"C'est parce que ce travail est dur et parce qu'il faut se battre contre les moustiques et les taons que la récolte, à l'automne est une fête. Après les difficultés... il y a toujours quelque chose d'heureux qui arrive."
Pour cette journée de la femme, je ne vais pas, comme à l'accoutumée, vous présenter le titre d'une auteure mais vous parler de Tomoji Uchida, une jeune fille née en 1912 dans un milieu simple du japon profond. Un personnage de chair et de sang auquel le grand Jirô Taniguchi, maitre incontesté du manga, rend hommage dans Elle s'appelait Tomoji.
Une petite entorse à la règle, certes, mais le jeu en vaut vraiment la peine car cet ouvrage est de toute beauté.
Pour Tomoji, il y a d'abord les jours heureux (peu nombreux mais si importants), puis les jours sombres... Malgré les coups bas de la vie - le deuil d'un père, d'une sœur, d'une grand-mère, l'abandon d'une mère - l'enfant grandit en beauté, en courage et en sagesse. En 1925, elle croise sans le savoir la route de celui qui deviendra son époux. Il faudra encore attendre sept ans avant qu'ils ne se rencontrent vraiment... En attendant, elle est la seule fille du village à accéder à l'école supérieure...
Qui est réellement ce personnage attachant ? On le découvre à la fin de ce roman graphique, dans une interview de Taniguchi. Tomoji Uchida est la créatrice d'un temple bouddhiste dans la région de Tokyo, lieu que fréquente l'auteur et son épouse. On y apprend que ce texte est une commande mais que le mangaka a volontairement voulu se démarquer d'une biographie classique et s'attacher plutôt à tous ces événements de la vie, petits et grands, qui forgent un caractère, une personnalité, une destinée... quitte à "fictionnaliser librement".
Par le biais de ce très beau portrait, il s'attache aussi à dresser celui du Japon du début du XXe siècle, un Japon encore très rural où les destins semés d'embûches comme celui de Tomoji sont légion. L'auteur y évoque encore les traditions de l'époque et les faits d'actualité comme le grand tremblement de terre de 1923.
Cet ouvrage se lit comme un roman. On pourrait presque parler d'un long fleuve tranquille tellement il est empreint de sérénité. Malgré les coups du sort, l'héroïne va de l'avant, puisant dans son amour des êtres et de la nature qui l'environnent, la certitude que tout ira bien. Elle nous embarque dans son sillage jusqu'à cette rencontre avec l'homme de sa vie. Un éveil amoureux qui nous est conté avec énormément de retenue et de pudeur mais qu'on sent profond et sincère.
Cette "zénitude" est soutenue par un dessin à la fois poétique et d'une précision méticuleuse. De-ci de-là, le récit est émaillé de planches en couleurs de toute beauté, de dessins couleur sépia aussi, pour représenter les quelques clichés de Tomaji et de ses proches.
Et puis, au détour d'une page, ce clin d’œil à la fameuse histoire de Kandata qui veut fuir l'enfer en grimpant sur son fil d'araignée, un texte que j'ai moi-même dû lire lorsque j'étais ado et qui m'est resté en mémoire. Un conte philosophique qui n'est pas anodin dans le parcours de vie de notre héroïne...
"Comment faire ? Comment Kandata aurait-il pu éviter jusqu'au bout que le fil ne se brise ?"
Bref, à travers ce titre, Jirô Taniguchi rend finalement hommage à ces femmes comme les autres qui ont en elles des ressources insoupçonnées pour soulever des montagnes.
Un titre idéal pour cette journée de la femme !
Avec lui, je participe au challenge proposé par Sophie - Les bavardages de Sophie ! Merci à elle de m'avoir permis cette petite entorse à la consigne de départ !
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