Citations de Jean-Claude Carrière (447)
À présent, il s'en fallait de peu que je dise au vieil homme que l'histoire du suicide aussi était un mensonge. Et que je lui dise que j'avais baptisé ce lac « le Murmurant ». C'est un nom romantique à la noix, pourtant le soir il y a des murmures dont je ne comprends pas la langue. Mais il y a des soirs où j'ai murmure tout près d'ici un nom - qui est très loin d'ici et qu'un jour, un jour lointain, j'ai aimé, et ceci aussi est très loin d'ici. L'eau entend les voix, les poissons ont appris ce nom de l'eau, ils l'ont appris par cœur…
(L’oreille des poissons, Shahryar Mandanipour)
l'erre impatiemment de-ci, de-là. Dans un coin tranquille, je trouve une chaise vide. Une ombrelle de feuilles au-dessus de la tête. Un tapis de verdure sous les pieds. La main de la brise sur ma peau fiévreuse. Un poème oublié sur les lèvres de mon silence : « Feuille au vent... » La mémoire est troublée par l'assaut des sout venirs; alourdie. « Feuille au vent, j'avance au souffle de mes pas. » Quel poète, quelles lèvres l'ont chanté ? Quel amoureux, quel cœur a ainsi recouvert son désir ?
SEPÚLVEDA : Ces Indiens dont vous nous parlez, vous avez été aveuglé sur leur véritable nature.
LAS CASAS : Par exemple ?
SEPÚLVEDA : Vous dites avec insistance qu'ils sont doux comme des brebis. Mais s'ils sont comme des brebis, alors ils ne sont pas des hommes ! Qui peut dire que l'homme est doux ?
LAS CASAS : Mais le Christ le dit ! Il ne cesse de le dire ! "Si on vous frappe, tendez l'autre joue ! (*)"
SEPÚLVEDA : Il ne dit pas que nous sommes doux. Il dit que nous devons nous efforcer de l'être. Et il dit aussi : "Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée ! (*)" Le Christ aime ce combat ! Il aime cette conquête ! Sinon, croyez-vous qu'il aurait permis ce nouveau massacre des innocents ?
(*) Evangile de Matthieu
LAS CASAS : Quelquefois on embroche les Indiens par groupes de treize, on les entoure de paille sèche et on y met le feu...
SUPÉRIEUR : Et pourquoi par groupes de treize ?
LAS CASAS : Pourquoi ? Pour honorer le Christ et les douze apôtres ! Oui, je vous dis la vérité. Le Seigneur a été "honoré" par toutes les horreurs humaines.
Je me dis aussi, avec d'abord une certitude crainte, qu'il n'y a peut-être rien à dire sur la paix, ou presque rien, puisque la paix est d'abord une passivité, une absence de conflits, de guerres, d'activités dangereuses, hostiles en tout cas.
Elle est une immobilité, un statu quo.
Si j’ai conquis cette terre, c’est parce que Dieu l’a voulu. Il a fait de moi le plus fort. La civilisation que j’ai subjuguée, même si je ne peux m’empêcher de la trouver belle, n’a pour futur que la disparition. Voilà sans doute ce que pensait Cortés, à supposer que le problème l’effleurât, ce qui est loin d’être assuré.
Il regarde l’Africain silencieux, qui balaie lentement les débris de l’idole.
Pourquoi se faire une terreur de la mort, se disait-il, alors que c'est un événement aussi banal et aussi simple ?
Hibou
"Moi ? Oh moi je vis à l'écart, dans une maison délabrée.
Je suis né dans les ruines et je m'y plais.
J'ai bien trouvé des centaines de lieux habités, mais les uns sont dans le trouble, les autres dans la haine.
Celui qui veut vivre en paix doit aller parmi les ruines."
(p. 47)
Colombe
"Un roi avait une fille, belle comme la Lune.
Il était impossible de la voir sans l'aimer.
Ses yeux, à demi fermés par le sommeil ou une douce ivresse, éveillaient continuellement la passion.
Devant l'éclat de ses lèvres, le rubis le plus pur séchait de jalousie.
Et si le sucre en avait connu la saveur, il aurait fondu de honte."
(p.42 et 43)
Rossignol
"Quand la rose répand dans le monde, au commencement du printemps, son odeur suave, je lui ouvre gaiement mon cœur.
Mes peines s'effacent. Lorsqu'elle ne se montre pas, je me tais.
Mes secrets ne sont pas connus de tout le monde, mais la rose les sait avec certitude. Je suis entièrement plongé dans l'amour de la rose.
Ma propre existence, je n'y songe pas. Je ne désire pour moi que la rose.
Atteindre le simorgh est au-dessus de mes forces.
L'amour de la rose suffit au Rossignol. Comment pourrais-je rester une seule nuit loin de cet amour ?"
(p.42)
D’un autre côté, il sait que le cours des décisions autoritaires peut s’infléchir de plusieurs manières et que, tout en affirmant sa fidélité à tel ou tel principe, un prince, et même un prince de l’Eglise, peut parfaitement lui tourner le dos. On a vu quelquefois anéantir un principe au nom de ce principe même. Les principes sont là pour ça. En privé, Sepúveda parle parfois du « suicide des principes ». Une tendance assez fréquente, à son avis, chez les principes.
Si l'histoire - invention construite dans un certain ordre, baptisée "fiction" - est souvent annoncée clairement comme telle, elle peut être, aussi, très souvent, clandestine. Elle peut se cacher partout. Elle peut être là sans que nous le sachions.
Nous nous réjouissons à chaque naissance, nous nous affligeons à chaque décès (sauf exceptions). Pourtant, la première ne va pas sans l’autre. Chaque nouveau-né est un futur cadavre.
Manteq Ol-Teyr se traduit soit par Le Langage des oiseaux, ou L’Assemblée, La Réunion, La Conférence des oiseaux. Nous avons choisi ce dernier titre. Ce poème, long de quatre mille six cent quarante-sept vers, développe un thème déjà connu dans la littérature islamique, celui de l’oiseau qui se libère des pièges et des lourdeurs du monde pour retourner vers son vrai roi. Avicenne et Ahmad Ghazali avaient en particulier déjà raconté ce voyage, sans aller aussi loin qu’Attar dans la description réaliste des oiseaux et dans l’ampleur de l’allégorie.
Attar et les oiseaux
Attar a peut-être vécu cent quatorze ans. (...) Sa gloire est très solidement établie dans le monde islamique. Il est considéré comme un des plus grands poètes soufis. Il se rattache à cette vieille et forte tradition mystique, qui recherche un contact direct et personnel avec une réalité supérieure, et qui a trouvé sa forme et sa vie à l’intérieur même de la doctrine musulmane, en prenant des visages différents selon les siècles et selon les pays.
Attar et les oiseaux
Farid Uddin (ou Al-Din) Attar vécut au douzième siècle de notre ère en Perse, à Neyshabour, la ville d’un autre poète célèbre, Omar Khayyam.
Il hérita de son père un commerce de parfums, d’herbes médicinales et d’épices (attar signifie : le parfumeur) et passa sans doute une grande partie de sa vie dans cette boutique. Il en fait mention dans ses œuvres. C’est là qu’il écrivait.
La légende, qui très vite a orné sa vie, raconte que son cœur s’ouvrit à la vie spirituelle à la vue d’un mendiant à qui il refusait l’aumône et qui mourut brusquement sur le pas de sa porte. Attar décida de se nourrir l’esprit – il passait pour l’homme le plus cultivé de son temps – et d’écrire. On lui attribue un grand nombre d’ouvrages, mais certains sont à coup sûr apocryphes. On peut trouver Le Livre divin[1] que Louis Massignon publia avant la guerre et Le Mémorial des saints[2]. Ce dernier ouvrage est un des plus célèbres d’Attar. Il y raconte, fruit d’une énorme compilation, les faits et dires de soixante-douze personnages sacrés de l’Islam. Parmi eux, Hallaj, célèbre martyr de Badgad, et Rabiah, la sainte femme « qui valait cent hommes ». On trouve des échos de ces deux personnages dans La Conférence des oiseaux.
Attar et les oiseaux
Une société sans pensée utopique est inconcevable. Utopie au sens de désir d'un mieux.
LEGAT : Approchez-vous. Frappez sur leur idole, et observons leurs réactions.
(Tous se taisent. Le serviteur s'approche. Il élève sa masse, mais semble hésiter.)
Allez-y, frappez ! Vous n'avez pas peur, tout de même ?
LAS CASAS: Frappez ! Ils ont l'habitude !
(Le serviteur lève sa lourde masse et frappe, brisant une partie de la sculpture.
Les indiens tressaillent.
Le serviteur relève sa masse et frappe une seconde fois.
L'indien fait un mouvement, comme s'il voulait intervenir. Sa femme aussitôt le retient par le bras.)
SEPULVEDA: Vous avez vu ? Il a failli intervenir ?
LAS CASAS: Oui, mais sa femme l'a retenu !
LEGAT : Qu'est-ce ça prouve ?
LAS CASAS: Qu'ils sont capables de penser, de dissimuler, de peser le pour et le contre ! Aussi rapidement que nous !
À propos de docteur, les effrayantes maladies contemporaines imposent l'usage d'une protection quand on s'aventure en chasse inconnue. Ce ne fut pas toujours le cas. Jadis, c'était même une insulte. On a connu une fille de joie des années 1920 qui s'indignait devant un client qui se couvrait, et qui lui disait par exemple : « Tu prends mon cul pour un bal masqué ? »