Citations de Marie-Hélène Lafon (932)
Elle restait assise dans la lumière, pendant des heures, la tête dans les mains, fourrageant dans ses cheveux qu'elle avait lourds, denses, annelés, parfumés ; une vraie crinière de femelle fauve, à mordre, à caresser.
Il ne la pensait pas capable d'un coup pareil, elle avait de la gueule, elle était bonne pour bramer et se plaindre toute la journée, mais décider, partir et ne pas remonter, non, il n'y croyait pas, surtout quand on avait commencé à parler d'argent avec les avocats.
Pour le fils, il n'y voit pas clair, il sent que Gilles est tout du côté de sa mère et de son grand-père maternel ; ils en feront une nouille, pas un homme capable de tenir une ferme. (p.103)
« Elle est comme une vache lourde, une vieille vache fatiguée , son père dirait fourbue, une vache fourbue; elle rumine et elle attend . »
Dans les annonces qu'elle lisait, elle comprenait que c'était dessous, tout le temps, à vif, la question des corps du corps du sien...
Il faudrait montrer, se montrer, vouloir, être voulue, s'empoigner, au-dessus, loin, loin de là fatigue épaisse du vivre.
Sa mère n'imagine pas sa vie et devine à peine sa passion pour les femmes. Par égard pour elle, il modère ses ardeurs pendant les trois semaines de ses séjours estivaux, se bornant à renouer furtivement, et pour l'hygiène, avec une connaissance ancienne, accommodante et légère, quoiqu'un peu défraîchie, qui vit à Nice mais passe le mois d'août dans une propriété de famille au Vaysset de Condat.
Il n'aime pas le nouveau, il ne veut rien changer, rien ajouter, il veut que tout reste comme avant, avant quoi, avant toute la vie, avant.
Quand on réussissait à attraper son regard qui vous traversait sans vous voir, on ne soutenait pas longtemps ce vertige.
Parfois je m’assois dans les églises pour penser à ma mère ; je lui parlerais presque. Je ne crois en rien, nous sommes seuls et nous ne serons pas secourus, mais j’aime les églises alanguies dans le creux des après-midi.
Joseph était gentil, si gentil, pas bavard, pas du genre qui fait des promesses pour ne pas les tenir, mais du solide, du paysan solide; elle répétait cette expression, du paysan solide.
La source serait là, une source. Elle préfère le mot source au mot racine. Elle a beaucoup retourné ces questions quand elle avait trente ou quarante ans. Elle sait que sa sœur et son frère s'arrangent aussi comme ils le peuvent avec cette maison des petites années, la cour et l'érable, Fridières et le reste. Elle les retrouvera dans une heure, avec les nouveaux propriétaires, chez le notaire de Murat pour signer la vente de la maison. Elle pense que c'est le dernier acte et s'en voudrait presque de ne pas pouvoir remplacer ce terme un peu grandiloquent, qui lui tombe dessus dans la cour vide, par un autre, plus neutre, plus dégagé ; la dernière étape, la dernière démarche, la dernière formalité. Ils liquident, ils liquident l'héritage, ils ont été les trois héritiers du père. Claire respire l'odeur tiède et sucrées des feuilles alanguies. Alangui est ridicule, elle le sait, mais elle laisse ce mot monter et la déborder. Personne n'a jamais vraiment été alangui dans cette cour, en tout cas personne qu'elle connaisse. Elle se prend à espérer que quelqu'un l'ait été avant eux et à souhaiter que quelqu'un puisse l'être après eux, les cinq, vissés là pendant une poignée d'années, et le père ensuite, fort peu alangui et seul en son fief, quasiment jusqu'à la mort.
Claire respire l’odeur tiède et sucrée des feuilles alanguies. Alangui est ridicule, elle le sait, mais elle laisse ce mot monter et la déborder.
Léon parle comme ça, il a ses mots à lui qu'André aime bien; ce sont des mots qui arrangent les choses, font rire , ou sourire, et consolent le monde. (p. 59)
L'homme n'a jamais beaucoup parlé, ni compris ce besoin que les femmes ont, souvent, pas toutes les femmes mais presque toutes, de mettre des paroles sur les moments, sur les choses et sur les gens, entre eux, à leur propos, de dire pourquoi et de dire comment, de justifier et d'expliquer, de raconter, de remonter aux sources, de comprendre, de juger, de condamner, d'absoudre, de pardonner, d'éreinter les phrases et les mots, toujours les mêmes phrases et les mêmes mots.
Il avait pris ce qu'elle donnait, sans paroles, dans une douceur d'orage. p 35
Les mots ne lui viennent pas, l'orgueil les bloque.
Elle aurait dû demander à Nicole de cirer les chaussures avant de partir. Tant pis, un coup de chiffon suffira ; il gueulera, de toutes façons il gueulera, même sans raison. Il gueule tout le temps quand ils s'en vont le dimanche matin, il va s'asseoir dans la voiture, il klaxonne, plusieurs fois, il revient, il tourne en rond dans la cuisine, comme ça, pour rien, elle sent l'odeur de son après-rasage, il repart, il recommence à klaxonner. (p.40)
Elle a posé la corbeille sur le banc, elle se penche, elle lisse la robe d'Isabelle avec le plat de la main et la repasse à l'envers, pour éviter de marquer le tissu ; elle sait que sa mère a l'œil, rien ne lui échappe, surtout dans la tenue des enfants. Elle voudrait ne pas décevoir sa mère, au moins ça.
(p.38)
... j'aime les églises alanguies dans le creux des après-midi...... le temps s'y oublie, on y berce à bas bruits des douleurs irrémédiables,....... Je pousse de lourdes portes capitonnées, je surprends des silences, je hume des ferveurs muettes qui me sont interdites, je me rassemble.
p 66-67
Un couple, ça tenait et ça durait d'abord au lit, ou sur la table de la cuisine, assis debout couché, en un mot par le ventre, par-devant ou par-derrière sans chemise et sans pantalon.