Jacqueline Kelen considère que les contes s'adressent à notre âme plus qu'à notre psychisme. D'ailleurs, elle souligne, dès le prologue, la différenciation qu'elle fait entre psychisme et âme. "Le psychisme est le domaine trouble et fluctuant, jamais apaisé, des émotions, désirs, sentiments et pensées dans lequel joue une bonne part d'inconscient et qui s'avère précaire et périssable. Il est l'objet de la psychologie et des psychothérapies, tandis que la vie de l'âme relève de la métaphysique et de la mystique." (p.19) Dès lors, on repense à l'ouvrage célèbre de
Bruno Bettelheim "
Psychanalyse des contes de fées" et on comprend que le propos ne sera pas le même, que le point de vue diverge, que l'axe analytique s'ouvre vers un discours nouveau.
Nouveau ? Pas tout à fait non plus, puisque l'auteure se rattache d'elle-même à des discours sur l'âme bien antérieurs au Christianisme. Son ouvrage s'enracinerait alors plutôt dans une culture païenne et ancestrale, loin des préoccupations du monde actuel.
Si les analyses sont intéressantes de part leur caractère inédit, elles n'amènent à considérer qu'une unique idée en fin de compte : le devenir de l'âme. Dans cet essai, il s'agit d'observer le parcours initiatique d'une âme de passage dans le monde terrestre devant se préparer pour son élévation vers la prochaine étape, en prenant garde de ne pas être pris dans le piège du monde matériel.
Malheureusement, cette obsession de l'âme destinée à d'autres sphères débouche sur un discours peu différent des autres approches.
Jacqueline Kelen a beau reléguer la science, la religion, la psychologie à des paroles inférieures, étriquées : "Certes, on peut en rester à des explications psychologiques et psychanalytiques, on peut en tirer une morale édifiante et même des conseils d'ordre spirituel. Mais l'essentiel est ailleurs, difficile à raconter puisqu'il concerne les chemins de l'invisible" (p.164), en comparaison de la spiritualité, de la métaphysique, il n'empêche qu'au final cette dernière s'enlise à force de se présenter comme LA parole. La spiritualité semble être la seule voie bénéfique et salutaire pour tout un chacun. C'est dommage de s'enfermer de cette manière.
De même, le commun des mortels en prend régulièrement pour son grade : "Le voyage dans l'au-delà ne paraît guère intéresser nos contemporains, férus uniquement de guides touristiques pour arpenter la terre, tandis qu'il est la préoccupation majeure de la civilisation de l'Égypte ancienne et le thème principal de l'enseignement délivré par les religions à mystères de l'Antiquité" (p.165) ou "Au lieu de se livrer à des futilités durant leur existence, au lieu de s'illusionner et de croire que les jours heureux dureront toujours, les hommes devraient acquérir la sagesse qui seule peut les sauver des griffes du temps et de la gueule du loup" (p.171).
Bien qu'au final l'homme ne soit pas si mal placé dans la hiérarchie artificielle du vivant : "On assiste ainsi à une lente évolution, à une patiente élévation du minéral au végétal et à l'animal, mais qui ne culmine pas avec l'homme." (p.282) Je trouve toujours "intéressant" cette arrogance, cette vision égocentrée, qui consiste à extraire l'homme de sa condition animale pour statuer sur sa supériorité. Heureusement qu'ici, il reste encore une étape finale dans l'élévation. Et pourquoi seulement une, pourrait-on se demander…
On regrettera également le fait qu'il n'y ait pas d'explication quant au choix des contes. Pourquoi ceux-là et pas d'autres ? de plus, on peut rester perplexe par moment face aux commentaires de texte de l'auteure qui puise dans une culture mystique approfondie qui n'est pas celle de tout le monde. Cela aurait mérité par moment de plus amples explications pour que le discours ne paraisse pas péremptoire ou arbitraire.
C'est par exemple ce qui m'a surpris avec ce passage : "Sur terre, on dit que les contraires s'attirent et que dans un couple harmonieux l'homme et la femme sont complémentaires. Cela vaut peut-être sur le plan psychologique, mais sur le plan spirituel le semblable attire et désire le semblable et peut seul s'unir au semblable." (p.321) Je connaissais les deux expressions, mais je ne comprends pas pourquoi l'une conviendrait mieux au plan psychologique et l'autre au plan spirituel. Sur quelle base ? Selon les dires de qui ?
Enfin, je me suis étonné de cette phrase : "On constate aisément que ces contes ne font référence ni au Dieu Père du christianisme, ni à Jésus, aux anges ou aux saints." (p.15) Pour avoir les éditions complètes des contes des frères Grimm, d'Andersen et de Perrault, plusieurs font référence à ces entités comme "Le Pauvre et le Riche" où dès la première ligne Dieu foule la terre en personne chez les Grimm, ou bien "L'Ange" d'Andersen qui évoque ces serviteurs de Dieu. Et quand bien même "ces contes" renverraient aux contes de cet ouvrage-ci, Dieu est présent dans "La petite Sirène". Il est vrai qu'après, tout dépend des traductions. Peut-être alors qu'il faut s'en méfier pour savoir retourner vers les textes originaux pour faire un travail d'analyse.
En conclusion, c'est un livre assez déroutant quand on n'a pas l'habitude de ce genre d'essai. Si je me suis laissé porter au début, petit à petit l'auteure m'a perdu notamment à cause des défauts précités. le public de
Jacqueline Kelen ne manquera probablement pas de se plonger dans ces écrits, pour ma part, ça ne m'a pas donné plus envie que ça de découvrir le reste de sa bibliographie. Si parfois mes idées actuelles rejoignent les siennes, les critiques amères et un peu hautaines tenues dans l'ouvrage, nous séparent. Quand aux contes, je préfère largement les lire et relire. Ils sont bien meilleurs loin de toutes tentatives d'explications et non nul besoin d'être rattachés à tel ou tel courant idéologique. Qu'ils s'adressent à notre part enfantine, à notre psyché ou à notre âme, les contes se suffisent en eux-mêmes.