Je remercie Babelio et les éditions Le Bélial pour l’envoi de ce livre lors de la dernière Masse Critique des mauvais genres. Je fais partie de ces gens qui ne connaissent Lovecraft que par d’autres médias que ces œuvres : jeux de société, jeux vidéo, l’anthologie La clé d’argent des contrées du rêve, film, série, etc. Je compte bien un jour lire Lovecraft, car son univers me plait beaucoup, mais je n’en ai juste pas encore eu l’occasion. Je savais en postulant pour ce livre qu’il s’agissait d’une réécriture de l’univers de Lovecraft (le titre donne un gros indice :p), mais plutôt dans la veine young adult et j’étais curieuse de voir comment l’auteure se réappropriait ce monde à part pour un public plus jeune.
Le livre-objet est très beau : la couverture étoilée et mystique rappelle différents éléments typiquement lovecraftiens. L’intérieur de cette couverture représente une carte du monde, sur laquelle on peut suivre l’itinéraire de la protagoniste. Il y a aussi pas mal d’illustrations noir et blanc, pleine page ou plus petites, réalisées par Nicolas Fructus, illustrateur de Lovecraft par excellence. Les 20 dernières pages de l’ouvrage sont consacrées à une interview de l’auteure très intéressante, qui éclairent certains points de la lecture.
Clarie Jurat est une jeune étudiante modèle à l’université des femmes d’Ulthar, jusqu’au jour où…elle rencontre un jeune homme du monde de l’éveil. Ils décident de fuir ensemble pour se rendre dans ce monde. Le problème, c’est que Clarie est la fille d’un des mécènes de l’université, qui pourrait bien la faire fermer s’il se rend compte que sa fille est partie ! Sa professeure Vellitt Boe décide de partir à sa poursuite pour lui faire entendre raison. Arrivera-t-elle à la rattraper avant qu’elle passe les portes du monde de l’éveil?
L’univers de Lovecraft, du moins de ce que j’en connais, m’a semblé particulièrement bien représenté dans ce livre, que ce soit au niveau des paysages, des lieux ou encore du bestiaire et des coutumes. Il y a même une brève apparition du célèbre Rêveur Randolph Carter ! Je ne pense pas qu’il faille avoir lu Lovecraft pour apprécier ce récit. J’y ai pour ma part découvert un aspect que je ne connaissais pas : la place de la femme dans les Contrées du Rêve. En fait, elle n’en a pas vraiment ! La population est majoritairement masculine, les femmes souvent ne voyagent pas, ne sont pas éduquées, bref sont considérées comme des moins que rien. Si j’avais entendu parler du racisme présent dans l’oeuvre de l’auteur, cette part misogyne m’avait jusqu’à présent échappé.
Vellitt Boe est une dame déjà d’un certain âge, qui entreprend une incroyable quête, dont on doute de plus en plus de la réussite au fil des pages qui avancent. Elle a déjà beaucoup voyagé dans sa jeunesse, vécu mille aventures, visité des tas d’endroits. Elle connait déjà un peu la route à prendre, mais les Contrées du Rêve évoluent en continu, les distances ne sont jamais les mêmes, la faune n’est pas très amicale, les femmes ne sont pas toujours bien vues et donc acceptées et les dieux veulent pimenter sa quête en lui mettant des obstacles supplémentaires sur la route. Ce fut un véritable plaisir que de parcourir les chemins avec Vellitt, de trembler avec elle la nuit, de patienter lors de longues traversées ou encore de courir pour sauver sa peau.
Vellitt est accompagnée d’un chat depuis son départ d’Ulthar. Il a décidé de la suivre et c’est une présence bienvenue dans ce récit, à la fois réconfortante et rassurante, qui a souvent évité à Vellitt de sombrer dans la folie de la solitude, dans les endroits les plus sombres et les plus isolés.
Le monde de l’éveil est présenté comme un monde de rêve : on y vit en toute liberté, sans dieux pour jouer avec le destin. Qu’en est-il réellement? La fin de l’ouvrage est ouverte : que va-t-il se passer ensuite pour Clarie et Vellitt ? On ne peut que le supposer, c’est à la fois frustrant et très fort.
J’avais envie de finir cet avis sur une petite réflexion. Kij Johnson a gagné le prix World Fantasy Award pour cette novella. Ça me choque un peu qu’un auteur reçoive un prix pour un univers qu’il n’a pas créé et qui n’est pas le sien. N’est-ce pas une sorte de vol par rapport à l’auteur original? Quelle légitimité peut avoir un tel texte pour un prix littéraire, alors que rien de nouveau n’a vraiment été ajouté au monde de départ? Attention, j’ai bien aimé cette lecture, mais je ne pense pas qu’elle mérite un prix littéraire considérant le fait qu’il s’agit de l’univers d’un autre… Est-ce que je suis la seule que cela choque? :p
Une expérience de voyage hors du commun qui nous emmène visiter les Contrées du Rêve, ses merveilles…et ses horreurs ! Une protagoniste posée et réfléchie qui prend beaucoup de risques pour retrouver son élève disparue. Un très beau livre-objet, que j’ai aimé parcourir !
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