Citations de Lianke Yan (180)
Le temps avait fraîchi, la chaleur du jour commençait à se dissiper. Au-dessus de la cabane, les étoiles et la lune récupéraient doucement leur rayonnement, à la manière d'un filet de pêche que l'on retire de l'eau, c'était une lumière pure qui s'egouttait légèrement et que l'on entendait perler, tinter faiblement.
L'aïeul savait que ce n'était pas là le bruit de l'eau, ni celui des arbres, ni même celui des insectes. C'était, dans l'immense nudité de la nuit, le paroxysme du silence qui se donnait à entendre.
"Cent ans de solitude" version chinoise. La pugnacité de la vie illustrée dans une histoire brute et poétique (bravo au traducteur!). Attention, il faut arriver à rentrer dedans, à s'accrocher et tenir dans le temps, presque comme les personnages qui luttent contre l'adversité. La construction de l'histoire, qui remonte dans le temps, ne fait pas du tout artificiel. Elle donne un effet de progression vers la simplicité et aboutit à une fin lumineuse comme une délivrance (c'est le cas de le dire) après tout le chemin dans le bourbier des coups du sort. Un chef d’œuvre à mes yeux.
Au puits, en essorant le matelas ouaté, il avait découvert quatre rats noyés, le ventre dilaté, les poils dressés au milieu desquels des poux encore vivants continuaient à évoluer.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il devint le village fournisseur de sang modèle du district. Cette année là, le directeur Gao vendit sa jeep et acheta une voiture dernier modèle qu'il inaugura en venant dans notre village. Après avoir visité tous les postes de collecte de sang, il mangea chez nous deux bols de nouilles aux œufs et à la cataire avant de se rendre à l'école où, en serrant la main de mon grand-père, il prononça une phrase qui le laissa pantois :
-Professeur Ding, tu es le sauveur du village des Ding ! Tu as libéré ses habitants de la pauvreté pour les conduire sur la voie de la richesse.
C'était , dans l'immense nudité de la nuit, le paroxysme du silence qui se donne à entendre.
L'univers était clair. On avait dit "que la lumière soit", et la lumière avait été. Dieu avait vu que la lumière était une bonne chose et Il l'avait séparée des ténèbres. Il avait vu que l'homme se fatiguait facilement, Il avait fait le matin pour qu'il se mette au travail et la nuit pour qu'il se repose. Le crépuscule approchait. A l'extrémité ouest du village, le jujubier au faîte duquel le soleil rouge et jaune avait autrefois coutume de s'accrocher avait été brûlé pour fabriquer l'acier. Tous les arbres étaient allés dans les fourneaux. L'univers était chauve. Rien ne faisait obstacle à la claire lumière, qui s'épandait partout, sur la terre comme au ciel, et les dernières lueurs du couchant, que rien ne venait voiler, s'étalaient comme du sang sur le sol.
(P151)
Ces hommes et ces femmes, professeurs et pédagogues de tous niveaux, faisaient dans leur course penser à une horde de chevaux en train de galoper vers la victoire. Avec des cris et des rires, vague après vague ils envahirent le terrain sablonneux, brisant mille années de silence sur cette berge du fleuve jaune. [...] Confronté à ces gens qui couraient et criaient des slogans, ces drapeaux rouges et ces hurlements, l’Érudit qui arrivait en boitant, bon dernier après avoir ramassé son sac, resta un moment ahuri, puis il se mordit la lèvre inférieure et sur son visage l'amertume se peignit, brouillard d'hiver au fond d'une dépression alcaline.
(P121-122)
" On enferme la femme dans une cuisine ou dans un boudoir, et on s'étonne que son horizon soit borné ; on lui coupe les ailes, et on déplore qu'elle ne sache pas voler"
* Le Deuxième Sexe, tome 2, chapitre X
(...) en 2012, deux tiers des richesses du monde étaient créées par des femmes alors qu'elles n'en possédaient que un pour cent et ne percevaient que dix pour cent de la masse salariale.
(..)J'ai songé à ma mère, à mes soeurs et aux femmes de ma région natale.
( p.201 )
A cette époque, dans les années 1950, être instruit était non seulement une bénédiction mais pesait aussi d'un poids certain dans la balance de l'amour.
( p.124)
Pendant que je distribue les exemplaires de mes livres, ma mère prend l'un des volumes, le plus épais, le soupèse et dit:
"Je suis vieille et je ne sais pas lire. Tu as écrit tant de livres et je ne peux pas en lire une phrase.Si j'avais su que tu t'occuperais d'écrire, j'aurais appris bien plus de caractères dans ma jeunesse et j'aurais pu savoir ce que tu racontes".
( p.159)
Le crépuscule était doux et paisible, sur la campagne flottait pesamment un reste dense d’écarlate.
Finalement, le maïs avait repris vie. L'aïeul avait passé trois jours successifs à laver la plante. Le quatrième jour au petit matin, il vit le sommet tout vert. La couleur avait irisé chaque feuille, imprégnant d'abord son revers avant de s'étendre, absorbée entièrement par le buvard végétal. Les taches de sécheresse s'étaient lentement amenuisées. Quelques jours plus tard, on pouvait voir de loin la tendre verdure de la plante solitaire remuant doucement, fièrement, ses feuilles sous le soleil.
Mais la situation était la suivante : l'aïeul et le chien avaient consommé toutes leurs provisions.
Il arracha deux poignées d'herbe tendre pour les éparpiller à la surface des deux seaux d'eau, puis commença à avancer lentement vers la sortie du ravin. Sous le poids des seaux, la palanche s'arquait, mais l'aïeul avançait prudemment, l'eau ne giclait pas, l'herbe disposée en surface l'en empêchait.
Le grincement rauque des seaux courbant la palanche se heurtait aux parois rocheuses et retentissait de loin en loin, tout au long du ravin. L'aïeul pensa, je suis vraiment vieux, je dois y aller doucement, si j'atteins le chemin de l'arête avant la tombée de la nuit, je n'aurai rien à craindre, les rayons lunaires me raccompagneront jusqu'au champ. Alors j'aspergerai d'eau le pied de maïs et les taches de sécheresse ne pourront plus s'étendre.
L'aïeul prenait son temps, il n'avait pas pensé qu'une meute de loups lui barrerait la route.
Le chien continuait à le regarder sans comprendre.
Tu ne veux pas parler, tant pis. L'homme poussa un soupir. Un peu déprimé, il alluma sa pipe. Face à l'obscurité, il dit, comme c'est bon d'être jeune, d'avoir un corps fort et une femme la nuit. Si la femme est intelligente, au retour du champ, elle t'apporte de l'eau, et si ton visage est en sueur, elle te passe un éventail. Les jours de neige, elle te chauffe le lit. Si durant la nuit vous vous êtes retrouvés, et que tu te lèves tôt le matin pour aller au champ, elle te dit de te reposer encore un moment. Vivre de cette façon, il inspira énergiquement une bouffée de sa pipe, puis expira longuement, caressa le chien et poursuivit, vivre de cette façon, c'est vivre comme les immortels.
Il demanda, tu as eu ce genre de vie toi, l'aveugle?
Le chien demeura silencieux.
Il dit, qu'en dis-tu, l'aveugle, est-ce que ce n'est pas pour ce genre de vie que les hommes viennent au monde? Il ne laissa guère au chien le loisir de rétorquer, se répondit immédiatement à lui-même, certainement, je dis que oui. Puis il dit encore, mais quand on est vieux c'est différent, quand on est vieux on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits enfants.
De sérieuse, la situation devenait absurde. L'absurdité de la situation dépasse l'imagination du lecteur comme elle dépassait l'imagination de Wu Dawang, mais à cet instant, ni Liu lian ni lui-même ne percevaient l'absurdité de leur conduite. Peut-être, dans les situations exceptionnelles, n'y a-t-il que l'absurde qui permette de vérifier certaines réalités. Peut-être aussi, dans le domaine des sentiments humains, l'absurde est-il l'aboutissement de toutes les situations. Ce qui n'est pas absurde peut, au contraire, produire l'illusion. Peut-être faut-il un dénouement absurde pour mesurer la valeur du processus qui a conduit à ce dénouement.
D'un côté comme de l'autre, personne ne parlait du présent. Personne n'en voulait. C'était une guerre entre des gens qui ne voulaient que le passé ou l'avenir. Une guerre entre un avenir livresque et un passé historique.
Je n'ai qu'une parole pour quiconque ne respecte pas nos lois, nous calomnie et en disant que l'empire n'est pas prospère, et que le peuple ne vit pas en paix - qu'il soit décapité !
C'était donc cela le somnambulisme. Un oiseau sauvage qui pénètre l'esprit d'un homme et le met en désordre.
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Une pute et des porcs ! Il fulminait, habité par la haine et la solitude.Mais tout tenaillé qu'il fût par l'envie d'envoyer valser l'urne et la table , lorsqu'il vit son père, son frère, et même le numéro quatre ,expressément rappelé de son lycée afin de lui apporter son suffrage , il se dit que tout n'était peut être pas perdu, les gens n'allaient pas forcément choisir Zhu Ying.
Elle se prostituait quand même