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Citations de Jean-Philippe Toussaint (481)


Lorsque j'ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m'y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. Edmondsson, qui se plaisait à mon chevet, me trouvait plus serein ; il m'arrivait de plaisanter, nous riions. Je parlais avec de grands gestes, estimant que les baignoires les plus pratiques étaient celles à bords parallèles, avec dossier incliné, et un fond droit qui dispense l'usager de l'emploi du butoir cale-pieds. (p.11)
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réfléchissant à cet acte singulier de ne pas trouver quelqu'un qu'on va voir au cimetière, je m'étais rendu compte que cette mésaventure révélait dans le fond la vraie nature de toute visite dans un cimetière, c'est que, quand on va voir quelqu'un dans un cimetière il est naturel qu'on en le voie pas, il est normal qu'on ne le trouve pas, car on ne peut pas le trouver, jamais, c'est à son absence qu'on est confronté; à son absence irrémédiable. (p.151)
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Le restaurant dans lequel nous conduisit Zhang Xiangzhi, à quelques rues de l'hôtel, au coeur d'une avenue passante et embouteillée, n'avait rien de chinois (il l'était, et ne cherchait nullement à le paraître davantage). Les murs étaient blancs sans décoration ni breloques, laques ni palenquins, il y avait quelques tables rondes dans la vaste salle à manger qui s'étageait sur deux niveaux. Un jeune type en pantalon noir et chemise blanche, les manches retroussées, accueillit Zhang Xiangzhi à l'entrée, et nous guida vers une grande table ronde de la mezzanine, où il nous fit asseoir. J'avais pris place à côté de Li Qi et je laissais traîner le regard sur un grand aquarium vide, qui venait d'être vidangé. Les poissons, provisoirement transvasés dans une rangée de seaux en plastique qui reposaient sur une table voisine tournaient en rond dans les récipients jaunes en faisant des vaguellettes avec un faible bruit de clapotement. On pouvait suivre leurs trajectoires en transparence à travers les parois crème des seaux. L'aquarium, vide et asséché, dans lequel étaient enroulés des tuyaux d'arrosage, reposait sur une sorte d'amoire coffrée largement ouverte, dans laquelle apparaissaient une bombonne de gaz et un dédale de tuyaux rouillés entre les coudes desquels s'activait la silhouette singulièrement contorsionnée d'un homme accroupi, la tête dans les épaules, et les bras dans les tuyaux, qui s'escrimait à fixer, ou desceller, quelque chose avec un tournevis. Le type, sous l'aquarium, que je continuais d'observer distraitement pendant que Zhang Xiangzhi passait commande en consultant la carte, dévissa encore quelques boulons au-dessus de sa tête et, délivrant un ultime cran de sûreté, parvint finalement à soulever la trappe à deux mains, avec précaution, et sa tête apparut dans l'aquarium, soucieuse et contrariée (il inclina même les yeux à mon adresse pour me saluer quand nos regards se croisèrent).
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69) Il m'arrivait parfois de me réveiller en pleine nuit sans même ouvrir les yeux. Je les gardais fermés et je posais la main sur le bras d'Edmondsson. Je lui demandais de me consoler. D'une voix douce, elle me demandait de quoi je voulais être consolé. Me consoler, disais-je. Mais de quoi, disait-elle. Me consoler disais-je (to console, not to comfort).
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Je connaissais tous les silences de la maison, ses craquements nocturnes, les brusques reprises du réfrigérateur pendant la nuit, que suivait un dégradé de hoquets exténués, qui annonçait le retour apaisé d’un ronronnement plus régulier dans le sombre silence de la maison endormie dans l’obscurité.
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Pourquoi arrivait-il à chaque fois un moment, quand nous étions ensemble, où, tout à coup, toujours, très vite, elle me détestait passionnément.
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J’aime cette abstraction, où la littérature rejoint la musique, et où la ligne du livre ondule, monte, descend, au gré de pures questions de rythme.
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La virtuosité de la ligne concerne la construction d’ensemble du roman, c’est l’art de l’illusion ou du trompe-l’œil, dont Nabokov est le maître incontesté. J’adore cette idée de préparer, très en amont, un effet qui ne se révélera que trente ou cinquante pages plus tard. C’est très technique, et cela demande beaucoup de préparation. Cela me fait penser à certains coups d’échecs, apparemment anodins ou innocents, qui préparent en réalité une subtile combinaison à long terme. Comme lecteur, je suis très sensible aux effets de surprise et aux pincements de ravissement que provoquent ce genre de prouesses. Mais l’autre virtuosité de Nabokov n’est pas moins impressionnante. La virtuosité du détail, c’est quand Nabokov, délaissant les grands desseins de la composition, s’empare d’un pinceau très fin et intensifie un contour, accentue un cil. C’est la souplesse, c’est la ductilité de son trait de plume, c’est la précision de sa touche, pour souligner un détail, faire vivre un reflet de lumière sur le velouté d’une épaule, chatoyer une couleur, briller un rayon de soleil sur le pare-brise d’une voiture ou dans les lunettes d’un personnage, dans lequel on aperçoit soudain, en reflet, avec un frisson d’incrédulité, la tête chauve de l’auteur – qui vous fait un clin d’œil.
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Comme celui de la vie humaine, le temps d’une partie d’échecs est limité, qui s’écoule dans le murmure de son tic-tac inexorable. Un ingénieux dispositif vient encore renforcer le supplice, qui fait se soulever un petit drapeau rouge à l’intérieur de la pendule, qui se soulève toujours davantage à mesure que le temps passe, se stabilise en équilibre fragile et menace de tomber, sa chute scellant la défaite, et, métaphoriquement, la fin de la vie, du joueur dont le temps imparti est écoulé. C’est à cette époque que j’ai pris conscience pour la première fois du rapport symbolique très étroit que le jeu d’échecs entretient avec la mort. Les échecs, c’est, bien sûr, par l’intermédiaire du mat (al-shah mât, « le roi est mort »), la mise à mort symbolique du Roi adverse, du père, de l’adversaire, mais c’est aussi l’expérience, concrète, de sa propre mort, et la peur qu’elle peut susciter déjà bien en amont de l’issue fatale, lorsque nous sommes en manque de temps et que, dans l’agitation et l’inquiétude, le regard errant sur l’échiquier et jetant un coup d’œil anxieux sur la pendule, on se rend compte que le temps qui nous est imparti se réduit comme peau de chagrin et que le drapeau de notre pendule ne va pas tarder à tomber.
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Qu'importe ce que je recherche à travers l'écriture, qu'importe, finalement, ce que les livres racontent, l'écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour rester au monde. Le livre, pendant que je l'écris, devient un sanctuaire, un lieu clos où je suis protégé des offenses du monde extérieur.

Page 193
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Mon père a fait une photo de l’enfant que j’étais en ces temps lointains de l’Ermitage. Je suis assis, très droit, très sage, dans le canapé du salon de la rue des Tournelles, vêtu d’un pull multicolore à rayures horizontales, le visage doux et les cheveux bien peignés, avec une raie consolidée par un filet de salive. Mon regard est droit, il est franc, il est offert, on lit de la bonté dans ce visage. J’ai de la tendresse pour le petit garçon que j’étais à ce moment-là. Moi, je ne m’aimais pas beaucoup à cette époque, je n’étais pas heureux, je venais d’être arraché de Bruxelles, la ville à jamais ensoleillée de mon enfance, pour être envoyé en pension à Maisons-Laffitte. Je me suis très vite replié sur moi-même, j’ai commencé à me cogner aux arêtes du réel, j’étais empêtré dans mon corps qui était en train de se transformer, mais il y avait en moi à ce moment-là, comme peut-être plus jamais par la suite à ce point d’incandescence, une bonté, une bonté intacte.
p. 61
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A raison d'un enfoncement de la ville de trente centimètres par siècle, expliquais-je, donc de trois millimètres par an, donc de zéro virgule zéro zéro quatre-vingt-deux millimètres par jour, donc de zéro virgule zéro zéro zéro zéro zéro zéro un millimètre par seconde, on pouvait raisonnablement, en appuyant bien fort nos pas sur le trottoir, escompter être pour quelque chose dans l'engloutissement de la ville.
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Je me souviens aussi de cette librairie d’échecs légendaire du boulevard Saint-Germain, non loin du cinéma Hautefeuille, où j’ai passé des heures à suivre sur un échiquier mural les parties du championnat du monde de 1978 qui opposait Karpov à Kortchnoï. Je venais en voisin, de la rue Saint-Guillaume, et, debout parmi les passionnés d’échecs, je me mêlais à la foule très dense qui se pressait dans cet étroit local, cabans, pantalons pattes d’éléphant et longues écharpes indiennes effilochées. Car, même si nous l’ignorions sur le moment, nous étions tous vêtus comme dans un film de Truffaut, L’Amour en fuite par exemple, avec la séduisante Marie-France Pisier (avec qui, puisqu’un souvenir en appelle un autre dans le grand palimpseste de nos vies, je dînerais vingt ans plus tard dans une brasserie du même boulevard pendant la préparation d’un de mes films).
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Nous nous faufilions entre les véhicules pour glisser le long de ronds-points embouteillés et accélérions encore, suivions à toute allure, le visage au vent, d’interminables lignes droites bordées de blocs d’habitation en mauvais carrelage blanc, parfois de simple béton brut, couleur sablée ou vieux plâtre, centres administratifs et bâtiments officiels sur lesquels veillaient des militaires en faction, quand je vis soudain apparaître sur ma gauche le monumental portrait de Mao au-dessus de l’entrée de la Cité interdite, et, fugitivement, dans le même mouvement fuyant de la moto qui nous emportait, les fameuses enceintes roses du Palais impérial que nous étions en train de longer, en même temps que Zhang Xiangzhi, devant moi, qui continuait de conduire la moto sans ralentir, lâchait un instant le guidon pour m’indiquer l’édifice du bras en me criant : Gugong, Gugong !, tout en levant le pouce en l'air dans le vent pour témoigner sans doute en quelle haute estime il tenait le monument (et m'en conseiller par là même, en quelque sorte, implicitement, la visite), et que moi-même, cramponné à son dos et la vue gênée par un vieil autobus vert et jaune qui était en train de nous dépasser, je me retournais pour apercevoir une dernière fois l'enfilade de toits en pagode de la Cité interdite qui disparaissait déjà au loin (ainsi fut-il ce jour-là de ma visite de la Cité interdite: j'eus à peine le temps de reconnaître que nous l'avions déjà dépassée).
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Depuis des mois, depuis des années, Monet met toute son énergie, non pas à terminer les Nymphéas, mais à poursuivre leur inachèvement, à le polir, à le parfaire. Même s’il n’en a pas conscience, c’est bien à l’inachèvement des Nymphéas que Monet consacre les dernières années de sa vie. Ce sera l’éternelle toile de Pénélope qu’il tissera et détissera jusqu’à son dernier souffle. Car finir les Nymphéas, c’est accepter la mort, c’est consentir à disparaître. Tel est le statut unique des Nymphéas dans l’histoire de la peinture, une œuvre à la fois achevée, et même plus qu’achevée, achevée jusqu’à l’os, avec assiduité, avec ténacité, avec acharnement, sans cesse retouchée, modifiée, corrigée, et pourtant une œuvre toujours vivante, toujours en progrès, toujours en cours de réalisation, que Monet ne lâchera jamais et poursuivra jusqu’à son dernier souffle. Jamais il ne consentira à déclarer l’œuvre « achevée », jamais, de son vivant, il ne laissera les grands panneaux quitter l’atelier pour rejoindre l’Orangerie.
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Car ce qu'il dépose, jour après jour, sur la toile, ce n'est pas tant des couleurs mouillées d'huile dans leur matérialité moelleuse, c'est la vie même, dans ses infimes variations, métamorphosée en peinture. Ce que Proust avait fait avec des mots, en transformant ses sensations et son observation du monde en un corpus immatériel de caractères d'imprimerie, Monet le fera avec des couleurs et des pinceaux.

p.17
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Cela peut être n'importe quel jour de 1916 ou de 1917. Ce sont des brumes, des buées, des ondes transparentes. Partout des bleus, des bleus mêlés de rose, des bleus mauves et des bleus plus profonds, des bleus de cobalt, des bleus nocturnes, et ici et là, un bref feu d'or qui contraste, un incendie de jaune.

p.15-16
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Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus. Il y avait ceci, maintenant, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire dans l'ensemble plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable.
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Et malgré mon immense fatigue, je me mis à espérer que le jour ne se lève pas à Tokyo ce matin, ne se lève plus jamais et que le temps s’arrête là à l’instant dans ce restaurant de Shinjuku où nous étions si bien, chaudement enveloppés dans l’illusoire protection de la nuit, car je savais que l’avènement du jour apporterait la preuve que le temps passait, irrémédiable et destructeur, et avait passé sur notre amour. 
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D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, close et butée dans une détresse muette, ses lèvres pincées qui n'attendaient nullement ma bouche, crispées dans la recherche d'un plaisir exclusivement sexuel.
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