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Citations de Drago Jancar (99)


Elle regardait toujours le plafond.
Elle ne savait pas quand elle s'était habillée et quand elle était partie. Elle se souvenait de cette chambre de garçon, de la raquette de tennis sur le mur, de la canne à pêche derrière l'armoire, de la serviette pliée qui l'attendait dans la salle de bains, elle se souvenait de la manière dont elle avait grimpé l'escalier, dont elle avait lu les noms sur les plaques de laiton, de l'odeur de l'escalier fraîchement repeint, des barques aux Trois Pêcheurs qui se cognaient les unes contre les autres dans une douce ondulation, des frondaisons lourdes et humides qui se penchaient sur elle quand elle marchait dans le parc avant d'entrer, elle se souvenait du manteau de cuir suspendu dans le couloir, en partant, elle avait pris congé sans un mot, elle avait attendu dans l'entrée qu'il ouvrît la porte. Et elle avait entendu quelque chose bouger derrière une porte de l'autre côté de l'appartement, ensuite elle avait distinctement perçu une voix de femme qui disait derrière la porte fermée, dans l'allemand de Maribor : ta visite est déjà partie ? Elle avait eu l'impression que l'homme dans l'entrée avait rougi, mais pourquoi se cache-t'il de se mère, s'était-elle dit, si tant est qu'elle avait pu se dire quelque chose, pourquoi avait-il enlevé toutes ses affaires de la salle de bains, oui, la visite était partie, elle errait dans l'escalier sombre, elle était presque tombée, elle avait marché au hasard dans le parc et les rues humides jusque chez elle, la visite s'était faufilée dans l'appartement de ses parents, elle s'était jetée sur son lit. Elle s'était couvert la tête et c'est seulement à ce moment-là qu'elle s'était mise à hoqueter violemment, mais sans pleurs, sans larme, elle avait violemment hoqueté et gémi dans la couverture qui étouffait ce qui voulait devenir un cri.
Jamais plus, avait-elle murmuré, avec ce lézard, ce reptile, ce prédateur, jamais plus.
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Elle part à Gratz, lui à Ljubljana, il reviendra, il reviendra, les roues du train crissent sur le pont, moi aussi je reviendrai, l'amour triomphe de la distance, l'amour triomphe de tout.
Sauf de la guerre. La guerre triomphe de tout, même de ceux qui se battent. Et de ceux qui attendent que ça passe.
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Et comme c’était un jour long et beau qu’il devait passer dans la chaleur de cette maison et près de cette soupe odorante qui clapotait sur le poêle et après le déjeuner peut-être retourner dans le lit, comme le village, en bas, était baigné par le soleil et que des toits ruisselait l’eau de la neige qui fondait, comme le blé de mars, dans la prairie au pied de la maison, sortait de terre et pointait vers le soleil, comme la nuit où il devait retourner dans le Pohorje était encore loin, il se reversa un autre verre.
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Mais même si c’était la guerre et si les informations toujours plus mauvaises, parfois même terrifiantes se bousculaient, les gens vivaient leur vie de tous les jours. Dès que les sirènes s’arrêtaient de hurler et les bombes de tomber, ils allaient au théâtre et au cinéma où avant chaque film on passait une revue hebdomadaire, Wochenschau, où des militaires en tanks déboulaient toujours plus superbement dans les plaines polonaises et défendaient la frontière occidentale de l’invasion des barbares, d’autres allaient aux expositions à Paris et mangeaient des croissants dans les cafés en compagnie de femmes,.....
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Le voile de l'oubli s'étend lentement sur le passé et sur mes souvenirs . Sur ma tête, il y a ces cheveux gris que je n'avais pas il y a cinq ans. Et quand je me regarde dans le miroir, je sais : ma vie a basculé de l'autre côté, du côté où sont tombés mes camarades, morts dans les marécages d'Ukraine, dans les chemins boueux de forêt, en Slovénie, là où, dans une embuscade, les balles des partisans ont fusé, fracassant les vitres des voitures et les visages, dans les plaines de Lombardie que nous avons traversées en quarante-cinq pour nous retirer vers les Alpes. Alors la mort frappait et détruisait avant d'aller guetter ailleurs. Cependant je ne la sentais pas comme maintenant, maintenant je sais qu'elle est en moi, dans mon corps qui claudique dans l'appartement et pendant les promenades matinales dans le parc où les oiseaux chantent très tôt le matin, où les insectes d'août bourdonnent quand je reviens, et ensuite dans la rue où les mains persévérantes des jeunes gens remplacent les briques et les poutres, murent des fenêtres et des portes, où on entend aussi des rires, des cris d'encouragement. Partout la vie renaît, mais en moi c'est la mort qui est installée, j'ai vu tant de gens mourir que maintenant je ne peux plus me réjouir de cet été où tout recommence, la mort, tel un rat, a fait son trou dans mon esprit et rien ne peut l'empêcher de se souvenir de la guerre, des années de service dans la Wehrmacht, de tout. Et qui me réveille au milieu de la nuit et me fait savoir qu'à chaque souffle, à chaque pas claudiquant de la salle de bains au lit, j'avance vers son néant. La mort, je ne l'ai pas connue quand elle était tout près de moi dans ces lointaines contrées, maintenant je la vois partout, dans les feuilles mortes pendant ma promenade matinale, dans les yeux d'un vieux chien qui se traîne derrière son maître.
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Et quand dans la librairie à moitié vide où on attend encore quelques visiteurs pour commencer, elle prendra sur une étagère un recueil de poèmes de Byron, traduits en slovène, et le feuillettera, ses yeux s'arrêteront sur deux vers :

Ainsi nous n'irons plus vagabonder
Si tard la nuit ...

Elle s'assiéra à une petite table du club et lira le poème. Pour la première fois peut-être après toutes ces années de prostration, les larmes jailliront de ses yeux. Pour la première fois peut-être elle pensera qu'elle pourrait lui envoyer à Ljubljana, comme elle le faisait autrefois de Graz, ce qu'elle venait de lire :

Car l'épée use le fourreau
Et l'âme épuise le coeur,
Et le coeur doit faire halte pour souffler
Et l'amour aussi a besoin de repos (1).

1. Lord Byron, d'après la traduction de J.P. Richard et P. Bensimon.
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Dans la prison de Maribor.

Johann était un charpentier et il avait des bras costauds. Il s’attaquait à son travail sanglant avec une sorte de zèle joyeux. Mais le nerf de bœuf n’était qu’une entrée en matière pour les plus obstinés, il y avait encore d’autres méthodes, plus complexes mais aussi plus efficaces. Pour l’arrachement des ongles, Ludwig regardait habituellement par la fenêtre, dans la cour.

p. 73
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Ce ne sont pas les choses qu'on a faites qui nous accompagnent mais celles qu'on a pas faites. Qu'on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu'on a pas faites.
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De temps à autre, des lettres qui donnaient du mal au postier de Poselje, car l'adresse était en cyrillique, troublaient la vie tranquille de Podgorsko. Véronika ne les ouvrait pas. Mais ses mains tremblaient quand on les lui remettait. Ensuite, elles restaient sur la petite armoire du salon jusqu'à ce que Jozi les jette. Je comprenais qu'elle ne pouvait pas ouvrir les lettres de Stevo. Quand un jour on coupe, on coupe avec tout. Mais je savais que ça n'était pas facile pour elle. Elle l'aimait toujours. Peut-être craignait-elle qu'en un instant tout lui revienne si elle ouvrait une de ces lettres, peut-être avait-elle peur de se retrouver soudain dans une gare.

Page 83 - (Toujours un quai de gare! Que d'images projetons-nous dans une gare!)
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La vie continue, certains restent derrière.
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il y eut du tapage dans le couloir, quelqu'un ouvrit le judas de sa cellule. Valentin bondit du châlit et se tint au garde-à-vous. La lumière l'aveugla, on avait éclairé de l'extérieur, l'ampoule située haut sous le plafond avait été allumée par un interrupteur situé dans le couloir. Il vit des yeux qui l'observaient. Il se mit à trembler de tout son corps. Maintenant ils vont le faire monter et l'interrogatoire va recommencer. ils lui montreront des photos d'hommes et de femmes inconnus. Tu connais celle-là? Tu connais celui-là? Il secouera la tête, il ne connaît personne. Il en avait reconnu un, Polde, sur la photo il était plus jeune, rasé, en costume cravate. Là-haut dans le Pohorje, il avait une moustache, il était en uniforme de l'armée yougoslave, il l'avait reconnu mais il avait nié sans sourciller. Il avait secoué la tête en attendant les coups. Johann allait venir, manches retroussées et nerf de boeuf à la main. Avec ses bras musclés, aux tendons marqués, des bras puissants. Il regarda le sol et attendit que la porte s'ouvrît. Il sentit ses genoux trembler, ses jambes fléchir, combien de temps tiendrait-il encore? Mais le judas se referma, la lumière s'éteignit et il entendit les pas qui s'éloignaient dans le couloir. Ce n'était pas Johann. Peut-être le gardien? Ce n'était pas non plus le gardien, depuis que Valentin était en cellule, son ouïe, l'ouïe des animaux terrorisés, connaissait tous les pas qui s'approchaient.
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Quand je suis seul, parfois j'ouvre un livre, je me verse un verre de vin et je m'assois parmi mes camarades qui sont sur le mur, j'écoute les chants de partisans que j'ai enregistrés et ça me fait du bien et du mal en même temps, c'est ce que mon fils ne comprend jamais, que ça me fait du bien et du mal en même temps.
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Maintenant je suis à Palmanova. Je regarde mon visage dans le miroir recollé, une partie de mon visage. Pour mon âge, j'ai eu très tôt les tempes grises. Il me manque une dent devant, ça fait vraiment laid ce trou et mes lèvres coupées autour. C'est un vrai miracle, je n'ai été blessé qu'une fois, juste à la fin, quelque part au-dessus d'Idrija, avant qu'on se replie dans la plaine du Frioul. Avant qu'on se retrouve dans ce camp de prisonniers, nous les combattants d'hier, côte à côte, aujourd'hui seulement prisonniers, grande foule de vingt mille soldats et officiers qui hier encore guerroyaient, mais qui, aujourd'hui, battent le pavé autour des baraques et entre les tentes. Armée vaincue. Armée de débâcle. Armée sans État. Avec la photo de son jeune roi sur le mur de la baraque, du roi qui n'était nulle part quand on se battait pour son royaume et qui, maintenant que son armée est en captivité, se promène avec son chien dans un parc de Londres. Ou boit du thé. Ou écoute à la radio les nouvelles du dernier discours de cet espion russe qui porte le nom bizarre de Tito, de ce caporal autrichien, de ce moujik croate qui a emménagé dans la maison royale de Dedinje. Quand je passe devant la photo du roi, je regarde par terre. Si je le regardais dans les yeux, je devrais lui demander où il était quand, nous, ses soldats, on pataugeait dans la boue et le sang. Son grand-père , son père, tous les deux avaient accompagné leur armée quand il l'avait fallu, emmitouflés dans leur capote en plein hiver balkanique entre les canons et les chevaux. Lui, pendant toute la guerre, s'est baladé dans un parc londonien, encore maintenant il se balade. Je ne peux pas le regarder dans les yeux sans ressentir de la colère, du mépris même. Je préfère regarder par terre, nous les vingt mille hommes qui se sont retrouvés honteux et humiliés à Palmanova. Et la nuit, on regarde les étoiles. Et on ne comprend pas ce qui nous est arrivé à tous.

Pages 24/25
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Ca claqua, une balle atterrit sur la vitre avant, ma balle, se dit Valentin, j'ai fait mouche, le chauffeur s'affaissa sur son siège, les balles clappèrent sur la bâche et la déchirèrent, ça claqua de tous les côtés, la mitrailleuse crépita, le camion entra dans le buisson de framboisiers où le lapin avait disparu un peu plus tôt, il se pencha et versa presque, une roue tournait dans le vide, quelques hommes sautèrent du camion, immédiatement criblés de balles, ils se relevèrent sous les arbres et, sous les tirs, descendirent vers la route, ils allaient abattre les derniers qui s'échappaient du camion, ils abattraient aussi les blessés, ils avaient tué le chauffeur qui se traînait hors de sa cabine, son sang avait giclé de sa carotide sur la paroi latérale du camion, on appelle ça une action réussie, une victoire.
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Le vieux le savait, il l"avait observé dans son travail. Il savait que les pires, les plus dangereux, sont ceux qui se bouffent la rate, qui ne parlent à personne et qui soudain explosent. L’agressivité est saine. Elle protège au moins du suicide.
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«J’étais seul et elle était une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage. Quand je l’ai connue, il régnait là-bas un calme miraculeux, les oiseaux chantaient dans les arbres, les abeilles bourdonnaient sur les fleurs de sarrasin. Le pianiste, je crois qu’il s’appelait Vito, jouait Beethoven. Le peintre ronflait, complètement soûl. Je respectais son mari, c’était un homme pondéré toujours impeccablement habillé, lui-aussi d’une certaine façon, je l’aimais, mais c’était sa compagnie à elle que je désirais ardemment. Au fond, elle est le seul souvenir clair, presque lumineux de l’époque de la guerre, vraiment le seul, tout le reste, ce sont des convois militaires, des voyages à travers le continent, l’hôpital et ses blessés gémissants, la dernière année, les otages fusillés en Italie à qui je tâtais le pouls de la vie qui agonisait, touchant à sa fin ou déjà finie.
(...)
«Je ne la touchais plus. Même si j’en avais envie. Elle était intouchable. Attirante, mais intouchable.
C’est ainsi qu’elle est restée dans ma mémoire. Cette nuit, je la vois. Je sens sa présence même si je ne l’ai touchée qu’en lui prenant la main, je la sens comme si elle était ici, maintenant.»

(3ème témoin Horst Hubermayer, médecin allemand reçu au manoir de Podgorsko)
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Mais moi, je suis toujours ici, si c'est toujours bien moi.
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Un après-midi, elle entra dans un monde qui n'était pas le sien. Dans le mien. Je pourrais dire le nôtre, elle entra dans notre monde.
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Drago Jancar
La poésie triomphe de tout. Sauf de la guerre.
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Cioran a mis l'extrait que j'avais l'intention de mettre :-)
donc je mets ce petit extrait, peut-être le moins emblématique de ce magnifique roman, mais...
Donc c'est Stevan Radovanovic qui parle (1er témoignage) :

Veronika m'annonçait qu'elle retournait chez Leo. Elle m'aimait toujours, elle ne regrettait pas ce que nous avions vécu et fait ensemble. « Mais, maintenant, je vois, Stevo, comme nous nous sommes éloignés l'un de l'autre ces derniers temps ».
J’avais l'impression d'être cet alligator qu'ils avaient empaillé. Et je n'avais même pas mordu son mari.
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