Citations de Henry de Montherlant (767)
Épouser un individu, passe encore. Mais il faut épouser un troupeau d’inconnus, l’obscène tribu des pères et mères, frères et sœurs, oncles et tantes et cousins, qui ont des droits sur vous eux aussi, ne serait-ce, en mettant les choses au mieux, que celui de vous faire perdre votre temps.
Pour ces Français de l'après-guerre, si esclaves du quotidien, si embourbés dans le petit, si fermés à tout idéal, ce premier torse nu - étrange, au ciel de la salle, comme un ange ou un démon, peint d'une main florentine, dans le registre supérieur de la toile, - c'est la porte soudain ouverte sur un monde plus haut, qui leur arrive avec une ondée de gravité. Un monde plus haut, et il est le leur. Ô hommes ! Cette forme émouvante, ce n'est pas une forme irréelle, ce n'est pas le fantôme d'un paradis du mensonge : c'est le fils Guillet, le fils du plombier, celui qui démonte et remonte tout le temps sa bécane. C'est leur fils à eux, c'est leur frère, c'est eux-mêmes. L'homme de la tête baissée lève la tête et voit Dieu. Et il voit que, Dieu, c'est lui.
Je ne vous aime pas. Je veux dire que je ne vous aime pas à fond. Et il y a un abîme entre aimer à fond, et aimer autrement qu’à fond. Aimer autrement qu’à fond, c’est ne pas aimer. Ma vie est ailleurs. Ma vie est là où vous n’êtes pas. Vous avez été un malentendu…
la vie devient une chose délicieuse, aussitôt qu'on décide de ne plus la prendre au sérieux.
“La frivolité est dure comme de l’acier.”
Plus on aime vraiment, moins on le dit.
Vivre, pour [la femme] c'est sentir. Toutes les femmes préfèrent se consumer en brûlant, à être éteintes ; toutes les femmes préfèrent être dévorées, à être dédaignées.
La moitié des mariages maudits sont des mariages où l’un des deux a épousé par pitié.
Il y a en vous un feu, mais ce n'est pas celui dont parle Saint Bernard, c'est un feu qui brûle et qui n'éclaire pas.
Que m'importe le lien de sang ! Il n'y a qu'un lien, celui qu'on a avec les êtres qu'on estime ou qu'on aime. Dieu sait que j'ai aimé mon fils, mais il vient un moment où il faut en finir avec ce qu'on aime. On devrait pouvoir rompre brusquement avec ses enfants, comme on le fait avec ses maîtresses.
(La Reine morte)
Publier un livre, c'est parler à table devant les domestiques.
L’inhumanité de Costals ne venait pas de ce qu’il ne pût ressentir des sentiments humains, mais au contraire, de ce qu’il pût les ressentir tous indifféremment à volonté, comme s’il ne fallait pour chacun d’eux que presser le bouton approprié.
Ah ! que ne pouvons-nous dans une étreinte nous envoler,
l'un dans l'autre, comme volent les mouches accouplées,
emportés jusqu'aux constellations sur le dos géant de l'espace,
comme une fleur d'églantine qu'une tortue d'eau emporte sur sa carapace !
Vous avez prononcé : "Tel acte tel paiement", et quand vous le prononciez la première fois, cela signifiait que je devais payer pour quelque chose. Mais pour quoi au juste ? Payer pour quoi ? le plaisir que j'ai eu, ou le mal que j'aurais fait ? S'il faut payer pour le plaisir, soit : il ne sera jamais assez payé ; le plaisir que m'ont donné les femmes est le comble de ce que peut donner la créature humaine. Mais le mal ? Quel mal ai-je fait ? J'ai rendu les femmes heureuses. Les mariées, pourquoi leurs maris ne leur suffisaient-il pas ? Et, des vierges, je dirai ce que disent les hommes de guerre, quand ils pillent les maisons de leurs compatriotes : que s'ils ne le faisaient pas, c'est l'ennemi qui le ferait. Les veuves, je m'occupais avec réserve de l'orphelin. Les nonnes, je comblais d'offrandes leur couvent. Les vieilles filles, je leur donnais des illusions. Les jeunes, je leur apprenais à mûrir, je leur faisais ce que le soleil fait aux fruits.
Acte II, scène 4
Je suis de la race désireuse des hommes : ce que j'aime, c'est savoir comment elles sont quand elles cèdent, et comparer... Qu'est-ce que le bonheur, pour ma race ? Le bonheur, c'est le moment où un être consent.
Et, à tout jamais, ce tort envers Solange, non seulement d’être entré dans ce mariage comme dans quelque chose dont on sortira, mais de l’avoir considéré comme une sorte de repoussoir destiné à me rendre la vie qui suivra plus violemment heureuse.
En revanche, il est toujours très laborieux de faire réaliser à une femme qu'on ne l'aime pas ou qu'on ne l'aime plus, que sa présence n'est pour vous qu'accablement et temps perdu, et que tout ce qu'on attend d'elle est qu'elle fasse place nette. Vouloir noyer doucement une femme, c'est comme vouloir noyer un chat : on rencontre une terrible vitalité. C'est pourquoi il n'y a de liaisons vraiment agréables que celles où l'on est plaqué.
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Quoi qu'ils fussent en train de faire, et quelle qu'en fût l'importance, il fallait tout planter là pour aller prendre le thé, comme ces chats qui s'arrêtent pile au plus fort d'une galopade en apparence pleine de détermination, pour se lécher le derrière. Prendre le thé s'étendait sur une heure : il ne s'agissait probablement que de tuer le temps.
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Voyez-vous, il n'y a qu'une façon d'aimer les femmes, c'est d'amour. Il n'y a qu'une façon de leur faire du bien, c'est de les prendre dans ses bras. Tout le reste, amitié, estime, sympathie intellectuelle, sans amour est un fantôme, et un fantôme cruel, car ce sont les fantômes qui sont cruels ; avec les réalités on peut toujours s'arranger.
FERRANTE
C'est le sort des hommes qui se contraignent à l'excès, qu'un jour vient où la nature éclate ; ils se débondent, et déversent en une fois ce qu'ils ont retenu pendant des années. De là qu'à tout prendre il est inutile d'être secret.