognes dans une taverne miteuse à peine trente ans, n'a écrit que six pièces toutes flamboyantes toutes incarnés par des personnages dantesques et qui pourfendent sans pitié sur les vices humains, la religion et l'ambition demesurée qui habite tout homme quand il veut assouvir des désirs, qu'ils soient d'argent, de savoir où de reconnaissance, et pouvant le mener au désastre. La Tragédie du Docteur Faust est la plus important car elle n'est pas seulement son parangon de ses talents, elle a fondé un des mythes européens les plus connus qui a inspiré et continue d'inspirer des générations d'artistes, le mythe de Faust, de celui qui pactise avec le diable pour assouvir sa quête de savoir.

Inutile par conséquent de résumer le synopsis de la pièce montée en scène en 158 vous en conviendrez. Christopher Marlowe se base sur la vie d'un réel personnage ayant existé, Joann Georg Faust, un érudit allemand pratiquant l'alchimie, à l'existence brumeuse dont la mort soudaine donna lieu à des légendes sur un lien avec le diable. L'artiste a bien compris tout le potentiel créatif de ces conjectures autour d'un sulfureux occultiste. Il jette dans cette pièce tous les éléments capitaux d'un futur mythe qui lui seront définitivement associés : Mephistopheles, la quête du savoir, le pacte diabolique et la damnation. Mais la pièce n'est pas seulement que le destin tragique d'un assoiffé de toutes les connaissances de l'univers voulant dépasser ses capacités humaines, c'est avant tout un récit de son temps mais aux thèmes furieusement actuels.

Docteur Faust est l'homme du Moyen-Age s'embarquant dans une Renaissance incertaine, qui veut explorer plus que les limites de la scholastique et des conventions médiévales en homme moderne (de la Renaissance). Avec l'aide de Mephistopheles, il rejette la Théologie et tente de connaître des arts tenus interdits par la société. Il étrille l'hypocrisie religieuse en se moquant du pape et des sainte spreceptes et n'a de cure des limites entre la vie et la mort en invoquant des esprits décédés. Mais Faust oublie qu'à aller trop loin, on ne peut que tomber. Ses recherches 'scientistes' ne font que de l'emmener bas : nous sommes proche de la maxime de Rabelais quelques années plus tard, Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.

Malgré l'avénement d'une époque qui arrache les oripeaux d'une religiosité traditionnelle, la peur du diable est là et empreigne la pièce, avec Mephistopheles autre personnage phare. Dans sa toute première apparition dans notre mémoire d'imaginaire, il est un joyeux luron qui se met au service du docteur pour ses besoins mais qui l'avertit constamment des risques qu'il court et regrette d'avoir été chassé du ciel pour avoir suivi Lucifer. Il est la mauvaise conscience qui susurre à l'âme humaine de plonger dans ses penchants humains au mépris des règles et de la morale. Cette personnalité ambigue fait qu'il est loin d'être un manipulateur opportuniste sadique vêtu de rouge comme il surgira par la suite dans d'autres fictions " faustiennes' . Le surnaturel accompagne le singulier duo avec des scènes frappantes : ainsi la ronde des sept pêchés capitaux qui se matérialisent devant le Docteur Faust et surtout le plus fameux des passages de la pièce, l'apparition d'Hélène de Troie, la beauté de l'Antiquité ressucitée et de la poésie en général. Il n'y a pas la belle Marguerite de Goethe mais Hélène la préfigure bien que n'apparaissant qu'une fois et étant un spectre. De toute façon, les femmes sont bien rares dans cette pièce... Et que dire de la fin attendue mais déchirante de la mort de Faust, entraîné dans les flammes de l'Enfer dont les derniers mots clouent avec splendeur le spectacle ?

Quand on connait la vie personnelle de Christopher Marlowe, on ne peut qu'être ébahi de la similitude entre Docteur Faust et Kit, tous deux hommes aspirant à tout savoir sur la vie en général, brûlant les étapes pour y parvenir, n'ayant aucun scrupule à bafouer la moralité et qui décède dans la violence ? Voilà une pièce plus intimiste qu'on ne le croit et que n'importe quel penseur atypique que révulse tout type de crédo ne peut que s'identifier. Mais la pensée de Marlowe est tout aussi ambigue lors du final où l'homme de raison et du savoir implore le ciel de le sauver des flammes... il ne semble pas rejeter Dieu mais plutôt critiquer les institutions , une procédure devenant constante dans un siècle qui connait la Réforme et les conflits entre protestants et catholiques.

Et quelle richesse dans la langue ! Christopher Marlowe ayant été un universitaire et surtout un amoureux de la culture antique, il s'en donne à coeur joie, emploie avec une préciosité époustouflante mais qui ne cache jamais le ton acéré qui vivote dans la pièce. C'est là cependant ce qui peut rébuter ceux qui veulent le lire, il est exigeant et alambiqué mais très beau à lire.

En revanche, on constate les mutilations et changements du texte. Au XVIeme siècle, le texte dramatique pouvait souvent être modifié à loisir par des éditeurs arrivistes ne se souciant guère du droit d'auteur qui ne commence tout juste à balbutier. Les passages farcesques sont d'une faiblesse, qui reflète cependant l'ambivalence du théâtre au temps de la reine Elisabeth alternant le comique à la tragédie.

Goethe, Berlioz, Boulghakov et d'autres ont suivi une voie pavé par Marlowe qui mérite d'être redécouvert en France et lu surtout pour cette pièce mémorable pour ses questionnements qui nous semblent si contemporains sur la morale, la science qui va trop loin, les idéologies religieuses et la volonté de tout connaître au risque d'oublier ses humilités et de ses limites humaines, avec un anti-héros passionnant et d'un compère tout aussi fouilli. Lire la Tragédie du Docteur Faust c'est redécouvrir un mythe et ses aphorismes touchant à l'humain et à la foi.
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Le Docteur Faust (Doctor Faustus)

Marlowe nous livre ici une première trace écrite du mythe du docteur Faust, ancien compte allemand à tradition orale. Le docteur Faust est un érudit allemand ayant étudié médecine, logique, religion et droit, qui trouve la vie beaucoup trop courte pour accumuler les connaissances de l'humanité. Sa frustration, et son avidité pour le savoir le pousse à conclure un pacte avec le diable. Cependant, celui-ci va le rattraper bien vite...

Une belle pièce pour appréhender ce personnage qui sera repris par une multitude d'auteurs...

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Le Juif de Malte

Barabas, riche Juif Maltais, se retrouve soudain spolié de sa fortune par le gouverneur de l'île, afin de payer aux Turcs le tribut qui leur est dû. Révolté par cette injustice, il va mettre en route un engrenage qui se terminera dans un bain de sang.



Le Juif de Malte est une des tragédies les plus drôles de Christopher Marlowe. Le lecteur/spectateur est invité dès le prologue à sympathiser avec Barabas, malgré son nom, et à le soutenir dans sa quête de vengeance, qui s'avère vite tentaculaire.

La force du texte, ainsi que les situations, à la fois macabres et absurdes, confèrent à la pièce une aura grinçante, qui amène tout un chacun à s'interroger sur ce qu'est un paria, et comment celui-ci est amené à endosser le rôle qu'on lui a assigné : par nature, nécessité ou choix ?
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