Citations de Jeanne Benameur (2355)
Ce n’est pas le silence de la parole qui se cherche ou qui laisse l’interlocuteur parler. C’est un silence qui écoute aussi bien les morts que les vivants. Plus ample. Un silence qui n’est pas soumis au temps des horloges. Un abîme profond à l’intérieur de soi.
Sa langue n'est pas la nôtre mais il y a des mots qui veillent dans les livres. Ils attendent patiemment qu'une voix les prenne délicatement et leur fasse faire le grand voyage du souffle.
Les émigrants ne cherchent pas à conquérir des territoires. Ils cherchent à conquérir le plus profond d'eux mêmes parce qu'il n'y a pas d'autre façon de continuer à vivre lorsque l'on quitte tout.
L'enfance nous a laissé le manque
pour nourrir
nos rêves.
Nous désirons.
Dans mon livre je voyais
ce que les yeux
ne voient pas.
Des images
et encore des images.
C'était ma force.
Ma merveille.
Le livre a ouvert en moi des portes immenses.
Plus rien ne peut les refermer.
Plus rien.
Ils l'ont déchiré
mais les portes battent
à l'intérieur de moi.
Rien ne peut refermer
ce qui a été ouvert.
Je veux
découvrir.
Je veux
continuer l'aventure
du livre.
Découvrir.
Découvrir.
Rien ne me conduit.
Est-ce que ce sont mes pas
qui créent de la route
et de la route?
Est-ce que lorsqu'on ne sait pas
c'est sans fin?
J'ai perdu la terre.
Je marche sur quelque chose que je ne connais pas.
J'ai peur.
Parfois je vois
dans le lointain
c'est comme une ombre de maison.
C'est ma maison?
Je marche
Ne faisons-nous pas passer bien des choses avant la simple joie d'être au monde ?... La joie est en nous. Si nous voulons bien la laisser poindre, nous serons étonnés de la force qu'elle nous donne.
[les signes des livres] soufflaient encore longtemps après la lecture
à l’intérieur de moi
je m’endormais avec eux
Il avait appr!s à lire comme on se jette à l'eau, d'un coup, de tout son être, avec l'appétit de ceux qui savent que c'est là et seulement là qu'ils trouveront leur vie.
Ils prennent la pose, père et fille, sur le pont du grand paquebot qui vient d’accoster. Tout autour d’eux, une agitation fébrile. On rassemble sacs, ballots, valises. Toutes les vies empaquetées dans si peu.
Non je ne les aimais pas pour rien, elle et ma mère. Ma liberté c'était la leur. J'ai saisi en un instant, par ce sourire-là, ce que voulait dire la phrase de Nietzche « II suffit qu'un homme soit libre pour que tous le soient » et quelque chose en moi a su que j'avais raison. Je ne renoncerais pas à la lutte pour la liberté. Jamais. Parce que la mienne c'était celle de tous. Ma sæur, ma mère, c'étaient toutes les femmes soumises à la loi tyrannique d'un homme, que ce soit un pére un mari ou un chef d'État, un tyran domestique un tyran politique, c'est toujours un tyran. La tyrannie et la soumission, elles commencent sans bruit, dans les cuisines des maisons, dans les cours d'école, dans les travées d'un pensionnat... Je me suis fait la promesse que je ne serais plus jamais tyrannisée. Par personne. Le reste du repas s'est passé sans anicroche. Mon père a quitté la table avant le dessert. Il était vraiment påle.
La rage c'est de ne pas réussir à aimer ce qu'on désire.
Il ne sait pas s'il va poursuivre la lecture pendant le vol mais de tenir le livre entre ses mains, déjà, c'est bien. Un peu de calme posé sur ses genoux.
On a les viatiques qu'on peut.
Les mots sont là. Pour la première fois j'ose écrire ce bonheur-là. Oui il existe toujours en moi. Préservé.Et j'en pleurerais. Il est vivant. Je peux l'écrire. Mon immense bonheur silencieux. Mon coeur qui éclatait de joie. Et moi abasourdi. Tout est là. Intact.Tout ce que j'avais tellement espéré depuis des mois et des mois sans rien oser.
Ce qui vient après, ce qui a détruit ce bonheur, ne peut pas détruire ma mémoire.
Car les textes ne gonflaient pas seulement le cœur de chimères, Ils ouvraient grand la porte des rêves, les vrais, ceux qu'on met une vie entière à façonner et à vivre. Les vrais rêves, pas les illusions et leurs paillettes de contes de fées.
La psychanalyse ne cherche pas la perfection. Surtout pas. Il s'est trompé sûrement parfois parce qu'il n'est qu'un être humain et que son imaginaire, ses propres projections, lui ont joué des tours. Mais il sait qu'il a écouté chaque voix avec la plus grande attention pour tenter d'entendre juste.
Quand je marche
Isis
dans ma tête se rassemblent les fragments du monde
depuis toute petite
c'est la que j'ai appris à laisser venir en moi
quelque chose qui prend forme
par les mots
tout m'était nourriture
mes lectures avivées par l'odeur des marées
mon corps tout entier remâchant les mots lus
les laissant faire route en moi
mieux qu'à ma table
dans ma chambre d'écolière
la pensée c'est tout le corps appelé requis
il y faut du temps et du silence
j'ai appris enfant
puis adolescente
à rassembler mon monde épars
ici
sur les plages
hiver comme été
aujourd'hui je continue
les mots arrivent et je les laisse peu à peu
m'entraîner
mes lectures c'est ici qu'elles prennent vie et force
je ne suis jamais seule
les auteurs vivants où morts l'accompagnent
du monde entier ils sont entrés dans ma chambre
dans ma vie
c'est sur eux que je trouve appui pour aller
mais ton pas à toi
Isis
il me faut à chaque fois
l'oser seule
de retour à mon bureau ( Page 32/ 33).
"Dans l'entremêlement de leurs corps entrent les arbres la rivière les nuages. Dans leur étreinte, la couleur changeante du ciel. Ils font partie du monde, à cet instant-là, oui. Et éphémères."
Les mots nous habitent
nous sommes leur logis éphémère
Maintenant seulement il comprend le magnifique saut de la raie Manta.
Trouver l’élan qui fait prendre le risque de quitter son eau.
L’élan qui rassemble tout.
Il n’y pas d’autre façon de conquérir, un à un, chaque d’instant d’âme. Et d’éclairer, un peu, chaque fois, l’obscur de notre vie.