Un essai reçu dans le cadre d'une masse critique Babelio (merci !), lu entre deux ou trois romans.
Pas gai, pas très poétique ni amusant ou divertissant : normal, la chère Lucette, c'est un essai.
En réalité, il s'agit ici un ensemble de conférences issues d'un colloque tenu au
Collège de France en juin 2021 sur un thème aride : Comment traite-t-on les vies ? Que fait-on des morts ?
Mais c'est négliger que le genre peut être bien passionnant.
Et comme à la fin d'un bon roman de Jon Kalman Stefanson, on se trouve à trimballer encore des morts.
Morts au travail, morts sur la route de l'exil, morts en prison.
Des réalités qui se télescopent : si des enfants pauvres souffrent aujourd'hui de saturnisme c'est parce que, avant eux , des hommes et des femmes ont travaillé les peintures au plomb.
Des corps invisibles.
Un scandale, un crime « conventionnel », selon l'expression propre au sociologue
Howard Becker » qui évoque les crimes identifiés comme tels mais qui ne font pas l'objet d'une stigmatisation ou d'une punition.
Et nous suit le cortège des mineurs, des potiers, ds tailleurs, des fabricantes d'allumettes, des enfants battus aux squelettes déformés, des esclaves.
Après les ouvriers, prenons la route de l'exil. Ici nous sommes à la frontière italienne parmi les vivants que l'on ne veut pas voir, les morts (20000 personnes disparues en Méditerranée depuis 2014), les disparus (18 000 enfants non accompagnés dont on a perdu la trace), et les morts vivants…
Ou quand la logique de la fraternité s'oppose à la raison d'Etat… Choisis ton camp, camarade. Deux logiques qui ressortent du traitement des vies.
Avec toute la folie de ce système : ici, on les empêche d'entrer. Quand à Calais, on les empêche de sortir. L'Etat affirme sa souveraineté, moyennant un coût énorme, mais les passages demeurent et demeureront toujours. Ainsi qu'il en est depuis toujours.
Ces morts, sans doute nous faut-il aussi les porter, les inscrire dans une histoire et une humanité retrouvée. Comme Mamadou portant et évoquant le Fantôme du Petit
Passés les chemins de l'exil, il faut entrer en prison. Là où le choc carcéral est trop souvent un choc suicidaire.
Et à la fin c'est « faire savoir le pire » mais aussi « faire savoir le meilleur, l'abondance des actes d'hospitalité privée, par exemple ».
C'est passer « d'un moment de sidération à un mouvement de considération (…) c'est-à-dire d'observation, de prévenance,
d'estime ».
Car « cette conviction d'une égalité des vies porte une charge assez explosive. Si elle était partagée, si elle était réellement éprouvée et tenue pour l'essentiel, ce serait une émotion vertigineuse pour notre ordre social « .