Citations de Luc Blanvillain (157)
Jamais rêvé d'être à la mode. Encore moins d'être la mode. A présent, quand je tentais d'être moi-même, j'avais l'impression de copier mes imitateurs.
Puisse mon récit servir de leçon à ceux qui oseront le lire. L'éducation des parents est une tâche épuisante. Elle nécessite une attention de chaque instant. Au moindre relâchement, l'horreur s'abat sur vous sans prévenir.
C'est ce qui m'est arrivé.
Trente ans de sauts de puce en voiture, dans cette vie minuscule, pour n'être pas en retard. Trente ans de conscience professionnelle.
- Vous savez pourquoi les garçons échouent à l'école, d'après les psychologues ?
- Non, avoua Baptiste.
(...)
- Parce qu'ils ne parlent pas suffisamment avec leurs pères. Ça m'a fait drôle quand j'ai lu ça, vous imaginez. Mon père ne m'a jamais beaucoup adressé la parole, c'est vrai. Et si j'avais mieux réussi à l'école je ne serais sûrement pas écrivain, mais...
- Mais ?
- Mais j'ai toujours senti sur moi son regard. Sa bienveillance. Son approbation. Ça m'a porté.
- Depuis que je ne regarde plus la télé, m'a confié Pétillard, effrayé, quelqu'un essaie de me parler dans ma tête.
- Ah bon? Qui ça?
- Ben, je crois que c'est moi, en fait.
Gérard était encore complètement à poil. Ça devenait lassant.
— Allez, Gérard, soupira Patricia en accrochant son manteau à la patère, habillez-vous. Je suis là.
— Je le sais bien que vous êtes là, maugréa-t-il.
Elle ne répondit pas. L’exhibitionnisme désespéré du bonhomme permettait au moins à Patricia de procéder à un rapide examen de son anatomie. Depuis treize ans qu’elle le connaissait, son état général ne s’était pas trop dégradé, malgré l’alcool, malgré la nourriture industrielle, malgré tout. Et un peu grâce à elle.
— Il fait glacial, souligna-t-elle.
Elle avait déjà enfilé ses gants et son tablier. Elle s’accroupit pour fouiller dans le petit placard, sous l’évier.
— Je vous avais demandé de racheter de la Javel, Gérard, et du produit pour laver par terre.
Il soupira, frissonna, puis, découragé, finit par s’envelopper dans une vieille robe de chambre.
— Qu’est-ce qui ne vous plaît pas, chez moi, Patricia ? Vous savez que j’ai été mannequin, dans le temps.
Elle avait du mal à le croire, même s’il le lui répétait chaque fois. Mannequin pour les catalogues de la Redoute et des Trois Suisses, dans les années quatre-vingt. Ce n’était pas complètement invraisemblable, quoiqu’aucun témoignage ne corroborait ces allégations. Patricia n’avait pas tout à fait compris non plus comment Gérard s’était retrouvé à Vinteuil-sur-Iton. Les versions fournies par l’intéressé variaient souvent. Selon l’une d’elles, il aurait bénéficié d’un programme de protection des témoins après que toute sa famille avait été tuée par une organisation sur laquelle il était préférable que Patricia en sache le moins possible. Ce dont elle était certaine, c’est qu’on l’avait mis sous curatelle à cause de son penchant pour les spiritueux, qu’il consacrait le plus clair de son temps à salir ce qu’elle avait lavé, et qu’il était amoureux d’elle.
Il lui raconta combien, jusqu'à présent, l'écriture avait été pour lui un pénible combat. Non pas contre la page blanche, ni contre l'angoisse de ne pas trouver le mot juste. Ses affres n'étaient pas flaubertiennes. Non, ce qui lui avait rendu la création si pénible, depuis toujours, c'était la vie, les soucis, les interruptions, les sollicitations incessantes, les imprévus, ce galimatias de tracasseries dont lui, Baptiste, l'avait complètement exempté [...]. C'était miraculeux. Il respirait. Revivait.
Il savait bien, en théorie, que tout homme a plusieurs voix, selon les heures, les âges, les émotions, mais, en cet instant, il l'éprouvait avec une intensité rare.
A défaut de susciter l’amour, il éveillait les regrets. C’était presque mieux.
Je trouve l'existence paradisiaque. Je me réjouis en permanence d'être un humain plutôt qu'un pneu ou un gobelet. Plutôt que rien.
Le serveur, sous mes yeux, se prenait une veste magistrale. Un râteau géant, le modèle XXL de chez Jardiland.
Chloé n'a pas, comme on dit aujourd'hui, d'identité. Elle n'appartient à aucune communauté. Elle n'est pas noire, elle n'est pas homo, encore moins trans (pourquoi encore moins ?), elle n'a pas subi d'agression, elle est affligée de parents aimants et dévoués. C'est pire que tout de nos jours.
- Ce... petit épisode m'a justement renforcé dans la conviction que la vie réelle était trop compliquée pour moi, en ce moment au moins. Vous savez ce que Lacan dit du réel, j'imagine ?
- Pas précisément.
- Le réel, c'est quand on s'en prend plein la gueule.
Elle avait du goût pour les grands ensembles urbains, les mégapoles, les conurbations, les barres. Rien ne lui plaisait comme les péristyles en ciment qui cernent les centres commerciaux. Les fenêtres, elle les voulait en colonnes, en lignes, en cohortes.
Certes, Baptiste n'avait jamais bien compris la casuistique qui distinguait le sentiment amoureux de l'attirance érotique ou de la complicité sensuelle.
Il suffit, quand on me menace d'une baffe, que j'entonne l'un de mes solos favoris pour voir s'éloigner l'ennemi.
L'idée qu'une vie, une vie ordinaire se déroule ainsi, aux heures de bureau, ne le réconforte guère. C'est justement à ça qu'il a toujours voulu échapper. Cette juxtaposition d'instants creux, de tâches minuscules ne débouchant sur rien, cette duplication sempiternelle du présent.
La vie, ça s'invente. On n'est pas obligé de rester coincé dans des schémas débiles.
Pourquoi, dès lors, quitter l'Olympe et vouloir dégringoler dans la boue gluante de la nullité ? (Oui, j'emploie ce genre de phrases. J'ai peu d'amis.)
Adélaïde venait d'atteindre sa quinzième année. trois ans plus tôt, toutes se copines étaient devenues des monstres. C'était normal. Vers douze ans, les filles deviennent des monstres.