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Citations de Didier Fassin (112)


Le thème des "zones de non-droit" que la police n'oserait plus pénétrer et où il s'agirait de reprendre pied est, à de rares exceptions près, bien moins une description de la réalité qu'une formule de ralliement s'appuyant sur un imaginaire à la fois de danger et de reconquête : le danger magnifiant le courage de ceux qui l'affrontent et la reconquête justifiant l'intervention pour la mener à bien. Dans la circonscription où j'ai conduit ma recherche, la police allait sans problème partout où elle voulait - et du reste bien plus souvent dans les cités réputées difficiles qu'ailleurs -, mais le discours des "quartiers" qu'il ne fallait pas abandonner aux "voyous" n'en continuait pas moins de circuler comme si la défense des "territoires de la République" pouvait servir d'argumenteraire pour "pacifier" les quartiers.
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Dans les familles d'origine immigrée, les parents enseignent souvent très tôt à leurs enfants que leur couleur de peau les exposera à de fréquentes interactions avec la police et qu'il faudra surtout ne jamais protester, quelle que soit la manière dont ils seront traités.
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L'illusion punitive contemporaine réside dans le décalage entre l'idéal de peine juste qu'on affirme et la réalité de l'inégale distribution des peines qu'on refuse de voir. (p. 148)
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Pour les policiers, la jouissance de l'intimidation, de l'humiliation, de la violence verbale et physique est patente, comme elle l'est dans de nombreux cas que j'ai pu observer où, à la relation de pouvoir, s'ajoutent l'inégalité sociale et la distance ethnoraciale.
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Contrairement à ce qu'on avait donc pu penser, le spectacle du châtiment et de sa cruauté, qui rassemblait autrefois le peuple sur les places où avaient lieu les supplices et les exécutions, n'a pas disparu : il s'est transporté sur les écrans. Assurément, il s'est adapté aux exigences des sensibilités contemporaines : il s'est adouci ; il ne met plus en jeu le corps, mais la dignité ; il ne montre plus une agonie physique, mais une mort sociale.
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Le covid était là, imprévu, soudain. Le changement climatique est, lui, attendu, progressif. Ses effets les plus graves sont différés. On n'envisage pas de mettre en œuvre à son sujet des mesures d'exception. Cette pusillanimité tient au fait que les choix qu'il suppose et les sacrifices qu'il impose sont bien plus audacieux que ne l'étaient un confinement de quelques mois.
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De sanitaire, la crise est devenue celle de la politique sanitaire, impliquant la critique des choix faits de longue date en matière de délocalisation de la production des biens communs, de réduction des dépenses relatives aux soins, de fermeture de lits d'hôpitaux et de délaissement de la santé publique.
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Significativement, Koselleck voit dans Kant un dangereux penseur qui a ouvert la boîte de Pandore et participe de ce qui a conduit à ce qu'il nomme une "hypocrisie révolutionnaire", tandis que Foucault en fait un philosophe émancipateur qui non seulement a aidé ses contemporains à sortir de leur "état de tutelle", selon la formule kantienne, mais les a également invités à se reconnaître comme sujets de leur histoire. Aussi différentes que soient ces deux lectures, l'une comme l'autre associent la crise et la critique à la modernité, et même plus précisément à la modernité occidentale. Pour Koselleck, la crise marque une rupture dans l'écoulement du temps : elle est la signature de la modernité. Pour Foucault, la critique est un nouveau mode de relation au présent et à soi : elle est une attitude qui définit la modernité.
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Distinguer théories du complot et complots semble donc simple en première analyse : les premières sont imaginaires, les seconds sont réels. La distinction devient cependant plus complexe lorsque les accusations de complotisme se font de manière réciproque.
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La France traverse la période la plus répressive de son histoire récente en temps de paix. Si l'on fait exception, en effet, des années qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, jamais autant d'hommes et de femmes n'y ont été emprisonnés. [...] Cette évolution n'est cependant pas due, comme on serait tenté de le croire, à une augmentation de la criminalité. Bien que les statistiques en la matière soient difficiles à interpréter [...], les éléments dont on dispose confirment, sur le dernier demi-siècle, un recul presque continu des formes les plus préoccupantes de criminalité, à commencer par les homicides et les expressions les plus graves de la violence. (p. 9-10)
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La loi [sert] moins à appliquer le droit qu'à rappeler chacun à l'ordre social. Probablement faut-il penser l'efficacité du travail de la police dans les quartiers défavorisés en d'autres termes que ceux habituellement retenus, c'est-à-dire la réduction de la délinquance et de la criminalité. Les patrouilles exercent une forme de pression sur les populations vues comme les plus menaçantes par leur simple présence, à savoir les jeunes de milieu populaire appartenant le plus souvent à des minorités, indépendamment de tout danger objectif. L'enjeu n'est donc pas tant l'ordre public qu'il s'agirait de protéger que l'ordre social qu'il s'agit de maintenir.
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La conviction des magistrats qu'ils jugent en toute indépendance et de manière équitable doit être considérée à la lumière d'une pratique judiciaire de plus en plus sévère sous la pression du politique et de l'opinion qui en attendent moins la justice qu'une distribution socialement différenciée des peines.
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En fait les jeunes, quand j'arrive, ils courent, mais ils ne savent même pas pourquoi. On les rattrape et on les amène, et on découvre alors qu'ils n'ont strictement RIEN FAIT.
On leur dit : Mais pourquoi t'as couru ? Vous n'avez pas idée ! Ça doit être un réflexe pavlovien.
C'est peut-être le même réflexe qui fait courir les policiers pour les poursuivre.
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Incipit:
"La France traverse la période la plus répressive de son histoire récente en temps de paix."
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Nommer la crise, c'est ainsi souvent s'exposer au risque de se priver de la penser.
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Enquête dans laquelle chaque passage d'exilé contournant le col de Montgenèvre dans l'espoir d'atteindre Briançon m'évoque celui, tragique, il y a quatre-vingt-trois ans, de Walter Benjamin sous le Puig de Querroig, dans les Pyrénées, pour rallier Port-Bou.
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Selon le vœu de Marc Bloch, la publication s'est ainsi faite dans une France libre. L'une des épigraphes qu'il avait imaginées était, de Lamennais, "Pour vivre, il faut savoir dire : Mourons".
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[chapitre "Migrations" (François Héran)]

La question posée – « Faut-il ouvrir les frontières ? » – est lourde de présupposés. L’usage absolu de l’expression en dit long : nul besoin de préciser s’il faut ouvrir les frontières aux marchandises, aux capitaux, aux armées, aux touristes ou aux migrants, chacun comprend d’emblée que seuls ces derniers sont concernés, eux seuls font problème. Il n’en a pas toujours été ainsi : jusqu’au milieu des années 1970, par exemple, les Français étaient davantage préoccupés par le contrôle des changes que par le contrôle des migrations. Le mot « intégration » jouit du même privilège : employé absolument, il cible l’intégration des immigrés, comme dans l’intitulé du Haut Conseil à l’intégration (HCI), qui a fonctionné en France de 1989 à 2012. Ce consensus tacite en dit long sur la place prise par le contrôle de l’immigration dans le débat public et la doxa en général.

Second présupposé, se demander s’il faut ouvrir les frontières, c’est tenir pour acquis que leur état naturel et premier est d’être fermées : c’est l’ouverture qu’il faut argumenter. La fermeture étant la doxa, l’ouverture est paradoxale. Les esprits forts ne cessent de dénoncer la tyrannie du « politiquement correct » mais, en l’occurrence, c’est le plaidoyer pour l’ouverture des frontières qui nage à contre-courant, c’est lui qui est « politiquement incorrect ». Vouloir fermer les frontières, à l’inverse, est devenu le comble de la bien-pensance.

Les congrès de démographie ayant pratiqué ces débats dichologiques pendant une décennie, on peut en tirer quelques observations. D’abord, les deux files pour et contre tendent à s’équilibrer, par un phénomène d’ajustement qu’on observe aussi en sociologie électorale. Ensuite, rares sont les orateurs qui parviennent à sortir du cadre. Certains tentent de doser le pour et le contre mais peinent à développer leurs arguments dans le temps imparti. Dans ce genre de débat bien cadré, l’ordre règne. Le monde de la recherche, s’il n’y prend garde, a tôt fait d’adopter les méthodes des médias, comme ces débats télévisés qui confrontent deux protagonistes en accordant à l’improvisation d’un polémiste le même poids qu’à une recherche collective de longue haleine.

Par moments, cependant, les congressistes étaient interpellés par les interventions d’orateurs bien préparés. Douglas Massey, le grand spécialiste des migrations mexicaines aux États-Unis, intervint un jour dans ce cadre pour rappeler que le contrôle accru des entrées avait eu pour effet de grossir le nombre des travailleurs clandestins installés aux États-Unis au lieu de le réduire, puisqu’une fois entrés sur le territoire américain, ils n’osaient plus le quitter de peur de ne pouvoir revenir. On croyait « fermer le robinet », on finissait par « refermer la nasse ». Dans le langage cru des démographes, le contrôle des « flux » avait pour effet paradoxal de gonfler les « stocks ». Massey combinait ainsi l’argument ad personam (partir des prémisses d’autrui pour arriver à une autre conclusion) avec l’argument de l’effet pervers (soutenir que l’action envisagée produit l’inverse du résultat escompté). Pour exposer en une minute un raisonnement aussi élaboré, il faut maîtriser l’art de condenser ses arguments dans des images éloquentes sans les réduire à des clichés, quitte à renvoyer le détail de la démonstration à d’autres exposés.
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la prison française tue physiquement et la prison états-unienne tue socialement. Plus exactement, on meurt plus dans les établissements pénitentiaires français, mais on perd plus sa vie dans leurs équivalents états-uniens.
[...]
Il y a, d'une part, la mort physique, la plus évidente, dont le suicide représente une modalité singulière, et, d'autre part, une mort sociale, moins visible, que réalisent les formes extrêmes de l'enfermement par la durée ou par les conditions.
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Les couloirs de la mort mènent moins souvent à une mort effective par exécution qu'ils ne réalisent, au quotidien, la cruelle expérience d'une mort en sursis.
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