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Critiques de Emmanuel Venet (111)
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Marcher droit, tourner en rond

Cela pourrait être drôle.

A l'enterrement de sa grand mère, un homme est révulsé par tous les faux semblants et l'apologie d'une femme qui était loin d'avoir toutes les qualités qu'on lui prête (on a tous vécu cela un jour ou l'autre, je crois). Et pourtant tout le monde joue ce jeu-là. Suit une galerie de portraits familiaux au vitriol, pas légers-légers, dans un fiel logorrhéique dénué de toute empathie.

Excessif? Certes, mais on apprend rapidement que cet homme est atteint, ou porteur (comment faut-il dire?) du syndrome d'Asperger, qui le prive de toute cognition sociale, de toute compassion ou bienveillance, de toute capacité à se mettre à la place de l'autre, à faire des concessions, à comprendre d'autres modes de raisonnement que les siens.



Au passage on découvre aussi qu'il vit dans trois obsessions : le scrabble, dont il fait nombre parties chaque jour, les catastrophes aériennes, qu'il répertorie minutieusement, et un amour de jeunesse qu'il n' a pas revu depuis le lycée, tout cela donnant lieu à des situations décrites sur le mode cocasse.



C'est très bien de vouloir faire appréhender le monde à travers les yeux de cet homme pas comme tout le monde, ce regard décalé, pour mieux en dénoncer ses défauts et hypocrisies. C'est une bonne idée d'y mettre de l'humour et de dédramatiser. C'est un peu dommage de transformer le récit en sketch plutôt marrant, quoique cédant souvent à la facilité, et de négliger la souffrance et l'angoisse qui accompagnent ces patients et leurs familles au quotidien . Ca donne juste l'idée que les Asperger sont des gens un peu bizarres et originaux, sans donner de vraies clés, c'est un peu court et superficiel, le sourire se crispe.
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Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud

La Feuille Volante n° 1147

Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud – Emmanuel Venet – Éditions Verdier Poche



Gaston Ferdière (1907-1990) avait un penchant très prononcé pour la poésie et aussi pour la polémique constructive puisqu'il combattit la légende misérabiliste tressée par Jehan-Rictus lui-même ou défendit la mémoire d'Anatole France. Pour l'heure, il a vingt ans et croit qu'on peut concilier médecine et littérature un peu comme l'a fait Louis-Ferdinand Céline mais dans un tout autre registre et la notoriété en moins. Il soigne à l’hôpital le jour et la nuit il déclame ses poèmes d'inspiration surréaliste dans les bistrots. André Breton est son modèle, comme lui il est un poète égaré en médecine qui veut devenir psychiatre, c'est à dire « un paria aux yeux ce ses confrères sérieux », curieux de l'écriture automatique et de la création, fasciné par le monde des fous et de leurs vies en lambeaux. Pour lui ce sera Villejuif. C'est aussi un idéaliste qui part combattre en Espagne ravagée par la guerre civile. Il y sera médecin mais aussi écrivain, bouleversé devant tant de morts et d'absurdités.



Il sera donc psychiatre c'est à dire en prise directe avec « le verbe déstructuré, grandiose et hermétique des fous, : la source même de toute poésie », attentif « (aux) salles communes et (aux) galeries où l'humanité fait naufrage », mais aussi insoumis, marginal. Est-ce l'exploration de l’inconscient humain qui le rapproche d'André Breton ? Pourtant il choisit, sous les coups du sort, d'étouffer la poésie qu'il porte en lui au profit de la psychiatrie et devient novateur en privilégiant les facultés créatrices de ses malades. Il se hasardera aussi dans des expériences médicales nouvelles, notamment sur Antonin Artaud, mais qu'on lui reprochera plus tard. En lui cohabiteront toujours le poète mort et le médecin renié, un véritable naufrage. Cette rencontre ravive chez Ferdière ses anciens démons poétiques et, adepte du sacrifice volontaire, il favorise chez son patient ce qu'il a étouffé en lui.



Il recherche, et c'est légitime, la reconnaissance à laquelle tout homme aspire dès lors qu'il fait quelque chose avec passion mais n'oublie pas pour autant le partage. Malheureusement il y aura toujours quelque chose qui viendra s'opposer à lui sans qu'il y puisse rien, aussi bien acceptera-t-il d'étouffer lui-même ses aspirations de poète au profit de son métier de psychiatre mais un exercice plus humain de la psychiatrie se heurta au système et aux élites qui le broieront. Poète chez les psychiatres ou psychiatre chez les poètes, il ne sera sans doute jamais à sa vraie place, toujours « en deuil de lui-même » et il aura beau faire, il y aura toujours quelque chose, le destin contraire ou la malchance, pour se mettre en travers de son chemin. Ce sera le vrai paradoxe de sa vie, d'une sa vie ratée qu'il a acceptée ! L'auteur le présente comme une sorte d'abandonné de Dieu. Je ne sais si j'ai bien compris cette allusion mais j'avoue que j'accepte assez facilement cette explication aussi abrupte soit-elle.



Comme j'ai déjà dit dans cette chronique, j'ai découvert cet auteur par hasard et je m'en félicite puisque j'apprécie son style fluide, toujours agréable à lire. J'ai retrouvé ici sa verve mais j'ai lu aussi une parole un peu acerbe, comme si notre auteur, réglant peut-être quelques comptes personnels, mais surtout hors de lui devant tant d'injustices, choisissait de réhabiliter cet homme de bonne foi et de bonne volonté, un peu trop ballotté par l'adversité et la volonté de nuire de ses contemporains. Cela ne me dérange pas car nous avons tous des choses sur le cœur et la fonction cathartique de l'écriture n'est pas incompatible avec le talent. En lisant ce court texte, j'ai aussi pensé, toutes choses égales par ailleurs, à Louis-Ferdinand Céline qui sera médecin hygiéniste, soutenant sa thèse de doctorat sur « La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Sommelweis ».



J'ai eu plaisir à travers cette courte biographie, rédigée me semble-t-il avec une sorte de rage retenue, à faire la connaissance de Gaston Ferdière. Cette démarche m'a rappelé un peu celle adoptée par Jérôme Garcin qui a souvent choisi, en les romançant parfois, d'exhumer de l’anonymat des figures oubliées de la littérature ou de l'histoire, abandonnées de la chance ou de Dieu, si on y croit, des idéalistes qui ont dû malgré eux accepter leur sort pour s’abîmer dans le quotidien et dans une mort souvent prématurée, alors qu'ils portaient en eux un tout autre rêve. Au moment où on montre en exemple ceux qui ont réussi, sans pour autant entrer dans le détail de leur succès, j'avoue avoir beaucoup d'empathie pour les laissés pour compte.



© Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Marcher droit, tourner en rond

La Feuille Volante n° 1144

MARCHER DROIT, TOURNER EN ROND – Emmanuel Venet – Éditions Verdier.



Au cours de notre existence, les obsèques des autres auxquelles on assiste par obligation ou authentique douleur, en attendant de tenir soi-même le rôle principal dans ce genre de représentation, sont l'occasion de parer le défunt de toutes les qualités, surtout de celles qu'on lui déniait de son vivant. Après tout ça vaut mieux que de réciter la liste de ses défauts et cela ne servirait pas à grand-chose. Quand en plus la cérémonie a lieu dans une église, l'officiant se croit obligé d'évoquer la vie éternelle pour celui qui vient de mourir, même s'il était athée. C'est la tradition mais l'hypocrisie a ses limites !

Ce roman est constitué par un long monologue d'un homme de 45 ans atteint d'un syndrome autistique qui, au cours des funérailles de sa grand-mère Marguerite, s'insurge intimement contre l'hypocrisie et notamment les propos de l’officiante qui couvre la défunte de qualités que, selon lui, elle n'avait pas. Il s'ensuit une longue histoire pleine de détails de nature politique, religieuse, sentimentale, morale qui s'attachent à cette grand-mère et qui tendent à prouver qu'il a raison, ce qui le conforte dans son attitude de refus. Le syndrome dont il souffre fait de lui un solitaire qui s’arque-boute sur son score personnel au scrabble et sur l'histoire des accidents de l'aviation civile. Il ajoute des bribes de son histoire personnelle qui mettent en en évidence non seulement sa misanthropie et sa soif de vérité mais aussi son sentimentalisme exacerbé puisqu'il confie au lecteur l'existence du seul amour de sa vie, une camarade de lycée, Sophie, qu'il n'a pratiquement jamais revue depuis une trentaine d'années et à qui il est attaché d'une manière platonique. Même si mal lui en a pris, il se réfugie dans cet amour impossible et idéaliste qui conforte son inaptitude à vivre dans cette société et il s'accroche à son image furtive glanée dans les films où elle n'est qu'une figurante discrète. En fait il ressasse et tout ce qu'il nous raconte se révèle assez amusant sous des dehors fort sérieux et parfois même sombres ou violents. Il y a aussi une galerie de portraits savoureux mais pas toujours flatteur où les femmes de sa parentèle n'ont pas le meilleur rôle, à l'exception toutefois de sa grand-mère Violette qu'il n'a pas connue et qui est, dans son esprit, l'objet également d'une forme d’idéalisation. 

Sous ce titre en forme d'oxymore, l'auteur semble nous dire que l’idéal de transparence et de sincérité produit exactement le contraire de l'effet recherché et ainsi le narrateur dans son propos ne fait que tourner en rond, ce qui finalement donne au livre une dimension humoristique incontestable, avec cependant un passage plein de rêveries poétiques et aussi de cet utopisme un peu décalé qu'il cultive jusqu'à l'absurde pour cette Sophie tant désirée.

C'est vrai que cet homme est un idéaliste et a assurément beaucoup de mal à trouver sa place dans notre société faite d'apparences trompeuses, d'hypocrisies et de duplicités. Sa franchise ne le mènera à rien d'autre qu'à l'exclusion et à l'éloignement des autres ce qui correspond bien au syndrome dont il souffre et c'est un peu un cercle vicieux qui l'enfonce dans sa propre solitude.



J'ai bien aimé ce roman qui respecte les unités classiques de lieu, de temps et d'action mais aussi et peut-être surtout qui collige les remarques et aphorismes les plus inattendus et humoristiques mais aussi les plus pertinents sur la vie en général et sur l'amour et le mariage en particulier (« si l'amour rend aveugle, le mariage rend la vue »). J'ai eu plaisir à retrouver chez cet auteur, découvert par hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, ce style délié et fluide qui m'a encore une fois procuré un bon moment de lecture.



© Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Plaise au tribunal

La Feuille Volante n° 1142

PLAISE AU TRIBUNAL – Emmanuel Venet – Éditions La fosse aux ours.



Sous ce titre à forte connotation juridique puisqu'il emprunte au discours des prétoires son ton très cérémoniel, se cache un court récit (30 pages) en forme de plaidoirie et de jugement, en l'espèce celui d'Oublevé, dont le nom constitue déjà un canular, sauf le respect dû au Président du susdit Tribunal. de quoi s'agit-il donc? Imaginez-vous que nous sommes en automne, que les feuilles tombent et qu'on a l'habitude de les ramasser après les avoir mises en tas puisqu'elles constituent en elles-mêmes une source d'accidents. Jusque là rien de bien extraordinaire. Là où ça se complique c'est que face au résultat de ce travail auquel il n'avait même pas participé, il est venu à l'idée de M. Diese qu'il s'agissait d'une oeuvre d'art qu'il baptisa tout de go « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle ». Cela peut être considéré comme un hommage à Jacques Prévert et témoigne en tout cas d'un certain niveau culturel de notre ami, et du fait de cette prise de position, quand même fort inattendue, ce vulgaire amas de feuilles se retrouve de facto référencé dans « l'art conceptuel », certes éphémère mais avec la dimension culturelle incontestable d'une sculpture. Sauf que nous sommes dans l'asile psychiatrique de la bonne ville d'Oublevé et que ce M. Diese s'y trouve hospitalisé depuis de nombreuses années. Ainsi le fait que l'établissement se soit débarrassé de cet encombrant amoncellement qui par ailleurs représentait aussi un danger, constitue l'espèce de cette action en justice.

Nous nageons ici en plein délire et j'imagine les effets de manches des avocats, leur difficulté à garder leur sérieux, et je ne parle parle de l'autorité des juges et de « la chose jugée ». L'auteur est psychiatre et à ce titre capable de déceler, entre autre, les capacités créatrices de certains de ses patients et le fait d'être classés parmi les « malades mentaux » n'amenuise en rien leurs facultés artistiques. Je n'en veux pour preuve notamment que le cas de Séraphine Louis (1864-1942) (La Feuille Volante n° 369) qui, malgré des facultés mentales quelque peu altérées attira, d'ailleurs un peu malgré elle, l'attention d'un marchand d'art et eut quelque succès. Au-delà de cette remarque, j'observe que la décision du tribunal, pour savoureuse qu'elle soit, laisserait sans doute les étudiants en droit, confrontés au commentaire d'un tel arrêt, dans une situation délicate. Après tout, il y bien eu parmi les verdicts des cours, des jugements où la sacro-sainte logique, voire le bon-sens, ont été laissés de côté au nom de la loi, de la morale, ou de l'Ordre Public. La sentence ainsi prononcée par un vénérable juge qui est aussi, on l'imagine, un « juriste éminent », pour fictive qu'elle soit, m'évoque l'imaginaire d'un Salvador Dali, les extravagances des surréalistes ou les provocations du mouvement « dada ». Je ne manquerai pas non plus d'évoquer les tribulations d'un Amadis Dudu qui, dans « L'automne à Pékin » (roman qui ne se passe ni en automne ni à Pékin) de Boris Vian se trouve embarqué dans l'improbable construction d'une ligne de chemin de fer dans l'immense désert d'Exopotamie, laquelle doit passer au beau milieu de l'unique hôtel qui de ce fait doit être détruit. Quant à l'atmosphère de ce récit, il ne serait sans doute pas tout à fait renié par Kafka lui-même. Cela dit il y a des moments dans notre vie où les choses se présentent sous un jour si surréel qu'on a besoin de se pincer pour vérifier qu'on ne rêve pas. Je ne parlerai pas non plus du plus grand pays du monde qui vient de confier son destin et peut-être aussi le nôtre à un homme à la fois fantasque, irresponsable et imprévisible. Est-ce à dire que la folie est la chose du monde la mieux partagée ? Méfions-nous, de même que nous sommes tous justiciables, nous pouvons également devenir, même pour un temps, pensionnaires d'un établissement psychiatrique. Après ce bref voyage en « absurdie » je me demande toujours si on peut rire de tout, c'est à dire si, face à la désespérance distillée par notre monde, on peut opposer autre chose que l'humour parce qu'en fait il ne nous reste bien souvent plus que cela. J'ai bien aimé la dérision avec laquelle l'auteur, rencontré par hasard, a traité son sujet.

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Rien

La Feuille Volante n° 1141

RIEN – Emmanuel Venet – Éditions Verdier



Parce qu'il a l'intention de fêter leur vingt ans d'amour, un musicologie invite Agnès, sa compagne, au Negresco. Après une étreinte, cette dernière lui pose une question aussi légère que les volutes bleues de la fumée de sa cigarette «  A quoi penses-tu ?».



En fait ce voyage amoureux n'est qu'un prétexte pour gommer les petites érosions et les accidents inévitables d'une vie commune mais surtout parce que ce palace niçois a donné asile pendant quelques jours à Jean-Germain Gaucher, un musicien de troisième ordre de la Belle Époque à qui le narrateur a consacré sa thèse de doctorat et qui est venu ici avec sa maîtresse, la sulfureuse et ambitieuse soprano Marthe Lambert. Malheureusement une rénovation a fait disparaître la chambre où Jean-Germain et Marthe batifolèrent, qu'importe, c'est pour le narrateur l'occasion d'inviter son lecteur à faire plus ample connaissance avec ce musicien qui n'a laissé dans l'histoire de la musique, comme dans l'histoire tout court, qu'une trace fort ténue, que son travail universitaire s'attacha à faire revivre. le narrateur évoque la vie quelque peu tumultueuses de Gaucher qui la préféra cependant à la profession juridique voulue par son père. Il évoque surtout la mort du musicien, par ailleurs pas très heureux en ménage, qui a connu des relations extra-conjugales plus que cahoteuses et dont la carrière artistique qui aurait pu être florissante, s'est perdue dans des compositions de cabaret et des pochades légères. Cette mort bizarre, le musicien est écrasé par son propre piano lors d'un déménagement, donne à penser qu'il s'agit d'un suicide. Ce thème sera une des pistes de réflexion de cet ouvrage, hypothèse enrichie par les remarques d'un de ses amis qui ratiocine à l'envi sur ce sujet et ce malgré l'enquête qui a conclu à l'accident.

J'ai bien aimé ce Gaucher et la façon dont l'auteur le fait vivre sous nos yeux sous la forme d'une biographie convaincante et ce d'autant plus qu'elle appartient complètement à la fiction. On nous parle souvent et à l'envi, en les donnant en exemple, de tous ceux qui ont réussi, mais on passe sous silence les milliards de gens qui tentent leur chance sans jamais la croiser. J'ai lu dans ce roman qui tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin, une caustique étude de personnages et de caractères, Jean-Germain construisant pour lui-même ses propres châteaux en Espagne, se laissant griser par le succès ou les passions amoureuses dont on sait qu'elles ne sont que temporaires, se complaisant dans l'échec comme il se vautre dans la vantardise qui emprunte plus à l'imagination qu'à la réalité. A travers lui j'ai lu un rappel bienvenu aux choses de la vie, la fuite du temps, le destin qui vient parfois contrecarrer les projets les plus fous qu'on fait pour soi-même, la complaisance qu'on tisse face à l'adversité, la vanité des entreprises humaines et surtout le fait que nous ne sommes ici-bas que les modestes usufruitiers de notre propre vie. Cela donne une somme d'aphorismes bien sentis.

J'observe que Jean-Germain tient un journal intime ce qui en dit assez long sur la conscience qu'il a de son mal de vivre, mais encore une fois je ne suis pas bien sûr de la fonction cathartique de l'écriture et, mettre des mots sur ses maux ne me semble pas aujourd'hui être une thérapie efficace, comme son suicide plus que vraisemblable semble le prouver. le psychiatre qu'est aussi l'auteur doit bien avoir un avis sur la question. Pour Gaucher la fuite reste possible mais d'une efficacité improbable, tout au plus se réfugie-t-il dans l'imaginaire, cette espérance gratuite et sans issue qui n'enfante que des fantasmes et des chimères. Mais cela ne l'arrange pas vraiment, tout comme ne le console pas de ses échecs répétés, de son mariage raté, des ses amours de contrebande sans issue, de son talent ignoré et des mauvaises affaires de son établissement, l'alcool dont il était devenu avec le temps et l'habitude, un adepte militant. Même la séduction de sa propre épouse lui paraît problématique et surtout pas vraiment apaisante. C'est comme cela, les amours de Jean-Germain et de sa légitime, à condition qu'ils aient jamais existé, se sont abîmés dans la routine, l'incompréhension et finalement l'indifférence silencieuse, ce qui fait dire au bon sens populaire que, contrairement aux apparences, le mariage ou la vie commune tuent l'amour, et ce n'est pas faux. Et je ne parle pas de l'inconfortable certitude de s'être trompé dans son choix !

J'ai aimé aussi que l'auteur ne tombe pas dans la trop facile évocation du Pigalle et de ses plaisirs. Je retiens également les remarques quelque peu acerbes du narrateur sur les affres de la vie universitaire, sur les difficultés de la création littéraire, de la façon de réussir dans le domaine de la recherche et de la publication ainsi que les fourches caudines sous lesquelles il faut passer pour être reconnu. A sa manière, il est lui aussi un peu Jean-Germain Gaucher et ce n'est peut-être pas un hasard s'il a choisi ce personnage comme sujet d'étude. Là aussi le narrateur se laisse aller, inspiré par son expérience personnelle, à une somme apophtegmes désabusés mais pertinents que bien des auteurs feraient bien de méditer . J'en retiens une «  En matière d'art, non seulement il n'y a rien à attendre de l'altruisme ni de la sollicitation, mais les vertus cardinales s'appellent orgueil et égocentrisme ». Il en va de même sur le travail de créateur et sur la façon de mener sa carrière.

A travers les propos de son ami, le narrateur fait en quelque sorte le point sur la création artistique, les relations amoureuses et même la vie en général. Il en vient tout naturellement à s'interroger sur son mariage, sa vie de famille et son parcours sentimental, leurs aspirations, leurs imperfections, leur désenchantement. Il évoque sa rencontre avec Agnès, le hasard qui l'a provoquée, puis la lente érosion des choses qui l'amène à considérer que son couple, après vingt ans de vie commune et deux enfants, s'est lentement transformé en deux solitudes, avec mensonges et hypocrisies pour sauver les apparences, compromissions et artifices pour le faire durer, une manière de se rapprocher de Gaucher et de son désespoir et peut-être aussi des autres humains. Il pousse même son questionnement jusqu'aux relations sociales qu'il entretient, à ses dires, de moins en moins, refusant de satisfaire à l'esprit grégaire qui , sous toutes ses formes, gangrène notre société et notre quotidien. Comme il le dit «( il résiste) à la tentation de la normalité », tout en tentant de combattre la marginalité.



Mais revenons à la question initiale posée par sa compagne et à laquelle il répond simplement « à rien ». Outre le fait qu'il m'a toujours parut étonnant qu'on puisse ne penser à rien, cette somme de pages qui constituent le roman tend à prouver que l'auteur-narrateur n'a pas vraiment laissé la vacuité envahir son esprit, à moins bien sûr qu'il ait préféré cette réponse laconique et négative à la nécessité d'avoir à confesser à sa compagne tout ce qu'il a confier au lecteur.



Ce récit se décline de la part du narrateur sur le ton d'un monologue et sur le thème des illusions perdues. J'ai apprécié le style alerte, subtil, ciselé et délicatement ironique de ce trop court roman dont l'auteur m'était inconnu. le hasard, pour une fois, a bien guidé mon choix. D'après ce que j'ai lu de lui, il publie peu et c'est dommage puisque sa faconde m'a à la fois étonné et conquis au point que je vais sans doute en lire davantage. Cela a en tout cas été pour moi un bon moment de lecture.

© Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Marcher droit, tourner en rond

Un livre intéressant, le personnage central assiste à l'enterrement de sa grand mère et nous dessine des portraits familiaux aussi réalistes qu'incisifs. Ces réflexions souvent justes prêtent à sourire et on passe un agréable moment de lecture, détendant.

Juste un détail sur la forme : aucun chapitre aucunest césure dans le texte et une absence totale de dialogue ce qui peut dérouter au départ.
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Rien

Rien reste un mot usuel souvent utilisé après un remerciement, de rien, ces quatre lettres forment une absence, une légèreté éphémère, un nihilisme, Rien est le titre du roman du Psychiatre lyonnais Emmanuel Venet. Rien n’est qu’une parenthèse légère, une virgule, une histoire de souvenir, une vie banale de petits gens, ceux partis dans l’oubli, comme ceux de Vies minuscules de Pierre Michon.

Ce Rien d’Emmanuel Venet contorsionne habillement l’enchevêtrement de deux histoires aux destins différents. Les pauvres gens tintent comme un larsen la misère des vies rencontrées dans le récit de la vie de ce violoniste, pianiste et compositeur d'opéras perdu dans l’oubli des âmes. La petitesse de cette vie ressuscitée par le narrateur devient le reflet intérieur de l’échec artistique de ces deux alter égo, intime par intérim, celui de ce musicologue ressuscitant l’un par une thèse et un ouvrage. Le fantôme de ce piètre musicien révèle la vie terne de cet homme, pensif de son passé à côté de sa femme.

Dans un hôtel de Nice Jean Germain Gaucher spectre d’une nuit avec son amante Marthe Lambert invite notre musicologue à côté de sa femme Agnès dans ce même hôtel au souvenir de ce musicien médiocre pour méditer sur sa condition et celui de son couple.

Le roman commence par ces mots "À quoi penses-tu?" …Question d’Agnès après l’amour dans cette chambre 214 du Negresco laisse songeur son mari s’évaporant dans le veloute de ses pensées, celle de jean Germain Gaucher, prisonnier de sa vie conjugale au détriment de ses rêves de gloire de compositeur. Emmanuelle Venet se laisse inspirer par les sans grades, la banalité de ces êtres, ces rêveurs de gloire s’enlisant dans cette vie maritale pour ce plaidoyer de célibataire…

Ce roman coule lentement la vie de ce violoniste, compositeur de fortune dans un établissement Parisien de seconde zone pour touriste, un cabaret de Pigalle avant la grande guerre, qu’il use sa vie d’étudiant préférant les gammes et les belles poitrines des danseuses qu’aux bancs de son université de droit au grand d’âme de son père. Puis sa lâcheté poursuivra sa chute vers l’oublie comme celui du narrateur frustré de sa carrière pour une vie amoureuse en demie teinte, cherchant un deuxième souffle dans cet hôtel comme cet espoir d’hommage d’avoir voulu choisir celui jadis par ce violoniste déchu….

Une question se pose sur le suicide ou accident de Jean Germain Gaucher avec son piano demi-queue Pleyel, écrasé dans une cage d'escalier, le 10 novembre 1924, comme une enquête psychologique ne cherchant pas à savoir mais comprendre, un jeu de piste dans les méandres de l’esprit. Considérant cette vie comme « une sorte de lent suicide métaphorique » Emmanuel Venet sonde dans ces deux vies l’inaptitude d’associer le talent à la vie conjugale comme deux oxymores.

Lorsque le narrateur allongé près de sa femme, en proie à une évaporation de sa vie, la senteur de deux corps chauds aux effluves de concupiscentes présentes, retrace la vie de Jean Paul Gaucher comme au spectre de sa propre existence, celle d’un couple au secrets de complaisances, des non-dits, des adultères de liberté pour cimenter un mariage sociétale, une trajectoire linéaire consensuelle dictée par la force d’un monde de consommation, sa rêverie s’enlise dans des déboires intimes et incertains pour une réponse sans prétention, comme une évidence comme la réponse à sa femme qui clôt le roman par « A rien »

Une belle écriture pour une histoire artistique passionnelle en suspension cristallisant le choix et la vie conjugale comme un frein à la création, un petit écrit anti mariage….

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Marcher droit, tourner en rond

Cet homme, très cartésien, dit tout haut ce que les autres pensent tout bas. Et il ne se fait pas que des amis ! C'est bien connu : toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.

Ce livre, très court, m'a beaucoup fait rire. Je ne pensais pas que l'on puisse le faire avec deux sujets aussi graves : l'autisme et la mort.

Et bien, l'auteur réussit ce tour de force...

Lecteurs, précipitez-vous ! C'est un petit bijou.
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Marcher droit, tourner en rond

Toutes nos contradictions, compromis et petits arrangements sont passés à la moulinette par quelqu'un d'hyper logique et obsessionnel... et cela donne un ouvrage assez savoureux. Mais cela tourne un peu en boucle au bout d'un moment et je me suis un peu lassée. Il aurait fallu que l'exercice pousse encore un peu plus loin (soit en étant plus caustique/mordant, soit en développant le côté absurde nos comportements) pour que je reste "accrochée" jusqu'au bout.

Cela reste néanmoins une lecture agréable et qui donne à réfléchir sur la sincérité de nos actes et de nos paroles.
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Marcher droit, tourner en rond

A l'occasion de l'enterrement de sa grand-mère, le narrateur, atteint du syndrome d'Asperger évoque tous les membres de sa famille. Une peinture sans le filtre des conventions sociales qui restent un mystère pour lui. C'est drôle, féroce mais parfois aussi touchant. Un petit bijou de lecture.
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Marcher droit, tourner en rond

Il aura fallu que "Marcher droit, tourner en rond" d’Emmanuel Venet fasse partie des finalistes du Prix des bibliothécaires CBPT (Culture et Bibliothèque Pour Tous) pour qu’enfin je le lise.



Un homme, la quarantaine, assiste aux obsèques de sa grand-mère et s’emporte intérieurement, ressasse, contre l’oraison funèbre exprimée par l’officiante, Dame Vauquelin, loin, très loin de la réalité… nous assistons alors à un long monologue grâce auquel, nous apprenons qu’il souffre du syndrome d’Asperger, forme d’autisme, ce qui lui ôte toute possibilité d’accepter les arrangements avec la vérité. Lui, est un cœur pur et d’une franchise absolue. Cela lui vaut un déficit relationnel et une grande solitude.



Tout au long de ce récit, débité d’une seule traite, alternant présent et passé, sautant régulièrement du coq à l’âne, il passe en revue notre monde fait de mensonges et de faux semblants. Nous apprenons que le narrateur est doté d’un QI de 150, se passionne pour le scrabble "parce qu’il ravale à l’arrière-plan la question du sens des mots et permet de faire autant de points avec "asphyxie" qu’avec "oxygène", ou pour les catastrophes aériennes et aime – platoniquement – depuis sa jeunesse, Sophie Sylvestre.



L’écriture n’est pas ampoulée et cadre totalement avec les propos tenus. C’est à la fois caustique, drôle et tendre. L’auteur rend parfaitement le décalage entre son narrateur et les autres, son incapacité à "[me] plier à l’arbitraire des conventions sociales et d’admettre le caractère foncièrement relatif de l’honnêteté", son côté à la fois réfléchi et fantasque. C’est une belle manière d’aborder cette forme de handicap à l’aune d’un événement de la vie quotidienne. D’un sujet qui aurait pu être pesant, douloureux, accablant, Emmanuel Venet réalise une histoire presque légère où l’autodérision prend tout son sens, où l’humour s’invite au détour de chaque page. Les différents personnages sont décrits de manière à la fois minutieuse et cocasse et notamment le narrateur qui à force de vouloir "marcher droit", il ne lésine pas avec l’honnêteté, la franchise, la rectitude, finit par "tourner en rond", nous assénant ses vérités à lui, répétant à l’envi son admiration pour Roger Walkowiak, célèbre champion de Scrabble, ses listes pour le "petit bac", et ses études de crashs aériens.



Un bel appel à la tolérance

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Marcher droit, tourner en rond

Marcher droit , tourner en rond . (Emmanuel Venet )

Paru aux Editions Verdier en octobre 2016 , voilà un bien curieux ouvrage dont je n'aurais eu vent sans le dynamisme de l'équipe de la librairie Lafontaine qui invite cette semaine l'auteur de ce court roman à l'occasion d'un café-littéraire . Qu'ils en soient donc remerciés.

Avant que de se tourner vers l'écriture, et probablement plus par volonté de porter un message que d'entrer au panthéon de nos classements littéraires , Emmanuel Venet exerce la psychiatrie au sein de l'hôpital Vinatier , grande institution psychiatrique dont le nom faisait encore frémir dans la région il n'y a pas si longtemps , braves gens que nous sommes .

Alors oui ce psychiatre qui semble avoir plus d'un tour dans son sac , et sait manier la plume avec une gracieuse ironie mordante , ne nous fait pas de cadeaux .A nous les normaux , les bien propres sur eux , les" lisses comme la coquille d'un oeuf ton sur ton" .

Son héros atteint du symptôme d'Asperger (nom qui sonnait plutôt barbare jusqu'à récemment )assiste aux funérailles de sa grand-mère.

Face à cette pantalonnade traditionnelle et bien pensante , le petit fils de la défunte se laisse aller à un monologue intérieur .

De là nous entrerons dans les secrets de famille , les petits arrangements et les vérités arrangées par la conscience collective et le décalage offert par la structure mentale de cet homme atteint d'Asperger mettra en lumière tous nos travers liés à notre fonctionnement "normal" mais aussi normatés, nos vérités sinueuses et échappant à la loi cartésienne , ainsi que l'étrangeté que représente une forme de pensée "droit-fil" , essentiellement dirigée par la logique ,l'impossibilité d'apporter la nuance affective (qui implique aussi une vérité moins mathématique) inhérente à la vie sociale et stigmatisant douloureusement celui qui ne rentre pas dans les clous .

De là nous appréhenderons cette autre perception du monde, codifiée par ce que nous qualifierions , nous , les "normaux , des manies , un raisonnement différent car ouvert par d'autres portes et où la dimension relationnelle est amputée d'une partie d'elle même .

De là nous serons amenés à faire un facétieux voyage loin de nos contrées balisées .

Et de là peut-être , serons nous un peu plus enclins à agrandir notre capacité à accepter la différence : Asperger , autisme en général , bizarrerie en tous genres , invalidante pour celui qui la vit au regard de notre monde encore trop souvent étriqué .

A contrario d'En attendant Bojangles , pour moi racoleur et farce gratuite ," Marcher droit , tourner en rond" , apporte un véritable regard de professionnel sur le syndrome d'Asperger , à travers une histoire pourtant pleine de piquant et d'humour cocasse . L'écriture s'oublie, simple outil manié avec efficacité , humble et belle de cette humilité , pour nous ouvrir la porte de l'altérité .

Une belle découverte . Pour aller à la rencontre de l'autre . Et de soi .
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Marcher droit, tourner en rond

Une pépite de fraicheur et d'intelligence
Lien : http://zoomsurhier.over-blog..
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Précis de médecine imaginaire

Ce sont de courts textes à dégus­ter pour se guérir de la moro­sité. J’avais d’bord mis 4 coquilla­ges, car certains textes (surtout la partie sur les ondes) me plai­saient moins que d’autres. Mais j’ai suivi le conseil de Keisha : relire ces petits textes au hasard et non pas à la suite. Tous sont alors de petits bijoux . elle en a reco­pié sur son blog qui m’a pous­sée à ache­ter ce livre , à mon tour je vous en offre un et si je réus­sis à vous séduire tout le livre d’Emmanuel venet se retrou­vera sur nos blogs !
Lien : http://luocine.fr/?p=7259
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Marcher droit, tourner en rond

Margue­rite a cent ans et son petit fils est à son enter­re­ment. Tout le monde fait un portait élogieux de cette cente­naire. Oh là ! non non non, il lui manque une semaine pour être cente­naire et j’en connais un que ça agace ce manque de préci­sion : son petit fils qui vit avec un syndrome Asper­ger. Cela lui donne trois compé­ten­ces pous­sées à l’extrême : le scrab­ble, le petit bac et la connais­sance des catas­tro­phe aérien­nes. En plus, évidem­ment une inca­pa­cité totale à se satis­faire des menson­ges qui dissi­mu­lent toutes les condui­tes de faça­des en société. L’enterrement est donc pour lui l’occasion de racon­ter toutes les méchan­ce­tés des uns et des autres, c’est drôle, on a vrai­ment l’impression de voir l’envers du décor. C’est l’occasion aussi de revi­vre son amour pour Sophie peu récom­pensé malgré une belle constance de sa part.



Je pense que l’auteur, psychia­tre, a mis beau­coup de sa propre connais­sance de l’âme humaine pour écrire ce texte. Je vous cite la cita­tion de Sigmund Freud qu’il a mise en exer­gue au début du roman car j’ai souri :



La grande ques­tion à laquelle je n’ai jamais trouvé de réponse, malgré trente ans passés à étudier l’âme fémi­nine, est : » Que veut une femme ? »
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Marcher droit, tourner en rond

Un autiste de type Asperger assiste aux obsèques de sa grand-mère et nous fait part de ses pensées. Il dresse un portrait sans concession de son aïeule et de sa famille. Il est sans filtre, il se fiche des conventions, le constat est objectif et lucide mais aussi cruel et grinçant.

Ce livre est surprenant, décalé, l'humour y est acide.

J'ai vraiment bien aimé.
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Marcher droit, tourner en rond

Alors qu'il assiste aux funérailles de sa grand-mère, le narrateur s'offusque de l'absurdité de ses congénères, tristement dépourvus de la vision logique du monde que lui confère son syndrome d'Asperger. Ce faisant, il déroule une série de personnages familiaux croqués sans concessions, que seule vient illuminer l'évocation de son amour platonique et absolu pour une ancienne camarade de lycée.



Ce petit roman mordant est une lecture légère et jouissive, portée par une plume des plus plaisantes, et on peut tout à fait choisir de s'arrêter à cela. Néanmoins, il faut bien dire qu'il rate quelque peu l'objectif défini par son prétexte narratif : nous donner un point de vue décalé sur les moeurs humaines ordinaires.

En effet, tout ce qui semble ressortir des portraits au vitriol que le narrateur tire de sa famille, c'est qu'il est le seul homme vaguement sensé, équilibré et cultivé au milieu d'une troupe de phénomènes tous plus faux, crétins et hypocrites les uns que les autres. Autrement dit, aucun des lecteurs s'édifiant au-dessus de ces caractéristiques ne trouvera dans ce livre la moindre remise en cause de son comportement ni de sa perception des relations humaines. du coup, le trouble social dont est censé être atteint notre héros ne semble être rien de plus que de la lucidité.

Si on ajoute à cela le biais subtilement misogyne de l'auteur qui n'écrit que des femmes menteuses, trompeuses, profiteuses et futiles, ou bien (plus rarement) idéalisées et inaccessibles, quand les hommes sont tout au plus idiots de se laisser victimiser par ces abominations femelles, le résultat en paraît plus facile et agaçant que réellement intéressant. Dommage.
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Marcher droit, tourner en rond

Quoi de mieux, au moment des bonnes résolutions, que de se plonger dans un roman qui a pour thème principal les arrangements que nous ne cessons de faire avec la vérité, les promesses vite oubliées, les compromis qui nous font occulter quelques faits pour n’en retenir que le côté qui nous sert.

L’auteur, qui exerce la profession de psychiatre, a choisi pour illustrer son propos un «héros» atteint du syndrome d’Asperger. Cette forme d’autisme, sans déficience intellectuelle ni retard de langage, se caractérise par des difficultés dans le domaine des relations et des interactions sociales : se faire des amis, comprendre les règles tacites de conduite sociale et les conventions sociales, attribuer à autrui des pensées ou se représenter un état émotionnel.

En revanche, l’Association Autisme France nous apprend également que «les patients atteints du syndrome d’Asperger sont étonnants de par leur culture générale et leur intérêt dans un domaine spécifique dans lequel ils excellent.»

Le narrateur va nous confirmer ce diagnostic tout au long du roman, y ajoutant une définition d’un spécialiste suisse, le professeur Urs Weiss « qui définit le syndrome d’Asperger comme un variant humain non pathologique voire avantageux, puisqu’il garantit, au prix d’une asociognosie parfois invalidante, une rectitude morale plutôt bienvenue dans notre époque de voyous. »

Voici pour le côté théorique, en espérant ne pas vous avoir perdu jusque-là, amis lecteurs, parce que le côté pratique nous offre quelques pages délicieusement jubilatoires sur la mauvaise foi, les secrets de famille plus ou moins bien gardés et l’hypocrisie qui règne en maître dans certaines circonstances.

Il s’agit en l’occurrence d’une cérémonie de funérailles qui déstabilise au plus haut point le narrateur : « Je ne comprendrai jamais pourquoi, lors des cérémonies de funérailles, on essaie de nous faire croire qu'il y a une vie après la mort et que le défunt n'avait, de son vivant, que des qualités. Si un dieu de miséricorde existait, on se demande bien au nom de quel caprice il nous ferait patienter plusieurs décennies dans cette vallée de larmes avant de nous octroyer la vie éternelle; et si les humains se conduisaient aussi vertueusement qu'on le dit après coup, l'humanité ne connaîtrait ni les guerres ni les injustices qui déchirent les âmes sensibles. »

Tout en approuvant cette logique imparable, on va bien vite se rendre compte que l’enfer est effectivement pavé de – telles – bonnes intentions. Faut-il dire que le cousin Henri est le fruit d’un viol, qu’Octave a été tué sur le chemin des dames par un tir venu de son camp, que le grand-mère Marguerite (que l’on enterre) a noué une relation extraconjugale avec un riche voisin et que la tante Lorraine en serait le fruit défendu ? Parmi les petits arrangements avec la réalité que cette dernière nous offre, on peut rajouter les régimes amaigrissants ou les cures thermales aussi sensationnels que sans résultats qu’elle suit année après année. On citera encore les positions politiques diamétralement opposées des cousines Marie et Christelle qui n’ont aucun scrupule à agir en opposition avec leur discours.

On se régale de ce petit jeu de massacre, agrémenté par les deux passions de notre homme, à savoir le jeu de scrabble et les catastrophes aériennes.

Et s’il vous fallait un argument supplémentaire pour vous plonger dans ce livre, terminons avec une histoire d’amour. Sophie Sylvestre, croisée sur les bancs de l’école, pourrait en effet devenir la plus heureuse des femmes, car un mari atteint du syndrome d’Asperger lui offrira un «gage de franchise, de réserve et de probité amoureuse.»

Mais je vous laisse découvrir par vous-même comment cette possible idylle va se développer…


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Marcher droit, tourner en rond

Approche très originale de la perception du monde et en particulier de l’environnement familial à l’occasion des funérailles d’une grand-mère par un héros atteint du syndrome d’Asperger, forme d’autisme combinant une intelligence hors du commun et une désinhibition vis à vis des normes sociales. Cela nous donne l’occasion d’appréhender tous les affres et hypocrisies familiales sous un angle redoutable : la transparence totale. L’écriture finement ciselée est jubilatoire et permet un humour noir décapant.

Cela nous donne l’occasion de réviser les capitales du monde puisque l’auteur est fanatique du “petit bac”.

En une centaine de pages, l’auteur fait tomber le voile recouvrant nos petites vies mesquines et évoque aussi, peut-être un peu vite les grands mensonges sur lesquels reposent nos sociétés occidentales.

Et nous fait poser ces questions : où est l’anormalité ? pourrait-on vivre sans ces hypocrisies ?
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Marcher droit, tourner en rond

Ce roman est assez désopilant : un homme, frappé du syndrome d'Asperger, pointe les innombrables incohérences de la vie des membres de sa famille, tout en racontant sa vie faite d'un amour secret avec une camarade de lycée et de passions pour les catastrophes aériennes et le scrabble. C'est très poil à gratter, savoureusement mordant et ironique. L'auteur évite me semble t-il d'être cynique. C'est très bien écrit, assez facile à suivre. L'exercice, savoureux pendant une bonne partie de la lecture, souffre cependant sur la distance. Une belle surprise, néanmoins.
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