Citations de Jean-Paul Dubois (1854)
Il y aurait tant à dire sur cet apprentissage silencieux du bonheur. Ce qu'il apporte comme assurance et équilibre. Mes tuteurs m'ont astreint aux exercices inverses, ceux qui vous apprennent à vous verrouiller de l'intérieur, à ne rien attendre, rien espérer, à vivre "on your own" comme disent les Anglais, qui peut se traduire par "sur tes ressources", en n'oubliant jamais que derrière cette expression déjà déplaisante à prononcer se cache un sous-texte qui te précise "sans compter sur l'aide de quiconque". Vivre "on your own" ne mène jamais très loin. L'usage du monde rétrécit année après année, et les ressources diminuent. [...]
L'amour s'apprend par capillarité. Au jour le jour. En un goutte-à-goutte silencieux qui se délivre sous nos yeux. L'enfant apprend avec les yeux. En reniflant les molécules qui flottent dans l'air, quand il voit la main de son père caresser la nuque de sa mère, la bouche de sa mère embrasser le cou de son père, quand il observe tout cela, il sait que c'est bien, que c'est bon, qu'on peut appeler ça l'amour ou comme l'on veut, mais que c'est agréable d'être avec quelqu'un qui un soir vous dit : " Tu es mon amour et moi le tien, ça tombe bien."
Un détail est parfois la discrète signature d'une âme.
Ce qu'Anna appelait le monde réel était l'univers des affaires, un globe suffisant et mature régi par des gens avisés, responsables, embauchant à la petite cuillère, licenciant à grands seaux, transformant habilement le travail en une denrée aussi rare que le cobalt et dressant des générations entières à l'humiliant exercice de la génuflexion.
Dans son genre, mon père est une galerie d'art conceptuel, à mi-chemin du MoMa et d'Alcatraz.
J’ai du mal à croire que tout ceci ait encore un sens. J’ai du mal à croire que j’aie pu séjourner, ne serait-ce que quelques instants, dans les testicules et le scrotum de Thomas Lanski, mon père. J’ai du mal à croire que ma mère, Marta Sorensen, Suédoise native d’Uppsala, ait pu, un jour, pour quelque raison que ce soit, l’accueillir en elle et jouir de ses impatiences. J’ai du mal à croire que je sois parvenu à survivre de cet éjaculat. Et toujours je me demanderai pourquoi le destin ne m’a pas fait partager ce soir-là le sort de millions de mes frères emportés dans le vortex d’un vieux bidet d’aisances et le frottis vaginal d’un coton de linge de toilette. (…) Mon frère jumeau et moi, gamètes aveugles de trois microns de large et soixante de long, éparpillés dans cette nuée brouillonne, avons survécu et sommes malencontreusement sortis du lot. Ce fut là notre péché originel.
Mais avant d'en finir et pour être tout à fait complet avec Watson, il me faut vous raconter un rêve. Le plus beau rêve de ma vie. En relief, avec les lumières du ciel et les odeurs de la mer.
Watson et moi nous promenions en silence. Je le regardais et je me disais que j'avais une chance incroyable de partager la vie d'un pareil animal. Alors on s'est assis par terre, côte à côte. J'ai commencé à m'adresser à lui comme je le fais souvent. Et puis j'ai dit: "Tu imagines si tu parlais, la vie qu'on aurait? On pourrait discuter pendant des heures , ce serait génial." Il y eut un silence, puis une petite voix d'enfant dit: "Mais je parle. Je parle depuis toujours, mais tu ne me l'avais jamais demandé."
Tous les jours de la vie, nous avons à choisir : ou la souffrance d'aimer, ou cette autre, bien pire : celle de ne pas aimer.
Il appartenait à cette école de pensée libérale convaincue que faire et dire n'importe quoi était toujours préférable au silence et à l'immobilisme raisonné.
Aujourd'hui, je n'ai perdu personne, sur peut-être la vague idée que je pouvais me faire de moi-même
Ce chien m'aimait le plus naturellement du monde et il avait que je l'aimais de la même manière.Il n'était pas un animal de compagnie mais une partie intégrante, sans doute la plus riche te la plus instinctive , de mon existence....Une maladie l'a emporté. Je ne l'ai pas lâcheuse seule seconde, jusqu'au bout. Et il est toujours là.
Il appartenait à cette école de pensée libérale convaincue que faire et dire n'importe quoi était toujours préférable au silence et à l'immobilisme raisonné.
Aujourd'hui, je n'ai perdu personne, sur peut-être la vague idée que je pouvais me faire de moi-même
En dix ans, l'intelligence artificielle à progressé de manière exponentielle. Je n'entre pas dans ces débats éthiques de paroissiens qui entourent leur usage ou leur évolution, je m'intéresse simplement à l'élaboration, la construction de leur âme "autoapprenante", l'enrichissement, la complexité de leurs "sentiments mathématiques". C'est la première fois en ce monde qu'une civilisation met au monde un objet capable à la fois de la comprendre, de l'imiter et de la surpasser.
« Personne ne nous appartient, excepté dans nos souvenirs. »
Qu'est-ce qui est vrai dans notre vie? Ce à quoi nous voulons bien croire.
J’aime ces observations décisives qui s’abattent sur vous comme un marteau sur la tête d’un clou. Elles vous assomment d’abord et dans le même geste vous enfoncent.
Le vide, c’est peut-être la solution pour s’échapper de l’intérieur, laisser tout en vrac et sauter.
L'avocat est assis à mes côtés. Tout à l'heure, je l'ai vu arriver à l'autre bout du couloir. Trempé et presque sautillant. on aurait dit un jeune cocker rentrant de promenade, tout fier d'avoir pris l'averse.
Définir hors contexte l'intelligence de mon père? C'est l'expression "hors contexte" qui me pose problème. Je n'ai jamais connu ni imaginé mon père "hors contexte". Car il était justement en permanence le texte, le contexte, le sous-texte. Mon père était un bloc fait d'un matériau inconnu. Essayons de lui répondre. Thomas Lanski possédait une intelligence fulgurante. Qui pourrait s'apparenter à une intelligence artificielle de première génération.
Il ne faudrait jamais rien dire, garder son moi pour soi, s'accommoder de ses nuisances intimes, les laisser décanter dans le bac à compost, attendre que ces épluchures de l'âme atteignent une granulométrie acceptable pour les évacuer à travers un tamis peu regardant.
Je n'aime pas les cimetières français. Ils sont laids, cimentés, marbrés, bétonnés, faits pour durer des siècles. Pas d'arbres, pas de terre ni la moindre verdure. Des croix debout, couchées, inclinées, partout des signes de croix. Et des fleurs de cellulose, des bouquets en PVC, des pétales de polyvinyle. La misère du monde qui s'ajoute à la tristesse. Ce n'est quand même pas compliqué d'offrir un bout de terre et un arbre à chaque mort. Et venir de temps en temps regarder prospérer la forêt.
Oui, je m'intéresse à la peinture. Et uniquement à la peinture flamande du XVIIe. Sans doute à cause de ce goût modeste pour représenter ce petit pays tel qu'il est, avec ses ciels chargés, ses eaux grisées, ses terres grasses, et aussi la place minuscule qu'occupent les hommes dans ces paysages.
Qui que nous soyons, quelle que soit notre place en ce monde, nous portons en nous trop de choses douloureuses ou déshonorantes. En silence, elles nous embarrassent et, un jour, elles nous trahissent.