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Citations de Emmanuel Ruben (146)


C’est ce soir- là, lisant la correspondance de Camus, que je réfléchis la première fois à la question des origines. Et je me dis que Camus, dans son exil parisien, s’il avait moins couru les jupons, s’il s’était promené davantage dans ces quartiers perdus, l’Algérie lui aurait sans doute un peu moins manqué. Au détour de l’exil, le royaume, qui sait, lui serait apparu.
Je n’ai d’Algérie que Ménilmontant, Belleville, la Goutte-d’Or, Clignancourt, Aubervilliers, Saint-Ouen, Saint-Denis, et ces Algérie-là me suffisent. Je m’y sens délivré de Saint-Germain, délivré du Quartier latin, délivré de la rue de la Paix, délivré de la rue Tronchet, délivré de tout ce qu’il y a encore d’haussmannien dans Paris, et qui m’interdit Paris, me l’arrache, à coup de fausses blondeurs trépidantes, de clic-clac maniaques, de scooters pétaradants, de limousines sur les grands boulevards, de m’as-tu-vu goguenards, au point que m’aventurer à l’ouest de la rue de Rome, cette entaille, ne se fait jamais sans qu’une irrépressible envie de vomir ne grimpe du pavé luisant – foutre le camp, je n’ai plus que cette idée en tête sous les façades de pierre de taille, les balcons de fer forgé, les frontons sculptés, l’ardoise et le zinc trop gris des mansardes, oui, mettre les voiles, quitter cette ville toute hérissée de murs invisibles… (…)
Ce n’est pas la France qui a perdu l’Algérie, ni l’Algérie qui a perdu la France. La France a gagné l’Etoile d’Alger, la pâtisserie Nour, la boucherie Ibrahim, le restaurant le Djoua, les cigares au miel, les kesra, les makroud, les bradj ; la France a gagné les cafés kabyles du passage du Roi-d’Alger ; la France a gagné le sourire du marchand d’épices, boulevard d’Ornano, qui vous pèse et vous sert, derrière son étal d’abondance, des olives, du halva, des dattes nouvellement arrivées. Oui parfaitement mon frère, la dernière récolte mon frère, avec un sourire immense sur ce français jovial, affectueux. L’Algérie a gagné la guerre, certes ; qu’a-t-elle perdu en échange ? Nos rictus de préfets ? Notre morgue ? Le droit de porter le guennour et le burnous des spahis et celui de se faire trucider dans nos tranchées ?
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...dans les Balkans, on n'est jamais très loin d'une frontière ; tous ces pays sont des États-frontières, qui se sentent trop à l'étroit dans le costume taillé par les traités, tous ont rêvé d'être plus grands, d'où les délires nationalistes de Grande Serbie, Grande Croatie, Grande Bulgarie, Grande Albanie, etc., d'où déroulèrent les guerres balkaniques, la Première Guerre mondiale et les guerres civiles yougoslaves. La balkanisation est un fléau qui touche chaque peuple et son voisin, une maladie contagieuse qui se transmet de siècle en siècle et de pays en pays : la maladie de la meilleure frontière. Or il n'y a jamais eu de frontière idéale, une frontière n'est qu'une vanité administrative, une ligne rouge imaginaire, qui fait toujours l'objet d'un compromis entre au moins deux forces en présence.
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"Ce que j’ignorais, c’est que les pays sans légendes n’existent pas – que tous les coins de la terre se valent, que l’exil est un mythe, l’asile notre séjour."
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la Mitteleuropa n'est pas l'Europe du milieu
c'est une Europe encore coupée en deux
vingt-sept ans après la chute
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Pourquoi sommes-nous tant fascinés par les atlas, les planisphères, les mappemondes, les portulans, les cartes routières ? Pourquoi sommes-nous tant fascinés par toutes les cartes, qu’elles soient plus ou moins fidèles, plus ou moins précises, plus ou moins fabuleuses ? Et si la carte, espace immense et minuscule, empire des signes et des sens où se rejoignent l’ici et le lointain, le rêve et l’aventure, le visible et l’invisible, l’écriture et le dessin, était la matrice du désir d’écrire et de peindre – la matrice du désir de créer, ou pour reprendre l’image de Pouchkine, le cerf-volant de l’invention ?
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L’Art de la peinture selon Vermeer serait donc riche d’un quadruple enseignement. Méditation sur l’inachevé, l’infini, le décentrement, le discontinu, ce serait l’art d’une époque inquiète. La Terre explorée et cartographiée s’avère alors un archipel, une Terre-archipel et cette Terre qui tourne peut-être autour du soleil, ne serait plus le centre de l’Univers. Époque post-copernicienne et post-galiléenne, époque de Descartes et de Pascal, époque de Kepler, de Newton et de Spinoza, époque où tous les savants s’interrogent sur les lois de réfraction de la lumière, sur les aberrations de la lumière, comme on disait alors. Or la question de la réfraction de la lumière – question qui fascinait sans doute Vermeer et qui fascine en retour celui qui regarde aujourd’hui ses tableaux -, cette question est inextricablement liée dès l’origine à la question de la triangulation, à la détermination des longitudes, à la recherche d’un point fixe, insituable, où le temps serait aboli.
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Tu ne seras pas non plus l’alibi d’un roman. Tu n’as pas laissé suffisamment d’indices derrière toi pour que puisse s’élever à la place d’une tombe introuvable ce genre d’échafaudage amidonné. Et, si j’ai la force d’aller jusqu’au bout, ce récit sera la confession de ma petite ignorance, la confession de celui que tu n’auras jamais connu, qui ne sait que ton nom, ton prénom, ton visage héliogravé, ton écriture tortueuse, la date de ta mort, puisque le vrai motif en demeure incertain. Je ne réécrirai pas ta vie ; je ne t’inventerai pas la vie qu’à moins de cinquante ans ce grand PAN à bout portant t’a arrachée. J’ai quitté les bancs de l’école, j’en ai fini avec les injonctions du genre rédigez la suite ou le début de l’histoire ; je n’aurai pas pour but de poursuivre une vie inachevée ni de ressusciter un personnage dans sa chair et sa durée.
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Comment ? C’est ainsi que tu es trop tôt parti ! PAN, à bout portant. D’un seul coup de feu. Qui ne m’aura pas laissé le temps de te connaître. Mais qui résonne encore – PAN, à bout portant – dans la nuit. J’ignore s’il m’est permis de te tutoyer ; je pourrais ne pas m’adresser directement à toi, ne dire ni tu ni vous, les laisser parler, eux, les aînés, ceux et celles qui t’ont vue de leurs yeux vu. Seulement, eux se taisent, elles se taisent, et c’est ce silence, cette chape de plomb que je veux entailler. Je sais que mieux vaudrait me taire à mon tour, respecter des morts au moins le silence, la boucler pour de bon, te rejoindre en tes ténèbres. Comme chacun de nous je présume, j’en ai l’ivresse les nuits d’insomnie, les nuits sans oubli, les nuits où l’on voudrait que le monde s’arrête, qu’un séisme ouvre la terre, que les murs tuent. Seulement, tu m’as visité en songe trop souvent ces nuits-là, nous avons guetté trop d’aubes côte à côte, je me suis senti trop de fois envahi par ton regard noir, vieillissant sous tes rides, pour qu’il me soit permis de continuer à t’ignorer ainsi, l’air idiot, sans souffler mot. Tu serais bien étonné de l’apprendre : tu te dis peut-être, depuis ta terre à toi, que tu n’es rien pour moi, rien pour ceux de notre temps. Mais sois rassuré. Tu ne seras pas un personnage. D’où ce tu que je veux te donner, d’où ce monologue que sur du papier je veux t’adresser.
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Mais Lothar et moi-même, étions-nous vraiment en droit de jouer les donneurs de leçons ? N’avions-nous pas rêvé, nous aussi, des blondeurs ingénues, des minois angéliques, des pâleurs secrètes que vantaient tant d’auteurs du XIXe siècle ? Laissons de côté la question de l’entraînement à un besoin très grégaire que n’auraient pas dédaigné ces barbichus d’autrefois : le très fort soupçon qu’aujourd’hui ces filles-là n’y mettaient, et n’offraient en retour plus guère de joie nous défendait d’y goûter. Seulement le racolage était ici généralisé, et les lieux ne manquaient pas d’où l’on pouvait revenir agréablement escorté sans avoir mis la main au portefeuille. Non, nous le sentions bien, Lothar et moi, mais ne savions comment l’exprimer : l’espèce d’aventure qui se perdait ici avec le temps n’était pas de celles qui se jouaient jadis, à quatre pattes ou à deux dos, dans une alcôve, sous un vieux néon rose. Non, ce que nous regrettions à la terrasse des cafés, dans les bars, dans les venelles de la vieille ville en voyant passer les filles au bras des touristes, ce que Lothar, surtout, regrettait, c’était une forme de transgression plus quotidienne, plus candide et bien plus poétique : ce qui se perdait avec la disparition de toute idée d’ailleurs, c’était le petit frisson du franchissement. Tu peux la chercher sur toute l’étendue de la Terre, ta ligne rouge, Samuel, disait Lothar : il n’y a plus, nulle part, de frontières. Et ce petit frisson, ce petit effroi de la frontière, pour chacun de nous, était d’abord affaire de langue. Car tout le monde ici, déplorait-il, parlait la même langue. Celle qui s’entendait partout à la ronde, que beuglaient les glottes allemandes, les glottes espagnoles, les glottes italiennes, danoises, chiliennes, canadiennes, britanniques, américaines : le global english."
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Tonton Chemouel était l'original de la famille, disait Déborah. Un drôle de zèbre un chouïa fêlé du ciboulot. Tes arrière-grands-pères s'habillaient encore à la mode indigène, avec le pantalon caca-huit-jours comme on surnommait alors le sarouel, mais l'oncle Chemouel, qui te ressemblait telles deux gouttes d'eau, arborait de belles moustaches à la Errol Flynn, faisait venir de Paris les plus beaux chapeau melons pour charmer les dames et se vêtait déjà à l'occidentale. (page 71)
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On disait des ponts de Constantine qu'ils rattachaient la ville davantage au ciel qu'w à la terre : toute la cité était perchée, comme en levitation, reliée au ciel par ses sept ponts suspendus.
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Sous les grappes abondantes de ses cheveux crépus, ces grands yeux d'onyx mangeaient tout son visage, c'étaient des yeux cruels et ravageurs qui vous dévorent de l'intérieur, les yeux d'une Judith ou d'une Salomé qui exige parmi la foule la tête d'une victime et la victime, c'était lui, Samuel, qui ne savait plus comment fuir ces sombres aimants tourbillonnant dans la foule parisienne. Lui qui croyait n'aimer que les grandes blondes aux yeux bleus, les beautés fatales de la Baltique à la peau de banquise et au regard d'iceberg, il se laissait envoûter pour la première fois par un regard venu d'Orient, et il se répétait de nouveau : "oh la belle Juive !" À l'âge où Jésus était mort sur sa croix, Samuel n'avait pas encore renoncé à l'idée de faire enfin plaisir à sa mère et à ses tantes en leur ramenant une belle Juive du Seigneur, cent pour cent casher. Il faut dire que Djamila portait ce jour-là une pancarte qui proclamait, sous l'universel slogan "Je suis Charlie", cet autre slogan un peu moins répandu : "Je suis Hypercacher".
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En s'éloignant, Samuel rumine les paroles du gardien. Nous sommes dégueulasses, nous sommes des sauvages ! Ce sont les premières paroles qu'en Algérien lui adresse depuis son arrivée. C'est dire à quel point ils ont intériorisé l'image que nous, les Européens, nous nous faisons d'eux. Près de soixante ans après l'indépendance, ils vivent encore avec les stéréotypes imposés par le France.
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Il est inutile de vouloir concurrencer le réel, car la mémoire est toujours infidèle. Ce qui a eu lieu autrefois ne reviendra pas. Le passé est révolutionnaire nos regrets sont inaudibles.
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Elle a le teint mat, africain, elle a des lèvres épaisses et charnues, couleur de jujube ou de grenade, elle a de grands yeux en amande qu’un liseré de khôl fait ressembler aux yeux des gazelles, elle a l’iris d’un noir velouté , les cils agrandis par le khôl, des cheveux bruns, des sourcils fournis , in menton prognate et farouche , un nez retroussé aux ailes un peu marquées.
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Nos nations sont des fictions qui ne vivent qu'un temps mais ne veulent pas mourir, alors leur agonie dure interminablement...
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Le XXIème siècle est le pire alliage qui soit entre un archaïsme ultraconservateur et un consumérisme ultralibéral; ce qui devrait nous mener lentement mais sûrement auu fascisme pur et dur.
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Ici, dans cette lumière aquatique, je ressens ce que j'appelle l'extase géographique, qui ma petite éternité matérielle, éphémère, mon épiphanie des jours ordinaires: oui, l'extase géographique, c'est le bonheur soudain de sortir de soi, de s'ouvrir de tous ses pores, de sentir traversé par la lumière, d'échapper quelques instants à la dialectique infernale du dehors et du dedans.
p.56
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J’aurais voulu évoquer aussi les Portes de Fer, les monastères de la Fruška Gora, les ours légendaires de la montagne Tara, les méandres et les vautours de l’Uvac ; j’aurais voulu repartir en pensée à Novi Pazar dans le Sandžak serbe où il y a des maisons dans tous les styles et des plaques d’immatriculation de toute l’Europe ; j’aurais voulu revivre nos virées en scooter sur l’île croate de Dugi Otok où l’on trouve un lac salé et des falaises de marbre mais ce livre aurait fini par ressembler à un guide touristique archilacunaire de l’ex-Yougoslavie, ce qu’il n’est pas. Ce petit livre est un lasso jeté négligemment au cou d’un pays qui n’existe plus ; ce petit livre est un stéthoscope – à l’origine une simple liasse de papiers roulés par le docteur Laennec – qui tente d’ausculter le cœur de cette Europe qui bat encore.
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À l’origine de ce livre, il y aurait une double fascination enfantine et le besoin d’un double retour critique. Retour critique sur la pratique de la géographie, retour critique sur la pratique de la littérature. Fascination d’enfant pour les cartes, les atlas, les planisphères, les mappemondes. Fascination d’enfant pour les œuvres d’art, des mosaïques antiques aux installations contemporaines, qui rappellent les cartes, dans leur agencement, dans la lecture infinie et instantanée qu’elles permettent. Fascination pour les livres – et parmi ces livres, pour ceux, peu importent les genres, qui dessinent en vers ou en prose une cartographie poétique, intellectuelle – et témoignent d’une géographie intime.
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