AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Elfriede Jelinek (122)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Les Exclus

Un vrai choc. Ce livre est profondément dérangeant. Dérangeant par l'histoire de violence gratuite qu'il raconte. Dérangeant par son style haché, dur et étrange. Dérangeant par ses personnages qui déraillent et basculent dans la folie et la fureur. Dérangeant par certaines scènes de sexe très glauques. Dérangeant par sa vision sombre de la famille, de l'amour ou de l'amitié. Dérangeant par toute la haine qu'il véhicule.



D'autant plus dérangeant qu'il s'inspire d'un fait divers réel et que Rainer a vraiment existé et commis de tels actes...



Je ne peux donc pas dire que je l'ai aimé. Disons plutôt qu'il m'a déstabilisée et laissé un vrai sentiment de malaise. Pourtant, je suis contente de l'avoir lu. Pourquoi ? Parce qu'il représente la face sombre de la vie et est en ce sens très intéressant. Et parce qu'il m'a fait découvrir une auteure à la voix singulière, complètement dénuée d'optimisme, mais certainement pas de talent. J'ai même cherché des infos sur Elfriede Jelinek après cette lecture, ce qui est rare chez moi, et découvert sans surprise une personnalité torturée, en conflit avec le monde entier et à la source de nombreuses polémiques. Une auteure qui a décroché le Prix Nobel mais ne fait pas l'unanimité dans le monde littéraire. Qui a écrit notamment La Pianiste, dont a été tiré un film qui m'avait paru tout aussi dérangeant, et que j'ai ajouté à mon Pense-bête parce que j'ai envie de renouveler le 'Choc Jelinek' un jour et de mieux comprendre cet univers obscur et effrayant.



Merci à Gwen/Challenge Nobel pour la découverte de cet Objet Littéraire Non Identifié qui ne m'a pas laissée indifférente.
Commenter  J’apprécie          680
La Pianiste

Elfriede Jelinek fait partie de ces auteurs dont j'ai beaucoup entendu parler et pas forcément en bien. Si vous me connaissez un peu, vous vous doutez que le fait qu'elle ait reçu le prix Nobel ne peut que renforcer mon intérêt. Cependant, sur le challenge Nobel, plusieurs ont eu du mal à supporter sa plume. "Pénible", "peu ragoûtant", "glauque" sont des qualificatifs qui reviennent pour qualifier son style et ses récits. Avec mes goûts un peu particuliers parfois, j'avoue, vous allez vous dire que cela ne pouvait que m'attirer... Mais moins courageux que je ne le parais (littérairement en tout cas !) , j'ai quand même préféré me pencher sur La pianiste, indéniablement son œuvre la plus connue et qui reçoit des louanges plutôt unanimes malgré le côté ardu.



Il était plutôt bien d'être prévenu car en effet rien ne nous est épargné dans ce récit. Le socle est une relation mère-fille quasi exclusive, destructrice, sans doute plus pour la fille que pour la mère, qui a construit toute sa vie autour de cette fille qui a remplacé numériquement un mari interné peu après la naissance de sa fille. Cette mère sangsue ne peut imaginer une vie sans sa fille... et sans les revenus qu'elle lui apporte il faut bien le lui faire avouer ! On est donc invité dans une relation d'emprise totale, comparable à une relation de violence conjugale avec la particularité que, loin de la rabaisser, c'est en la complimentant outrageusement que la mère rend le rapport de sa fille au monde complexe. En effet, Erika est dégoûté par le monde, par la médiocrité de ses contemporains. Elle est enfermée dans un rapport obsessionnel à la musique, à la perfection inatteignable d'une interprétation au piano qui devrait lui permettre de devenir une pianiste prodige... Graal qu'elle n'atteindra jamais puisqu'elle devra se contenter de n'être "qu'une" professeure de piano frustrée.



La frustration, une thématique qui parcourt également tout le récit, notamment la frustration sexuelle, d'abord vécue à travers un voyeurisme assez malsain, mais qui vient aussi interroger la question du genre, puisque l'héroïne est une des seules femmes clientes des peep-show, observatrice de cette sexualité que son éducation et son "formatage" l'empêchent d'investir pleinement, de façon active. Au delà de cette histoire personnelle terrible, et presque baroque dans ses exagération, son invraisemblance, c'est bien toute la société autrichienne que Jelinek vient interroger, sa violence feutrée. La sexualité prendra une toute autre dimension avec la survenue d'un troisième protagoniste attendu qui vient briser ce couple mère-fille et ainsi redistribuer les cartes sans pour autant apporter de la lumière à ce récit ténébreux.



Du côté du style, il est parfaitement adapté au récit. Le livre est assez court mais uniquement séparé en deux chapitres, deux blocs denses remplis majoritairement des pensées des différents protagonistes, majoritairement Erika, mais pas que. Et le passage d'une pensée à l'autre se fait sans transition, renforçant l'impression générale de malaise volontairement installée par l'auteure. Ainsi, toute la première partie se déroulant majoritairement autour du duo mère-fille, l'auteur est ainsi empêchée d'utiliser trop souvent le pronom elle, de peur qu'on ne sache pas de qui elle parle. On passe alors par des moments où sont évoqués alternativement la mère (dont on ne connaitra jamais le prénom) et Erika, tellement répétés que l'on se retrouve enfermées avec elles deux. Certains passages utilisent un ELLE majuscule pour désigner Erika, matérialisant à la fois le rôle de personnage central et le sentiment de supériorité induit de celle-ci. Beaucoup de procédés stylistiques sont utilisés pour renforcer l'ambiance oppressante du récit et mériteraient une analyse poussée qu'ont du mener de nombreux étudiants de littérature autrichienne contemporaine.



Si ce récit est donc en effet éprouvant et vient nous bouleverser dans nos petits conforts, il nous met face à une auteure exigeante, particulière et indéniablement douée qui réunit donc tous les ingrédients nécessaires à l'obtention d'un prix aussi exigeant que le Nobel.
Commenter  J’apprécie          6119
La Pianiste

Ramassée sur elle-même comme un poing prêt à s’écraser sur la figure du lecteur, l’écriture d’Elfriede Jelinek, auteur autrichienne ayant reçu le Nobel de littérature il y a dix ans, est féroce et violente jusqu’à la haine. Dire qu’elle est « sans concession » serait en-dessous de la vérité, elle est la dissection crue et sanglante d’une société qui n’offre aucun espoir d’épanouissement à ses protagonistes. Cette écriture compacte, froide et coupante comme un silex, ne ménage aucune respiration au lecteur qui malgré le glauque de la narration se trouve hypnotisé jusqu’à descendre au fond du tourbillon des illusions en même temps que Walter, Erika et « la mère ».



Mais qui sont Walter, Erika et « la mère » ?

Erika est « l’enfant chérie » de « la mère ». Elle est à peine une personne, elle est d’abord un pion, le jouet des ambitions de « la mère » vouées à avorter, à se briser contre les rochers de la réalité. Erika est la meilleure, c’est une artiste. Elle a été éduquée dans un seul but : être l’Unique, la seule, la talentueuse, la planche de salut et le pilier de l’économie ménagère du couple incestueux qu’elle forme avec « la mère ». Telle la musique, tel l’art, Erika ne partage pas la sphère du commun des mortels, elle plane très au-dessus. En tout cas, « la mère » et elle en sont convaincues.



Erika a presque quarante ans et dans la Vienne du début des années 80, elle est professeur de piano, employée par un Etat qu’elle méprise, enseignant SON art à des étudiants qu’elle méprise, prenant les transports en commun avec des contemporains qu’elle méprise ; la seule personne qu’elle ne méprise pas, c’est elle car elle est convaincue de sa supériorité. Enfin, pour l’instant, à l’heure où débute ce roman dérangeant qui perce le huis-clos de son existence et nous en dévoile des facettes obscènes, elle ne se méprise pas encore. Quant à « la mère », elle la méprise aussi tout en étant incapable de s’en éloigner car « la mère » est pour elle la source du seul plaisir qu’elle a dans la vie : le confort domestique. Une fois incarcérée entre les murs de leur appartement, Erika est tellement bien devant sa télé qu’elle ne veut rien changer. Alors, quand Walter, l’un de ses étudiants, amouraché et persévérant, entreprend de violer le saint des saints et de s’introduire dans sa vie puis dans son appartement, son « équilibre » bascule et Erika entrevoit, impuissante, cette situation comme la seule opportunité qui se présentera à elle d’assouvir ses illusions fantasques, mélange d’érotisme, de violence, de passion et d’humiliation, en un mot : le sado-masochisme.



Ce texte court est assez fascinant car il attire et révulse à la fois. Jelinek, dans son souci constant d’emprisonner la société sous une loupe, offre un spectacle répugnant mais son écriture est tellement impactante qu’elle englue le lecteur. Roman noir s’il en est, « La pianiste » fouille de manière chirurgicale la psychologie trouble de personnages qui semblent étrangers à notre propre réalité mais est-ce vraiment le cas ou bien est-ce que dans l’immeuble qui jouxte le nôtre vivraient des êtres aux aspirations inavouables ?



Je peux comprendre qu’on n’accroche pas à ce type de littérature mais personnellement j’ai été heureuse de le découvrir, ne serait-ce, au-delà du thème, que pour la plume exceptionnelle de l’auteur. Je tiens d’ailleurs à tirer mon chapeau aux deux traducteurs, Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize !





Challenge NOBEL 2013 – 2014
Commenter  J’apprécie          573
Angabe der Person

+++++++ INDICATIONS PERSONNELLES +++++++



La Nobel Littérature 2004, Elfriede Jelinek, partageait sa vie entre Vienne et Munich, où habitait son mari Gottfried Hüngsberg qui s'occupait du site d'internet de l'auteure.

À sa mort, en septembre 2022, Elfriede Jelinek fut soumis à une enquête fiscale munichoise avec confiscation de nombreux documents, parmi lesquels des lettres strictement privées.



Bien que cette affaire fût relativement vite classée, pour l'auteure offusquée et fâchée se fut une occasion de remettre en question la légitimité d'une telle confiscation de papiers personnels et de s'en prendre aux fuites de capitaux à grande échelle vers les paradis fiscaux, la multiplication des constructions off-shore et des facilités fiscales élaborées pour des grands footballeurs. Et en face de cela, la misère des pauvres et des réfugiés en nombre toujours croissant.



Elle cite à titre d'exemple la veuve de Baldur von Schirach, l'ancien Gauleiter de Vienne, qui a récupéré après la guerre la riante propriété familiale en Bavière et l'a vendue avec profit, tandis que des victimes du nazisme ont tout perdu.



Ce lien virtuel entre des thèmes apparemment disparates comme le capital et l'holocauste, s'explique probablement par la période où elle était obligée d'accepter des traductions littéraires pour survivre et son adhésion au Parti communiste autrichien de 1974 à 1991.



Ses démêlés avec le fisc bavarois, lui ont aussi incité à remonter dans le temps. C'est ainsi que pour la première fois dans sa longue carrière littéraire, elle aborde la partie juive de sa famille et le sort de certains d'entre eux au moment de l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie en mars 1938.



Elfriede Jelinek est née le 20 octobre 1946 à Mürzzuschlag, à une centaine de kilomètres sud-ouest de Vienne, comme enfant unique de Friedrich Jelinek, un chimiste juif d'origine tchèque, et de son épouse Olga Buchner, d'origine germano-roumaine.

Comme Juif, son père a perdu son emploi et n'a reçu après la guerre le moindre dédommagement.



Elle raconte également le sort de son cousin juif, Walter Felsenburg, qui, avec son épouse Clara, a fui Vienne en 1938 pour Zurich et Cambridge, pour mourir finalement comme centenaire (1904-2004) à Los Angeles.



Si ce texte n'arrive peut-être pas au niveau de son best-seller "La Pianiste" de 1983, il s'agit toutefois d'un document fort intéressant par une dame qui, outre le Prix Nobel, a été également lauréate des Prix Heinrich Böll (1986), Georg Büchner (1998), Heinrich Heine (2002), Franz Kafka (2004) et encore 6 autres prix littéraires annuels.



Cet ouvrage est sorti le 15 novembre 2022 chez Rowohlt à Berlin et mérite, à mon avis, une traduction en langue française.

Commenter  J’apprécie          526
Les Amantes

Première incursion chez Elfriede Jelinek, et... brrr !

Ca se passe dans un "BEAU pays avec ses monts et ses vaux", et il est question d'une femme de la ville, Brigitte, et d'une femme de la campagne, Paula, qui toutes deux recherchent un mari, coûte que coûte, en espérant qu'il leur apportera le bonheur dont elles rêvent. A Brigitte, le futur entrepreneur en plomberie, et à Paula, le beau bûcheron alcoolique. "Si quelqu'un a un destin, alors c'est un homme. Si quelqu'un se voit imposer un destin, alors c'est une femme." Bienvenue au pays de Jelinek.



Glaçant. Elfriede Jelinek exécute en 200 pages le destin de deux jeunes femmes à peine sorties de l'adolescence, qui tentent de survivre dans cette Autriche rance des années 70 où tout n'est que médisance, médiocrité, mesquinerie et méchanceté. On est un peu chez "ces gens-là", sauf qu'il n'y a même pas de Frida-belle-comme-un-soleil.

Chez ces gens-là, donc, les femmes calculent, comptent, et subissent. Leur émancipation se réduit au mariage, et leur mariage est forcément la conséquence d'une grossesse. Chez ces gens-là, les hommes boivent, ricanent, et frappent. Ils savent tout sur tout, se transmettent de père en fils une expérience jamais vécue. Minable, à pleurer de désespoir.

L'auteur règles ses comptes avec son pays natal, pulvérise le Kinder-Küche-Kirche germanique, décape à la soude le conservatisme de la société autrichienne -même si les schémas de pensée qu'elle dénonce perdurent partout dans le monde. Elle s'appuie sur une écriture rageuse, sarcastique et distante, et maltraite les règles d'usage en renonçant à toute majuscule. Même si Jelinek m'a effrayée par sa violence et sa haine, j'ai aimé son côté dure-à-cuire qui crache sur tout ce qui est hypocritement établi.

C'est un roman qui m'a oppressée, mise très mal à l'aise, et que je me suis hâtée de terminer -d'où ma note moyenne, alors qu'il mérite davantage. J'ai été heurtée par tant de bassesse, si peu d'espoir, encore moins d'amour. Une lecture très éprouvante, donc, qui me donnerait presque envie de me plonger illico dans un filgoude (mais je résisterai !).



Ca reste néanmoins une expérience littéraire forte, tant dans la forme que dans le fond, mais dont on ne sort pas indemne. Vous êtes prévenus !
Commenter  J’apprécie          4916
La Pianiste

Chef d’œuvre.

Elle n’a de femme que l’enveloppe, à l’intérieur se terre un monstre.

Erika Kohut est professeur de musique à Vienne. Elle vit avec sa mère (que l’auteure ne nomme jamais) dans un petit appartement où elles partagent tout y compris la chambre. Parmi ses élèves, Walter Klemmer, développe des sentiments amoureux à son encontre. Mais il ne se doute pas de la véritable nature de sa maîtresse et des tourments qui la possèdent…

Elfriede Jelinek raconte à travers le personnage d’Erika sa propre vie et la relation dominante-soumise que lui a imposé sa mère. Cette dernière a dirigé toute sa vie son foyer comme un PDG d’entreprise, écartant le père qui finira malade d’Alzheimer dans un hôpital. Elle décide que sa fille sera un prodige de la musique et l’inscrit à des cours d’anglais, de français, de piano, d’orgues etc… Mais Elfriede prendra la voix de l’écriture. C’est donc avec « La pianiste » que l’auteur décrit les tourments qu’elle a traversé et cette lutte intérieur pour maîtriser le monstre que sa mère a fabriqué. L’auteur sera victime d’agoraphobie toute sa vie avec un épisode critique d’un an où elle restera cloîtrée chez elle.

L’écriture d’Elfriede Jelinek est moderne, rapide et efficace. Elle écrit au présent de l’indicatif ce qui rend la lecture fluide, percutante. Il y a dans son texte une merveilleuse musicalité des mots.

Dans « La pianiste » il y a une esthétique de la souffrance, il y a du Sade chez Jelinek. Elle écrit : « Erika ramasse un mouchoir en papier tout collé de sperme et le tient sous son nez », ou « Un instant fugace elle éprouve le besoin d’attraper la tête de l’élève par les cheveux et de la flanquer dans le ventre du piano, jusqu’à ce qu’un magma sanglant de tripes et de cordes à boyaux gicle et s’échappe en hurlant par le couvercle ». elle contient en elle une énorme énergie sexuelle jamais libérée et une violence mortifère qui frise l’hystérie.

Le sado-masochisme est omniprésent dans l’œuvre d’Elfriede Jelinek, mais il n’est jamais vulgaire, bien au contraire, il fascine par son architecture, son ordonnancement, la façon onirique dont il se réalise.

Il y a ce que souhaite le cœur et il y a ce que commande le corps. Chez Erika, il y a dissociation entre la cible de ses sentiments, sa mère, et celle de sa chair, son élève Klemmer.

Elfriede Jelinek n’est pas une féministe, les « amazones » du XXIe siècle ne peuvent s’octroyer le droit d’en faire leur figure de proue même si le facteur féminin est bien évidemment au cœur de son œuvre. Elle n’a besoin d’aucune idéologie pour exister car elle est autonome. Elle propose sa vision d’une femme indépendante à tout point de vue, qui appréhende le facteur masculin sans aucune concession. Elle est les deux sexes en même temps.

« La pianiste » est un véritable bijoux. Le travail d’écrivain d’Elfriede Jelinek est fascinant. Conformistes, normalistes passez votre chemin !

Prix Nobel de littérature 2004.

Préface de Virginie Despentes.

Traduction de Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize.

Editions Jaqueline Chambon, Points signature, 345 pages.

Commenter  J’apprécie          490
Enfants des morts

Une auberge perdue au sommet d’une montagne dans les Alpes autrichiennes. Cela pourrait faire penser à « La montagne magique » de Thomas Mann. Les gens entrent et sortent, vont et viennent à la façon d’un hall de gare dont aucun train n’arriverait jamais, ni ne repartirait, des gens qui vivent et qui meurent, qui sont en vie ou qui sont déjà morts. C’est une porte, passage entre la vie et la mort, la réalité et le rêve. Gudrun Bichler étudiante s’est suicidée en s’ouvrant les veines dans sa baignoire. Edgar Gstranz a raté un virage au volant de son bolide et s’est tué. Karin Frenzel, veuve, est entièrement soumise, dévouée corps et âme à sa mère. Elle périra en percutant avec son véhicule un autocar rempli de touristes hollandais. Trois personnages qui franchissent allègrement la porte, errant entre deux mondes au travers desquels ils n’ont pas conscience de l’instantanéité des évènements auxquels ils sont confrontés.

« Enfants des morts » est une non-histoire où l’auteur a effacé tout repère spatiotemporel. Elle ne fait référence à aucune date ni à aucun lieu précis. L’action pourrait se dérouler n’importe quand et n’importe où et d’ailleurs on ne sait si les protagonistes évoluent ante ou post mortem. Ils sont les morts-vivants qui hantent le cerveau génial de Jelinek.

On retrouve les thèmes récurant à l’œuvre de Jelinek, le rapport de force entre une mère totalitaire et sa fille, l’agoraphobie de l’auteur, sa peur clinique de la foule au point de transformer cette masse gluante de gens en morts-vivants hostiles et belliqueux, le sexe, sous la forme d’une guerre des corps dans des descriptions scientifiquement précises et dénuées de tout sentimentalisme. L’amour n’est pas une émotion naturelle pour Jelinek. Il y a aussi de multiples allusions au IIIe Reich, au nazisme et aux camps de concentration, Jelinek aime à appeler l’Autriche, son pays natal, Hitlerland.

Le style est dans la continuité de « Lust », entre écriture automatique et cut-up (technique littéraire élaborée par William Burroughs consistant à créer un texte à partir de fragments de textes d’origines diverses(source Wikipédia)). Ici, l’auteur couche sur papier les idées qui lui viennent, les mots, les impressions, ses névroses, sans soucis d’ordonnancement, ni de sens.

Elle écrit par exemple : « Les dépouilles mortelles d’oiseaux sont, grattées par des dents de métal qui leur écarte les pattes, sous les ricanements des rondelles de tomates et de concombres, s’y cacher pour mourir, ombrées de feuilles de salade perlées d’eau dans lesquelles se reflètent des yeux humains facétieux, balancées sur les tables. Aujourd’hui poulet pané maison. »

Il est donc très compliqué pour le lecteur de la suivre dans ses errements. Il reste cette atmosphère sourde, cette ambiance d’hôpital psychiatrique, où une tension règne dans les couloirs aseptisés, clairsemés de malades mentaux sur la ligne de départ d’une nouvelle crise d’angoisse, d’épilepsie, de schizophrénie…

Même s’il y a une indéniable musicalité dans la prose de Jelinek et que l’on peut tout à fait accepter que son œuvre frise le génie, la lecture de « Enfants des morts » est un calvaire !

Une question subsiste : pourquoi ?

Traduction de Olivier Le Lay.

Editions du Seuil, Points, 694 pages.

Commenter  J’apprécie          488
Sur la voie royale

La Nobel Littérature 2004, Elfriede Jelinek, face au pire président dans l'histoire des États-Unis, Donald Trump ! Un ouvrage que ce dernier ne lira sûrement pas puisqu'il suppose un minimum de culture ce qui, comme tout le monde sait, lui fait lamentablement défaut.



L'auteure d'entre autres le merveilleux roman "La Pianiste" de 2014 a été tellement bouleversée par la possibilité que ce barbare à la chevelure dorée puisse devenir l'homme le plus puissant du globe, qu'elle a éprouvé le besoin d'écrire le présent relatif bref ouvrage d'une bonne cent-cinquantaine de pages la nuit même de son élection en novembre 2016.



Elfriede l'appelle "le roi" et estime qu'il a "besoin d'un nouveau coiffeur", car il est "abominable". En passant, elle rappelle ses déclarations "délicates" à l'égard des femmes. Un commentaire tellement vulgaire, qui a choqué le monde entier à part manifestement les cowboys qui ont voté ce personnage raffiné, que je préfère ne pas les répéter ici.



L'auteure se pose également des questions sur les soi-disant qualités d'homme d'affaires avec ses nombreuses dettes que la Deutsche Bank, son prêteur majeur, commence à se méfier. Ce n'est que bien après la publication de son livre, en janvier 2021, que cette banque a fini par brutalement couper les ponts avec Trump & Co. Elle s'étonne aussi de ses facilités fiscales en ajoutant : "Moi aussi j'aspire à une défiscalisation".



La Nobel autrichienne n'est probablement pas une lectrice fanatique des tweets de ce champion international hors catégorie de cette forme de communication, puisqu'elle note à ce propos : "Il n'accorde de voix à personne d'autre, il entonne lui-même sa rengaine et la gazouille partout, plus de cent fois par heure..."



Chers ami-e-s, je ne vais pas vous citer d'autres finesses de l'auteure sur cette catastrophe ambulante de yankee, je vous les laisse découvrir en précisant que vous n'êtes pas à bout de vos surprises.



Lorsqu'on n'est pas un fan de Trump c'est un livre qu'on lit avec plaisir, même s'il ne s'agit pas du meilleur ouvrage littéraire d'Elfriede Jelinek.

La juxtaposition de phrases alambiquées avec toute une gamme d'exclamations et d'interjections rend la lecture de certains passages plutôt épineux.

Commenter  J’apprécie          484
Lust

J'avais tellement aimé Elfriede Jelinek dans La Pianiste ou Les Exclus que j'en ai acheté un lot. Parmi eux, un bouquin vert pomme (vous venez de comprendre que ce n'est pas la même que celle présentée ici) avec le ruban rouge : Prix Nobel de Littérature 2004. Bien évidemment, je me rue sur celui-ci, au nom bien mystérieux.



En lisant la quatrième de couverture, je découvre alors qu'il s'agit d'un texte à caractère érotique. Bon allez, on y est, on y est, ne faisons pas l'effarouchée non plus, hein ! Après tout, dans ses autres oeuvres, certaines scènes pornographiques pouvaient soulever le coeur. Après recherche, j'apprends que ce bouquin fit scandale (tu m'étonnes, John ! ) et que le terme "lust" signifie "désir physique intense", "luxure", "débauche" (j'aurai appris quelque chose, c'est déjà ça).



Eh bien, que dire ? Je l'ai abandonné à la page 54 (sur 278) ! Et je ne comprends même pas qu'on s'y soit attaché. Dans un style quelque peu pompeux (jeu de mots maître Capello ! ), Jelinek nous décrit comment un patron d'entreprise assouvit ses désirs sur sa femme. Cette dernière apparaît comme transparente, silencieuse, soumise. Rien de transcendant.... Le rapport maître / esclave est mis en relief, d'accord, mais d'autres bouquins ont fait cela beaucoup mieux sans pour autant avoir recours à ce stratagème.



Que l'on fasse un bouquin érotique ne me gêne pas, à condition qu'il y ait une histoire (ce qui me paraît être primordial tout de même) et qu'on veuille dire quelque chose. Mais là... J'ai dû passer à côté du message que Jelinek a voulu transmettre. Tant pis, je m'en remettrai !!!
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
Commenter  J’apprécie          4713
La Pianiste





Inutile de revenir sur l'histoire, la quatrième de couverture résumant très bien les faits. La Pianiste est un livre à ne pas mettre entre toutes les mains et à ne surtout pas lire si on est dans une période sombre. Ce roman est très fort, prenant, d'une écriture dense. On a droit à tout : violence morale, physique, amour incestueux, dépravé... La mère castratrice engendre une certaine perversité chez Erika qui en arrive à s'auto-mutiler et à accepter une sexualité sado-masochiste. Enfin, l'accepte-t-elle vraiment ? Rien n'est moins sûr. Et au final, elle revient quand même dans les jupes de sa mère alors qu'on l'en pensait libérée, sevrée.



À qui la faute ? On peut se poser la question. À cette figure maternelle qui fait tout pour que sa fille réussisse, quitte à en devenir tyrannique et malsaine en développant une relation ambiguë, ou à Erika qui aurait peut-être hérité d'une tare génétique paternelle (le père ayant fini ses jours dans un centre psychiatrique) ?



Et au milieu de tout ça, la musique. Mais que vient-elle faire là ? Est-ce juste pour nous montrer le métier d'Erika ? Après recherches, je me suis rendue compte que Schubert revenait fréquemment dans le roman et était associé à ce jeune élève, Klemmer, dont elle tombe amoureuse et avec qui elle va se livrer au jeu dangereux du maître et de l'esclave. Schubert... grand musicien, certes, mais homme avant tout. Celui-ci avait contracté la syphilis, certainement avec des prostituées... Or, on ne connaît que peu de choses sur la vie privée de celui-ci, un peu comme Erika qui cache sa vie dépravée à sa mère... Peut-être y a-t-il un lien ? En tous les cas, c'est à creuser : Douceur et succès d'un côté dans la musique classique face à la tristesse et à la pauvreté d'une vie privée engageant à faire de tels actes ?



Bref, ce texte est un véritable chef-d'oeuvre d'une noirceur absolue.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
Commenter  J’apprécie          452
Lust

« Lust » est une ode à la famille bourgeoise.

C’est un conte sadique où l’homme, la femme et l’enfant évoluent, régis par les règles du monde hystérique et confiné d’Elfriede Jelinek. Ce n’est pas une histoire, c’est une étude anthropologique de la nature humaine à travers notamment les rapports de force entre les belligérants, la relation dominant-soumise du couple. Leurs prénoms ne sont pratiquement jamais cités car ils pourraient être n’importe qui. Il n’y a qu’aux épisodes de leur vie qui prennent une consistance personnelle que l’auteur les appelle par leur prénom.

L’homme est un phallocrate de base, patron d’industrie à la tête d’une papeterie, il règne sur son couple comme sur son entreprise en maître priapique despotique. C’est un farouche combattant de la routine sexuelle dont la femme est son sujet d’expériences érotico-pornographique privilégié. Son cri de guerre aurait pu être : « Au nom de la bouche, du cul et du vagin, je t’empale sainte Salope ! ».

La femme est effacée, soumise aux besoins charnels de l’homme, elle est son jouet sexuel. Elle n’a une amorce d’existence que lorsqu’elle prend un étudiant comme amant. Elle semble s’être détachée d’elle-même et avoir rendu les armes. Elle est décorporée, spectatrice de sa partie morte baisée par tous les orifices. Elfriede Jelinek ne semble avoir aucune compassion ni aucune pitié pour son personnage féminin. Peut-être parce qu’elle considère qu’en se mariant, la femme s’est compromise, elle a vendu son âme au diable, c’est une damnée condamnée à l’enfer de l’enfermement du schéma familiale, esclave d’un ordre social antédiluvien où l’homme attrapait la femme par les cheveux pour s’épancher dans son récipient vaginal. Sa vie est un viol perpétuel. Mais dans « Lust » elle connaîtra la rédemption et une forme de canonisation jelinekienne en commettant l’innommable pour une mère.

L’enfant apparait succinctement. Il n’est pas au cœur du propos de l’auteur car pour Elfriede Jelinek il est un non-sens de la nature. Elle écrit : « Mais en réalité le fils ne dérange pas seulement lorsqu’il est au goutte à goutte du violon. Il dérange toujours. Ce genre de superflu (les enfants) n’est que le produit de relations irréfléchies qui installent leurs propres trouble-fête à domicile, afin que de leur babil malhabile ils illuminent votre demeure, brillants et sots comme la lune. » Il est la maquette de l’homme, nain gorgé de merde, de pisse et de morve. Il a la graine du vice en lui. Son œil observe les ébats de ses parents par le trou de la serrure pendant que sa main le soulage. On a bien compris qu’il est un brouillon dans le schéma de Jelinek, l’étape regrettable entre la copulation (on ne parlera pas d’orgasme car l’auteur n’y fait pas allusion) et le résultat final : l’homme. On n’ose imaginer ce qu’aurait écrit Elfriede Jelinek si le couple avait eu une fille…

L’écriture est déstabilisante. C’est un salmigondis de mots, d’expressions qui peuvent perdre le lecteur. Les phrases semblent parfois avoir été posées à la mauvaise place du récit ou n’avoir rien à voir avec le sens du propos. On pourrait songer à de l’écriture automatique ou de la poésie lunaire. Pourtant tous est soigneusement étudiée dans la prose d’Elfriede Jelinek, il suffit de prendre du recul comme pour la toile d’un impressionniste, de reculer de quelques pas et les touches désordonnées de couleurs disparates finissent par former un dessin qui prend tout son sens.

Le style fait penser aux « gueules cassées » de Picasso, ces portraits démantibulés. Une narration discontinue, des traits brisés, mais une lecture voluptueuse, des impressions plus que des affirmations. Il ne faut jamais s’attarder aux mots, au risque de tomber dans le piège de l’incompréhension, il faut survoler l’œuvre pour gouter à ses émanations.

Le titre, « Lust », qui signifie, plaisir, désir, volupté, luxure, comme l’indique la traductrice Yasmin Hoffmann, évoque toutes les saveurs de l’amour, grand absent de ce roman, ou plutôt de cet essai. C’est là tout le paradoxe de cette œuvre. L’auteur écorche à vif l’amour pour n’en laisser que le squelette, le mécanisme de la copulation, la gymnastique des sexes, la froideur de l’absence de sentiments.

Ce n’est certes pas le plus accessible des ouvrages d’Elfriede Jelinek, mais il est exaltant.

Traduction de Yasmin Hoffmann et de Maryvonne Litaize.

Editions Jaqueline Chambon, Points, 282 pages.

Commenter  J’apprécie          415
Les Amantes

Le style n'a rien à voir avec « Lust » ou « Enfants des morts », le propos est clair, les idées sont argumentées de façon concise.

A la façon d'un documentaire animalier, Jelinek nous présente un reportage sur le thème de l'amour et des relations amoureuses. Les majuscules qui aurait pu donner au récit une allure de roman en le ponctuant, transforment par leur absence l'ouvrage de Jelinek en un long monologue monocorde. On pourrait comparer les histoires des deux protagonistes, Brigitte et Paula, à celles des lionnes qui chassent le buffle dans la savane pour le saigner.

C'est aussi pour Jelinek une façon d'expliquer sa conception de l'amour et des relations amoureuses sous deux angles différents.

Celui de Brigitte, ouvrière sur une chaine de fabrication de soutiens-gorges, qui cherche à s'extraire de sa condition en épousant Heinz, électricien qui ambitionne d'ouvrir un magasin. Dans ce cas, le sentiment amoureux est absent, seuls comptent les faux semblants qui permettront à Brigitte d'arriver à ses fins. L'argument majeur étant d'amener la proie dans son lit et de se faire engrosser. « brigitte a gagné tout cela à la force de son bas-ventre. qu'un homme avec ses muscles en face donc autant ! »

Celui de Paula, couturière qui souhaite épouser le « beau gars » du village, Erich, un bûcheron tout ce qu'il y a de plus rustre et qui s'imagine vivre une merveilleuse histoire d'amour en développant un sentiment amoureux envers l'heureux élu mais qui malheureusement n'est pas réciproque. « paula court après l'amour comme un cochon après les glands. » Ici aussi le moyen employé pour atteindre son but est qu'elle finit par se faire engrosser.

Brigitte dénuée de tout scrupule et gorgée d'ambition réalisera son projet alors que Paula aveuglée par son romantisme et trompée par un sentimentalisme inapproprié dans ces contrées teutonnes finira par se prostituer. C'est là toute la morale que Jelinek souhaite démontrer à travers ces deux exemples.

On devine l'ironie et l'esprit sarcastique de l'auteur à propos de ces femmes pour qui le mariage est une vocation et un moyen de s'établir dans la vie, un moyen d'atteindre le bonheur. Mais à quoi bon brocarder ces gens humbles qui placent leurs espoirs dans ce qui leur semble à leur portée ? le bonheur est individuel et propre à chacun. Il se partage mais ne se divise pas car il est inquantifiable.

Elfriede Jelinek écrit « les amantes » en 1975…

Traduction de Yasmin Hoffmann et de Maryvonne Litaize.

Editions Jaqueline Chambon, Points, 221 pages.

Commenter  J’apprécie          400
Enfants des morts

Roman d’une autrice ayant reçu un prix Nobel de littérature.



Un texte rébarbatif dans sa forme : plus de 600 pages bien pleines, peu de paragraphes et aucun dialogue. Pas beaucoup de place pour reposer l’œil.



Une écriture ardue par le rythme de lecture qu’elle impose, des longues phrases avec des métaphores qui pourraient se lire comme de la poésie, en prenant le temps de savourer chaque mot.



Mais dans ces longues tirades, on trouve toutes sortes de digressions, comme une « slammeuse » qui commente aussi bien la taille du pénis de l’homme, les modes vestimentaires, la popularité de sportifs défunts que la dislocation de la Yougoslavie. Mais un slam d’autant de pages n’est pas facile à absorber…



Un sujet difficile aussi : la mort, un village de montagne observé par des fantômes, des protagonistes décédés mais qui s’y retrouvent… vacances.



Un roman qui navigue entre l’humour absurde et la revendication et qui porte un regard cynique sur la société.



Reprise d’une lecture abandonnée il y a plusieurs années. (J’avoue avoir glissé rapidement sur certaines longues descriptions des ébats sexuels des fantômes…)

Commenter  J’apprécie          401
La Pianiste

Sur ma route de découverte des Nobel, voici une étape enrichissante mais pénible. Ou pénible donc enrichissante?



Pénible, car ce récit sans air, sans lumière et sans perspectives au coeur des névroses irréparables d'une jeune femme méticuleusement dévastée par sa mère depuis l'enfance m'a mis profondément mal à l'aise. Et que l'ombre noire qu'elle projette autour d'elle donne à voir son environnement, la ville de Vienne, sous l'éclairage glauque d'une humanité qui se vautre dans ses misérables instincts et ses vaines aspirations.

Enrichissante néanmoins, parce que précisément cet éclairage social par la névrose qui n'occulte pas le laid, le glauque autant constitutif de nos sociétés que ses facettes présentables est rare et utile. Enrichissante également pour la finesse d'exploration de l'humain évoqué dans toute sa complexité, ses failles et ses limites, derrière l'image lisse du personnage public que l'on présente à la société.



Ces impressions de lecture sont d'autant plus fortes que la musique, la grande musique qui élève est omniprésente dans le roman, mais tout autant que le sont la chair triste, les fluides corporels, les sous bois glauques, le tout mis au même niveau par l'écriture "à la hache", grinçante et sans concessions de l'auteur. Une écriture dans laquelle j'ai eu de la peine à entrer, et que je ne suis pas sûre de vouloir recroiser.





Commenter  J’apprécie          372
Les Exclus

Je viens de finir la fameuse trilogie des jumeaux (Le Grand Cahier, 1986 ; La Preuve, 1988 et Le Troisième mensonge, 1991) d'Agota Kristov et je retrouve en Elfriede Jelinek cette même puissance d'écriture. Ce roman, Les Exclus, a été écrit en 1981. Décidément, les années 80 verront se lâcher quelques écrivains dont le style et la diatribe seront un signe d'engagement.



Dans Les Exclus, la romancière s'inspire d'un fait divers qui fit frémir d'horreur l'Autriche : une bande de jeunes délinquants semaient la terreur dans les années cinquante. Oui, et alors ? allez-vous me dire, ce ne sera pas la première fois. Seulement voilà : le chef de la bande ira jusqu'à commettre l'irréparable sur sa propre famille en assassinant ses parents et sa soeur. Jelinek met alors en relief ce qui a amené ce garçon, Rainer, a en arriver là. Livré à lui-même, avec une mère complètement soumise, un père, mutilé de guerre, ancien SS, obnubilé par le sexe et sa dérive, Rainer tente de ne pas reproduire ce comportement et se réfugie dans la littérature et la poésie. Amoureux de Sophie, il souffrira de ses propres sentiments envers cette dernière. D'autant plus qu'elle ira avec un gros lourdaud, Hans, et se livrera plus d'une fois à la débauche. Anna, sa soeur, en fera autant, avec le même garçon, ce qui exaspérera Rainer. Le contexte n'est pas tendre. Nous sommes dans un pays qui tente d'oublier son passé. Comment ne pas en arriver alors à de telles dérives ?



Bien plus qu'un roman, ce texte permet de s'interroger sur la société, la haine et la violence. Le style volontairement froid et sec percute le lecteur. Sous une apparente simplicité, il met en scène la complexité de la perversité humaine ainsi que ses causes.



Si vous avez aimé Agota Kristov, nul doute que vous apprécierez Elfriede Jelinek.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
Commenter  J’apprécie          330
Lust

Le moins qu'on puisse dire c'est que ce livre n'est pas tiède : on aime ou on déteste mais il ne laisse pas indifférent.

Le style est très particulier violent cru volontairement provocateur. Ca tient du pamphlet plus que du roman. Je n'ai vu ni érotisme ni pornographie, le sexe est un défouloir pour les hommes et les femmes subissent, essayent d'éviter au maximum les hommes, de ne pas les exciter mais peine perdue... la nature de l'homme est plus forte. Bon c'est très caricatural et poussé à l'extrême mais l'auteur veut choquer et elle y réussi.

Moi j'ai adoré ce livre et je vais lire d'autres écrit de cette auteur.
Commenter  J’apprécie          320
Totenauberg

Je ne sais quoi penser de Totenauberg, cette plaquette aux allures de pièce de théâtre. Elle s’ouvre sur un vieil homme assis dans le hall d’un grand hôtel dans les Alpes est rejoint par une femme. C’est la quatrième de couverture qui m’a dévoilé leur identité : Martin Heidegger et Hannah Arendt. Je suppose que choisir ces philosophes de renom ajoute une touche de crédibilité (ou de profondeur) à ces personnages. Je me demande s’ils partageaient leurs vues dans la vraie vie. En effet, les deux regardent le paysage, discutent de choses et d’autres. Plusieurs de leurs élucubrations m’ont échappé, j’ai dû relire quelques passages pour me « remettre » dans cette lecture. Peine perdue. Je dois admettre ici que mon attention n’y était pas complètement. Toutefois, l’auteure Elfriede Jelinek n’y est peut-être pas étrangère non plus. Même si je trouve son œuvre originale, importante et digne d’intérêt, son style cru et détaché (et troublant?) n’est pas le plus avenant. Du moins, c’est ainsi que je le perçois. Quoiqu’il en soit, éventuellement, des individus forment une chaine humaine devant la forêt, empêchant des bûcherons d’abattre les arbres. C’est l’occasion pour le vieux couple de se lancer dans une diatribe sur les excès des environnementalistes. Là-dessus, l’auteure a raison : dans notre société libre, ironiquement, les points de vue qui s’écartent des valeurs libérales sont suspects, voire pointés du doigt et décriés, taxés d’extrémistes. Les vrais débats de société deviennent de plus en plus difficiles. Dans tous les cas, quand j’ai refermé ce bouquin, je ne savais pas trop quoi en penser. Et je ne le sais toujours pas. À cause de cela, je n’avais pas l’intention d’écrire cette critique. Toutefois, puisqu’il n’y en avait encore aucune, je m’y suis mis. Bonne chance à ceux qui s’y lanceront.
Commenter  J’apprécie          312
Les Amantes

Souvent, j’ai pensé que les femmes écrivaient comme des connes. Lorsqu’on me demandait quels étaient mes auteurs préférés (en fait personne ne m’a jamais vraiment posé cette question mais dans mes fantasmes les plus intenses, j’ai des conversations avec un interlocuteur), je devais bien reconnaître que jamais le nom d’une femme ne gâchait mon énumération. A soi-même misogyne ? Toutes des salopes, comme disait tel ancien fiancé ? Oh, cette question m’a bien longtemps tourmentée et j’y pensais, par exemple, le temps qu’il suffisait pour brasser un yaourt nature. Laborieusement, j’essayais parfois de glisser un nom. Ursula Le Guin apparaissait quelquefois mais, pour que les plus ignares s’y perdent, je prononçais le nom très vite pour que je puisse éventuellement rectifier « non en fait je m’ai gouré » si on s’étonnait d’avoir entendu une consonance féminine dans ma liste d’auteurs très biens.





Maintenant que j’ai lu « Les Amantes » d’Elfriede Jelinek, je comprends les raisons de ma honte. Oui, les femmes écrivent vraiment comme des connes, sauf Elfriede. Oups, manque de précision. Soulignons : les femmes publiées écrivent comme des connes. D’autres existent certainement, mais alors on les bâillonne vraiment bien. La brave Elfriede, pas publiée elle a failli l’être. Sa description de la société détonnait trop avec les principes en vigueur. Elle avertissait les femmes : êtes-vous sûres de désirer le modèle qu’on vous martèle en tête depuis que vous êtes gosse ? Devenir vendeuse, trouver un amoureux, se marier, avoir des bébés, une maison, être jolie et gentille ? Elle violentait les hommes : êtes-vous sûrs que votre femme vous aime vraiment ? Ne se sert-elle pas plutôt de vous pour pomper votre fric, votre réputation, votre situation –pompant de temps en temps votre dard pour que vous ne soyez pas trop méfiant ?





Il se pourrait bien que les femmes n’aiment ni l’amour, ni la famille –en tout cas pas davantage que les hommes. Mais dans une structure patriarcale, chacun a intégré inconsciemment la nécessité d’être homme ou de passer par un homme pour devenir quelqu’un. Regardez comme ces pauvres femmes qui finissent seules nous font pitié. « Il n’y a pas de rapport sexuel », disait Jacques Lacan. Non, il n’y a qu’une poursuite de la jouissance générale qu’on n’atteint pas. On ne l’atteint pas parce qu’on ne sait pas. Comme dirait l’autre mec (désolée de ne citer que des mecs, on ne se refait pas en trois heures), Spinoza, pas de véritable joie possible lorsqu’on reste ignorant des causes par lesquelles nos actions sont déterminées. C’est ce qui explique pourquoi les femmes peuvent croire pendant longtemps qu’elles veulent ce genre de vie que nous décrit Elfriede, prescrit par les aïeules mêmes, signant ainsi l’usure à l’œuvre dans notre civilisation. Une vie loupée dans la répétition du même. Le manque de courage. Pas envie d’être seule. Ça ne marche pas. Les vieux ont eu l’audace méchante de nous faire croire que ça marcherait mais quand on observe l’échec se répétant d’une génération à l’autre, on se rend compte que leurs conseils (ou leur silence), mauvais, servaient seulement à se venger de leur propre désillusion.





On nous dira que cette histoire a été écrite voici déjà quelques décennies. Oh, depuis, que de flotte a coulé jusqu’aux égouts. Ce constat suffira à certains pour dire que la condition féminine ne peut plus se lire de la même façon aujourd’hui qu’à l’époque de la publication de ce roman. Pauvres cons. Citons ce passage :

« aujourd’hui heinz a fait un enfant à brigitte. félicitations.

ainsi brigitte n’aura pas à finir sa vie dans le froid et la solitude, ce qui sinon aurait été le cas. »

Ce qui a changé aujourd’hui, ce n’est pas que les femmes ne sont plus obligées de faire des bébés pour ne pas finir dans le froid et la solitude, non, c’est que les femmes, même si elles se tuent à faire des bébés, risquent quand même bien de finir dans le froid et dans la solitude, parce que les femmes, personne ne les aime en fait, et elles n’ont plus rien pour retenir les autres –femmes ou hommes- à elles.





« si quelqu’un a un destin, alors c’est un homme. si quelqu’un se voit imposer un destin, alors c’est une femme. »





Par exemple, Elfriede Jelinek, qui n’est pas moche, aurait sans doute eu beaucoup plus de succès si elle avait posé pour des affiches publicitaires de parfum, mais elle a voulu écrire contre le confort de l’homme –qui s’imagine une jouissance de la femme bien spécifique- et contre la femme –qui s’imagine vouloir cette jouissance bien spécifique que les hommes lui ont créée.

Commenter  J’apprécie          303
Lust

Challenge Nobel 2013/2014

1/15



Bien, bien. Mon challenge Nobel, ainsi que ma prise de contact avec Jelineck commencent assez mal. Voulant lire un titre moins connu que La Pianiste je me suis laissée tenter par Lust (envie, en allemand).

Un homme marié, directeur d'une usine à papier, a peur du sida. Il ne va donc plus chez les putes, mais satisfait ses envies et fantasmes sur sa femme. Considérée en gros comme un bout de viande. Ma foi, ce genre de lecture étant dans l'air du temps, feu ! Doublé en plus d'une critique sociale de l'Autriche.

Eh bien, non. Pas les thématiques, mais l'écriture. Le style est assez étrange, mais ça demande de l'adaptation, quelques pages pour s'y faire. Seulement, chaque phrase ou presque est un sujet différent : le mari, les sévices qu'il inflige à sa femme, puis le fils, et enfin ce qu'il advint du "bas" peuple des ouvriers. Du coup pas de fil conducteur, on ne sait jamais de quoi parle la phrase suivante. Et les sujets dans l'air du temps n'ont pas l'air d'être pour moi (surtout que c'est violent).

Cela ne m'a jamais dérangé que l'auteur se plaise à perturber le lecteur, qu'il le surprenne. Mais là, vraiment, je n'ai pas réussi à accrocher, à éprouver de l'empathie (ça en revanche, c'est volontaire).

Mais ce n'est pas grave, j'ai 14 autres titres sur ma liste et Jelineck d'autres titres dans sa bibliographie. Courage !
Commenter  J’apprécie          295
Les Exclus

Un mal de vivre qui pousse au crime, un portrait bien noir d’une jeunesse autrichienne de la fin des années cinquante.



À Vienne, des adolescents de milieu divers : une fille riche, un jeune ouvrier dont le père est mort dans les camps et des jumeaux dont le père était un gradé nazi.



C’est aussi un carré amoureux, les deux garçons aiment la même fille qui n’aime personne et la jumelle aime l’ouvrier sans que ce soit réciproque.



Il y a ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien, ceux qui font semblant, des vies étriquées et un beau chandail de cachemire qu’on ne pourrait se payer.



Et si on agressait quelqu’un pour se distraire de l’ennui et de la médiocrité qui nous entoure?



Un roman dur, qui n’est pas un petit divertissement, mais une tension psychologique lourde avec une écriture parfois difficile aussi, par une auteure qui a reçu le prix Nobel de littérature 2004.

Commenter  J’apprécie          280




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Elfriede Jelinek (722)Voir plus

Quiz Voir plus

Le comte de Monte-Cristo : questions sur l'intrigue

Edmond Dantès est arrêté suite à une dénonciation. Lequel de ces quatre personnages a un élan pour signaler que cette dénonciation est calomnieuse ?

Danglars
Fernand
Caderousse
Louis Dantès (le père d'Edmond)

20 questions
538 lecteurs ont répondu
Thème : Le Comte de Monte-Cristo : Intégrale de Alexandre DumasCréer un quiz sur cet auteur

{* *}