Citations de Jacques Sternberg (220)
Je n’ai besoin que d’une ligne droite pour réinventer la géométrie et de quelques débris d’alphabet pour recréer l’algèbre.
Certains rêvent quand ils ferment les yeux, moi je ne vois rien ; jamais. Parfois une couleur quand j’ai le soleil dans les yeux, sinon du noir. Rien d’autre.
Il faut se résigner à suivre simplement. Sans savoir quoi, ni pourquoi. Suivre en admettant que je ne suis pour rien dans cette affaire et que tous mes réflexes sont téléguidés par quelque gigantesque société anonyme qui m’emploie, me dirige et me fait accomplir des actes dont je ne comprends ni le sens ni la portée. Les robots savent-ils qu’ils sont des robots ? Parfois peut-être, confusément. Comme moi.
En 2494, à la fin du XXV° siècle - celui que l'on appela plus tard "l'âge de l'infini" - les terriens franchirent la zone pourpre de la galaxie K et, pénétrant dans une ère nouvelle d'ivresse et de gloire, ils annexèrent la première planète de cette galaxie, un monde que l'on désigna sous le nom de Stryx.
Conquête sans combat et sans pertes. Les stryges de Stryx n'opposèrent aucune résistance aux envahisseurs et ils les accueillirent au contraire dans la plus parfaite indifférence.
Mais les stryges furent une grande déception pour les terriens. Normalement constitués, humains de toute façon, assez semblables aux terriens, non dénués d'une certaine forme d'intelligence, mais étrangement apathiques et indolents, ataviquement mélancoliques, incapables de se défendre ou d'attaquer, les stryges ne firent pas une très bonne impression sur les êtres pleins de vitalité qui venaient de débarquer sur leur monde...
(extrait de "Les Stryges")
Les hommes politiques et les chefs de section, les militaires et les capitaines d'industries, les aigles de bureaux et les bâtisseurs d'entreprise sont des personnages qui me font rigoler, me paraissent infiniment ridicules avec leurs certitudes de jongler avec le monde alors qu'ils ne manient en réalité que des bulles de savon et qu'ils sont eux-mêmes des bulles de savon.
Aujourd'hui, j'y pense. Et demain, je serais mort. Ainsi va la vie. Du berceau au cercueil, il n'y a finalement qu'un mètre d'écart.
L'image m'entra dans le regard avec une telle force que je demeurai un instant étourdi.
Le rideau ne se lève pas encore, car il est chez le teinturier. (Le rien)
LE DÉBUT
Le crépuscule qui tombait sur l'univers tout neuf annonçait la première nuit.
Adam s'approcha d'Ève, d'un air engageant, visiblement satisfait de lui, le sexe dressé, les mains ouvertes. Qu'il projeta vers les beaux seins de sa compagne. Qui accusa un imperceptible mouvement de recul.
- C'est ennuyeux, lui dit-elle, mais vous n'êtes pas du tout mon type.
Le point final
Dieu créa le monde en six jours, on l'avait assez dit. Puis il se reposa le septième jour.
Cela lui permit de réfléchir. Et terrifié par le monstre galactique qu'il venait de jeter dans les espaces infinis, il créa la mort le lendemain.
C'est avec quelque étonnement qu'on remarquait à la porte de cet imposant caveau de famille l'avis "je reviens dans un instant."
La citation est en fait l'intégralité d'une des 153 histoires brèves ( quelques lignes à quelques pages) de l'ouvrage.
La rampe
J'étais arrivé au deuxième étage quand j'eus l'idée de regarder ma main, avec une singulière insistance qui allait jusqu'au malaise.
Elle était accrochée à la rampe de l'escalier et, malgré moi,je pensais qu'on aurait pu croire à quelque gros mollusque fait pour sucer le bois des vieilles demeures en bavant lentement sa volonté d'arriver à son terme.
Un peu effrayé, je retirai mon bras de la rampe.
Je le retirai brusquement, je sentis le choc, mais la main, elle, la main resta accrochée à la rampe.
Elle continua de ramper, un peu plus rapide toutefois, comme allégée d'un poids inutile.
Elle arriva au cinquième, contre le mur, et là, immobile, elle m'attendit.
y avait eu les quelques rares bégaiements sentimentaux qui ne pouvaient que déraper dans la confusion, les poncifs de la mièvrerie, la naïveté crémeuse évoquant la pâtisserie, jamais la passion.
Des années passèrent. Les unes après les autres quand les 31 décembre avaient la mémoire des incidents, les unes dans les autres quand, pour quelque raison, les horloges s'arrêtaient de battre les secondes. Certaines passaient bien lentement, plus âcres qu'un nuage de gaz toxique ; d'autres, en revanche, filaient fulgurantes, insaisissables, comme ces grands poissons qui naviguent, phosphorescents, dans le ciel, quand les nuits sont très noires.
Depuis quelques mois déjà, j'exerçais la profession d'architecte. Cet emploi apparemment sans grand intérêt, je l'avais trouvé par les petites annonces, un soir de chômage, alors que je venais de perdre avec regret une très belle situation de coursier. Résigné à toutes les déchéances, de coursier, j'étais donc devenu architecte le lendemain, après avoir appris l'essentiel du métier entre le crépuscule et l'aube. Deux jours plus tard, établi à mon propre compte, j'entreprenais mes premières réalisations.
J'avais besoin de l'illusion qu'elle m'apportait.
Comme si j'avais vécu sur deux plans à la fois, dans une réalité qui ne me concernait plus et dans le souvenir d'un passé tout proche et pourtant à jamais perdu.
elle n'avait rien appris d'autre que sa tristesse, ses flambées d'agressivité ou de joie, sa tendresse équivoque ou sa cruauté d'inconsciente
Derrière l'apparence, il y avait peut-être la réalité. L'apparence faisant fonction d'ombre protectrice.
JURY
Celui qui accepte de faire partie d'un jury, quel qu'il soit, n'aurait-il pas en lui la nostalgie de n'être ni policier ni juge ni censeur ni directeur de conscience ? (p.118)