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Citations de Drago Jancar (99)


Si son père avait entendu qu'elle avait honte de dormir la bouche ouverte et que selon elle c'était terrible que sa salive ait coulé, il se serait fâché. Il était médecin, il avait vu beaucoup de corps nus, morts et vivants. On porte en nous tout ça, le sang, la salive, la merde, l'urine, notre corps c'est ça, disait-il. Quoi qu'il arrive au corps, maladie, blessure, il n'y a rien dont l'homme doive avoir honte, pour moi chaque malade, même dans les moments les plus laids à sa dignité. Et quand il était particulièrement de bonne humeur, disons le soir devant un verre de vin, il disait que nos corps sont les seuls lieux de nos âmes. avec nos corps et en eux, les âmes voyagent à travers le temps de notre vie, je crois en ça, disait-il, ce qu'il y a ensuite, je ne sais pas. Peut-être qu'elles nagent vraiment dans l'espace, peut-être qu'elles flottent près des fenêtres des vivants. Et nos âmes nous disent qu'on peut parfois avoir honte de nos actions, jamais de nos corps.
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Je tremblais de tout mon corps. Pas à cause de ce que j’avais vu. Mais parce que je n’avais rien dit. J’aurais pu hurler que, bon Dieu, ça n’avait plus de sens. J’étais plus gradé, le lieutenant m’aurait peut-être écouté même si c’était lui qui commandait l’unité et que moi je n’étais que le médecin qui pouvait donner des ordres à l’unité sanitaire, c’est-à-dire à deux vieux infirmiers. Si j’avais hurlé sur lui devant les soldats, ce fou aurait été capable de diriger son pistolet sur moi. J’aurais au moins dû l’appeler à l’écart et lui parler. Pourtant je n’avais rien fait. J’étais épouvanté. C’était juste avant la fin de la guerre, nous savions tous que l’affaire touchait à sa fin, et je n’avais pas voulu ferrailler avec ce jeune homme enragé, dangereux. Lui aussi savait que c’était fini, c’est pourquoi les coups de feu de l’embuscade l’avaient jeté dans une telle fureur, il s’était senti vaincu et humilié parce que, maintenant il devait se retirer du pays, on tuait ses soldats. Et même s’il n’y avait eu qu’un seul blessé au cul, il aurait pu tout aussi bien être touché à la tête. En fait ils ne savaient pas tirer. Les soldats sautèrent dans leur camion, les moteurs continuaient de vrombir, on ne les avait pas éteints, on s’était seulement arrêtés, on avait tué quelques personnes et on continuait notre route. J’aurais dû faire quelque chose, au moins montrer clairement mon désaccord. Mais je n’avais rien fait. Je me réveille souvent à cause de cet incident. Ce ne sont pas les choses qu’on a faites qui nous accompagnent, mais celles qu’on n’a pas faites. Qu’on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu’on n’a pas faites.
Par la vitre, j’ai regardé le jeune lieutenant, il se lavait les mains sous l’eau qu’un soldat versait d’un bidon. Certainement qu’à ce moment-là, il n’a pas pensé que, juste avant la fin, il venait de se mettre sur la conscience le meurtre de cinq vieillards au bord d’une route, dans la plaine du Frioul. Il est possible qu’il y pense aujourd’hui. Comme moi je pense aux choses que je n’ai pas faites. La colonne s’est dirigée vers les sommets enneigés. A travers la vitre arrière, j’ai vu les enfants et les femmes sortir des maisons en courant vers la scène de cette mort insensée.
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La mort, je ne l'ai pas connue quand elle était tout près de moi dans ces lointaines contrées, maintenant je la vois partout, dans les feuilles mortes pendant ma promenade matinale, dans les yeux d'un vieux chien qui se traîne derrière son maître.
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On vit une époque où on ne respecte que les gens, vivants ou morts, qui étaient prêts à se battre, même à se sacrifier pour les idées qu'ils ont en partage. C'est ce que pensent les vainqueurs et les vaincus. Personne n'apprécie les gens qui ne voulaient que vivre. Qui aimaient les autres, la nature, les animaux, le monde, et se sentaient bien avec tout ça. C'est trop peu pour notre époque. Et même si moi, je peux me compter parmi ceux qui, bien que vaincus, ont combattus, au fond, moi je voulais seulement vivre. Que cela ait un sens m'a été révélé par cette femme, curieuse, joyeuse, ouverte à tout et un peu triste que j'ai rencontrée dans un pays lointain qui m'est proche. Veronika. Elle voulait seulement vivre en accord avec elle-même, elle voulait se comprendre et comprendre les gens autour d'elle.
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« Fuyons, dans le plaisir ivre plongeons, / pour qu’un jour nous ne regrettions pas un jour un jour / et chantons, en allant notre chemin ! / Que pouvons-nous faire, la jeunesse est éphémère ! »
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Il y avait des contradictions en elle, on le voyait aussi à son humeur qui variait comme un temps d’avril, une fois elle était sereine et souriante, une autre fois, triste et surtout absente, elle n’écoutait pas une de mes phrases.
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La discipline était quelque chose de terriblement sérieux. Quand une action était en cours, toute objection équivalait à un sabotage, pratiquement à une désertion. Je ne pouvais rien faire. Dans son regard, il n'y avait pas seulement la peur et l'espoir, il y avait aussi quelque chose qui voulait dire, mais tu es notre Ivan, nous t'aimions bien, je voulais donner quelque chose de beau à Pepca pour votre mariage. Est-ce que tu ne vas rien faire ? Qu'aurais-je pu faire ? Janko aurait peut-être pu l'aider, il était commandant, mais ça ne lui est même pas venu à l'esprit. Et c'est avec lui qu'elle voulait rouler à moto, pas avec moi. Elle aurait conduit, et lui, à l'arrière, aurait ri bruyamment, il l'aurait prise par la taille et lui aurait dit Dieu sait quoi à l'oreille pour la faire rire. Elle l'avait laissé se montrer effronté avec elle, ça lui avait même plu. Elle m'avait demandé comment il s'appelait le soir où, en robe de soie, elle attendait ses invités. Elle faisait à peine attention à moi...
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Entre rêve et éveil arrivent des visions bizarres. Des images de rêve. Chaque jour de nouveaux cadavres, chaque jour d'autres maisons détruites. Les champs brûlent. Les gens errent, les yeux vides, dans des rues vides. Membres arrachés, dans une cave qui sert d'hôpital, trous dans les têtes. Bruit d'explosions lointaines. Lumière au-dessus des montagnes. Qu'est-ce que tout cela ? Une invention du diable qui s'ennuie ?
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La peur fracasse la carapace du monde, la voûte céleste de la sécurité, tous les anges se débandent, la peur déferle dans la pièce, elle avance au milieu du corps, elle s’assoit au sommet de l’estomac, elle s’incruste dans le cœur. Et lorsqu’ils appelaient un nom, la peur creusait un trou dans le cœur et la tête.
Je suis arrivé d’une cellule, se dit-il, j’en suis revenu et sorti et je suis ici comme un galérien en fuite. D’ici aussi je sortirai.
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A l'heure du crépuscule viens
Et à l'heure du crépuscule seulement,
A l'heure du pardon,
Quand le jour marche vers l'éternité,
L'âme rêve de poèmes
Semblable à un poème et à un songe.
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Ne me regarde pas comme ça. Moi, je ne suis pas coupable. Je ne voulais vraiment pas ça. Certaines choses se produisent en dehors de notre volonté. Elles doivent arriver...Il me semble que je ne comprends pas tout ça. Peut-être que ma raison m'abandonne, moi aussi. Ou alors qu'elle m'a abandonné il y a longtemps quand j'ai commencé à collaborer. Peut-être que j'aurais dû dire non. Alors je serais ici comme patient, mais pas comme directeur...
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Des officiers anglais se promènent dans le camp, il paraît qu'on devra passer devant une commission qui déterminera qui a collaboré avec les Allemands et qui a du sang sur les mains. (Elle marche, elle marche...) Quelle connerie, qui n'a pas de sang sur les mains après quatre ans de guerre ? (... la garde du roi Pierre.)
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Pourtant, en Lombardie, chaque fois que le calme régnait, quand les explosions assourdissantes ou les sirènes qui avertissaient de l'arrivée des bombardiers et des avions de chasse se taisaient, son image m'apparaissait. Même sa voix m'accompagnait dans les moments de silence, je l'entendais nettement. J'étais peut-être amoureux d'elle ? Oui, d'une certaine façon. J'étais seul et elle était une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage. Quand je l'ai connue, il régnait là-bas un calme miraculeux, les oiseaux chantaient dans les arbres, les abeilles bourdonnaient sur les fleurs de sarrasin. Le pianiste, je crois qu'il s'appelait Vito, jouait Beethoven. Le peintre ronflait, complètement soûl. Je respectais son mari, c'était un homme pondéré toujours impeccablement habillé, lui aussi d'une certaine façon, je l'aimais, mais c'était sa compagnie à elle que je désirais ardemment. Au fond, elle est le seul souvenir clair, presque lumineux de l'époque de la guerre, vraiment le seul...
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La guerre triomphe de tout, même de ceux qui se battent. Et de ceux qui attendent que ça passe.
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Quand les sirènes se mettent à hurler, une voiture vient chercher son père et l'emmène à l'hôpital car, quand les bombes finissent d'exploser et de tonner, quand le bruit des moteurs d'avion se tait, quand les sirènes cessent de hurler, quand ce bruit descend lentement en grinçant et en toussant presque, on emmène les blessés à l'hôpital et alors son père, le docteur Belak, opère, coupe des jambes, ouvre des ventres, agrafe, coud, il a du sang jusqu'aux coudes.
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Partout la vie renaît, mais en moi c'est la mort qui s'est installée, j'ai vu tant de gens mourir que maintenant, je ne peux plus me réjouir de cet été où tout recommence, la mort, tel un rat, a fait son trou dans mon esprit et rien ne peut l'empêcher de se souvenir de la guerre, des années de service dans la Wehrmacht, de tout.
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Ce matin est différent, je tiens dans mes mains une lettre qui m'a soudain plongé dans l'agitation. Je me méfie de ça, nous les gens qui pendant la guerre avons vécu les choses qu'on a vécues, on se méfie de ça, des souvenirs. Tous les beaux événements de cette époque traînent derrière eux quelque chose de mauvais; il vaut mieux qu'il n'y ait rien, ni bon ni mauvais, il suffit de se promener en boitillant, de lire les journaux, de préparer le repas. Et d'admirer les jeunes gens, surtout les longues files de femmes qui se passent des briques à la chaîne. Des bâtiments sortent des ruines, la vie renaît, ce qui est passé est passé, ce que les coups de feu et les bombes ont enterré est enterré. Même si à cet endroit, il y a quelques mois, il pleuvait des bombes, c'est le passé, et nous tous qui avons pris part à cette malheureuse guerre, demain nous serons des gens du passé. Moi je le suis dès à présent, c'est pourquoi je ne veux pas me rappeler.
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Attirante, mais intouchable. C'est ainsi qu'elle est restée dans ma mémoire. Cette nuit, je la vois. Je sens sa présence même si je ne l'ai touchée qu'en lui prenant la main, je la sens comme si elle était ici, maintenant.
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Sur ma tête, il y a ces cheveux gris que je n'avais pas il y a cinq ans. Et quand je me regarde dans le miroir, je sais : ma vie a basculé de l'autre côté, du côté où sont tombés mes camarades, morts dans les marécages d'Ukraine, dans les chemins boueux de forêt, en Slovénie, là où, dans une embuscade, les balles des partisans ont fusé, fracassant les vitres des voitures et les visages...
Alors la mort frappait et détruisait avant d'aller guetter ailleurs. Cependant je ne la sentais pas comme maintenant, maintenant je sais qu'elle est en moi, dans mon corps qui claudique dans l'appartement et pendant les promenades matinales dans le parc où les oiseaux chantent très tôt le matin, où les insectes d'août bourdonnent quand je reviens, et ensuite dans la rue où les mains persévérantes des jeunes gens remplacent les briques et les poutres, murent des fenêtres et des portes, où on entend aussi des rires, des cris d'encouragement. Partout la vie renaît, mais en moi c'est la mort qui s'est installée, j'ai vu tant de gens mourir que maintenant je ne peux plus me réjouir de cet été où tout recommence, la mort, tel un rat, a fait son trou dans mon esprit et rien ne peut l'empêcher de se souvenir de la guerre, des années de service dans la Wehrmacht, de tout. Et qui me réveille au milieu de la nuit et me fait savoir qu'à chaque souffle, chaque pas claudiquant de la salle de bain au lit, j'avance vers son néant. La mort, je ne l'ai pas connue quand elle était tout près de moi dans ces lointaines contrées, maintenant je la vois partout, dans les feuilles mortes pendant ma promenade matinale, dans les yeux d'un vieux chien qui se traîne derrière son maître.
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Je reçus sa dernière lettre au printemps 38. Il s'est à peine écoulé sept ans depuis qu'elle est partie. Pour moi, c'est comme si c'était hier. Je me souviens de l'appartement vide de Maribor, jamais je ne l'oublierai. Le mobilier était là, elle n'avait rien emporté, excepté ses vêtements et quelques bibelots, mais c'était vide car elle n'y était plus, elle n'était pas là, son rire, sa démarche silencieuse, rien, dans la salle de bains, l'eau gouttait de la douche, elle s'était douchée le matin et elle était partie. Même ces gouttes, je ne les oublierai jamais, encore maintenant je les entends, ploc, ploc, elles frappaient le bac en porcelaine, comme les secondes, comme les minutes, comme le temps qui s'écoulait dans le silence. Comme si quelque chose s'était arrêté et avait commencé à courir autrement, je m'en souviens précisément même si, pendant ces sept années, il s'en est passé plus que dans toute ma vie antérieure. Elle n'est plus là. La Yougoslavie non plus. L'armée du roi n'est plus nulle part, car il n'est pas possible d'appeler "armée royale" ces prisonniers désoeuvrés dans les baraques de Palmanova. Mais moi, je suis toujours ici, si c'est toujours bien moi.
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