Citations de Henri Michaux (1632)
La poésie est un cadeau de la nature, une grâce, pas un travail. La seule ambition de faire un poème suffit à le tuer.
Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête - innocent ! - sans songer aux conséquences.
" L'homme est un enfant
qui a mis une vie à se restreindre,
à se limiter, à se voir limité, à s'accepter limité.
Adulte, il y est parvenu, presque parvenu..."
J'écris pour me parcourir.
MA VIE
Tu t'en vas sans moi, ma vie.
Tu roules.
Et moi j'attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t'ai jamais suivie.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l'apportes.
A cause de ce manque, j'aspire à tant.
À tant de choses, à presque l'infini...
À cause de ce peu qui manque, que jamais n'apportes.
(Extrait de "La Nuit Remue" Poésie/Gallimard)
Si un contemplatif se jette à l'eau, il n'essaiera pas de nager, il essaiera d'abord de comprendre l'eau. Et il se noiera
On n’est peut-être pas fait pour un seul moi.
Ne désespérez jamais, faites infuser.
Tranches de savoir (1950)
Être vivant, c'est être prêt. Prêt à ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journée. D'une prévoyance incessamment et subsconciemment ajustée. L'état normal, bien loin d'être un repos, est une mise sous tension en vue d'efforts à fournir... Mise sous tension si habituelle et inaperçue qu'on ne sait comment la faire baisser. L'état normal est un état de préparation, de disposition vers
les gouffres
UN CAS DE SPONTANÉITÉ MAGIQUE
Sur une grande route,
il n’est pas rare de voir une vague,
une vague toute seule,
une vague à part de l’océan.
Elle n’a aucune utilité, ne constitue pas un jeu.
C’est un cas de spontanéité magique.
Semblablement, ceux qui sont des imbéciles notoires, je me garde bien de les juger tels. Les érudits, les savants, sont ceux qui ont accepté et les imbéciles et les ignorants, ceux qui n'ont pas accepté...J'ai souvent remarqué, dans les études secondaires, que les élèves « imbéciles » butaient avec une grande sûreté sur le hasardeux, le spéculatif et le nœud de la théorie proposée. Ils posaient des questions au professeur là-dessus, qui leur réexpliquait la chose. Eux cependant restaient songeurs, aux rires et ricanements de la populace des forts en thème. Dans la suite, j'ai remarqué que ces théories renversées par de successifs savants l'étaient justement par cet endroit où l'imbécile de 15 ans avait mis le doigt. (Ecuador, Gallimard, 1929, p.77-78)
Cité par Jean François Billeter dans Trois essais sur la traduction, page 85.
Foi, semelle inusable, pour celui qui n'avance pas !
“Ne t’agite pas, mon être, ne te lamente pas, ne me brise pas
Souvenons-nous de nous retenir
Dans l’amitié du silence
enfonçons seuls dans la nuit immense”
N’apprends qu’avec réserve. Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que, naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences.
"Une chose indispensable : avoir de la place. Sans la place, pas de bienveillance. Pas de tolérance, pas de… et pas de…
Quand la place manque, un seul sentiment, bien connu, et l’exaspération, qui en est l’insuffisante issue.
Avec plus d’espace, tu peux avoir plus de sentiments, plus variés. Pourquoi dans ce cas t’en priver ?"
Dans une époque d'agités, garde ton "andante". En toi-même redis-toi toujours : "Davantage, davantage d'andante", tâchant de t'amener où il faut que tu arrives. Sinon, précipité, tout devient superficiel. Les indignés du moment n'y échappent guère, pressés comme ils sont, afin de n'être jamais en retard d'une indignation. Leurs voix aussi ont trop d'aigu.
Emportez-moi
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle.
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Etant multiple, compliqué, complexe, et d'ailleurs fuyant - si tu te montres simple, tu seras un tricheur, un menteur.
Tu l'es. Fais au moins quelquefois un effort de sincérité au lieu de te dissimuler dans le courant de l'époque ou dans un de ces groupes où par amitié, naïveté ou espérance on s'unifie.
Toute science crée une nouvelle ignorance.
Tout conscient un nouvel inconscient.
Tout apport nouveau crée un nouveau néant.
LES ÉMANGLONS
Mœurs et coutumes
Le travail est assez mal vu des Émanglons, et, prolongé, il entraîne souvent chez eux des accidents.
Après quelques jours d'un labeur soutenu, il arrive qu'un Émanglon ne puisse plus dormir.
On le fait coucher la tête en bas, on le serre dans un sac, rien n'y fait. Cet homme est épuisé. Il n'a même plus la force de dormir. Car dormir est une réaction. Il faut encore être capable de cet effort, et cela en pleine fatigue. Ce pauvre Émanglon donc dépérit. Comment ne pas dépérir, insomnieux, au milieu de gens qui dorment tout leur saoul ? Mais quelques-uns en vivant au bord d'un lac, se reposent tant bien que mal à la vue des eaux et des dessins sans raison que forme la lumière de la lune, et arrivent à vivre quelques mois, quoique mortellement entraînés par la nostalgie du plein sommeil.
Ils sont faciles à reconnaître à leurs regards vagues à la fois et insistants, regards qui absorbent le jour et la nuit.
Imprudents qui ont voulu travailler ! Maintenant il est trop tard.
VOYAGE EN GRANDE GARABAGNE - 1936