Citations de François Cheng (1653)
"[...] avant d'attaquer une œuvre (ou de tracer le moindre trait), le peintre en possède l'idée entière ; et, une fois l'œuvre terminée, l'idée la prolonge encore.
Chang Yen-yuan (dynastie T'ang)
(p.28)
"Un poème est une peinture invisible. Une peinture est un poème visible." Guo Xi
En ce changement du temps cyclique, formulons le souhait que chaque jour qui se donne soit l'occasion pour chacun de renaître à la vraie vie.
Chaque expérience de beauté, si brève dans le temps tout en transcendant le temps, nous restitue chaque fois la fraîcheur du matin du monde.
Roses écloses
Roses défuntes
Brefs les pétales
Long le parfum...
Je pensai à mon père qui m'apprit à tenir le pinceau, à le tremper dans l'encre et à calligraphier le premier caractère. C'était cela ma véritable naissance au monde.
A ce souvenir, vint alors se superposer à son image celle du vieux peintre calligraphe rencontré sur le chemin, en compagnie de Haolang.
Etais-je en train de vivre une de ces scènes tant de fois répétées dans l'histoire chinoise? Un jeune à la recherche de sa vérité rencontre, au détour d'une route déserte ou au fond d'une vallée obscure, un vieillard qui, en réalité, l'attendait là. Si le jeune ne sait pas voir, il passera son chemin. S'il sait voir, il entrera dans sa vraie vie. Le vieillard, avant de disparaitre aussi mystérieusement qu'il est apparu, délivre par quelques gestes ou par quelques paroles un message décisif. C'est ainsi que le signe du père continue ; c'est bien par ce signe, n'est-ce pas, que la Chine depuis tant de millénaires survit.
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Chaque expérience de beauté, si brève dans le temps tout en transcendant le temps, nous restitue chaque fois la fraîcheur du matin du monde.
J'ai un sentiment de profonde fraternité avec les jeunes, je me sens plein d'empathie tremblante et de tendresse, car je sais que chacun va passer par un chemin semé d'épreuves. Si Dieu me prête encore vie, je vais écrire un livre pour eux. Ce sera mon œuvre ultime, c'est évident. Je ne suis pas sûr d'y arriver, mais la chose est là. J'ai déjà commencé. A mon âge, on connaît des expériences indicibles. Physiquement, on est démuni. Par contre, l'esprit suit toujours un mouvement ascensionnel. On est étreint par les mêmes émotions, mû par la même passion. Je n'attends pas bêtement la fin. Je suis toujours tendu vers l'ouvert.
(dans "Télérama" no 3608, 6 mars 2019)
" [...] toute vraie bonté, qui est à la base de nos meilleures vertus, rayonne de beauté, puisque la bonté n'est autre que le respect foncier du merveilleux don de la Vie. "
( Discours sur la vertu. Séance publique annuelle de l'Académie française le 29 novembre 2007)
Pour atteindre la vraie profondeur, il faut suivre des sentiers pleins de méandres; il faut longer des bosquets riches de secrets.
Il y a encore par delà les feuillages, l'humble étang avec des libellules qui l'effleurent, des fleurs de lotus qui l'abritent.
Sauras-tu t'asseoir auprès de cet étang, prêter l'oreille à ce qui y murmure, prêter le cœur à ce qui y palpite ?
Une fois que les conditions et les chances sont réunies, et que l'homme a réalisé ce qui est en son pouvoir, ce qui ne doit pas venir ne viendra pas, et ce qui doit venir viendra...
Quand se tait soudain le chant du loriot,
L'espace est empli de choses qui meurent.
Touchant en cascade un long filet d'eau
Ouvre les rochers de la profondeur ;
Le vallon s'écoute et entend l'écho
D'immémoriaux battements de cœur.
En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourra paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l'univers vivant : d'un côté, le mal; de l'autre, la beauté.
À partir de la naissance, chaque visage est façonné par toute une vie de désirs refoulés, de tourments cachés, de mensonges entretenus, de cris contenus, de sanglots ravalés, de chagrins niés, d'orgueil blessé, de serments reniés, de vengeances caressées, de colères rentrées, de hontes bues, de fous rires réprimés, de monologues interrompus, de confidences trahies, de plaisirs trop vite survenus, d'extases trop tôt évanouies.
Chaque ride en porte la marque aussi sûrement que les anneaux d'un arbre.
C'est tout cela que le visage révèle de la personne, à son insu, malgré l'effort surhumain qu'elle déploie quotidiennement pour le cacher.
Le visage, c'est bien ce que chacun connait le moins bien de lui-même.
C'est ce que chacun porte, au-dessus, des épaules, afin que les autres puissent le reconnaître, lui coller un nom, l'aimer un peu ou le haïr beaucoup ....
Au milieu d'une grotte où nous étions entrés par hasard, nous fûmes saisis de stupeur et demeurâmes immobiles, cois.
Nous nous sentions enveloppés, aspirés, par ce qui s'animait tout autour : couleurs et formes représentant des scènes intimes ou grandioses, qui tapissaient entièrement les murs et les plafonds, la plupart depuis plus de mille ans, dans toute leur fraîcheur intacte..........
.........C'était la vie même qui ressuscitait, qui s'éveillait au contact de notre regard .
Miracle de l'instant. Le temps était mort; voilà qu'il renaissait, déployant devant nous, avec superbe, tout ce qu'il contenait de mémoire et de promesse.
Au coeur de l'espace clos, un espace d'outre-monde, jadis habité par tout un peuple d'adorateurs qui, avant de disparaître, avaient confié là, dans ces secrets abris, tous leurs trésors : leurs souffrances comme leurs joies, leur vécu comme leurs rêves, leurs amours, leur vérité, dans une sorte de glorification à la fois exaltée et sereine.
Un chant inouï émanant de cet espace portait le visiteur, le transportait, le poussait plus loin, vers une autre grotte, puis une autre encore ....
Chez un être, la beauté de l'âme transparaît dans le regard et se traduit par un ensemble de gestes. Elle nous touche au-delà des mots.
Seule les larmes muettes parviennent parfois à dire l'émotion qu'elle suscite.
La vraie beauté est élan même vers la beauté, fontaine à la fois visible et invisible, qui jaillit à chaque instant depuis la profondeur des êtres en présence. Puisque la beauté est rencontre, toujours inattendue, toujours inespérée, seul un regard attentif peut lui conférer étonnement, émerveillement, émotion, jamais identiques.
Un poème est une peinture invisible...
Une peinture est un poème visible...
Puisque tout ce qui est de vie
Se relie,
Nous nous soumettrons
À la marée qui emporte la lune,
À la lune qui ramène la marée,
Aux disparus sans qui nous ne serions pas,
Aux survivants sans qui nous ne serions pas,
Aux appels qui diminuent,
Aux cris muets qui continuent,
Aux regards figés par les frayeurs
Au bout desquelles un chant d'enfant revient,
À ce qui revient et ne s'en va plus,
À ce qui revient et se fond dans le noir,
À chaque étoile perdue dans la nuit,
À chaque larme séchée dans la nuit,
À chaque nuit d'une vie,
À chaque minute
D'une unique nuit,
Où se réunit
Tout ce qui se relie
À la vie privée d'oubli,
À la mort abolie.
Ce qui vient de là-bas
Un orage qui s’annonce
Ce qui résonne ici
Un orage qui s’éloigne
Entre deux, patiemment
Soudain précipitée
Une marée qui s’amène
Qu’une mouette enlève
Ivre d’embruns, de vent
Nous mordons dans le sable
De nos désirs enfouis
Au goût d’algues séchées