Citations de Delphine de Vigan (4415)
On est capable d'envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l'espace, d'identifier un criminel à partir d'un cheveu ou d'une minuscule particule de peau, de créer une tomate qui reste trois semaines au réfrigérateur sans prendre une ride, de faire tenir dans une puce microscopique des milliards d'informations. On est capable de laisser mourir des gens dans la rue.
Noël est un mensonge qui réunit les familles autour d'un arbre mort recouvert de lumières, un mensonge tissé de conversations insipides, enfoui sous des kilos de crème au beurre, un mensonge auquel personne ne croit.
« Et puis maman s’est laissée glisser sur la moquette, elle s’est recroquevillée sur le bébé, à genoux, elle pleurait en disant non non non »
L’avalanche d’émoticônes qu’elle recevait chaque fois qu’elle postait une image, les compliments sur ses tenues, sa coiffure, son maquillage comblaient sans doute une faille ou un ennui. Aujourd’hui, les coeurs, les likes, les applaudissements virtuels étaient devenus son moteur, sa raison de vivre: une sorte de retour sur investissement émotionnel et affectif dont elle ne pouvait plus se passer.
anorexique. ça commence comme anorak, mais ça finit en hic. Dix pour cent en meurent à ce qu'il parait. Par inadvertance peut-être. Sans s'en rendre compte.
Pour exister, il fallait cumuler les vues, les likes et les stories
Elle ne veut pas s'asseoir comme les autres au fond de son canapé, le portable greffé au doigt, au poignet, dans la paume, en quête de sensations fortes, à guetter sur son écran le drame, l'attentat et le héros du jour, oubliés dés le lendemain.
Le monde la dépasse et elle n'a aucune prise.Le monde est fou mais elle n'y peut rien.
De certains mots, de certains regards, on ne guéri pas. Malgré le temps passé, malgré la douceur d’autres mots et d’autres regards.
Il pourrait lui expliquer qu'on l'aimera pour ce qu'elle est, et non pas parce qu'elle inspire la peur ou la compassion.
Elle quitta le jeu le lendemain, raccompagnée par un assistant candidat. La production l’avait autorisée à garder la jupe et le dos-nu et lui avait remis, non sans emphase, une palette de maquillage offerte par la marque de cosmétiques qui sponsorisait l’émission.
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Il sent ses muscles se relacher un par un, jambes, bras , doigts de pieds, même son coeur semble ralentirj et ralentir encore. Tout est fluide.
Et puis le froid est entré en elle, inimaginable. Ce froid qui lui disait qu’elle était arrivée au bout et qu’il fallait choisir entre vivre ou mourir.
"Vieillir, c'est apprendre à perdre.
Encaisser, chaque semaine ou presque, un nouveau déficit, une nouvelle altération, un nouveau dommage. Voilà ce que je vois."
Ils croyaient que Big Brother s'incarnerait en une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s'insurger. Mais Big Brother n'avait pas eu besoin de s'imposer.Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le coeur affamé de likes, et chacun avait accepté d'être son propre bourreau. Les frontières de l'intime s'étaient déplacées. Les réseaux censuraient les images de seins ou de fesses. Mais en échange d'un clic, d'un coeur, d'un pouce levé, on montrait ses enfants, sa famille, on racontait sa vie. Chacun était devenu l'administrateur de sa propre exhibition, et celle-ci était devenue un élément indispensable à la réalisation de soi.
L'effroi était entré dans le corps de Mélanie en une fraction de seconde, acide, brûlant, puis s'était répandu dans chacun de ses membres. L'effroi était dans son sang, puissant, bien plus puissant que tout ce qu'elle aurait pu imaginer.
Il était question d'autre chose. (...) Je sentais quelque chose battre ou frémir, au cœur de mon ventre, dans l'air du soir je percevais ton odeur, l'odeur de ta peau. Je regardais tes dents quand tu riais, je racontais pour te voir sourire, étourdie par le désir qui s"étaIit interposé entre nous et nous isolait de la rue.
"[...] la relation à l'autre ne m'intéresse qu'à partir d'un certain degré d'intimité."
Nous sommes des enfants du silence, c'est la faim qui nous dévore, et le rêve aussi.
Parfois il faut assumer le vide laissé par la perte. Renoncer à faire diversion. Accepter qu'il n'y a plus rien à dire. P142
Au début du mois de mai, L. m'a proposé d'aller a cinéma. Quelque temps plus tôt, je lui avais raconté combien j'aimais voir des films en plein après-midi, ce plaisir d'étudiante que je retrouvais depuis que j'avais quitté l'entreprise et le sentiment de j'éprouvais à m'asseoir dans le noir pendant deux heures, loin de ma table de travail. J'aimais aller au cinéma avec d'autres gens et parler du film juste après après I'avoir vu, dans ce moment un peu flottant, parfois ému, qui suit la projection, mais j'aimais aussi y aller seule, pour que rien n'altère ces premières impressions, rien ne perturbe cette possibilité d'offrir son corps en résonance, quand les lumières viennent de se rallumer et défile le générique, être seule pour que ce moment que s'étire, se prolonge, rester assise dans l'atmosphère du film, en absorber entièrement l'humeur.