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Critiques de Louise Erdrich (969)
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Celui qui veille

Louise Erdrich fait partie de ces auteurs américaines que je suis assidument, une voix littéraire forte pour porter l'étendard des communautés amérindiennes à l'instar d'une Toni Morrison pour la communauté afro-américaine. Cette fois, elle revient auréolée du très prestigieux Prix Pulitzer 2021 avec un roman inspiré par le combat politique de son grand-père, Patrick Gourneau lorsqu'il a défié le rouleau compresseur fédéral. Elle a retrouvé sa correspondance, formidable matériau de départ.



Le 1er août 1953, le Congrès des Etats-Unis adopte la Résolution 108 qui pose le principe de la politique de « termination ». Sous couvert d'égalité entre tous les citoyens américains, et d' « émancipation » il s'agit pour le gouvernement fédéral de renier les traités conclus de nation à nation avec les différentes tribus. In fine de supprimer les tribus en leur faisant perdre leur singularité autochtone. Officieusement de les dépouiller de leurs riches terres sises sur des réserves. Lorsque Thomas, président du conseil consultatif de la Bande d'Indiens Chippewas de Turtle Mountain ( Dakota du Nord ), double fictif de son grand-père, réalise la portée de cette loi scélérate, il décide de livrer combat dans ce nouveau front des guerres indiennes, une guerre légale, législative en préparant minutieusement son audience à Washington.



Celui qui veille n'est pas un roman à thèses. Louise Erdrich repense complètement le roman politique classiquement premier degré. Elle aurait également pu opter pour le rythme du thriller en exploitant un suspense quelque peu artificiel sur l'issue de la délégation chippewa au Congrès dans cette course contre la montre pour survivre et conserver ses traditions ancestrales. Elle propose plutôt un carnet d'esquisses croquant affectueusement les habitants de la réserve de Turtle Mountain. Leurs luttes prennent ainsi vie de façon très intime.



Le roman est structuré autour de deux personnages dont on suit les destins parallèles,  : Thomas, donc, et Pixie dite Patrice, jeune femme de dix-neuf ans qui travaille dans la même usine de pierres d'horlogerie que Thomas sur la réserve. Les deux ont quelque chose d'a priori très stéréotypée et pourtant on est immédiatement en empathie avec eux. Lui si bon, droit et parfait, qu'il en pourrait devenir ennuyeux ; elle si résolument battante qu’elle semble miraculeusement insubmersible même lorsqu’il s’agit de partir en mode guérilla urbaine retrouver sa sœur Vera. Deux personnages forts mais pas seulement, avec eux suivent les cercles sans cesse élargis de leurs relations.



En fait toute la puissance du récit naît des personnages, tournoie autour d'eux, de leurs émotions, de leurs colères, de leurs interactions foisonnantes. Ce sont eux qui guident la narration et l'imposent. Ce sont les maitres absolus du roman. Et ils sont très nombreux. Tellement qu'on pourrait décrocher de ce récit kaléidoscopique, être étourdi par l'alternance de chapitres courts changeant souvent de perspective narrative, chacun avec des cadences très fluctuantes. Au contraire, chaque nouveau personnage rajoute une couche d'intérêt et permette à l'auteur d'embrasser de nombreuses thématiques au-delà de la lutte contre le Termination Act : amour, identité, culture amérindienne, enlèvements et assassinats des femmes autochtones etc dans des tonalités très différentes passant de la tragédie la plus sombre à un sens du comique assumé. L'histoire est incarnée dans chaque parcelle écrite.



J'ai refermé ce roman très émue par son engagement lumineux et vibrant, empli d'une vitalité complice. Ce livre donne du courage, c'est un appel à l'Humanité sans lamento convoquant l'intelligence du lecteur à méditer sur le sens d'une lutte juste.
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La Sentence

C'est avec un réel plaisir de retrouver la plume poétique de Louise Erdrich, Une écriture fluide qui nous entraîne , avec dextérité dans son monde, à travers l'histoire de Tookie ,d'origine amérindienne,

Tookie, pour aider des amis, accepte de déplacer, un corps, qui s’avère cacher de la drogue , Pollux l'arrête, et elle se voit incarcérer. Pendant son emprisonnement une ancienne professeur, lui envoie , un dictionnaire, qui lui deviendra précieux, un moyen de s’évader intellectuellement, découvrant la valeur des mots. A sa sortie, elle se fait embaucher dans une librairie, Elle finit par épouser Pollux, vit dans un pavillon, et prend son travail à cœur, sa révélation sa passion. Elle est toujours, présente pour conseiller les romans à ses différents clients, Une vie qu'elle' n'aurait pu imaginer, Le décès de Flora

lectrice compulsive, meilleure et fidèle cliente, depuis, Tookie est persuadée que son âme hante la libraire, elle sent sa présence a travers les rayonnages, Une histoire qui va connaître la mort de Georges Floyd , le covid , des événements qui chamboulent tout le monde , entier.

Une remise en question de soi , de sa vie, de ses origines indiennes, de Flora, comme beaucoup de personnes amérindiennes , elle subit le racisme, un événement nauséabond, Arrivera t'-elle à se comprendre, trouver les réponses à ses questionnements,. La lecture est prenante, addictive, mêlant humour et tragédie, Une histoires hors normes , des personnages atypiques, une véritable empathie pour Tookie, L'auteure traite de plusieurs sujets, elle nous entraîne , nous promène dans cette librairie, nous faisant, ressentir les effluves des livres, des livres précieux, des livres que nous donnent envie de tourner les pages, des véritables livres . Ce roman est une ode à la vie , à l'amour des livres. L'auteure use d'un vocabulaire puissant, elle place les mots là où il faut où moment où il faut, ce qui renforce la puissance du roman,, Une histoire époustouflante, un mélange du passé et du présent, comprendre les origines de Tookie, Arrivera t-elle à se trouver dans ce monde, donner un sens à son existence, Un roman enchanteresse, qui m'a hypnotisé du début jusqu'au dénouement final ,Laissez vous transporter dans l'univers littéraire de l'auteure, Une véritable réussite,

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L'enfant de la prochaine aurore

Ce roman prend la forme d'une journal intime, celui adressé par une mère à son enfant à naître, comme une bouteille à la mer dans un monde devenu terrible. Un cauchemar dystopique où sévit une catastrophe génétique : l'homme a cessé d'évoluer et régresse. Comme si l'homo sapiens n'était pas l'ultime et inévitable progrès de l'humanité, les femmes accouchent de nourrissons appartenant à des espèces primitives, peu viables. Cette crise de la reproduction est exploitée par un gouvernement autoritaire théocratique qui traque les femmes enceintes pour les enfermer, à la recherche de bébé «  originaux » qui n'auront pas subi les dysfonctionnements biologiques régressifs.



Forcément, le fait de placer le pouvoir de la fertilité féminine et son contrôle au coeur du roman fait écho au chef d'oeuvre éclatant de Margaret Atwood, La Servante écarlate, même si Louise Erdrich tisse aussi des thèmes plus spécifiques, plus personnels comme l'histoire amérindienne en choisissant une héroïne, Cédar, née Ojibwé mais adoptée par des Blancs. On pense aussi à 1984 avec la figure de Mother, comme un clin d'oeil à Big Brother, figure terrifiante et omnisciente qui règne sur cet enfer dictatorial.



Durant cette lecture, je me suis souvent dit que ce roman était bancal. Débuté en 2002 puis abandonné, puis repris en 2016 face à l'urgence politique contextuelle liée à l'élection de Trump, le récit manque parfois de liant entre ses différentes parties. Des personnages très intéressants disparaissent ( notamment la demi-soeur de l'héroïne ), la relation entre Cédar et le père de son enfant est invisibilisé. Un sentiment de frustration peut naître car jamais Louise Erdrich ne donne d'explications sur ce gouvernement théocratique qui a pris le pouvoir, sur l'origine de cette apocalypse biologique. Il y a bien quelques irruptions magiques, comme celle de l'oiseau-lézard qui ressemble à un Archéoptéryx, mais elles sont très fugaces.



Malgré ces fragilités, trous d'air et imperfections, ce roman m'a parlé, très fort. le choix du journal intime, s'il n'offre qu'une focale et n'ouvre pas sur l'extérieur, permet de rester au plus près de l'héroïne, de son regard, de sa psyché, de ses émotions. La tension entre la férocité de son instinct maternel et l'horreur de la situation née du contexte et de la peur croissante que son enfant n'ait rien d'humain une fois né. le portrait de cette femme est juste magnifique et on la suit dans cette longue aventure qui la verra découvrir sa famille biologique ojibwé, fuir, entrer en clandestinité être dénoncée ou protégée, kidnappée et devenir mère. J'ai été happée par le récit très rythmé, plein de suspense et la réflexion vivifiante sur le libre arbitre féminin.



Et puis j'aime la plume de Louise Erdrich, surtout lorsqu'elle se teinte de poésie. Son approche onirique du monde apporte beaucoup de lumière dans un récit très sombre mais jamais démoralisant.



« Phil a emporté un des fusils, ce qui ne nous empêche pas de rester sur le qui-vive. Mais être dehors et marcher tous les deux librement me procure un plaisir si fort que je ressens tout trop violemment – le passage délicat de l'air sur mon visage, la souplesse du sol sous les arbres, le relief de l'écorce sous mes mains, la caresse des feuilles sur mes vêtements et ma peau. Une conscience enchantée m'envahit. Je glisse une feuille noire entre mes doigts, remonte le long de la nervure centrale rigide. J'avale l'obscurité d'un trait, le riche bouillonnement de la terre. »



«  Et je me rappelle maintenant que j'y étais, la dernière fois qu'il a neigé au paradis. J'avais huit ans(…) Chaque bain d'oiseau devint solide, et le treillage et les capitules secs des fleurs d'été furent bordés de volants blancs. Il a neigé sur chaque aiguille de pin, sur le haut des piquets, sur les voitures. Et moi je suis dedans, je tombe avec elle, je l'enfourne dans ma bouche, la lance dans les airs. La blancheur emplit l'air et il n'y a rien d'autre que la blancheur. Je suis ici, et j'étais là-bas. Et je me suis posé la question, depuis ta naissance. Où seras-tu, mon chéri, la dernière fois où il neigera sur Terre ? »



Pour apprécier ce roman, sans doute faut-il accepter de ne pas tout comprendre, sans doute faut-il se laisser porter par son impressionnisme humaniste poignant, comme une injonction à vivre qui résonne très fort en cette période éprouvante. Un roman singulier et saisissant comme je les aime.

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Dans le silence du vent

Si vous ne connaissez pas encore l'univers de Louise Erdrich, magnifique auteure amérindienne, je vous invite à y entrer par cette porte : Dans le silence du vent. C'est un titre, je ne sais pas pourquoi, qui m'a tout d'abord fait penser à André Brink. Et pour cause, dans les causes défendues il y a quelques points communs, vous n'allez pas tarder à vous en rendre compte.

Nous sommes en Dakota du Nord, à la fin des années 80 dans une réserve amérindienne. Le narrateur, qui s'appelle Joe, se souvient de cet été-là, celui de ses treize ans. C'est un dimanche après-midi. La mère de Joe va subir un viol. Pendant plusieurs jours, cette mère va rester prostrée dans son silence, emmurée, distante des autres, des siens aussi. Elle veut juste disparaître, s'anéantir.

C'est le temps d'un été où la vie de Joe bascule brusquement du temps de l'adolescence à celui des adultes.

Le père de Joe est juge des affaires amérindiennes dans la réserve où ils vivent, et va s'emparer de l'affaire, mais le peut-il ? Car il y a les lois de l'état du Dakota du Nord, et celles de la réserve, qui s'opposent : le père a autorité sur le territoire de la réserve, mais le crime a été commis par un blanc et les pouvoirs du juge sont nuls dans cette circonstance. Et la justice de l'Etat n'intervient pas dans la réserve.

Joe comprend rapidement que l'injustice fait force de loi contre l'impunité. Pour lui c'est la double peine. Il va se lever, crier. Ce roman est une colère, un cri. Celui de Joe, mais aussi de toute une communauté amérindienne. C'est aussi le cri de Louise Erdrich, qui prend fait et cause, qui écrit. Elle crie, elle écrit.

La force de l'écriture nous propulse dans les mots de Joe, dans sa voix, dans ses tripes, dans sa douleur. La douleur d'un enfant qui découvre que sa mère vient d'être violée, meurtrie, déchirée. C'est la douleur d'un enfant en découvrant la douleur de sa mère qu'elle voulait cacher à son entourage.

Combien de fois avons-nous lu ces lignes dans des romans aimés : « plus rien ne sera comme avant » ? Combien de fois y avons-nous songé en lisant des romans qui nous suscitaient cette impression ? Ici, plus que jamais, cette sensation s'affirme pour Joe. A toute force, il va chercher à réparer la blessure de sa mère. Par la justice ou par toute autre forme, qu'importe le chemin...

C'est le chemin d'un enfant qui grandit dans la douleur, une forme de souffrance insurmontable qu'il ne peut accepter. Avec Joe, nous sommes forcément dans cette révolte.

Pour autant Joe s'accroche encore à ce temps qui s'en va, c'est le temps de l'amitié et de la tendresse, Joe et ses trois amis vont faire corps pour chercher, mener leur enquête, tenter d'inverser cette justice jetée d'avance sur la table... Ils vont continuer malgré tout à partager des instants précieux, par exemple ces temps de baignade où brusquement une sorte de légèreté traverse avec fulgurance la tragédie que les personnages vivent.

Ce livre est une révolte, une croisade. Un combat. Ici c'est la voix de l'Amérique oubliée, plus que jamais. Lorsque j'ai lu ce roman, les États-Unis étaient dirigés par Barack Obama. Aujourd'hui, connaissant le personnage ubuesque qui dirige ce pays, qu'en est-il des droits et du respect de cette communauté ?

La forme de l'écriture, que j'ai trouvé magnifique et empreinte de poésie, m'a amené en totale empathie avec Joe, j'étais dans le personnage, j'étais Joe, Je ressentais son chagrin, son émotion lorsqu'il découvre ce qui est arrivé à sa mère. Ces pages sont particulièrement fortes. Elles vibrent entre nos mains. Et nous sommes Joe à cet instant-là. Nous avons mal. Nos bras sont ballants, se résignent pour un instant et brusquement se lèvent comme dans une colère ardente qui ne veut rien céder...

J'ai ressenti ses joies aussi. Car le roman est aussi fait de joies. L'insouciance de l'adolescence malgré tout, comme un geste ultime qu'on retient avant de basculer dans le temps des adultes, est décrite dans de très belles pages.

Nous avançons avec Joe, dans ses pas. Quelques légendes indiennes, au son des tambours et des chants rituels, cheminent avec nous, tandis que les rêves d'enfant de Joe s'effritent et disparaissent, emportés par une rage de justice. C'est peut-être aussi la rage de Louise Erdrich qui se mêle aux mots du narrateur.

Au fond, rien n'a changé en Amérique. C'est toujours ce monde cruel et injuste qui domine. Qu'en est-il aujourd'hui trente ans plus tard, dans cette Amérique d'aujourd'hui...?

Longtemps plus tard, le cri de Joe résonne encore en nous. Mais c'est peut-être plutôt celui de Louise Erdrich dont la voix n'est pas prête de se taire.

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Dans le silence du vent

Dans l'antre du bison…



De quoi serions-nous capables si notre mère était violée ? Si la matrice sacrée, notre matrice sacrée, le berceau premier, était profané ? Et que nous étions adolescents au moment du drame ?



C'est sur la base de ces questions terrifiantes que Louise Erdrich, auteure amérindienne, a construit son roman. Et sur la base de statistiques glaçantes : Une femme amérindienne sur trois sera violée au cours de sa vie ; 86 pour cent des viols et des violences sexuelles dont sont victimes les femmes amérindiennes sont commis par des hommes non-amérindiens. Et, enfin, sur un constat amer : l'enchevêtrement de lois qui dans les affaires de viol fait obstacle aux poursuites judiciaires sur de nombreuses réserves indiennes existe toujours.



A la fin des années 80, après le viol brutal de sa mère, Joe, jeune indien de treize ans qui vit dans une réserve dans le Dakota du Nord, va devoir admettre que leur vie ne sera plus jamais comme avant. Sa mère, très marquée, prostrée, encagée, mettra du temps pour sortir de sa léthargie, pour entrer de nouveau dans le cercle familial et renouer avec la parole. Joe comprend peu à peu que son père, qui s'est emparé de l'enquête étant juges des affaires amérindiennes dans la réserve, ne peut rien. En effet, ils ne savent pas exactement où le viol a été commis, s'il s'est produit au sein de la réserve, sur une terre tribale, sur un terrain privé, sur une propriété blanche. Et le viol a été par ailleurs commis par un blanc. Impossible d'engager des poursuites judicaires sans savoir quelle loi s'applique…Face au regard de bête traquée de sa mère sous sa couverture qui « regarde fixement comme du fond d'une grotte obscure », face à son allure d'araignée repoussante et étrange, le jeune garçon n'aura d'autre choix que de mener sa propre enquête, son voeu le plus cher étant de revenir comme avant. Cette impossibilité de retour en arrière et sa quête marqueront pour lui la fin de l'innocence.



L'écriture est tranchante, simple, sans circonvolution, elle touche exactement là où ça fait mal. La plume acérée est flèche, comme tirée d'un arc, elle se fait alors lame. Des phrases directes et limpides, claquantes, comme le feraient les mots d'un adolescent meurtri, fou de douleur. Et nous sommes précisément dans la tête de Joe, à hauteur d'enfant. Ce sont ses entrailles qui parlent, ses tripes, son instinct, son coeur. Les mots de Joe sont souvent tout en retenue, non par politesse ou par pudeur, simplement parce qu'il ne sait pas toujours comment exprimer des sentiments qui le dépassent. Quelques mots seulement, un regard, une position permettent de percevoir l'immense détresse qu'il ressent face à sa mère, déchirée, qui ne cesse de tomber encore et toujours dans le puits de l'horreur. Impossible de ne pas éprouver une profonde empathie pour le jeune Joe, il est intéressant de noter d'ailleurs que nous sommes paradoxalement plus proches de l'enfant, étant dans sa tête, que de la victime qui nous met mal à l'aise.



Il y a les mots également pour raconter le désir physique qu'il éprouve pour la femme de son oncle, Sonja. Les descriptions physiques sont formidables et que dire de cette scène de strip-tease hallucinante, cadeau de la jeune femme qui n'a pas froid aux yeux au doyen de la famille, nonagénaire. Il y a les mots pour décrire la chute du père du piédestal sur lequel tout enfant place son père, les lézardes dans l'admiration confiante et aveugle qui fait de tout père un héros. Désir et prise de conscience qui signent la fin de l'enfance, le passage de l'adolescence à l'âge adulte.



« Elle avait un grand sourire blanc éblouissant et tape-à-l'oeil. Elle a levé les yeux et l'a dirigé vers moi quand je suis entré. Une vraie lampe à bronzer. Ses cheveux moussus comme de la barbe à papa étaient gonflés en une tourbillonnante couronne jaune, une longue et hirsute queue de cheval s'en échappait et tombait dans son dos. Comme toujours, elle était vêtue de façon spectaculaire – ce jour-là un survêtement bleu layette bordé d'un liseré à paillettes, le haut ouvert aux trois-quarts. J'ai retenu mon souffle à la vue de son T-shirt, une étoffe plus claire aussi transparente que des ailes de fée ».



Le récit intègre avec subtilité les rites et coutumes indiennes, les costumes aux empiècements brodés de perles, aux ornements façonnés et aux longues franches en cuir, les danses au son des tambours, mais aussi de vieilles légendes indiennes que raconte l'aïeul dans son sommeil. le roman prend alors la forme du conte et son onirisme vient s'entrelacer subtilement avec le pragmatique coeur du livre constitué de l'enquête. Ces croyances chamaniques qui se superposent alors à la religion catholique dont il est fait un large prosélytisme auprès des indiens, teintent l'histoire d'une ambiance mystique et sacrée dans laquelle le côté thriller puise une belle profondeur. Ce mysticisme, où le Bison est figure centrale, est tel un vent silencieux permettant de ressentir, sous l'aspect très factuel du crime, quelque chose de plus vaste, de plus mystérieux.



« Les chasseurs dans les plaines peuvent survivre à une tempête meurtrière en s'aménageant un abri dans une peau de bison dépouillé aussitôt, mais il est dangereux de pénétrer dans l'animal. Tout le monde le sait. Pourtant dans son délire, aveuglé et attiré par sa chaleur, Nanapush se glissa à l'intérieur de la carcasse. Quand il fut là, le confort subit le fit défaillir. le ventre plein et environné de chaleur, il perdit connaissance. Et pendant qu'il était inconscient il devint un bison ».



Livre sur l'amitié pure et éternelle comme peuvent le vivre les adolescents, sur la communauté et les liens familiaux, sur la fin de l'enfance, sur le désir, sur la justice, justice des hommes et justice divine, sur le racisme des blancs envers les indiens, ce récit riche et captivant montre que si tout le monde n'a pas de monstre en lui et que la plupart de ceux qui en ont le gardent sous clé, une fois libéré cependant, la question de la captivité et de la mort du monstre est éminemment dramatique. Quelle que soit l'issue. Justice ou pas.



Merci à mes chères amies Sandrine (@Hundreddreams) et Nicola (@Nicolak) pour cette lecture commune qui m'a permis de découvrir cette auteure. Ce fut une découverte pour toutes trois. Nous avons été sensibles au cri de Louise Erdrich face à l'injustice et à la violence dont sont victimes encore aujourd'hui les indiens, émerveillées par son écriture, flèche dont les plumes bigarrées mâtinent le texte de touches oniriques de toute beauté.



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Dans le silence du vent

Louise Erdrich, c'est la voix d'une Amérique oubliée, celle qui danse avec les loups sur les territoires désormais saccagés de la mémoire indienne.

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Née en 1954 dans le Minnesota d'un père d'origine allemande et d'une mère Ojibwa, l'auteur conjugue fiction et ethnographie pour ravauder l'identité de ces communautés qui, aux confins des grandes plaines, vivent sur les décombres d'une culture jadis enracinée dans la chair de l'Amérique.

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Dans le silence du vent se situe au coeur d'une réserve indienne du Dakota, en pays Ojibwa. Nous sommes en mai 1988, un dimanche après-midi, en compagnie de Joe, 13 ans, le narrateur.

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Avec son père, juge au tribunal tribal, il bricole autour de leur bungalow en attendant le retour de sa mère, Geraldine, la généalogiste de la communauté -un inextricable enchevêtrement de réseaux familiaux dont elle connaît les moindres secrets.

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Mais Géraldine, retournée chercher un dossier dans son bureau après avoir reçu un appel téléphonique, tarde vraiment à rentrer.

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Son mari embarque Joe dans sa voiture et les voilà partis la "trouver", comme il dit, invoquant moult explications hypothétiques au retard de sa femme.

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Ils croisent son véhicule, elle regarde droit devant elle, sans reconnaître personne, puis se gare devant leur maison.

Géraldine est tétanisée, elle a été violemment agressée et violée.

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Le cocon familial a volé en éclats. Géraldine ne se lève plus, n'ouvre plus les volets, ne parle plus, ne mange plus.

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Alors Joe, du haut de ses 13 ans, va enquêter, aidé par ses trois meilleurs copains.

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Mais on apprend que même si le coupable est découvert, selon l'endroit très précis où le viol s'est passé, il n'est pas certain qu'il soit inculpé à cause des imbroglios juridiques dont sont victimes les Indiens.

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Merci au journal L'Express, qui m'a largement aidée pour le début de ce retour.

C'est un livre si riche, si puissant, si émouvant, que les mots me manquaient.

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Il faudrait pouvoir mettre plusieurs étoiles de plus à un tel chef d'oeuvre.



On s'immerge complètement dans le récit, on s'attache à tous les protagonistes qui sont magnifiquement croqués.

Même les personnages secondaires sont importants. Les amis, la famille, les copains, tous ces gens très soudés au final.

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Et pour le temps d'un livre, ils deviennent notre famille. Une famille de coeur, celle qu'on a choisie.

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Le style est parfait, très fluide tout en restant simple puisqu'un gamin de 13 ans relate les faits.

Il nous arrive aussi de sourire aux anecdotes qui parsèment le récit ; ça fait du bien et nous permet de reprendre notre souffle.

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Je ne sais pas pourquoi je découvre Louise Erdrich aussi tardivement, mais je suis loin d'en avoir fini avec elle.

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J'ai été ravie de faire ce voyage avec mes amies Chrystèle (Hordeducontrevent) et Sandrinette (HundredDreams) que je remercie d'avoir partagé ces moments magiques avec moi.

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Celui qui veille

Sur les maigres terres que cinq siècles de domination leur a laissées, ils tentent de survivre. Démunis mais encore riches d’une culture ancestrale qui les identifient. Or c’est ce dernier bastion que le gouvernement fédéral veut abattre. Une assimilation, une « termination » selon le terme anglais. Le renoncement à leur identité, un statut de citoyen américain, et la condamnation certaine à la mendicité.



Thomas n’en veut pas. Ni lui ni aucun de ses pairs. S’il cultive ses terres le jour, il travaille aussi la nuit pour nourrir sa famille. C’est au cours de ces veilles qui le privent d’un sommeil réparateur jusqu’à l’hallucination, qu’il élabore une stratégie pour défendre les droits de sa tribu auprès des instances gouvernementales.



Patrice lutte aussi. Elle améliore le quotidien de sa famille avec le maigre salaire que lui octroie l’usine de pierres d’horlogerie et essaie même de faire des économies pour un jour reprendre ses études. D’autres combats animent ses journées : retrouver sa soeur Vera, dont on est sans nouvelles depuis son départ à la ville, et protéger sa famille des exactions avinées de son père. Il lui reste peu de temps pour les questions intimes qu’elle se pose.



Plongeant au coeur de ses racines, Louise Erdrich donne une fois de plus la parole au peuple de ses ancêtres, qui, à force de ténacité, est parvenu à persister dans le paysage nord-américain. Spoliés de leurs terres, mis au ban de la société, les indiens ont payé très cher l’invasion du continent.



On parcourt avec empathie l’histoire de cette poignée de résistants du Dakota du nord, prêts à payer de leur personne pour défendre leur légitimité.



Superbe roman choral, animé d’une conviction profonde, déclarant avec fermeté mais sans violence l’injustice faite aux premiers votes du continent américain.



560 pages Albin-Michel 5 janvier 2022

Sélection janvier Grand Prix Elle 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Celui qui veille

« Celui qui veille » le nouveau roman de Louise Erdrich est un événement, comme à chaque parution chez Albin Michel d’un de ses livres. Celui-ci encore davantage, car il a été récompensé du Prix Pulitzer 2021. Un roman choral où l’on retrouve la voix si singulière et sublime de l’auteure, son style d’écriture tout en subtilité, délicatesse et émotion mais sans omettre de dire les choses, de les dénoncer avec force. La grande voix du roman américain contemporain, s’intéresse une nouvelle fois aux peuples Indiens et à leur sort dans cette histoire troublée et peuplée de fantômes des massacres perpétrés contre les Indiens par les États-Unis. Placé ensuite dans des réserves, les Indiens ont été forcés à l’assimilation avant qu’une loi inique, venant de Washington, ne cherche à bouleverser une énième fois les traités dûment signés entre les peuples indiens et Washington, l’État fédéral. Librement inspiré de la lutte pour la préservation des droits de son peuple de son grand père maternel dans les années 1950, Louise Erdrich nous plonge, nous immerge dans ce débat bouillonnant.



Deux histoires se croisent dans ce beau roman. La première est celle de Thomas Wazhashk qui est veilleur de nuit dans une usine de pierres d’horlogerie de la réserve de Turtle Mountain. Mais il est également, le président du conseil tribal de Turtle Mountain, celui qui veille sur son peuple et qui va se lever, vent debout, contre la résolution du Congrès des États-Unis stipulant que les Indiens allaient être émancipés. Ce terme « émancipation » fait réfléchir Thomas qui comprend la supercherie et la duperie se cachant derrière ces termes employés. « Émancipations », ils n’étaient pourtant pas des esclaves. Les émanciper de leurs statuts d’Indiens, les émanciper de leurs terres. En fait, on souhaitait ni plus ni moins que les libérer des traités que son père Biboon, et son grand père avant lui, avaient signés. Des traités censés durer pour toujours. Pour Thomas, il fallait lutter pour que la tribu reste « un problème » et pas pour que leurs statuts d’Indiens ne leurs soient ôtés. Au fond, la duplicité du Congrès est situé dans cette envie de vendre les terres des Indiens pour les « relocaliser » ailleurs. C’est un dialogue de sourd qui s’installe, un combat de longue haleine qui est parfaitement retranscrit ici, car on le sent, c’est un sujet qui tient à cœur à Louise Edrich puisque qu’elle nous parle de cette figure tutélaire de ce grand père maternel et de son peuple : les Chippewas.



Nous sommes dans le Dakota du Nord en 1953, (lieu de naissance de Louise Erdrich), et c’est ici que la grande histoire, celle de Thomas rejoint un autre récit : la quête de Pixie pour retrouver à Minneapolis sa sœur aînée Vera et son bébé. Celle-ci n’a plus donné signe de vie depuis des mois. Pour la première fois Pixie va quitter la réserve. Elle est la nièce de Thomas et une employée chippewas de l’usine. Elle a une forme de singularité et d’innocence car elle souhaite faire des études et ne veut, pour le moment, ni mari, ni enfants. Elle a un père alcoolique quittant le foyer familial. Une grande pauvreté dans ces réserves mais aussi la fierté de maintenir la langue chippewas, les traditions qui cohabitent avec leurs nouveaux usages instaurés par les hommes blancs. Il y a une profonde méfiance face à ces hommes qui leur ont bien trop souvent menti. Pixie fabrique elle-même sa valise car elle n’a pas l’argent pour en acheter une, chez elle, il n’y a pas d’électricité mais par contre, il y a l’amour d’une mère : Zhaanat. Les femmes ont un rôle très important dans le roman de Louise Erdrich. Elles sont les gardiennes des traditions, des valeurs de leur peuple, protectrice de leurs époux et de leurs enfants comme Rose, la femme de Thomas. Nul manichéisme pour autant, la complexité des rapports humains entre les Indiens eux-mêmes est parfaitement rendu. Pixie est un personnage de jeune fille fort attachant. Deux hommes aiment passionnément Pixie : un professeur de boxe blanc, Barnes, qu’elle n’aime pas. L’autre homme est lui aussi boxeur et il s’appelle Wood Mountain, un colosse au grand cœur. Cette histoire, celle de Pixie est celle qui m’a le plus passionné. Le combat de Pixie et celui de Thomas, leur courage, leur abnégation m’ont profondément ému.



C’est assurément un de ces romans que l’on n’oublie pas. Magnifiquement écrites, ces deux histoires n’en formant qu’une, vont vous bouleverser. Louise Erdrich renoue avec ce qu’elle sait faire de mieux, parler de l’histoire des peuples indiens, leur offrir par sa plume, une voix qui ne s’éteindra pas , celle de la littérature intemporelle comme vecteur puissant d’expression du mal être mais aussi de la beauté de la culture indienne.
Lien : https://thedude524.com/2022/..
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La Sentence

J'ai fait connaissance avec Louise Erdrich grâce à "Celui qui veille", il n'y a pas si longtemps. Je savais que je reviendrai vers elle un de ces jours, d'autant que j'avais pris note de quelques-uns de ses romans. "La sentence" n'en faisait pas partie mais une dame à la bibliothèque me l'a si bien vendu, que j'ai vite succombé.



L'autrice garde son sujet le plus cher, en nous dévoilant une fois encore une partie de son histoire culturelle, celle des Amérindiens. Et elle passe ici par le personnage de Tookie pour nous y transporter. Tout commence lorsque cette dernière est en prison, condamnée à 60 ans d'enfermement. Heureusement pour elle, elle n'en fera pas autant, ce qui lui laissera l'opportunité de devenir libraire. Tookie a eu un vécu plus que tourmenté, mais elle a aujourd'hui une vie mieux rangée et plus tranquille. Elle est mariée, a une fille adoptive avec qui le courant passe difficilement mais qui est en passe de s'arranger, et elle exerce un métier qui la passionne au milieu des livres qu'elle dévore. Mais ce petit train-train va se retrouver un peu bousculé lorsqu'une de ses clientes décède et se met à hanter la librairie. Et si le fantôme de Flora n'est pas le plus inquiétant des fantômes, il finira tout de même par aller trop loin...



Ne vous méprenez pas, nous ne sommes pas dans un livre dit de "fantastique". Il y a effectivement une dimension surnaturelle mais elle est là pour mieux servir l'histoire et les croyances autochtones. Parce que le récit est hautement réaliste, bien ancré dans la réalité actuelle. Après que Tookie nous ait raconté son passé familial et les raisons de son incarcération, c'est son quotidien à la librairie qui prend le pas, avec sa vie de famille, ses relations avec ses collègues et la clientèle. Elle-même amérindienne, elle est entourée de personnes ayant le même héritage culturel. On est donc au fait de certaines croyances, traditions et rituels, d'autant que la librairie (dont la propriétaire se nomme Louise et est auteure d'un roman s'intitulant "Celui qui veille"...) s'est spécialisée dans la littérature amérindienne.



Ancré dans la réalité vous disais-je, oui, ce roman l'est sans aucun doute. En-dehors de tout ce qui tourne autour de Flora et de ce qui la lie à Tookie, bon nombre de sujets d'actualité ont leur importance dans le déroulement des événements qui touchent les protagonistes, tels que les difficultés des librairies indépendantes et plus globalement des commerces de proximité, la Covid-19 et les émeutes survenues suite au meurtre de George Floyd. Et c'est au milieu de tous ces faits réels que nous suivons les protagonistes dans leur propre histoire, protagonistes tous plus intéressants les uns que les autres.



Tookie a évidemment une place centrale, puisque tout (ou presque) nous est conté de son point de vue. J'ai aimé ce personnage, sans vraiment m'y attacher. Elle dégage une certaine aura rendant le récit de plus en plus happant, alors qu'à bien y regarder il ne se passe pas grand chose. Les autres personnages sont tout aussi énigmatiques et intéressants. J'ai particulièrement aimé Pollux, qui dégage une forme de sagesse et de sensibilité qui ne laisse pas indifférent. Il y a tout un petit monde qui gravite autour de Tookie, certains sont davantage mis en avant que d'autres mais tous apportent quelque chose à l'histoire.



"La sentence" n'est pas un livre d'action. Les personnages sont ancrés dans un quotidien routinier, quelque peu perturbé par les événements sociétaux (pandémie et émeutes) et évoluent peu au final. D'ailleurs, nous ne sortirons pas de Minneapolis, tout et rien s'y déroulent et je m'en suis contentée avec plaisir. La plume de l'autrice est à mon sens et par moments un peu trop détachée de ses personnages, non pas qu'elle manque de sentiments, disons plutôt qu'elle est sans doute trop implicite. Toutefois, elle écrit merveilleusement bien et je ne lui en ai pas tenu rigueur bien longtemps.



Je viens de passer un très bon moment grâce à ce roman lent et riche tout à la fois, qui fourmille de références littéraires en tout genre, qui prône les bienfaits de la lecture, qui aborde des sujets divers mêlant fiction et réalité et dont les personnages ont su s'imprégner (culture autochtone, racisme, amour, amitié, famille, passé douloureux ou honteux, covid, émeutes et violences policières).



Et pour finir, il me faut prévenir que ce roman est à lire le ventre déjà bien plein. Il y a une telle profusion de plats et de nourriture qu'il a vite fait de vous ouvrir l'appétit. D'ailleurs c'est simple, j'ai eu faim tout au long de ma lecture, et ça fait deux jours que j'ai des envies de gâteau au chocolat !

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Dans le silence du vent

Livre sur l'adolescence, sur la condition amérindienne aujourd'hui et sur les souffrances liées au viol, Dans le silence du vent est aussi et surtout une histoire magnifique. Celle de Joe, 13 ans, qui vit dans une réserve indienne du Dakota entre son père juge et sa mère avocate, tous deux attachés au Bureau des Affaires Indiennes. Sa vie bascule le jour où sa mère se fait violer.



Car il doit désormais se débrouiller sans cette femme épanouie et souriante qui lui préparait ses repas, mettait des fleurs partout et l'écoutait parler de l'école ou des copains, et ne peut plus maintenant que dormir et pleurer...



Car, confronté à la négligence des policiers et à l'ineptie du droit américain quant aux juridictions indiennes, il décide de mener l'enquête lui-même, avec l'aide de ses 3 amis d'école, son vélo, les bons repas et les histoires légendaires de sa grande famille...



Car il reste un gamin, émoustillé par toutes les jolies filles, constamment à la recherche d'un truc à manger, friand de fêtes et de jeux, mais devient aussi un homme, pleinement conscient des injustices du monde et de sa condition d'indien, décidé, volontaire, implacable...



Ce livre m'a apporté beaucoup de plaisir et d'émotion, pour son histoire bouleversante, pour ses personnages attachants, pour cette découverte du monde amérindien, pour le choc de cette situation inique, pour le style percutant et poétique.



Merci donc à Babelio et au Livre de Poche pour cette belle Masse Critique.

Challenge Pavés 2015/2016 5/xx et challenge Atout Prix 9/xx
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La Sentence

Curieux roman que La sentence de Louise Erdrich, je tourne la dernière page avec l'impression de refermer un roman qui n'est pas celui commencé. L'histoire s'ouvre sur une arrestation pour un crime rocambolesque avant de se fixer une dizaine d'années plus tard sur une chronique du quotidien pour notre héroïne qui semble avoir laissé ses années de prison loin derrière elle.

L'irruption d'un fantôme annoncée en quatrième de couverture se présentait comme un axe narratif décisif mais l'écrivaine n'a pas enfermé l'histoire dans une intrigue aussi familière pour une héroïne Ojibwé, préférant s'attarder sur tout ce qui a fait l'année 2020 pour cette amérindienne de Minneapolis. Ou plutôt tout ce qui a été défait pendant cette année pandémique pleine de désarroi, d'impuissance et de crainte : le sentiment de sécurité, de continuité de l'existence, la banalité du quotidien et sa rassurante routine pour quelqu'un que le passé vouerait à l'effacement.

Les événements, les préoccupations brassées dans ce roman défilent selon une mécanique rudimentaire, se bousculent et créent autant de perturbateurs ou de distracteurs dans le récit si bien qu'il est difficile de déterminer la force motrice de ce roman chaotique.



Après tout c'est peut-être la volonté de l'écrivaine que de nous perdre au milieu de toutes ces pistes pour restituer la dimension imprévisible de cette année pleine de spectres angoissants. Assumer à sa manière l'étrangeté d'un monde en crise avec une littérature ancrée dans l'actualité, sans cesse en mouvement, en flux indéterminé et qui ne cherche pas à aller au-delà de la simple sensation.

Toute la difficulté est de capturer cette période de flottement et le trouble qu'elle a pu générer. Hélas, j'ai eu l'impression que La sentence se contentait du présent dans son expression la plus simple, l'anecdotique reste anecdotique, le récit n'offre pas réellement d'aspérité à laquelle s'accrocher. Trop de thèmes_ qui vraisemblablement doivent résonner les uns avec les autres_ sont abordés pour s'amalgamer.

Malgré les moments de réconfort procurés par l'amour familial, cette fiction aux contours flous s'estompera très vite dans ma mémoire.
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LaRose

LaRose est le dernier roman du cycle initié avec La malédiction des colombes et Dans le silence du vent.

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J'ai commencé par Dans le silence du vent, qui m'a envoûtée comme rarement on m'envoûte, et je n'avais qu'une hâte, découvrir les deux autres opus.

Très déçue par La malédiction des colombes, j'attendais beaucoup de LaRose.

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Le thème en était alléchant et je subodorais un chef-d'oeuvre.

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Après un début palpitant, lorsque Landreaux voulant abattre un cerf qu'il surveille depuis des mois tire malencontreusement sur Dusty, le fils de son voisin et meilleur ami, le soufflé retombe.

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Les deux familles pourraient être proches, mais Emmaline et Nola, demi-soeurs, se détestent.

Alors lorsque Landreaux donne à Peter et Nola son enfant de 5 ans, LaRose, pour remplacer Dusty, selon les coutumes ancestrales, l'enfant est littéralement arraché des bras de sa mère qui ne pourra plus le voir du tout.

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Toutes les parties concernant LaRose m'ont passionnée, mais les personnages se sont multipliés, l'auteur a jonglé avec les époques, les générations et les événements, à mon grand désarroi.

J'étais perdue et n'arrivais pas à m'intéresser aux histoires des uns et des autres.

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La plume de l'écrivain n'a pas suffi à sauver le roman, me concernant.

LaRose est très très lent, malgré l'avalanche des péripéties que j'avais du mal à suivre.

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Très grosse déception, et je ne pense pas tenter à nouveau de lire Louise Erdrich, malgré mon enthousiasme pour Dans le silence du vent, ce dont je suis sincèrement désolée.

Mais ceci est un avis personnel, qu'il ne vous empêche pas de vous lancer si le livre vous tente.

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LaRose

-Bienvenue dans la matinale de babelio, Augustin Traquenard votre serviteur part à la découverte d’une lectrice ou lecteur. Aujourd’hui j’ai l’immense joie de vous présenter une personne qui compte beaucoup pour moi et pour babelio, je vous présente Nicolak.

Bonjour Nicola

- Bonjour Augustin, je suis ravi d’être dans votre émission

-Merci Nicola, je vous ai invité pour nous parler de votre dernière lecture celle initiée par madame hundred dreams dans la lecture commune consacrée à Louise Erdrich.

- En effet Augustin, dans cette lecture commune j’avais choisi le roman « LaRose « dernier récit de la trilogie comportant « la malédiction des colombes « et « dans le silence du vent. »

- Sans trop divulgacher, l’histoire commence par un accident de chasse. Landreaux Iron tue le fils de son voisin Peter Ravich, le petit Dusty âgé de cinq ans. Selon une vieille tradition Ojibwé pour réparer la faute, la famille responsable doit offrir en réparation un enfant à la famille en deuil.

LaRose un garçon de cinq ans le dernier né de la famille Iron va être adopté par la famille Ravich. Voilà la trame de l’histoire. Des personnages vont venir se greffer autour des deux familles, quatre générations de LaRose, un prêtre amoureux, un Roméo camé et aigri…

Ce que j’ai aimé dans ce roman de Louise Erdrich c’est la propension qu’on les enfants des deux familles Neige,Josette, Maggie et le petit LaRose à rester en dehors du drame et de s’aimer malgré les difficultés des deux familles.

J’allais oublier la tragédie que connurent les nations indiennes à qui on enleva leurs enfants pour les mettre dans des pensionnats. Et pour finir Augustin, le poids de l’héritage culturel est souvent difficile à porter pour ces peuples qui ont souffert de la violence faite par des hommes au nom du progrès.

-Merci Nicola pour votre intervention, je vais rendre l’antenne à vous cognac jay…
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Celui qui veille

Le « Termination Act » est une loi votée en 1953 et 1954 par le Congrès américain, destinée à "libérer les Indiens de la tutelle fédérale". Rompant avec la loi de Réorganisation Indienne de 1934, cette loi tend à mettre fin à l’existence des tribus indiennes pour les fondre dans la société américaine. Elle a ainsi causé la disparition de nombreuses réserves, dont les habitants ont été dispersés.



En s'inspirant de l'histoire de son propre grand-père et du combat qu'il a mené contre cette loi, Louise Erdrich fait débuter son histoire en septembre 1953, dans le Dakota du Nord, et nous invite à suivre toute une palette de personnages, dont Thomas Wazhashk, indien Chippewa de la réserve de Turtle Mountain, veilleur de nuit à la tombée du jour et président du Bureau des affaires indiennes en journée. Déterminé à défendre les droits de sa communauté et le peu de territoire qu'on leur a laissé, Thomas est prêt à se déplacer jusqu'à Washington pour se faire entendre.



Celui qui veille, c'est bien évidemment Thomas, mais tout ne tourne pas autour de lui. On fait connaissance avec tout un tas d'autres personnages aussi intéressants les uns que les autres, des Indiens pour la plupart, mais aussi de quelques Blancs. Il y a Patrice, jeune femme déterminée à retrouver sa sœur disparue ; Wood Mountain, boxeur au grand cœur ; Barnes, professeur de mathématiques et entraîneur de boxe en quête d'amour ; Juggie Blue, la cuisinière ; Roderick, le fantôme ; LaBatte, le poisseux ; Louis et ses feuilles de pétition ; Vera, la sœur disparue ; et bien d'autres encore. C'est l'ensemble d'une communauté que l'on suit, dans leur lutte contre le Congrès, mais aussi dans leur vie quotidienne. Ils se connaissent tous et ont tous plus ou moins des liens de parenté. Chacun traîne son histoire, ses problèmes, ses préoccupations, ses rêves...



Ils sont nombreux oui, mais on les apprivoise, on apprend à les apprécier au fur et à mesure qu'on apprend à les connaître. On fait de leur combat le nôtre, on aimerait s'investir nous aussi, on leur souhaite d'obtenir gain de cause.



Louise Erdrich nous propose là un roman tel que je les aime : complet, méticuleusement travaillé tant sur la forme que sur le fond. Elle connaît clairement son sujet et sait nous en parler de telle sorte qu'on a l'impression d'être nous-mêmes concernés. À la fois fiction biographique et roman historique, elle donne la voix à ses nombreux personnages, qu'on entend distinctement. Grâce à son travail minutieux, elle nous offre un contexte historique immersif, des personnages bien fouillés (pour la plupart), une histoire brillante (bien que ce terme soit en contradiction avec les sujets abordés), une lecture addictive. Elle use d'une plume par ailleurs à la fois déterminée et envoûtante, octroyant une certaine intensité, une certaine puissance à son récit, tant dans les ressentis des personnages, dans leurs relations aux autres, ou encore dans leur mode de vie, leurs traditions et leurs croyances.



Ce roman foisonnant peut faire peur au premier abord, au vu de ses nombreux protagonistes, au vu du temps pris pour les mettre en scène chacun à leur tour, afin que chacun y trouve sa place, son rôle. Mais ne vous arrêtez pas à ça, vous ne le regretterez pas. Aucunement on ne se perd. Au contraire, la force de ce livre, c'est eux justement. On aime les voir interagir, évoluer, se battre, espérer, vivre, s'imposer à nous.



À l'origine, c'est "Dans le silence du vent" que je voulais lire, grâce aux récents et superbes retours de Nicola (@NicolaK) et de Chrystèle (@HordeDuContrevent). Mais comme il n'était pas dispo à la bibliothèque, je me suis rabattue sur "Celui qui veille", un peu par hasard, un peu pour sa couverture aussi. Alors merci les filles : sans vous, je ne connaîtrais toujours pas Louise Erdrich et ce serait sacrément dommage !

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LaRose

Dans le Dakota du Nord en 1999, après l’accident de chasse où son père a tué le fils des voisins, un petit garçon de six ans, LaRose, est « donné » par ses parents à la famille en deuil, en « remplacement » du fils perdu comme l’exige la tradition amérindienne. L’enfant grandit entre les deux familles, qui apprennent plus ou moins bien à vivre entre deuil, colère et culpabilité.





Ce drame et cette déconcertante tentative de réparation viennent s’inscrire dans le vaste contexte d’une histoire familiale portant sur six générations et un siècle et demi, que le récit nous fait peu à peu découvrir par de multiples allers retours entre passé et présent. Au travers d’une myriade de personnages quasiment tous amérindiens, apparaît ici toute la souffrance d’un peuple dont on a forcé l’assimilation à la culture blanche, selon le principe énoncé par l’officier américain Richard Pratt :

« Un général célèbre a déclaré un jour qu’un bon Indien est un Indien mort et le profond accord suscité par leur destruction a considérablement encouragé les massacres d’Indiens. D’une certaine façon, je partage cet avis, mais seulement dans ce sens : que tout ce qui est indien dans la race devrait être mort. Éliminez l’Indien en lui, et sauvez l’homme. »





Cette histoire est donc aussi celle de la lente agonie d’une culture qui, pourtant, réussit à se transmettre d’une génération à l’autre, au prix d’un déchirement quasi schizophrénique générateur de drames en chaîne, à commencer par celui des nombreux cas d’addiction, à l’alcool, mais aussi de nos jours, à la drogue médicamenteuse. Un insurmontable mal-être accompagnait donc déjà les personnages lorsque survient cette mort accidentelle d’un enfant : c’est finalement avec les ressources puisées au fond de leur identité profonde qu’ils vont tenter d’y faire face, au fil d’un récit en permanence entremêlé de magie et de relations aux esprits.





J’ai beaucoup apprécié, mais aussi trouvé éprouvante, cette authentique et parfois déroutante plongée au tréfonds de l’âme d’une culture martyrisée qui se refuse à disparaître. Amérindienne elle-même, l’auteur nous immerge dans un tourbillon de désarroi, de culpabilité, de colère, d’envie de vengeance et d’espoir de rédemption, où le deuil s’accomplit lentement avec le secours de la tradition, de la magie, de la solidarité et d’une certaine sagesse ancestrale.





Remarquable pour la voix amérindienne qu’elle exprime ici avec force et pour tout ce qu’elle nous fait comprendre du désespoir d’un peuple devenu une communauté privée de son identité, cette longue et vaste fresque m’a néanmoins semblé assez pesante : il m’a manqué d’être emportée par cette histoire dont, malgré toutes ses qualités, je n’ai pas senti le véritable souffle, me retrouvant plombée par la déprime en dépit de l’espoir porté par l’étonnant petit LaRose, à la maturité presque surnaturelle.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La Chorale des maîtres bouchers

Fidelis Waldvogel, boucher allemand débarque à New York avec deux valises.

La première est remplie de saucisses fumées, l'autre des couteaux de boucher.

Fidelis traverse les Etats-Unis, nous sommes à la fin de la première guerre mondiale.

Il n'ira pas plus loin que le Dakota du nord; la petite ville d'Argus va bientôt vivre au rythme " de la chorale des maîtres bouchers ".

Mon premier roman de Louise Erdrich m'a quelque peu désorienté, en fait le héros du roman n'est pas celui que l'on croit.

Le narrateur ou la narratrice on ne sait trop nous raconte le quotidien à travers des personnages hauts en couleurs.

Bien sur il y a Fidelis et sa boucherie, sa femme Eva, Delphine l'acrobate, Cyprian son partenaire, Clarisse la croque-mort, Roy l'alcoolique....

Impossible de les citer tous mais l'ensemble est détonnant. Des personnages sortent du lot comme Delphine; comment ne pas l'aimer tant son aura éclaire le roman. Elle a un cœur énorme Delphine, toujours prête à rendre service, soigner son vaurien de père, aider Fidelis à la boucherie, son amour malheureux, ses questionnements au sujet de sa mère qu'elle n'a pas connu.

Malgré ses moments de faiblesse Delphine est forte, elle sait ce qu'elle veut.

J'ai aimé Delphine pour toutes ces raisons.

On suit " la chorale des maitres bouchers " comme si on lisait une chronique dans un journal local ceci n'est pas péjoratif. La fin du roman ne vous laissera pas insensible tant le dénouement est surprenant. Un grand roman pour une première découverte. Louise Erdrich m'a convaincu, elle a un talent de conteuse énorme, que faire d'autre que de la suivre à travers ses prochains romans.

" Nos chants parcourent la terre. Nous chantons les uns pour les autres. Jamais une seule note n'est perdue et aucun chant n'est inédit. Ils viennent tous du même endroit et datent d'un temps où seules les pierres hurlaient".



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La malédiction des colombes

La Malédiction des colombes est le second roman que je lis de Louise Erdrich, mais c'est le premier du cycle comprenant Dans le silence du vent et LaRose.

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Dans ces trois livres, l'auteure explore le poids du passé, l'héritage culturel, et la notion de justice.

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Dans le silence du vent m'a tellement enthousiasmée que je m'attendais à retrouver les mêmes ingrédients et le même procédé narratif dans celui-ci.

Mais bien au contraire, j'ai eu entre les mains un récit exigeant et éprouvant pour le lecteur.

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Ce n'est pas vraiment un roman choral, puisqu'en fait ce sont des personnes aux histoires très distinctes qui interviennent, et avec la multitude de protagonistes, j'ai eu bien du mal à suivre.

Le récit est très décousu et peut d'ailleurs se lire de la même manière, en piochant de temps en temps quand le coeur nous en dit.

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Je n'ai pas vraiment cerné de liens entre chaque histoire, hormis quelques noms qui m'ont interpellée par-ci, par-là, mais il faut vraiment être très attentif.

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Seul élément récurrent : Un violon.

Autre lien entre les habitants : le massacre d'une famille de colons dont seul un bébé à réchappé. Des Indiens ont sauvé le bébé, mais ils ont été vus comme coupables... Parmi ceux qui veulent les faire payer, des noms familiers reviennent au cours des récits.

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Pluto, petite ville du Dakota du Nord, construite par des colons au XIX° siècle en plein territoire indien, dont les habitants sont blancs, Indiens, ou sang-mêlé.

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Quant aux colombes, elles envahissent les cultures et les hommes s'évertuent à les chasser par tous les moyens. Un véritable fléau, on se croirait dans Les oiseaux.

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Le personnage (et narratrice) que j'ai préféré, Evelina, passionnée par les histoires que lui raconte son grand-père, seul Indien ayant échappé au lynchage.

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Un roman très bien écrit. Les mots de Louise Erdrich n'ont pas perdu de leur pouvoir envoûtant.

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Je dirais cependant que c'est un livre qu'il faut lire à plusieurs reprises pour réussir à s'immerger complètement (et à s'y retrouver).

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Mëme si j'ai eu envie de l'envoyer valser à plusieurs reprises, je ne regrette pas de m'être accrochée et nul doute que j'y reviendrai.

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Dans le silence du vent

C'était mon premier rendez-vous avec Louise Erdrich. Elle fait partie de ces auteurs que je m'étais promise de lire un jour. C'est aujourd'hui chose faite et je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas avoir lu ses livres avant.

J'ai été très sensible à son univers, à son écriture, à son récit intimiste, aux émotions qu'elle transmet simplement à ses lecteurs. Elle donne vie à des personnages justes, réalistes et très touchants.



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En choisissant comme point de départ de ce roman le viol particulièrement brutal d'une Amérindienne, Louise Erdrich pose un regard sur le problème des crimes sexuels dans les réserves indiennes des États-Unis. On apprend beaucoup sur la juridiction des zones, les lois qui permettent à des hommes de commettre des atrocités sans jamais être inquiétés ni punis.



« Nous voulons le droit de poursuivre les criminels de toutes races sur toutes les terres comprises dans nos limites originelles. »



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En lisant l'incipit, j'y ai vu une sorte de miroir, un reflet du récit à venir.



« Des petits arbres avaient attaqué les fondations de notre maison. Ce n'étaient que de jeunes plants piqués d'une ou deux feuilles raides et saines. Les tiges avaient tout de même réussi à s'insinuer dans de menues fissures parcourant les bardeaux bruns qui recouvraient les parpaings. Elles avaient poussé dans le mur invisible et il était difficile de les extirper. »



Lorsqu'un roman commence ainsi, un père et son fils arrachant les racines d'arbres poussant dans les soubassements de leur maison, cette image forte et très visuelle ne peut que nous faire espérer tenir entre les mains, un magnifique roman, riche en émotions. Cet espoir s'est vu confirmer au fil de ma lecture : le récit est certes poignant, dur, mais il y a des éclats de beauté inattendus, une force poétique dans le récit, dans les mots qui frappent et les émotions qui étreignent.



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L'autrice, dès les premières lignes, nous plonge dans une atmosphère étouffante, oppressante. Cette impression tenace et douloureuse paraît figer le temps.

La famille Coutts avait toute pour être heureuse jusqu'au jour où, par un doux dimanche de printemps 1988, le drame les frappe durement et leur vie bascule : Géraldine, la mère de Joe, est violemment agressée et violée dans la réserve Ojibwée.



Les cicatrices les plus visibles guérissent avec le temps, mais le viol laisse un profond traumatisme psychologique sur Géraldine qui s'isole des siens et se réfugie dans la solitude rassurante de sa chambre.



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Avec justesse et sensibilité, Louise Erdrich se glisse dans la peau du jeune adolescent. C'est à travers ses yeux que l'on embrasse le violent bouleversement de son monde. Et l'on voit comment ce crime terrible va bouleverser et transformer sa famille à jamais.

Chacun à leur manière essaie de reprendre pied : Géraldine, autrefois souriante et maternelle, se recroqueville dans la peur et la claustration tandis que le père et le fils tentent d'obtenir réparation et justice en recherchant eux-mêmes le coupable.



Le récit s'approprie différents genres, tout en soignant le fond comme la forme. Ainsi, si l'histoire prend l'allure d'un roman policier ou d'un thriller, Louise Erdrich visite le roman initiatique, tout en nous invitant à pénétrer dans la spiritisme de la culture amérindienne.

Le récit devient très vite prenant, l'autrice disséminant avec subtilité les indices tout au long du récit pour nous faire entrevoir la vérité.



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« de tout mon être, je voulais revenir au temps d'avant tout ce qui était arrivé. Je voulais rentrer dans notre cuisine qui sentait bon, m'asseoir à la table de ma mère avant qu'elle ne m'ait frappé et avant que mon père n'ait oublié mon existence. »



Le monde de Louise Erdrich est tragique, violent, fragile, injuste mais il est également tendre et émouvant. Si la tragédie et la recherche de justice sont au centre de l'intrigue, Louise Erdrich dresse le portrait vibrant d'une famille qui apprend à se reconstruire sur des fondations fragilisées. Les personnages sont superbement bien observés et décrits. Elle les dénude, nous laissant entendre leur peur, leur colère, leur culpabilité, leurs regrets.



« Je me suis allongé par terre, j'ai laissé la peur me recouvrir, et essayé de continuer à respirer pendant qu'elle me secouait comme un chien secoue un rat. »



J'ai aimé la façon dont le père et le fils, si démunis et perdus au départ, vont aider Géraldine à se relever, à reprendre goût à la vie. C'est beau, sincère, émouvant, bouleversant.



« Quand la pluie tiède tombe en juin, a affirmé mon père, et que le lilas s'épanouit. Là, elle descendra. Elle adore le parfum du lilas. Un vieux bosquet d'arbustes planté par le délégué agricole de la réserve fleurissait contre l'extrémité sud du jardin. Ma mère a raté sa splendeur. Les faces frêles de ses pensées ont resplendi et puis les églantiers dans les fossés se sont parés d'un rose naïf. Elle les a ratés aussi. Maman avait semé ses fleurs à massif chaque année, d'aussi loin que je m'en souvienne. Elle disposait ses bacs en briques de lait sur le plan de travail de la cuisine et sur les appuis de toutes les fenêtres orientées au sud, en avril – mais les jeunes plants de pensées étaient les seuls qui avaient survécu pour être repiqués dehors. Après cette semaine, nous avions oublié de nous occuper de tous les autres. Nous avions trouvé les tiges grêles desséchées et craquantes. Papa avait jeté les plants et la terre au fond du jardin et brûlé les fonds de briques de lait avec les ordures, détruisant ainsi les traces de notre négligence. »



Ce que j'ai aussi particulièrement aimé, ce sont les liens familiaux et communautaires très forts, qui vont se resserrer autour de la famille Coutts. C'est toute une dynamique d'entraide, de solidarité, d'amitiés qui va se créer pour les aider, sans voyeurisme ni curiosité malsaine. Ce roman dégage beaucoup d'humanité, de sensibilité et de générosité.



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Tout le talent de conteuse de Louise Erdrich s'exprime dans sa façon d'entremêler l'histoire familiale à des thématiques très fortes autour de la famille et de la communauté, de la culture et des traditions indiennes, de la vie dans les réserves.

Le monde évoqué par Louise Erdrich baigne dans une atmosphère de réalisme magique fortement enraciné dans les légendes et les croyances, les rituels et le monde des esprits, le pouvoir des animaux totem, ...



Mais elle réveille nos consciences sur la réalité vécue par les Amérindiens d'aujourd'hui, entre tradition et modernité, coutumes et impact de la culture américaine, spiritualité et catholicisme, identité autochtone et assimilation forcée.

En effet, l'autrice innerve son roman de problématiques liées à la pauvreté, l'alcoolisme, la drogue, l'exclusion et au racisme. Elle soulève des questions graves concernant l'injustice et la privation des droits des groupes minoritaires.



Mais, même si la trame est sombre, on ne tombe jamais dans le sordide ou dans le pathos.

Le ton est toujours juste, sans grandiloquence, sans colère, rendant le récit réaliste et émouvant. Plusieurs scènes sont particulièrement touchantes, l'autrice maîtrisant parfaitement la force émotionnelle, en particulier dans le premier et le dernier chapitre.

Le récit à hauteur d'enfant amène également des moments plus légers, plus doux.



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L'écriture de Louise Erdrich est magnifique de simplicité, de délicatesse, de pudeur et de retenue. C'est de cette manière qu'elle m'a vraiment touchée.

De façon très inattendue mais opportune, l'humour s'invite dans ce récit, permettant au lecteur de reprendre son souffle lorsque les émotions envahissent l'esprit.



Les dernières pages surprennent, si brutales et si obsédantes, comme un coup de poignard dans le dos.



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Pour conclure, « Dans le silence du vent » est un magnifique roman d'une grande richesse psychologique. Il a la beauté et le piquant de la rose. Les souvenirs douloureux et tristes émaillent le texte parfois traversé d'instants de paix, de légèreté et de douceur.



J'ai été séduite par l'univers de Louise Erdrich, par son écriture poétique et acérée, par ses personnages attachants, par leur histoire émouvante. Ce livre m'a donné envie de découvrir les autres romans de l'autrice et en particulier « LaRose » et « La malédiction des colombes » dans lesquels on retrouve plusieurs personnages de ce récit.



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Je remercie Chrystèle (@ HordeDuContrevent) et Nicola (@Nicolak) pour cette magnifique lecture partagée. Nous ne connaissions pas les livres de Louise Erdrich, mais nous avons toutes été captivées par ce récit et sensibles aux messages de l'autrice.
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Le jeu des ombres

Chronique de la mort annoncée d'un couple ou la "guerre des Rose" dans une version beaucoup moins comique que celle laissée par Michael Douglas et la savoureuse Kathleen Turner.

Le jeu des ombres est un roman glaçant et palpitant à la fois mettant en ombres chinoises toute la noirceur de l'âme humaine tel un drap blanc inondé d'une lumière froide et paralysante.

Irène et Gil, Indiens métis d'Amérique du Nord ont ce statut un peu bancal de n'appartenir véritablement à aucune des deux communautés. Le roman met bien en valeur cette dualité.

De leur amour sont nés trois enfants qui seront les témoins de leur déchirement.

Peut-on encore appeler amour une relation où l'autre est nié?

Irène, muse et modèle de son peintre de mari ne se sent plus qu'un objet dans le couple. Le seul lien qui la lie désormais à son époux est l'alcool sur fond de violence.

Quand un jour, elle s'aperçoit que Gil lit son journal intime, Irène le subtilise pour en écrire un autre, perlé de mensonges dans le but de manipuler son mari et de hâter la rupture.

Mais dans le jeu pervers qui s'instaure aucun des deux protagonistes n'est blanc comme neige...

Par moments, il m'a fallu poser le livre pour reprendre haleine!

Le jeu des ombres: un jeu auquel on peut se brûler les ailes et le cœur ...
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Celui qui veille

Sur les terres de la réserve de Turtle Moutain en 1953 , dans le Dakota du Nord, Thomas s'apprête à se battre pour que la loi de "termination" ne passe pas . Cette loi priverait les indiens de leur terre , après les avoir privés de tant d'autres choses.



Louise Erdrich a écrit un livre pour honorer la mémoire de son grand père, Thomas ici, mais aussi pour que l'histoire se souvienne de cette loi de termination qui sous ses aspects 'intégration' visait purement et simplement à faire main basse sur le peu que possédaient les indiens.



Au de là de l'histoire de Thomas, c'est toute la communauté que l'on va suivre . On imagine les conditions précaires , notamment des habitations , l'alcoolisme latent, la brutalité des moeurs, le racisme.

Il y a plusieurs livres dans ce livre en fait : le combat remarquable de Thomas certes , les rapports indiens/ américains , mais aussi les doutes d'une jeune fille, le volet un indien dans la ville , bien moins réjouissant que sa version cinématographique, les traditions, les rituels , la vie de la communauté au milieu du XXème siècle .

Beaucoup de raisons de lire ce livre . Je ne suis pas particulièrement sensible au style de l'auteur mais elle raconte très bien les histoires et a sans doute donné beaucoup d'elle même pour fusionner l'histoire familiale , L Histoire et la fiction.

Et c'est franchement une belle réussite.

Ce livre se conclut sur quelques mots de l'auteur qui a eux seuls valent la lecture .

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