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Citations de Jean-Philippe Toussaint (481)


D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, close et butée dans une détresse muette, ses lèvres pincées qui n'attendaient nullement ma bouche, crispées dans la recherche d'un plaisir exclusivement sexuel.
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Je me rendis compte alors que tout ce que je vivais d'important dans ma vie était toujours transformé en images dans mon esprit, et que ces scènes qui avaient pu paraître anodines à l'origine, qui demeuraient prosaïques, contingentes ou fortuites, tant qu'elles restaient enfouies dans la vie réelle où elles avaient eu lieu, devenaient progressivement, reprises dans mon esprit, retravaillées, lacérées et longtemps ressassées, une matière nouvelle, que je remodelais à ma main, pour la révéler, et faire surgir une image inédite, où intervenaient autant le souvenir que le sentiment, la mémoire que la sensibilité.
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L'Espace me semblait avoir rétréci, comme chaque fois que des souvenirs lointains sont confrontés à la réalité du présent.
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À la Commission européenne où je travaille, on me croyait au Japon. Ma famille aussi pensait que j’étais à Tokyo. Le colloque international Blockchain & Bitcoin prospects auquel je devais participer était prévu de longue date. J’avais été invité à intervenir comme expert européen lors de la deuxième journée de ce colloque qui devait se tenir à l’International Forum de Tokyo. C’est le professeur Nakajima, de l’université Todaï, qui avait organisé mon voyage. Il avait élaboré mon programme et prévu, en marge de mon intervention au colloque, une conférence dans son université. Depuis quelques années, dans le cadre de mes activités au Centre commun de recherche, je m’intéressais de près à la technologie blockchain. Je travaillais depuis longtemps dans le domaine de la prospective stratégique, d’abord dans un centre de réflexion et d’études prospectives à Paris et maintenant au sein de la Commission européenne. Cela faisait plus de vingt ans que je travaillais sur l’avenir. Et, en vingt ans, que de malentendus ! Combien de fois avais-je dû préciser que la prospective, si elle avait bien l’avenir comme sujet d’étude, n’était en rien de la divination. Combien de fois, dans les dîners en ville, à Paris et à Bruxelles, m’avait-on demandé, puisque j’étais spécialiste de la question, ce que l’avenir nous réservait. Dans le meilleur des cas, la question ne portait pas, grâce au ciel, sur l’avenir dans sa totalité (le territoire, je le sais d’expérience, est assez vaste), mais sur tel ou tel de ses aspects particuliers, environnemental ou géopolitique, que ce soit le réchauffement climatique ou l’évolution de la question syrienne. Je ne suscitais en général dans mes réponses que déception et réprobation silencieuse, voire une méfiance à peine dissimulée, quand je répondais, fort de la rigueur de mon approche scientifique, que je n’en savais rien. Aux sourires entendus, aux échanges de regards furtifs et aux mines amusées que je surprenais par-dessus la table, je n’opposais pas de résistance. Je ne cherchais pas à m’expliquer, encore moins à convaincre. Tout au plus voulais-je bien concéder que l’intuition, parfois, m’était utile. Je travaillais sur l’avenir, la belle affaire. Même parmi mes collègues de la Commission européenne, on ignorait généralement de quoi il s’agissait. Il n’était pas rare que tel ou tel directeur général, intrigué par l’unité que je dirigeais, vînt me trouver dans mon bureau pour me demander en quoi cela consistait, exactement, la prospective, ajoutant mine de rien, car c’était souvent la véritable raison implicite de leur visite : « Et en quoi cela pourrait m’être utile ? » Chaque fois, comme un préalable bien rodé, je prenais le temps de dire ce que la prospective n’était pas, je commençais par la définir de façon négative. Ce que la prospective n’était pas, je le savais par cœur — quant à savoir ce qu’elle était ?
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J’aurais beau reconstruire cette nuit en images mentales qui auraient la précision du rêve, j’aurais beau l’ensevelir de mots qui auraient une puissance d’évocation diabolique, je savais que je n’atteindrais jamais ce qui avaient été pendant quelques instants la vie même, mais il m’apparut alors que je pourrais peut-être atteindre une vérité nouvelle, qui s’inspirerait de ce qui avait été la vie et la transcenderait, sans se soucier de vraisemblance ou de véracité, et ne viserait qu’à la quintessence du réel, sa moelle sensible, vivante et sensuelle, ou jumelle du mensonge, la vérité idéale.
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Il était près de cinq heures de l'après-midi (je venais de regarder l'heure distraitement), et je songeais qu'il était trop tard pour essayer de me remettre au travail maintenant.

p. 95
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J'avais renoncé depuis longtemps à l'idée d'apprendre le chinois, mais je continuais de m'intéresser à la pensée chinoise, à la manière dont la langue se construit, comment elle accueille les mots nouveaux (ces associations fulgurantes qui m'émerveillent, comme la juxtaposition des caractères "cerveau" et "électricité" pour dire "ordinateur").
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Le jour où, voici trois ans, Monsieur entra dans ses nouvelles fonctions, on lui attribua un bureau personnel, jusqu'à présent c'était parfait, au seizième étage, tour Léonard-de-Vinci. La pièce était spacieuse, assez haute de plafond. Une grande baie vitrée, en verre bleuté, dominait la ville. La table de travail, située à portée de main de deux armoires métalliques, identiques, comptait six tiroirs, de part et d'autre, et était recouverte d'une plaque épaisse, en verre fumé. Le fauteuil, Monsieur s'en assura négligemment, pivotait.
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À peine me fus-je installé sur la moto qu’il se retourna et me reprit le casque des mains en m’expliquant que c’était plus prudent qu’il mette le casque lui-même si nous étions arrêtés par la police (oui, et en cas d’accident aussi).
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[…] l'étendant sur le lit, je lui mis une nouvelle couche tandis qu'il battait des jambes de façon désordonnée pour me compliquer la tâche. Tu arrêtes, lui dis-je. Il s'arrêta, me fit un petit sourire charmeur. Il était sur le dos et il me souriait, tout content de lui – quel hypocrite --, et je le redressai pour lui faire revêtir la petite grenouillère [...]
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L'institutrice se leva de son bureau pour venir à notre rencontre et, tandis que bon-papa, très galant, à deux doigts de lui baiser la main, s'excusait d'interrompre sa classe en y mettant les formes charmeuses et diplomatiques, elle répondit d'une voix coquette que cela ne faisait rien et nous entraîna tous les trois dans le couloir, laissant la porte entrouverte derrière elle pour surveiller sa classe. Là, M. Polougaïevski lui sortit immédiatement le grand jeu, alliant une malice enjôleuse à la plus austère rationalité pour lui expliquer les raisons du retard de petit Pierre et, avant qu'il ne put la séduire davantage par quelque citation latine, elle s'excusa de devoir abréger l'entretien et prit congé de nous pour aller retrouver ses élèves tandis que nous nous hissions tous les trois à la hauteur du vasistas pour regarder petit Pierre dans la classe, qui était assis au quatrième rang à côté d'une petit fille bonde et bouclée en salopette bleu ciel.
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Car il n'y a pas, jamais, de troisième personne dans les rêves, il n'y est question que de soi-même, comme dans "L'île des anamorphoses", cette nouvelle apocryphe de Borges, où l'écrivain qui invente la troisième personne en littérature, finit, au terme d'un long procesus de dépérissement solipsiste, déprimé et vaincu, par renoncer à son invention et se remet à écrire à la première personne.
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C'étaient ces images ensoleillées de Marie qui me revenaient à présent à l'esprit devant la fenêtre: Marie, pieds nus sous une vieille chemise de nuit de son père dans la propriété de l'ile d'Elbe. Je la revoyais dans le petit jardin, vêtue d'un simple mailot de bain, qu'elle avait abaissé à la taille parce qu'elle avait trop chaud.
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La main et le regard, il n'est jamais question que de cela dans la vie, en amour, en art.
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... s'étant procuré au vol deux coupes de champagne qui passaient à sa portée, il avait trinqué doucement avec elle, faisant tinter délicatement les coupes l'une contre l'autre comme si c'était deux épidermes hypersensibles que l'on mettait pour la première fois en contact, comme deux lèvres qui se rapprochent et s'effleurent, premier baiser encore purement symbolique.
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D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, close et butée dans une détresse muette, ses lèvres pincées qui n'attendaient nullement ma bouche, crispées dans la recherche d'un plaisir exclusivement sexuel. Et c'est alors, que, m'immobilisant et redressant la tête au-dessus de son visage dont les yeux bandés me voilaient l'expression, je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines, une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de sa joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière du tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration. (p.26/27).
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Le soleil se levait sur Tokyo, et je lui enfonçais un doigt dans le trou du cul.
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"Car la perfection ennuie, alors que l'inconnu vivifie."
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Je ne quittais pas Marie des yeux à travers le hublot...
je me rendis compte que je pouvais lire sur ses lèvres...
je voyais se former "bonjour"...

mais la seule phrase que je pus lire ce soir-là sur ses lèvres, la seule phrase complète et intelligible que je surpris durant les deux ou trois minutes pendant lesquelles j'étais resté sur le toit à l'observer à travers le hublot...
ce fut : " Moi quand je suis déprimée, je me fais un œuf à la coque".
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On apercevait la mer, mauvaise, au loin, grise et parsemée de petites entailles d'écume blanche, qui moussaient au large comme de vivantes cicatrices frémissantes.
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