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Citations de Jules Romains (419)


Ne sont mortes que les choses qui n'ont plus de puissance.
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Tous vos bagages sont là, mon cher confrère ?
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Madame Parpalaid, — D'ailleurs, les gens viennent
presque toujours pour une seule consultation.
Knock. — Hein .^ Madame Parpalaid. — Mais oui. Le docteur Parpalaid prend des airs distraits. Knock. — Alors, qu'est-ce que vous faites des clients réguliers ? Madame Parpalaid, — Quels clients réguliers ? Knock. — Eh bien ! ceux qu'on visite plusieurs fois par semaine, ou plusieurs fois par mois ? Madame Parpalaid, à son mari. — Tu entends ce que dit le docteur ? Des clients comme en a le boulanger ou le boucher ? Le docteur est comme tous les débutants. Il se fait des illusions. Le docteur, mettant la mttin sur le bras de Knock. — Croyez-moi, mon cher confrère. Vous avez ici le meilleur type de clientèle : celle qui vous laisse indépendant.
Knock. — Indépendant ? Vous en avez de bonnes
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Madame Parpalaid, — Et nous avons eu de très belles rentrées à la Saint-Michel.
Jean se couche sous la voiture. Knock. — Plaît-il ? Madame Parpalaid. — Ici, les clients vous payent
à la Saint-Michel.
Knock. — Mais... quel est le sens de cette expression .'' Est-ce un équivalent des calendes grecques, ou
de la Saint-Glinglin ?
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D. L'UNANIMISME
Dès ses premières œuvres, fuies Romains s'est fait le cré- ateur et l'interprète d'une conception du monde à laquelle
il donna le nom d'Unanimisme. Il s'attache à saisir l'essen- ce des groupes humains, non en les décrivant de l'extérieur comme faisait Zola, mais en pénétrant jusqu'à leur âme. Car chaque groupe, cercle d'amis, ville, 'année, peuple, détient une réalité psychique, qui pourtant ne parvient à l'existence qu'à partir du moment où ce groupe en prend vraiment conscience.
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Sur tout le front, du bois d'Haumont à l'Herbebois, en passant par le Bois des Caures et le Bois de Ville, et sur une épaisseur de plusieurs kilomètres, il régnait la même danse de poussière, de fumée, et de débris, fouettée par un orchestre tonitruant. Là-dessous, des milliers d'hommes, par petits paquets de deux, de trois, de dix, quelquefois de vingt, courbaient le dos, l'un contre l'autre, au fond de trous dont la plupart n'étaient que des égratignures du sol, dont bien peu méritaient le nom d'abris. Ils écoutaient la terre se fendre sous le choc des obus, s'éventrer tout autour d'eux. Ils respiraient par les fissures de leurs gîtes l'odeur de la catastrophe, qui était une odeur de planète calcinée. Ils n'avaient individuellement à peu près aucune espérance de survivre ; sauf quelques enragés qui s'obstinaient à croire en leur bonne étoile, et qui étaient hommes à mourir juste un peu avant d'avouer que "ça y était". Les autres se demandaient si le prochain obus, ou plutôt l'un des douze prochains, car on ne les comptait plus qu'à la douzaine, ne leur rendrait pas service en les débarrassant de leur angoisse, puisque tôt ou tard, mais sûrement avant la nuit, ils étaient sûr d'y passer.
Quant aux artilleurs, même lorsqu'ils recevaient des ordres - et pour diverses raisons ils en recevaient peu - ils ne savaient pas sur quoi tirer. Ils avaient devant eux cette zone de tornade, complètement opaque ; et de ce qui pouvait se passer dedans, ils ne savaient à peu près rien. Les Allemands avaient peut-être déjà attaqué ; avaient peut-être déjà pris pied dans les bois. Comment les artilleurs l'auraient-ils deviné ? C'était leur demander de frapper au petit bonheur à travers les volutes rousses et blanche d'une forêt en feu.
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Les économistes n'avaient cru possible qu'une guerre courte, parce qu'ils ne comptaient qu'avec l'argent réel. S'il n'existait que l'argent réel, il y a beau temps que cette guerre aurait fini de l'absorber. Mais les peuples ont appris à la nourrir avec de l'argent fictif, avec ce qu'ils appellent le crédit. Comme les joueurs dans les récits d'autrefois, tâtent leurs poches vides, se disaient soudain : " Mais c'est vrai ! j'ai une bague... j'ai un champ...j'ai une maison. Qui m'empêche de les jouer aussi ?" les peuples, tout en se ruinant, se sont aperçus qu'ils étaient bien plus riches qu'ils n'avaient jamais soupçonné ; et qu'après avoir transformé tout leur argent réel en canons et en obus, ils pourraient transformer en argent fictif la terre, les forêts, les maisons, les ports, les rails, les réverbères... donc en faire aussi des canons et des obus.
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Pour empêcher tous ces civils en armes de flairer la paix défendue, pour maintenir à l'état d'irritation et de saignement le contact entre les deux peuples, il suffisait, sans autre appel au zèle ni au courage, d'utiliser çà et là chez les individus le besoin de distraction, la fierté d'être adroit, le goût de la chasse, l'amusement de l'aventure, un rien de cruauté bon enfant. L'on trouvait, plus qu'on n'en voulait, des tireurs pour guetter au créneau le premier "homme d'en face" qui passerait la tête, et l'abattre ; des volontaires pour aller en rampant jeter un pétard dans un poste d'écoute ; d'autres pour former une patrouille chargée de surprendre et de tuer quelques sentinelles. Chaque mort appelant représailles, l'apaisement n'était plus à craindre ; et même si le ressentiment qu'on éprouvait de part et d'autre ne dépassait guère la rancune qu'inspire le mauvais tour d'un voisin ; s'il ne se nommait "la haine de l'ennemi" que dans les allocutions des colonels, il y en avait assez pour que la plus humble cervelle fût préservée de confondre "l'homme d'en face" avec un homme tout court.
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LES COPAINS
Chapire VIII - Les copains

— Bénin !

— Quoi ?

— Tu es bien sûr de ta route ?

— Mais oui !

— Parce que je trouve que ça monte de plus en plus. Tu n’as pas l’intention de nous faire bivouaquer sur une montagne ?

— Je t’ai déjà dit que la maison est sur la pente même du Testoire, à douze cent cinquante, ou treize cents… Tu n’y arriveras pas en te mettant sur le cul et en te laissant glisser.

De vrai, ça commençait à grimper assez dur. On ne savait plus guère où on mettait le pied, et on butait à chaque instant. Puis il y avait de plus en plus d’eau. Des filets invisibles gargouillaient un peu partout.

— J’ai les chaussettes mouillées.

— Tu les sécheras au feu.

— Ne récrimine pas contre cette eau ! Quand tu l’auras goûtée, tu m’en diras des nouvelles ! Ah ! ce n’est pas du pipi de robinet ! Les roches du Meygal lui donnent une saveur unique.

— Quand j’ai de l’eau dans mes chaussettes, je me fiche bien du goût qu’elle a.

Le terrain était si pénible que la file tendait à se disloquer. Chacun se tirait d’affaire de son côté, et comme il pouvait, au milieu des ronces, des chicots et des trous. On s’ingéniait à préserver les bouteilles et la vaisselle. Les personnes elles-mêmes avaient moins d’importance.

Bénin s’arrêta :

— Ne nous lâchons pas !… ne semons pas les derniers !… ça serait affreux. Tout le monde est là ?

Les traînards se rapprochèrent.

— Quatre… cinq… six… Et Martin ? Où est Martin ?

— Tiens ! c’est vrai !
— Toi, Omer, tu étais l’avant-dernier… qu’est-ce que tu as fait de Martin ?

— Ma foi… il marchait encore derrière moi il y a trois minutes… je pensais qu’il me suivait.

— Oh ! le pauvre diable ! Il est peut-être tombé, ou il nous a perdus… Il y a eu un petit tournant tout à l’heure…

Tous se mirent à crier :

— Martin ! Martin !

Leurs cœurs battaient vite ; leurs gorges se serraient. Ils avaient beaucoup de peine, soudainement.

— Martin ! Hé ! Martin !

— Attendez !… je vais redescendre un peu… Vous, continuez à crier !…

Omer, dégringolant la pente, disparut bientôt derrière les feuillages. De temps en temps, les copains poussaient un appel. Lesueur avait posé son sac sur une roche moussue.

— Les voilà !

C’était Martin, et Omer à ses trousses, comme un mouton que le chien ramène.

— Alors, mon vieux ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— Rien de grave, hein ?

On lui tapait sur l’épaule ; on le regardait avec affection. Lui souriait, mais ses lèvres tremblaient visiblement, et ses yeux en amande s’étaient un peu dilatés. Il finit par dire, d’une voix d’enfant qui a eu peur :

— Vous alliez plus vite que moi… je suis resté en arrière… et au tournant, je me suis trompé… il y avait une petite éclaircie… j’ai cru que c’était le chemin…

— Oui, je l’ai trouvé en plein fourré, immobile. Il ne savait plus que faire. Pauvre vieux !

— Il est peut-être fatigué. On va lui décharger son sac !

— Merci… non ! non !

— Tu nous ennuies… Et puis tu marcheras en tête, entre Bénin et Broudier. Ton ancien ministre te surveillera.
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LES COPAINS

Chapitre VII

DESTRUCTION D’ISSOIRE

L’après-midi de ce même jour, entre trois heures et quatre heures, la matière d’Issoire subit des changements profonds.
Elle se contracta et acquit en densité ce qu’elle perdait en volume.
Les maisons de la périphérie se vidèrent d’abord ; les portes faisaient un à un des hommes vêtus de noir, comme une chèvre fait ses crottes, et jusqu’à épuisement. Cette espèce d’envie gagna les maisons de proche en proche. À quatre heures toutes s’étaient soulagées.
Une fois dehors, les hommes se mettaient en marche. Il n’y avait qu’un sens et qu’une vitesse.
De carrefour en carrefour les itinéraires convergeaient. Il se formait ainsi des rues de plus en plus épaisses, de plus en plus lentes.
Cependant que, vers le centre de la ville, la place Sainte-Ursule gonflait comme un biniou.
À quatre heures Issoire était devenu la place Sainte-Ursule.



On allait inaugurer au milieu de la place la statue équestre de Vercingétorix.
La chose avait traîné longtemps. Une première souscription nationale, organisée sept ans plus tôt, n’avait produit que la somme de soixante-seize francs vingt. Avec cette somme, le Comité d’initiative fit établir un modeste terre-plein sur la place Sainte-Ursule.
La vue de ce terre-plein finit par provoquer, au bout d’un an, l’ouverture d’une souscription régionale. L’élan de la région fut tel que l’on recueillit huit cent trente-deux francs. Avec cette somme, le nouveau Comité fit construire sur le terre-plein un socle de granit.
La vue de ce socle eut le meilleur effet sur un riche entrepreneur de démolitions, originaire du pays, et qui passait à Issoire un mois de vacances. Il offrit à la ville un cheval de bronze qui provenait de la démolition du Palais de l’Industrie.
Le cheval de bronze fut amené à Issoire aux frais du donateur. Il ne manquait plus que Vercingétorix. En attendant, on logea le cheval à l’Hôtel de Ville, dans la salle des mariages.
Et voilà qu’au commencement même du mois d’août un jeune sculpteur parisien, qui se disait « admirateur passionné du héros arverne », avait écrit au conseil municipal pour lui proposer de parachever le monument, et de donner au cheval un cavalier digne de lui. Il ne voulait aucun salaire. L’honneur lui suffirait.
C’était une aubaine. Les journaux locaux se montrèrent enthousiastes. On forma hâtivement un Comité d’honneur et un Comité d’action. Dans une seconde lettre, le jeune sculpteur annonça que son œuvre, ébauchée depuis plusieurs mois, ne réclamait plus que quelques jours d’un travail fiévreux. On l’avait invité à se rendre à Issoire « pour prendre des mesures ». Il répondait que c’était inutile ; qu’au cours d’un voyage « incognito », il avait examiné de près le socle et le cheval de bronze ; qu’il possédait à ce sujet, des notes abondantes et précises, et que tout irait parfaitement. Il se bornait à demander qu’on installât d’avance le cheval sur son socle, pour qu’il n’eût pas à s’en occuper. La veille, ou le matin de l’inauguration, Vercingétorix serait apporté place Sainte-Ursule, par les soins mêmes de l’artiste, et fixé sur sa monture. Un voile recouvrirait l’ensemble de la statue jusqu’à l’heure des discours. Le maire avait offert au sculpteur l’hospitalité de sa maison pour la durée de son séjour à Issoire. Il remerciait avec beaucoup de politesse. Il préférait descendre chez un sien ami, dans la demeure de qui il trouverait des commodités particulières pour certains apprêts techniques de la dernière minute.
De fait tout avait bien marché. On avait installé, non sans peine, le cheval sur son socle. Le socle était un peu petit, mais solide. Pour aiguiser la curiosité publique, on avait jeté une bâche sur le cheval.
Le jeune sculpteur parisien était arrivé à Issoire, mais si discrètement que personne ne l’avait vu. On n’avait pas remarqué davantage que le chemin de fer eût livré une caisse ou un ballot de taille à contenir Vercingétorix. Mais on n’en conçut que plus d’estime pour un artiste qui aimait moins le bruit que la besogne.
Le dimanche de l’inauguration, vers midi, quand les rues sont vides, un camion chargé était venu s’arrêter place Sainte-Ursule, contre le terre-plein. Trois aides, en blouse blanche, avaient hissé rapidement Vercingétorix sur son cheval, sans le sortir de l’appareil qui le protégeait : une sorte de châssis de bois qu’une toile recouvrait de toutes parts. Vercingétorix échappait ainsi aux yeux des hommes et au contact de la toile.
« Vous comprenez, dit un des aides aux quelques badauds rassemblés, la dorure n’est pas encore bien sèche, et la toile, en frottant dessus, ferait du dégât. »



À quatre heures, la place Saint-Ursule avait accaparé la substance d’Issoire, et la soumettait à un ordre nouveau.
Le centre d’Issoire, le nombril du monde, le siège de la divinité, c’était la statue.
On ne la voyait pas encore, mais on l’imaginait. Tous les esprits projetaient au même point une vision de Vercingétorix à cheval, dix mille fantômes s’entre-choquaient, se pénétraient, s’identifiaient.

En face de la statue voilée, une petite tribune, tendue d’étoffe tricolore, prenait racine dans l’épaisseur d’une musique militaire.
Autour de la statue, en rangs concentriques où la musique militaire faisait comme une nodosité, les notables, vêtus de leur costume d’enterrement, les fesses épatées sur des chaises.
Autour du disque noir des notables, une zone mince et transparente : les enfants des écoles, sur des bancs.
Autour d’eux, un cercle de gens debout, des invités de seconde classe : une espèce de remblai en terre bien tassée.
Autour des gens debout, un cordon de fantassins, l’arme au pied.
Derrière les fantassins, la foule amorphe.
Au plus obscur de la foule amorphe, Bénin, Broudier, Huchon, Omer, comme un calcul dans un rognon.
Omer chuchotait :
« Ça ne peut pas réussir. Personne n’y coupera une minute. »
Broudier répondait :
« Pas sûr, mon vieux ! Il a fait ce métier-là dans les baraques foraines, du temps qu’il battait la purée. »
Huchon essuyait ses lunettes.



Le programme de la cérémonie comportait, d’abord :
La Marseillaise, par la musique militaire ;
Le Soleil d’Espagne, chœur, par les enfants des écoles ;
Tic, toc, tin, tin, tin, pas redoublé avec chants, par la musique militaire.
Dans les halliers, chœur, par les enfants des écoles ;
Puis les discours.
La série en était ouverte par M. Cramouillat, député d’Issoire et conseiller général, président du Comité d’action. C’était même à la fin de son premier mouvement oratoire, sur les mots : « Te voici, Vercingétorix ! » que la statue devait soudain apparaître aux yeux.
On avait dressé comme un treuil, derrière la statue. Il suffirait qu’un manœuvre tirât sur une corde pour que le léger appareil qui cachait l’effigie s’enlevât d’un coup et vînt se poser sur le sol. Les notabilités ne laissaient pas d’admirer ce dispositif, qui leur remettait en mémoire les trucs les plus fameux du théâtre de Clermont.
Après le dernier refrain de Dans les halliers, et quand se furent éteints les bravos de la foule, M. Cramouillat prit la parole.
Il commença par quelques souhaits de bienvenue aux autorités et notabilités. Puis il rappela la longue gestation du monument. Il le montra, sortant du sol de la place Sainte-Ursule, grandissant d’année en année avec force et patience, comme un chêne d’Auvergne. Il salua au passage toutes les initiatives, tous les dévouements, toutes les générosités, qui se partageaient le mérite de cette œuvre presque décennale. Et c’est alors seulement qu’il s’écria :
« Te voici, Vercingétorix ! »
La corde grinça ; l’appareil s’enleva ; Vercingétorix apparut.
La foule fit un vaste applaudissement.
Vercingétorix éblouissait les regards ; il luisait comme un chaudron neuf. On ne voyait que cela, d’abord.
Vercingétorix avait une pose simple, mais belle : la main gauche sur la cuisse, la main droite tenant les rênes de son cheval.
Vercingétorix était nu. Il avait pour tout équipage un bouclier, pendu à son dos ; une sorte de sac, de musette gonflée, sur le flanc gauche ; et des brodequins.
Vercingétorix avait une tête martiale, certes, mais singulièrement poilue ; sa barbe lui remontait jusque sous les yeux, lui inondait les joues, et confluait avec une épaisse tignasse.
Il avait le corps poilu comme la tête ; la toison longeait le sillon de la poitrine, s’épandait sur le ventre, et foisonnait plus bas. Cheveux et poils, d’ailleurs, parfaitement imités.
Son sexe, bien étalé sur l’échine du cheval, frappait à la fois par sa grosseur et par son naturels Les dames, et plus d’une jeune fille, n’en finissaient pas de l’admirer.
Bref, l’impression était excellente. Chacun disait :
« Ce que c’est réussi ! Ce que c’est vivant ! Ce que c’est craché ! Il ne lui manque que la parole ! »
M. Cramouillat reprit :
« Te voici, Vercingétorix ! Désormais ta noble stature va dominer notre forum. Tu contempleras d’un œil bienveillant nos tra vaux et nos luttes. Du haut de ton cheval, tu nous mèneras au bon combat. Ah ! il me semble que j’entends les exhortations que tu nous adresses, les conseils que tu nous donnes. Il me semble que j’entends ta voix rude. Tu nous dis : « Enfants d’Auvergne ! Mes enfants ! j’ai peiné, j’ai souffert, je suis mort pour la liberté, pour les droits du peuple. Avec ma sueur, avec mon sang, j’ai cimenté les bases de la démocratie. J’ai… »
Alors, il se produisit quelque chose de si effrayant, de si miraculeux, de si impossible que chacun douta de sa raison, et pâlit.
La statue ouvrit la bouche, la statue cria :
« C’est pas vrai ! »
Elle se tut, puis cria encore :
« J’ai jamais parlé de ça ! Et d’abord, je te défends de me tutoyer ! C’est pas devant moi qu’il faut sortir tes boniments. Vieille lope ! Tête de chou ! Fatigué ! Tu vas me faire rendre ma nourriture ! Fous le camp ! que j’te dis ! Fous le camp ! plus vite que ça !
Sur ces mots, Vercingétorix, fouillant dans sa musette, en tirait quelque chose q
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Acte II – Scène I

KNOCK, LE TAMBOUR DE VILLE

KNOCK, assis, regarde la pièce et écrit : C’est vous le tambour de ville ?
LE TAMBOUR, debout : Oui, monsieur.
KNOCK : Appelez-moi docteur. Répondez-moi « oui, docteur », ou « non, docteur ».
LE TAMBOUR: Oui, docteur.
KNOCK : Et quand vous avez l’occasion de parler de moi au-dehors, ne manquez jamais de vous exprimer ainsi : « Le docteur a dit », « le docteur a fait »… J’y attache de l’importance. Quand vous parliez entre vous du docteur Parpalaid, de quels termes vous serviez-vous ?
LE TAMBOUR: Nous disions : « C’est un brave homme, mais il n’est pas très fort. »
KNOCK : Ce n’est pas ce que je vous demande. Disiez-vous « le docteur » ?
LE TAMBOUR: Non. « M. Parpalaid », ou « le médecin », ou encore « Ravachol ».
KNOCK : Pourquoi « Ravachol » ?
LE TAMBOUR: C’est un surnom qu’il avait. Mais je n’ai jamais su pourquoi.
KNOCK : Et vous ne le jugiez pas très fort ?
LE TAMBOUR : Oh ! pour moi, il était bien assez fort. Pour d’autres, il paraît que non.
KNOCK : Tiens !
LE TAMBOUR: Quand on allait le voir, il ne trouvait pas.
KNOCK : Qu’est-ce qu’il ne trouvait pas ?
LE TAMBOUR: Ce que vous aviez. Neuf fois sur dix, il vous renvoyait en vous disant : « Ce n’est rien du tout. Vous serez sur pied demain, mon ami. »
KNOCK : Vraiment !
LE TAMBOUR: Ou bien il vous écoutait à peine, en faisant « oui, oui », « oui, oui », et il dépêchait de parler d’autre chose, pendant une heure, par exemple de son automobile.
KNOCK : Comme si l’on venait pour ça !
LE TAMBOUR: Et puis il vous indiquait des remèdes de quatre sous ; quelquefois une simple tisane. Vous pensez bien que les gens qui payent huit francs pour une consultation n’aiment pas trop qu’on leur indique un remède de quatre sous. Et le plus bête n’a pas besoin du médecin pour boire une camomille.
KNOCK : Ce que vous m’apprenez me fait réellement de la peine. Mais je vous ai appelé pour un renseignement. Quel prix demandiez-vous au docteur Parpalaid quand il vous chargeait d’une annonce ?
LE TAMBOUR, avec amertume : Il ne me chargeait jamais d’une annonce.
KNOCK : Oh ! Qu’est-ce que vous me dites ? Depuis trente ans qu’il était là ?
LE TAMBOUR: Pas une seule annonce en trente ans, je vous jure.
KNOCK, se relevant, un papier à la main : Vous devez avoir oublié. Je ne puis pas vous croire. Bref, quels sont vos tarifs ?
LE TAMBOUR: Trois francs le petit tour et cinq francs le grand tour. Ça vous paraît peut-être cher. Mais il y a du travail. D’ailleurs, je conseille à monsieur…
KNOCK : « Au docteur. »
LE TAMBOUR: Je conseille au docteur, s’il n’en est pas à deux francs près, de prendre le grand tour, qui est beaucoup plus avantageux.
KNOCK : Quelle différence y a-t-il ?
LE TAMBOUR: Avec le petit tour, je m’arrête cinq fois : devant la Mairie, devant la Poste, devant l’Hôtel de la Clef, au Carrefour des Voleurs, et au coin de la Halle. Avec le grand tour, je m’arrête onze fois, c’est à savoir…
KNOCK : Bien, je prends le grand tour. Vous êtes disponible, ce matin ?
LE TAMBOUR : Tout de suite si vous voulez…
KNOCK : Voici donc le texte de l’annonce.
Il lui remet le papier.
LE TAMBOUR, regardant le texte : Je suis habitué aux écritures. Mais je préfère que vous me le lisiez une première fois.
KNOCK, lentement. Le Tambour écoute d’une oreille professionnelle : « Le docteur Knock, successeur du docteur Parpalaid, présente ses compliments à la population de la ville et du canton de Saint-Maurice, et a l’honneur de lui faire connaître que, dans un esprit philanthropique, et pour enrayer le progrès inquiétant des maladies de toutes sortes qui
envahissent depuis quelques années nos régions si salubres autrefois… »
LE TAMBOUR: Ça, c’est rudement vrai !
KNOCK : « …il donnera tous les lundis matin, de neuf heures trente à onze heures trente, une consultation entièrement gratuite, réservée aux habitants du canton. Pour les personnes étrangères au canton, la consultation restera au prix ordinaire de huit francs. »
LE TAMBOUR, recevant le papier avec respect : Eh bien ! C’est une belle idée ! Une idée qui sera appréciée ! Une idée de bienfaiteur ! (Changeant de ton) Mais vous savez que nous sommes lundi. Si je fais l’annonce ce matin, il va vous en arriver dans cinq minutes.
KNOCK : Si vite que cela, vous croyez ?
LE TAMBOUR: Et puis, vous n’aviez peut-être pas pensé que le lundi est jour de marché ? La moitié du canton est là. Mon annonce va tomber dans tout ce monde. Vous ne saurez plus où donner de la tête.
KNOCK : Je tâcherai de me débrouiller.
LE TAMBOUR: Il y a encore ceci : que c’est le jour du marché que vous aviez le plus de chances d’avoir des clients. M. Parpalaid n’en voyait guère que ce jour-là. (Familièrement) Si vous les recevez gratis…
KNOCK : Vous comprenez, mon ami, ce que je veux, avant tout, c’est que les gens se soignent. Si je voulais gagner de l’argent, c’est à Paris que je m’installerais, ou à New York.
LE TAMBOUR: Ah ! vous avez mis le doigt dessus. On ne se soigne pas assez. On ne veut pas s’écouter, et on se mène trop durement. Quand le mal vous tient, on se force. Autant vaudrait-il être des animaux.
KNOCK : Je remarque que vous raisonnez avec une grande justesse, mon ami.
LE TAMBOUR, se gonflant : Oh ! sûr que je raisonne, moi. Je n’ai pas l’instruction que je devrais. Mais il y en a de plus instruits qui ne m’en remontreraient pas. M. le maire, pour ne pas le nommer, en sait quelque chose. Si je vous racontais qu’un jour, monsieur…
KNOCK : « Docteur »
LE TAMBOUR: Docteur !... qu’un jour, M. le préfet, en personne, se trouvait à la mairie dans la grande des mariages, et même que vous pourriez demander attestation du fait à des notabilités présentes, à M. le premier adjoint, pour ne pas le nommer, ou à M. Michalon, et qu’alors…
KNOCK : Et qu’alors M. le préfet a vu tout de suite à qui il avait à faire, et que le tambour de ville était un tambour qui raisonnait mieux que d’autres qui n’étaient pas tambours mais qui se prenaient pour quelque chose de bien plus fort qu’un tambour. Et qui est-ce qui n’a plus su quoi dire ? C’est M. le maire.
LE TAMBOUR : C’est l’exacte vérité ! Il n’y a pas un mot à changer ! On jurerait que vous étiez là, caché dans un petit coin.
KNOCK : Je n’y étais pas, mon ami.
LE TAMBOUR: Alors, c’est quelqu’un qui vous l’a raconté, et quelqu’un de bien placé ? (Knock fait un geste de réserve diplomatique) Vous ne m’ôterez pas de la tête que vous en avez causé récemment avec M. le préfet.
Knock se contente de sourire.
KNOCK, se levant. : Donc, je compte sur vous, mon ami. Et rondement, n’est-ce pas ?
LE TAMBOUR, après plusieurs hésitations : Je ne pourrai pas venir tout à l’heure, ou j’arriverai trop tard. Est-ce que ça serait un effet de votre bonté de me donner ma consultation maintenant ?
KNOCK : Heu… Oui. Mais dépêchons-nous. J’ai rendez-vous avec M. Bernard, l’instituteur, et avec M le pharmacien Mousquet. Il faut que je les reçoive avant que les gens n’arrivent. De quoi souffrez-vous ?
LE TAMBOUR: Attendez que je réfléchisse ! (Il rit.) Voilà. Quand j’ai diné, il y a des fois que je me sens une espèce de démangeaison ici. (Il montre le haut de son épigastre.) Ça me chatouille, ou plutôt, ça me gratouille.
KNOCK, d’un air de profonde concentration : Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ?
LE TAMBOUR: Ça me gratouille. (Il médite.) Mais ça me chatouille bien un peu aussi.
KNOCK : Désignez-moi exactement l’endroit.
LE TAMBOUR: Par ici.
KNOCK : Par ici… où cela, par ici ?
LE TAMBOUR: Là. Ou peut-être là… Entre les deux.
KNOCK : Juste entre les deux ?... Est-ce que ça ne serait pas plutôt un rien à gauche, là, où je mets mon doigt ?
LE TAMBOUR: Il me semble bien.
KNOCK : Ça vous fait mal quand j’enfonce mon doigt ?
LE TAMBOUR: Oui, on dirait que ça me fait mal.
KNOCK : Ah! ah! (Il médite d’un air sombre.) Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?
LE TAMBOUR: Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait plus.
KNOCK : Ah ! Ah ! très important. Ah ! ah ! Quel âge avez-vous ?
LE TAMBOUR: Cinquante et un, dans mes cinquante-deux.
KNOCK : Plus près de cinquante-deux ou de cinquante et un ?
LE TAMBOUR, il se trouble peu à peu : Plus près de cinquante-deux. Je les aurai fin novembre.
KNOCK, lui mettant la main sur l’épaule : Mon ami, faites votre travail aujourd’hui comme d’habitude. Ce soir, couchez-vous de bonne heure. Demain matin, gardez le lit. Je passerai vous voir. Pour vous, mes visites seront gratuites. Mais ne le dites pas. C’est une faveur.
LE TAMBOUR, avec anxiété : Vous êtes trop bon, docteur. Mais c’est donc grave, ce que j’ai ?
KNOCK : Ce n’est peut-être pas encore très grave. Il était temps de vous soigner. Vous fumez ?
LE TAMBOUR, tirant son mouchoir : Non, je chique.
KNOCK : Défense absolue de chiquer. Vous aimez le vin ?
LE TAMBOUR: Je bois raisonnablement.
KNOCK : Plus une goutte de vin. Vous êtes marié ?
LE TAMBOUR: Oui, docteur.
Le tambour s’essuie le front.
KNOCK : Sagesse totale de côté-là, hein ?
LE TAMBOUR : Je puis manger ?
KNOCK : Aujourd’hui, comme vous travaillez, prenez un peu de potage. Demain, nous en viendrons à des restrictions plus sérieuses. Pour l’instant, tenez-vous-en à ce que je vous ai dit.
LE TAMBOUR s’essuyant à nouveau : Vous ne croyez pas qu’il vaudrait mieux que je me couche tout de suite ? Je ne me sens réellement pas à mon aise.
KNOCK, ouvrant la porte : Gardez-vous en bien ! Dans votre cas, il est mauvais d’allez se mettre au lit entre le lever et le coucher du soleil. Faites vos annonces comme si de rien n’était, et attendez tranquillement jusqu’à ce soir.
Le tambour sort. Knock le reconduit.
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Jules Romains
Le temps passe. Et chaque fois qu'il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s'efface.
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-Bertrand de Ganges !" répéta le comte, bouleversé par un émoi indubitable, "l'un des plus grands de nos poètes vivants, le plus grand à mon sens...vous êtes là, sous mon toit...et par quelle suite d'évènements ?...oh ! je devine !... laissez moi vous embrasser.
Bertrand reçu l'accolade en défaillant presque. (p.96)
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Nous savons maintenant qu'on peut faire faire aux hommes exactement n'importe quoi — et aussi bien après qu'avant cent ans de démocratie et dix-huit siècles de christianisme. Le tout est d'employer le procédé convenable. On obtiendra quand on voudra — à condition de se donner un peu de mal et de procéder par paliers — qu'ils abattent leurs père et mère et les mangent en pot-au-feu. Je te prédis des choses étonnantes. Nous verrons peut-être le rétablissement des sacrifices humains. Nous verrons des penseurs envoyés au bûcher ou à la chaise électrique, pour avoir professé des hérésies. Nous verrons des procès de sorcellerie et la persécution des Juifs comme au Moyen Âge. Nous verrons des foules hurler d'amour au passage d'un despote et des fils d'électeurs socialistes se rouler à terre en criant : « Écrase-nous, dieu vivant… »

Chapitre XV : Lettre de Jerphanion à Jallez. — Comment on s'arrange de vivre ça.
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Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent.
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LE DOCTEUR : Et je vais plus loin. Les quelques milliers de francs que vous me devez, je vous en fais cadeau.
KNOCK : Oui… au fond, vous n’êtes pas si bête qu’on veut bien le dire.
LE DOCTEUR : Comment cela ?
KNOCK : Vous produisez peu, mais vous savez acheter et vendre. Ce sont les qualités du commerçant.
LE DOCTEUR : Je vous assure que…
KNOCK : Vous êtes même, en l’espèce, assez bon psychologue. Vous devinez que je ne tiens plus à l’argent dès l’instant que j’en gagne beaucoup ; et que la pénétration médicale d’un ou deux quartiers de Lyon m’aurait vite fait oublier mes graphiques de Saint-Maurice. Oh ! je n’ai pas l’intention de vieillir ici. Mais de là à me jeter sur la première occasion venue !
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LA TRÉPIDATION



La trépidation
Entre-choque en cadence
Les planches et les nuques ;
Les yeux craignent le son ;
On dirait qu'ils entendent
Le bruit des wagons rudes,
Et qu'ils se ferment pour
Remplacer le silence
Par la douceur de l'ombre.
La trépidation
Comme un marteau de porte
Cogne contre les crânes.
Leur colère d'oiseaux qui boursouflent leurs ailes
Force les deux pistons à dégainer les bielles ;
Ils commandent la multitude élémentaire ;
Et le train que leurs ailes soulèvent des rails
Glisse comme un rayon de soleil où tressaille
En cadence de la poussière d'univers.
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LE DOCTEUR - Vous allez dire que je donne dans le rigorisme, que je coupe les cheveux en quatre. Mais, est-ce que, dans votre méthode, l’intérêt du malade n’est pas un peu subordonné à l’intérêt du médecin ?

KNOCK - Docteur Parpalaid, vous oubliez qu’il y a un intérêt supérieur à ces deux-là.

LE DOCTEUR - Lequel ?

KNOCK - Celui de la médecine. C’est le seul dont je me préoccupe.
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KNOCK - Vous me donnez un canton peuplé de quelques milliers d’individus neutres, indéterminés. Mon rôle, c’est de les déterminer, de les amener à l’existence médicale. Je les mets au lit, et je regarde ce qui va pouvoir en sortir un tuberculeux, un névropathe, un artérioscléreux, ce qu’on voudra, mais quelqu’un, bon Dieu ! Quelqu’un ! Rien ne m’agace comme cet être ni chair ni poisson que vous appelez un homme bien portant.

LE DOCTEUR - Vous ne pouvez cependant pas mettre tout un canton au lit !

KNOCK - Cela se discuterait.
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[Le père Godard vient d’arriver à Paris. Il se retrouve devant l’immeuble où son fils Jacques est mort la veille, seul.]

Il traversa la chaussée, sans regarder à droite ni à gauche, traversa le trottoir, entra dans le vestibule, et devint plus triste. Il avait besoin de pleurer sans fin, de pousser des gémissements toujours pareils, de secouer la tête en sanglots réguliers, comme les animaux qui ont la patience de se plaindre. Mais il ne voulait plus penser à son fils. Il eût geint interminablement sans plus savoir la cause de sa douleur. Depuis qu’il avait franchi le seuil de la maison, il sentait que ce n’était pas la peine de réfléchir sur la mort de Jacques, de revoir ses yeux, d’évoquer ses différents visages, d’entendre sa voix, de souffrir la peine qu’il avait eue à mourir. Il n’avait qu’à pleurer, qu’à faire monter dans l’escalier tordu sa lamentation comme une flamme qui cherche l’air.
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