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Citations de Jérôme Lafargue (147)


Un auteur ne sait pas s’arrêter. Son égocentrisme l’en empêchera toujours.
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Je ne dirai pas que Bleu Pétrole m’a sauvé, non, faut être honnête, ce qui m’a sauvé, c’est le bruit de la dizaine de CD balancés à terre par Jed une nuit de septembre. Il les avait volés au hasard dans le supermarché du coin, s’était bourré la gueule puis orienté avec les étoiles pour enfin s’affaler sur le canapé défoncé de l’entrée. (…) Il vait dû prendre une brassée de disques dans un bac à promos et s’enfuir je ne sais trop comment. Une fois virés les albums des biberonneuses et des bellâtres, j’ai trouvé Bleu pétrole. Voilà quelque chose qui sortait du lot. Je l’ai installé sur l’ordi puis chargé sur mon iPod. Bashung, je connaissais très peu, mais sa voix tranchait avec le tout-venant et, comme tout le monde, j’avais succombé à La nuit je mens. Je me souvenais avoir dansé avec ma cousine sur cette chanson et l’avoir pelotée en tremblant. Je me souvenais aussi de la baffe subséquente qui ébranla le sac d’os dégingandé et sans vergogne de douze ans que j’étais alors.
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P11 : là où se nichent l'amertume et le renoncement, une promesse viendra toujours les en déloger.
P16 : l'un (des yeux d'Elebotham, l'arrière-grand père) était du bleu-gris des rivières paisibles ; l'autre du noir des diableries les plus ahurissantes,
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Le jour s'est enfui à cinq heures trente, accompagné d'un orage qui, bien entendu, a provoqué une coupure de courant. Prévoyant, j'ai constitué un stock de bougies et je les ai placées sur la table ainsi que sur le rebord de la cheminée.
Cette lumière, diaphane et tremblotante, l'odeur de la pierre ancienne, le bruit du tonnerre, je me sens serein.
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5 janvier (Bernard Collins & Abyssinians, Last Days)
Donc, je possède la seule planche à l'effigie de Calvin & Hobbes se prélassant sur une branche d'arbre, avec des fleurs autour. Je l'ai usée, et combien, pendant quelques années, avant que le boulot et l'oubli de soi me rattrapent.
Quelle honte.
Comment ai-je pu te délaisser à ce point?
Elle a été protégée par une vieille couverture, et par chance, il semble qu'aucune gouttière n'ait surplombé l'endroit où elle végétait.
Le soleil a percé aujourd'hui, j'espérais qu'il serait suffisant pour que la wax fonde et que je puisse la gratter. L'expérience n'a pas été totalement concluante et j'ai dû prendre sur moi pour sonner chez le voisin afin d'emprunter un sèche-cheveux.
Ne pas terminer cette tâche avant que le jour ne tombe? Inconcevable. Je suis un obstiné.
La maison qui jouxte la mienne sur la droite est si blanche et si bien entretenue que je me suis promis de commencer le défrichage chez moi dès demain.
Une jeune femme au teint mat m'a ouvert.
Une très jolie femme.
J'ai bredouillé ma demande, elle n'a rien dû comprendre à l'utilisation que je comptais faire de l'engin, mais elle me l'a obligeamment prêté. Je me suis senti comme un adolescent en pleine crise de puberté.
C'était lamentable.
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puissant et envoûtant, ce roman vous emporte aux frontières du rêve, à l'heure où l'on devrait se réveiller, entre chien et loup; comme une course en forêt, entrecoupée de souvenirs, qui ne sont peut être pas les vôtres. Un enfant est le lien entre deux adultes qui se cherchent, et cachent des blessures profondes. Une quête bien sûr pour connaître ses origines, ou simplement, l'origine de ce rêve qui nous emporte.
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La lumière qui baignait l'endroit était d'une nature bien différente de celle qui s'abattait sur les étendues alentours : en bas le gris, le sourd, le malcommode ; en haut l'aurifère, le cristallin, le voluptueux. Au ciel tiède dévolu aux plaines se substituait un ciel bleuté, ourlé de quelques nuages badins. Un lieu tendu avec nonchalance et certitude vers une promesse, vers lequel on pourrait fuir sans crainte pour s'y abandonner.
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Front Autonome qui Cherche et Trouve d'Imaginaires & Curieux Écrivains
Fondateur, président & membre unique
Timon Lunoilis

Note d'intention

Le FACTICE a été créé en 2006. Tous ceux qui s'en réclameront dans le futur ne seront que de vulgaires imposteurs. Pour prévenir toute tentative de récupération, le FACTICE a été enregistré en tant qu'association à la Préfecture de Gramie.
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Il neige encore lorsqu’Augustin se lève. Les flocons sont comme des danseuses de ballet dépêchées sur scène avec des cordes fragiles. Il se prépare un petit déjeuner consistant. Pelleter par un temps pareil ne s’annonce pas de tout repos. Jus d’orange et de citron, bol de céréales avec du yaourt à la vanille, tartines de pain et de confiture, œufs brouillés au fromage, café. De quoi tenir plusieurs heures. Il enfile une tenue de bricolage, soit des habits dégueulasses et troués, par-dessus lesquels il met sa vieille parka. Avant de sortir, il vérifie l’état du dictionnaire. Il l’a refermé la veille au soir. Qui sait, peut-être le fantôme a-t-il laissé un nouvel indice ? Mais non, le lourd volume n’a pas bougé.
Dans l’appentis, Augustin se munit de gants de travail, d’une binette, d’une pelle carrée et d’une autre ronde, et se dirige vers le chêne. Il pointe la boussole de son smartphone plein ouest et compte douze pas. Ce qui le fait arriver à l’angle avant droit du chalet, à un mètre à peine de la terrasse. Pour un peu, la cachette aurait été sous la maison. Augustin espère que les travaux de fondation n’auront pas été trop larges. Il se dit aussi qu’il a lui-même creusé tout proche lors de ses plantations printanières.
Sur un périmètre d’un mètre carré, il dégage la couche de neige, qui atteint vingt bons centimètres, puis enlève le manteau de feuilles mortes et d’aiguilles de pin. La terre est dure, il doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour la casser. Au bout d’une heure, il n’a creusé qu’à une dizaine de centimètres de profondeur sur l’ensemble de la surface. À ce rythme, il n’aura pas terminé avant la mi-journée. Il songe qu’il ne sait même pas ce qu’il cherche. Et s’il s’agissait d’une tombe ? D’ossements ?
À 11 h 24, la pelle heurte un objet métallique. Il est en sueur, a ôté sa parka depuis belle lurette, et pense faire de même avec son vieux sweat. Quoi qu’il puisse trouver, il se munit d’un transplantoir pour ne pas risquer de l’abîmer avec la pelle. Le trou fait une quarantaine de centimètres de profondeur. Il s’y accroupit et commence à enlever la terre sur le pourtour de l’objet. C’est une boîte métallique, qu’il finit par extirper avec maintes précautions. Elle est carrée, d’environ vingt centimètres de côté, mais plutôt profonde, d’une quinzaine de centimètres au bas mot.
Augustin s’assoit sur le rebord de l’excavation, sans penser à quoi que ce soit pendant de longues minutes. Il tient la boîte dans ses mains. Elle a rouillé, mais semble très banale, sans inscriptions ou dessins quelconques. Il la pose et reprend la fouille, au cas où d’autres surprises l’attendraient. Il abandonne une demi-heure après, convaincu que seule cette boîte devait être révélée. Laissant les outils en plan, il rentre, non sans avoir enlevé au préalable ses chaussures crottées. Il se sent absent à lui-même. Il boit un grand verre d’eau, se lave les mains. La boîte est sur la table de la cuisine. Elle ne demande qu’à être ouverte.
Alors il l’ouvre.
Il doit d’abord desceller le couvercle à l’aide d’un canif, ce qui lui prend de longues minutes. De la terre et de la rouille l’ont collé à la boîte. Mais il parvient à ses fins. Dès qu’il se débarrasse du couvercle, une odeur incroyable s’échappe. Comme un parfum de jasmin, de miel et de lavande, nimbé d’une humidité un peu écœurante. Ce qu’il regarde à l’intérieur le laisse interloqué. Une espèce de mousse blanchâtre, parsemée de taches noires, comme des chiures de mouche. À la texture, il déduit que c’est sans doute de la laine de mouton qui a été utilisée pour protéger le contenu. Habile. Dessus, deux brins de lavande séchés, qui s’effritent dès qu’il s’en saisit. Il enlève un bon paquet de laine, et découvre le trésor. Un portrait de douze centimètres sur dix, peint sur un papier épais qui n’a pas du tout été abîmé. Un portrait d’une femme très belle.
La femme de son rêve.
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Augustin tourne et vire depuis une dizaine de minutes, à la recherche de son pull couleur mangue. Impossible de mettre la main dessus. Il pensait le trouver en vrac sur un tas d’autres habits jetés sur la chaise de sa chambre. Mais non. Il n’est pas rangé dans l’armoire, n’est pas dans la corbeille à linge sale. Où peut-il l’avoir mis ? Il refait un tour complet, regarde sous son lit, dans le placard de la salle de bains, épuise les lieux improbables où il aurait pu se dissimuler.
– Fait chier !
Il lui faut des vêtements confortables et chauds. Ce pull était parfait et voilà qu’il se dérobe à lui. Incompréhensible. Il est inratable pourtant. L’heure avance, il ne veut pas prendre le risque de manquer l’ouverture de la bibliothèque, et être ainsi privé de sa place fétiche, dans la partie ouest, endroit où il dispose à la fois de tous les branchements nécessaires et d’une vue apaisante sur le parc. La table de travail y est petite. S’il s’étale suffisamment, cela décourage quiconque de venir s’installer avec lui. Il préfère la solitude quand il travaille.
Il s’assoit quelques secondes sur un tabouret, pour chasser mentalement les broussailles enflammées qui cinglent vers sa poitrine. Elles déboulent, poussées par un vent mauvais. S’il se laisse déborder, c’est foutu. Quelques exercices de respiration, yeux fermés, et le malaise s’atténue. Hors de question de subir les conséquences d’un nouveau déferlement de violence. Comme cette fois où, suite à un examen raté, il avait dévasté sa chambre dans la résidence universitaire où il logeait. Après coup, il s’était demandé où il avait trouvé la force de balancer le lourd canapé-lit, qui s’tait retrouvé à l’aplomb de l’un des murs à l’autre bout de la pièce. Ou cette autre, lorsqu’il avait déclenché une bagarre générale dans un bar, laissé à l’état de champ de ruines. On en parlait encore, alors même qu’un institut de beauté s’était substitué au troquet depuis longtemps.
La disparition de ce pull, c’est quand même fort. Il ne comprend pas du tout où il peut être. Avant de quitter son domicile, il vérifie de nouveau dans l’armoire où tous les vêtements propres sont pliés. Il n’a pas grand-chose. Dans la colonne des pulls, un chandail gris et épais aux manches distendues qu’il ne met qu’à l’intérieur, un pull bordeaux à col rond, un autre noir. Et c’est tout. Celui qu’il porte par défaut est bleu marine.
Lorsqu’il ouvre la porte d’entrée, son chat s’engouffre dans la maison.
– Fripoun ! C’est toi le coupable, j’en suis sûr ! Où tu l’as planqué ?
Le félin ne prend même pas la peine de se retourner. Il s’étire dans le vestibule et disparaît.
Augustin verrouille le loquet et file récupérer son vélo dans l’appentis. Le trajet jusqu’à la bibliothèque ne lui prend qu’un petit quart d’heure. Il traverse des quartiers résidentiels plutôt arborés. Aucun cependant comparable au sien. Une aubaine qu’il ait pu trouver ce chalet en rondins niché au milieu d’arbres magnifiques. Séquoias, chênes, liquidambars, érables, pins, châtaigniers. C’est un vieux lotissement, sans clôtures. Cinq grandes cabanes à peu près identiques cohabitent sur un gros hectare de terrain, plus ou moins masquées les unes des autres par les grands arbres et de multiples massifs d’arbustes et de plantes. Pas de pelouse à entretenir, le sol étant uniformément recouvert d’aiguilles de pins et de feuilles. Un employé du syndic taille de temps à autre au rotofil les herbes hautes qui se frayent malgré tout un chemin. Augustin s’occupe de l’arrosage. Il a planté au printemps du jasmin, de la glycine, des clématites et du chèvrefeuille pour qu’ils grimpent le long des rambardes de la terrasse en bois qui encercle la maison.
Il pédale fort pour effacer les minutes perdues, escamote sans réfléchir le raidillon qui conduit à la vieille ville, sans perdre de temps à faire des détours par les ruelles escarpées, gare sa bicyclette dans le parc à vélos et enquille l’escalier d’accès quatre à quatre. Une dizaine de personnes patientent déjà. Sans vergogne, il se faufile parmi elles pour se placer devant tout le monde. Aucune réaction. Qui serait disposé de toute façon à batailler pour si peu avec ce jeune adulte solidement bâti au regard torrentueux ?
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Assez tôt dans sa vie, Augustin a découvert sur lui-même trois choses fondamentales : un refus absolu de toute autorité ; une curiosité insatiable ; un don pour la synthèse. De là, il a créé son propre emploi. Il écrit ce que les autres n’ont pas le temps, le désir ou la compétence d’écrire. Cela a commencé de façon artisanale, alors qu’il était encore doctorant en histoire contemporaine. Il avait accepté de rendre service, contre rémunération, à des étudiants de licence ou de master. Tous les moyens étaient bons pour récolter un peu d’argent. Il n’avait pas d’allocation de recherche, et plutôt que d’accepter des vacations payées une misère et avec retard, il préférait accumuler des petits boulots plus lucratifs pour financer ses études. Serveur, manœuvre, manutentionnaire, caissier, rien ne le rebutait. Mais ce fut ce job de scribe qui changea sa vie.
Au fil du temps, sa rapidité et son savoir-faire lui assurèrent une solide réputation. L’incroyable richesse de ce qu’il découvrait, la diversité de ces nouvelles connaissances prirent peu à peu le pas sur son propre sujet de thèse, qui ne le passionnait plus autant qu’avant. L’appauvrissement des conditions de travail à l’université et la faiblesse du nombre de postes offerts achevèrent de le convaincre que son avenir dans l’enseignement supérieur s’était perché sur un affleurement rocheux inatteignable. Il n’avait aucune envie de se retrouver à la trentaine avec un diplôme prestigieux mais inutilisable. Il créa sa micro-entreprise, qu’il nomma avec une certaine pédanterie Encyclios Vagabundus. Et avec le recul, c’était bien ce qu’il était devenu, une encyclopédie vagabonde, au service de tous.
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À la faveur d’une éminence qui lui permet d’avoir une vue dégagée sur les contreforts montagneux qui paradent, il distingue avec netteté la coulée d’accès. Elle se tortille comme une vilaine blessure entre deux parois qui paraissent hérissées de pics. Les jumelles qu’il utilise sont défaillantes. La lentille de gauche est rayée et donne un aspect flouté à une partie de la vue. Mais le vieil homme identifie l’endroit avec certitude.
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Deux bonnes semaines de voyage, déjà. En selle ou à la marche, pour soulager son corps ankylosé et la carcasse de sa monture, aussi.
Les ossements des grandes plaines sont derrière eux à présent. À la vue des immenses forêts et montagnes s’annonçant au loin, le vieil homme se sent libéré. Il s’autorise même une exclamation de joie.
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J’approche du Vieux Marin, le café donnant sur le port.
À l’exception du sol de tomettes craquelées, tout est en chêne ici, les murs comme le comptoir, les tables et les chaises. D’un chêne charrié par d’anciens forçats qui édifièrent une maison où l’on boirait et se reposerait afin d’oublier les années de malheur et se préparer à celles qui débarqueraient.
Les patrons successifs ont gardé le principe des chambres à l’étage. Les pièces servent de dortoir pour les sans-abri, les nécessiteux, les drogués ou les alcooliques. On y sommeille, on y baise parfois, dans des vapeurs de mélancolie et au son des vagues qui s’ébrouent à quelques dizaines de mètres en face.
La bâtisse a résisté à tous les ouragans, elle a échappé au feu vengeur des milices. On dit que sous le bois, les fondations sont faites de pierres sacrées, liées au chêne par des sarments coulés dans du bronze. On dit qu’à l’époque de sa construction l’idée même de faire des fondations n’affleurait pas, que la maison tient grâce à des diableries.
On dit beaucoup de choses au sujet de cet endroit.
C’est le seul où je viens jouer ma musique en public. Le seul, avec la librairie et la salle de basket, où je consens à m’attarder de temps à autre.
J’y ai dormi aussi, autrefois.
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Je ne suis pas un inconnu en ville.
Je suis de ces personnes que l’on catégorise parce qu’on les craint.
Ni dans la marge, ni dans la norme. Mais lorsque j’apparais, les conversations s’arrêtent l’espace de quelques secondes. Cela tient peut-être à mon visage.
Peau mate, cheveux blonds et cendres, épais, plutôt longs. Toujours une barbe de quelques jours. Des yeux gris bleu qui, dans certaines circonstances, virent au vert d’eau sous l’effet de flamboiements qu’à vrai dire je ne contrôle guère. Ils peuvent être apaisants tout autant queffrayants.
Je renvoie l’image d’un bon gars sur qui l’on peut compter. Ou d’un type sans pitié.
Certains en font des tonnes, grimacent, parlent haut et fort, gesticulent pour se faire remarquer. Ils n’en continuent pas moins d’avoir autant de personnalité qu’un gant de toilette usagé. Je n’ai nul besoin de ces artifices pour exister.
Un haussement de sourcil, voilà l’intérêt qui s’éveille. Un coin de la bouche qui s’étire, l’ironie s’invite. Et tout à l’avenant.
Je captive. Et trouble dans le même mouvement.
Don ou malédiction, j’ai fini par m’en accommoder, et n’en joue pas. Je suis ainsi fait.
Dans cette ville au passé d’esclaves, de sorciers, de tueurs, de guerriers infortunés, de pêcheurs ruinés et de courageux érudits, dans ces rues où des femmes, des hommes et des enfants se sont battus pour leur liberté, ont succombé sous les coups d’une armée aveugle et rendue folle par le sang, dans ces maisons où l’on a tu si longtemps l’innommable et le sordide, il est bien logique que je sois devenu l’objet de croyances farfelues.
On me prête le pouvoir de parler avec les morts, de tenir ensemble eau, terre, air et feu. Je parcours les chemins sans manger ni boire, me livrant à des incantations arrachées à la nuit.
N’importe quoi.
J’affirme qu’il ne faut pas croire tout ce que l’on raconte à mon sujet avant de m’éclipser la seconde suivante, sans que l’on sache si j’ai disparu soudainement ou si j’ai endormi mon interlocuteur avec l’une de mes malices.
Viendra le temps où je me fatiguerai de tout ça.
Ou pas.
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Au début, ils ne communiquaient guère ces deux-là, à peine un salut à la dérobée une fois dans l’eau. Qui pouvait bien se soucier d’un gosse nanti d’une planche encore trop grande pour lui ? Mais si Aupwean avait rencontré La Serpe de façon furtive à deux reprises chez moi, et ne connaissait de lui que des racontars que je jugeais encore trop tôt de démêler pour préserver son innocence, mon vieux compagnon savait plus que tout autre qui était Aupwean, et il ne se trouvait jamais là par hasard. Il veillait sur mon neveu et ce faisant, assistait à l’éclosion d’un talent hors norme.
Aupwean est une merveille à contempler. Patient, intuitif, et nageur exceptionnel, il franchit des barres qui effraieraient des types aguerris. Il lance son corps gracile et sec à l’assaut de rouleaux dépassant parfois les deux mètres. Sa science innée du placement sur la planche lui permet d’accompagner la vague dans une danse harmonieuse et consentante. Aupwean a hérité des aptitudes de son père, aussi à l’aise dans des vaguelettes de cinquante centimètres que calé dans le tube d’un monstre de plus de trois mètres, mais il les a transcendées pour en faire une ode à la beauté et l’abandon. Il caracole sur le longboard ultra léger qu’Andoni a fait shaper sur mesure pour lui. D’un gris nuancé avec deux bandes bleu roi qui courent sur la longueur, sa sobriété s’adapte parfaitement à son tempérament sombre. Une fois leurs sessions respectives terminées, La Serpe ne se lasse jamais de le voir longer le bord des flots, les mains derrière le dos, et son chien virevoltant autour de lui. Il examine l’océan, l’apprend, et c’est parfois à regret que La Serpe quitte ce spectacle silencieux. Le petit monde des surfeurs locaux a fini par connaître Aupwean, chacun gardant un œil sur lui sans s’inquiéter outre mesure des dangers qu’il encourt dans l’océan.
Son destin est tout tracé : un féroce compétiteur promis à la gloire, entrant avec panache et élégance dans le cénacle des plus grands watermen, bousculant hiérarchies et records. Des surfeurs aussi souples, inventifs et téméraires, on en a peu vus comme lui dans le coin, sans doute même est-il l’un des premiers spécimens d’un nouveau genre. Son entêtement à surfer sur une longue planche alors qu’il est déjà à son aise sur une plus courte en dit long sur son tempérament. Il entrera dans la légende.
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L’une de mes anciennes compagnes prétendit lors d’une fin d’après-midi cotonneuse au bord de l’eau que nos âmes cheminaient seules, qu’il fallait accepter ce que la vie nous envoyait et poursuivre sa route vaille que vaille. J’ironisai alors sur la tristesse de cette remarque, et ne manquai pas de brocarder sa solennité. Mais, à l’accoutumée, je finis par succomber à la profondeur de ses yeux noirs, presque inquiétants à la lueur rougeoyante du soleil qui partait à la rencontre de l’océan, et je renonçai à toute argumentation pour me rouler dans le sable avec cette fille aussi étrange que voluptueuse. Elle me quitta quelques semaines plus tard, et lorsque je pense à elle, c’est une forme diaphane flottant à quelques centimètres du sol qui se matérialise loin là-bas, très loin vers le couchant, ses lourds cheveux blonds emportés par le vent. Je sais ce que cette image a d’emprunté ou de puéril, pourtant je n’en trouve pas d’autre pour me souvenir d’elle. Cela vaut mieux que de garder en tête ses poses alanguies ou ses exigences baroques.
Elle touchait souvent au but cependant. Qu’on le veuille ou non, on reste seul avec soi-même, et on doit accepter que sa propre compagnie puisse s’avérer pénible. Longtemps j’ai cru à l’âme sœur, cela comblait mon angoisse d’être abandonné dans ce monde absurde. Je me suis persuadé l’avoir rencontrée très tôt, et de cet amour si peu adulte une petite fille est née, élevée avec l’aide de nos parents respectifs, d’abord dans la concorde et la nonchalance, puis dans l’acceptation de l’impasse dans laquelle nous nous étions engagés. Jusqu’à ce jour il me faut ainsi admettre que mon âme sœur ne s’est pas encore manifestée, ou alors je l’ai manquée. Le lien indéfectible qui m’unit à La Serpe compense la perte probable de cette illusion.
Voilà deux heures au moins que La Serpe et moi sillonnons la forêt à une vingtaine de mètres de distance l’un de l’autre sur une ligne à peu près horizontale. Seules quelques gouttes de crachin parviennent à nous atteindre à travers le couvert. Ralenties par les branches, les feuilles et l’atmosphère lourde et humide, elles tombent en tournoyant, glissent sur mes joues, se faufilent de temps à autre entre mon cou et le col de ma parka.
Plusieurs rêves ainsi qu’un acte de désobéissance et de renoncement d’un garçonnet de dix ans, mon neveu Aupwean, commis la semaine passée, nous ont conduits ici, dans cet univers immense et flamboyant, aux trousses du fugitif le plus recherché depuis des lustres. Mais les raisons qui justifient ce que nous faisons sont bien plus ancestrales, elles puisent dans un temps qui se dérobe à nous.
La silhouette de La Serpe disparaît par instants, pour fureter, écarter des arbustes, déceler une trace. Il connaît l’endroit encore mieux que je ne le saurais, pourtant le premier je découvre les empreintes, sur un sentier qui n’a pas encore absorbé toutes les pluies de la semaine passée.
Elles se découpent franchement, difficile de les rater.
Dans la précipitation, il n’a pas dû se rendre compte qu’il franchissait une piste. Sans doute courait-il à l’oblique, à grande vitesse, les genêts et les fougères ne sont même pas écrasés, à peine courbés par endroits. J’appelle La Serpe et lui montre la scène.
– Il va vers le sud-est, me dit-il. C’est ce que j’aurais fait.
Je réajuste la bandoulière du fusil pour qu’il me tienne mieux à l’épaule.
– Allons-y, ne perdons pas de temps.
La Serpe hoche la tête. Nous repartons, le sourire aux lèvres et l’effroi accroché aux tripes. Il ne doit pas nous échapper.
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Je suis un nid de contradictions : à quoi ressemblent ce retrait du monde, ce renoncement que j’accompagne de manies, n’écouter qu’un disque par jour, n’écrire que quelques lignes chaque soir, tandis que se profilent à l’horizon la résolution ou la non résolution les plus importantes de ma vie ?
– Quel est l’animal, non, quel est l’être vivant le plus lent du monde ? me demanda un jour Tim, alors que je venais de l’énerver suite à l’une de mes sempiternelles évocations d’un doute quelconque.
– Le paresseux ? L’escargot ?
– Non, tu n’y es pas mon vieux. C’est l’hippocampe.
– L’hippocampe ? Tu plaisantes !
– Pas du tout. J’ai lu quelque part qu’il lui fallait je ne sais combien de minutes pour parcourir quelques centimètres. Cependant, lorsqu’il s’agit de se défendre ou de manger, la rapidité de son coup de tête est stupéfiante. Pfuuiiittt, elle était là, elle y est plus, fit Tim en claquant des doigts. Sans oublier qu’il peut rester des heures immobile. Tu es un hippocampe, Félix, que tu le veuilles ou non.
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Il est difficile de se faire une place dans le monde lorsque l’on est l’arrière-petit-fils d’un occultiste aux pouvoirs effrayants, le petit-fils d’un aviateur lunatique et le fils d’un surfeur de légende. Je n’ai pourtant pas sombré dans la drogue, l’alcool ou la fainéantise, je suis même devenu un temps enseignant-chercheur à l’université avant de m’en éjecter misérablement : je ne pouvais supporter que mes pairs jugent risibles et farfelues certaines de mes hypothèses de recherche, et plutôt que le discrédit de salon j’optai pour le départ avec éclats, insultes et quelques coups et blessures au passage, fantaisie que l’institution me pardonna aisément dès lors que je maintiendrais mon serment de ne plus jamais foutre les pieds dans ce qui avait été mon éden quelques années durant. C’est alors que j’ai davantage apprécié les attraits de la drogue, de l’alcool et de la fainéantise, abordés avec le sérieux qu’il se doit dans la maison de mes ancêtres, réinvestie avec fatalisme. À l’approche de mes trente-deux ans, je me résignai à la liquéfaction au bruit des vagues géantes qui un jour sans doute viendraient avaler la demeure familiale et la poussière qui lui tenait lieu de mémoire.
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J’avais toujours considéré que Cluquet était un lieu destiné à être enseveli par l’oubli. Trop de rudesses, trop de malentendus. Mais me tromper à ce point… Cluquet, ce village qu’on rejoint en quittant la grand-route, empruntant au jugé un vaste champ en léger dévers, où chiendent et bruyère se mêlent aux crevasses et aux craquelures d’un sol épuisé, pour distinguer une trouée dans la forêt, s’y engager indécis et découvrir un chemin à peine goudronné envahi de touffes d’herbes : des kilomètres entre des pins centenaires, des chênes bien plus vieux encore, même des châtaigniers, qui tous se penchent sur vous avec une morgue insoutenable, une désinvolture teintée de menace qui donnent la chair de poule, qui poussent à la volte-face, invite que pourtant on feint d’ignorer, pour mieux poursuivre sur la voie de ce qui est déjà un mystère inquiétant. Avant qu’elles ne fussent détruites par mes soins, on débouchait autrefois sur des maisons costaudes qui se gîtaient contre le flanc de la colline de sable, ne s’approchant qu’à peine de la forêt, comme s’il fallait laisser des espaces neutres pour respirer. Mais quel défi que l’emplacement de la mienne, la dernière debout, à jamais ! Elle en revanche s’est toujours grandie sur la dune, seule dominante, comme une force naturelle et indestructible face à l’océan, dont les vagues inlassables se déploient dans une gigue hypnotique. Vient alors à l’esprit que tout ici est un, que la forêt traversée, cet ancien hameau perdu, cette dune, cette plage sans fin et ces rouleaux bleutés ne sont qu’une seule entité évidente, éternelle. Quoi d’autre que ce sentiment aurait pu m’aider à supporter l’impossible ?
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