Citations de Line Papin (200)
Par pudeur, j’allais me taire. Par pudeur, j’allais ne rien dévoiler et passer sous silence cet épisode si intime de ma vie – si intime et pourtant vécu par tant de femmes, vécu par tant de femmes et pourtant passé sous silence…
Je lui ai pris la jambe et le bras et les cheveux, je lui ai dit je t'aime, puis ne me quite pas, j'ai failli chanter Brel...Rien à faire Sage décision: se taire.
Je perdais de mon assurance. Elle avait démasqué quelque chose et, à l'intérieur de moi, un poltron se mit à fondre de honte.
Avez-vous déjà remarqué comme Paris est petite, quand l'amour vous tombe dessus? Les rues se rétrécissent, les voitures deviennent minuscules, les immeubles prennent taille humaine, les cafés pullulent partout et les passants vous croisent, envieux.
Mais son rire, ce n'était pas un rire de joie ni d'excitation : c'était un faux rire, d'emprunt, pour donner le change. C'est ce rire si particulier qui m'a retenu. Et seulement après avoir entendu ce rire, j'ai voulu voir le visage auquel le rattacher.
Dans ma hâte de vivre, j'avais toujours couru sur la route de l'avenir, sans jamais m'arrêter ni m'asseoir un instant sur le banc des souvenirs.
« La fatalité se laisse percer par une marge, dans laquelle il faut glisser son doigt pour mieux écarter l’étau qu’on croyait resserré, et le dégonfler. »
Il y en a de toutes sortes : les divorcés,les affolés , les énervés , les désemparés, les réconciliés ,les doux, les pleureurs ,les optimistes, les parents… Ils sont de la ville, de la vie , ils ont encore sur eux une odeur de métro, de voiture, de moto, ils ont un parfum de pluie, de vent, de bruit, ils sont vivants mais ils sont désemparés face à la mort d’une vie qu’ils ont donnée .(129)
Je ne vais pas mentir. Puisqu’il n’y avait plus de chaleur ni de jeux, puisque ses efforts d’enfant n’avaient rien empêché, voilà ce qui arriva : la troisième guerre dut commencer. Cette guerre n’était pas extérieure, mais il y avait autant de bombes , d’os et de mort que lors des deux premières. La petite fille est entrée en guerre comme ses aînées , mais elle n’est pas entrée en guerre contre les Japonais, les Français ni les Américains, elle est entrée en guerre contre elle-même, tout simplement…(102)
Mais déjà quelque chose mourait en elle : la joie. Elle ne comprenait pas, à 10 ans, comment ils avaient pu quitter ce paradis pour finir ici, dans le gris. Elle ne comprenait pas ce que cela signifiait,dire adieu à une famille, à une mère, à un pays–pour se taire, d’un coup.(95)
Je me suis baladée seule, sans regarder où j’allais, confiante en mes qualités pourtant mal reconnues d’orientation, et surtout en mon sens du pays, en mon appartenance à la ville. Je me disais, tu connais, c’est ton quartier, tu es une fille d’ici. Je me mettais à marcher, sûre de moi, regardant droit devant, sans hésitation aucune, afin que les gens autour ne me prennent pas pour une touriste. Les rues sont si étroites ici, les gens se connaissent tant, les touristes sont si peu nombreux que j’essayais de me fondre dans la masse. Je marchais l’air de dire, je connais, je sais où je vais. Une heure passe ainsi, ma promenade se déroule et s’enroule.
Il fait quarante-cinq degrés et je tourne en rond dans des ruelles étroites depuis quarante-cinq minutes, comme le diamant d’un quarante-cinq tours rayé. Je n’en peux plus, je m’apprête à maudire le pays entier, tant je dégouline de sueur. Le soir commence à tomber. Les gens qui m’ont vue passer dans leur rue quarante-cinq fois ont compris que j’étais une touriste paumée.
Au Vietnam, personne ne fermait sa maison à clé. Les portes étaient battantes : on pouvait entrer sur la pointe des pieds, demander « Mon ami est-il là ? », et se faire servir un thé. Il n’y avait rien à voler, rien à craindre. On s’invitait les uns chez les autres.
Où je vais ? Au Vientam, à Hanoï, comme il y a cinq ans, dix ans, quinze ans, comme toujours, chaque fois différemment, chaque fois seule, pour tenter de réconcilier le passé et le présent, les deux continents et mes membres souffrants - pour tenter de me réconcilier.
Les sentiments de la chair, dégoulinants, sont passés. L'émotion terrestre est partie. Ne restent plus que les sentiments des os - essentiels.
"Oh, cette liberté..., disait-elle. On s'aime beaucoup, oui, toutes les deux... Elle me lève, me comble, m'extasie. Mais je dois la soutenir aussi, et parfois elle se fait un peu lourde. Alors je la porte et je la traîne et je me racle au sol. C'est un peu de peine qu'il faut lui donner en échange, tu vois... Je n'arrive plus à savoir, en fait, si elle me libère vraiment ou si le cercle de liberté qu'elle trace autour de moi n'est pas plutôt celui d'un vide étourdissant que je dois meubler de cages, de cages et de structures, pour ne pas me noyer... on ne sait plus bien a trop penser."
Comme j'aimais cette fille...
P.126
- Non! Elle était effrayante de maigreur et de tristesse, et ce qui est injuste, tu vois, c'est que moi j'étais au taf ce jour-là, et je l'ai vu, moi, comme ça, toute nue sous ses os, et je veux que tu la vois mon vieux, parce que c'était pour toi cette image dégueulasse, cette image de la mort qui doit faire trembler tout le monde dans la rue. Mais tu n'as rien vu, rien alors qu'il n'y a que toi qui devais voir.
P.146
Il titubait encore, dansait, tournait, sérieux et beau de l'être ; et moi, fascinée, silencieuse, un peu bête, sans bouger, je restais là, buvais son vertige à le voir, ravissais sa fièvre, sa fougue, prenais part au voyage comme une clandestine. P.23
Pardon, excusez-moi, je chope ma valise, les taxis à l'aéroport, Parisiens ronchons, et le périphérique, et Paris qui se dresse, ses églises, sa tour Eiffel, les immeubles dans lesquels vivent mes amis, mon amour, ma famille, les petites rues rangées, les petits trottoirs propres, les feux rouges, et les cafés aussi, où l'on boit un crème, alors, cela a été triste, oui, je suis une étrangère au Vietnam, une étrangère en France, une étrangère en... mais Paris, je te connais, et tu me connais bien aussi maintenant, nous nous sommes un peu fait mal, mais tu m'aimes, non ? moi, je t'aime. C'est ici aussi, la vie.
Vous étiez là, désormais, sur ces trottoirs silencieux, avec ces fringues horribles, pulls à col roulé, manteaux, écharpes, quoi encore, jamais porté ça, et de la bouffe lourde, steak haché, spaghettis, gratin dauphinois, quoi encore, jamais mangé ça, et ces piétons qui attendent le feu vert pour traverser, passages cloutés, ces voitures qui s'arrêtent au rouge, dociles, quoi encore, jamais vu ça... Oh, c'était d'un chiant !