Citations de Marie Pavlenko (561)
J’ai l’impression qu’un corps d’homme brisé, peut-être un relent des guerres, justement, est plus acceptable. Une blessure, ça fait warrior. Pour une femme, dans l’inconscient de plein de gens, la féminité écorchée est une monstruosité.
Je suis une orkla, sans foi ni loi, je connais ma place : celle que je prends, jamais celle qu’on me donne.
-Ok, je te suivais. Et après ? [...]
-Eh ben, t'arrêtes ! Tu arrêtes tout de suite de me suivre ! rétorquais-je.
-Impossible.
-Comment ça, impossible ?
-Je n'arrêterai pas de te suivre.
-Pourquoi ?
-Parce que. Je te suis. [...]
-Mais... Tu me suis ! Et tout va bien ?
Il resta silencieux, impassible.
-Nan, mais tu t'entends ?! brallai-je. Tu te rends compte de ce que tu me dis ? T'es un grand malade ou quoi ?
J’ai un souvenir très net du choc ressenti lorsque j’ai déchiffré mon premier mot. TA-BLE. À l’instant précis où je l’ai lu en bégayant, une table a jailli dans ma tête. Cette table existait, et en même temps, n’existait pas.
Lorsqu’Aurèle a repéré un trou dans un arbre, qu’il a gratté le tronc à la base, et qu’une tête ronde aux yeux jaunes en est sortie, Abi a failli pousser un cri. La chouette les a dévisagés, puis est retournée dans son antre. Ils se sont regardés, tous les six, avec la certitude d’avoir frôlé la Beauté.
Je croyais connaître le désert mais j’en découvre la complexité. Il est ocre, rouge, orangé, pâlot ou profond, il est illuminé par le soleil et terni par la nuit, il est bas, haut, plat, il est sablonneux ou couvert de caillasses, ses plis se resserrent pour former d’énormes collines, il se déchire, s’ouvre en deux, et de longues crevasses le nervurent avant de se refermer comme des plaies.
-Tu sais que j'ai une porte avec sonnette ?
-Ce que tu peux être rabat-joie parfois... soupira-t-il.
-Mais t'as quel âge ? lançais-je exaspérée.
-Ca dépend. On va dire 24 pour faire court.
L’humiliation est une seconde peau putride dont je n’arrive pas à me défaire.
- L'autre jour, mon père et ma mère étaient tout suintants d'attention l'un pour l'autre, à se faire des mamours, et ce matin mon père se balade avec sa maîtresse. Devant mon lycée ! Quelle plaie les parents, mais quelle plaie...
Ni Victor ni Jamal ne répondent.
Je relève la tête, abasourdie.
- Non ?
Victor jette un rapide coup d'oeil à Jamal et grignote l'intérieur de sa joue. Allons bon, qu'est-ce que j'ai encore dit ?
- Les miens sont morts il y a deux ans, m'éclaire Jamal d'une voix calme. Il ne se passe pas un jour sans que j'espère qu'ils soient encore avec moi pour me faire chier.
(p. 75)
Sachant que lui (B. Cendrars), il avait fait la guerre. De nombreux survivants étaient estropiés. Une jambe, deux jambes, un pied, une main, un bras… Sans parler des gueules cassées. En faisant des recherches sur Blaise, j’ai fini par tomber sur des photos. Faut s’accrocher. Une génération de Français a vécu en côtoyant ces corps cabossés et difformes, les trous dans la face, l’œil qui dégouline sur la joue à cause d’un obus qui t’a refait le portrait façon cubiste, les dents visibles de l’extérieur, la mâchoire de traviole, le crâne bosselé comme un terrain de motocross.
Vivre chez les orklas comporte une multitude d'inconvénients, parmi lesquels la saleté, la promiscuité, la pauvreté. La faim aussi. La mort, beaucoup. Mais on y déniche également des valeurs qu'on ne croise pas ailleurs dans la Cité des Six, comme la solidarité. Oh bien sûr, il y a des sales types, dans mon husta, des traîtres, des fous, des mégères, des ivrognes, des lâches, des méchantes, des pervers, des avares, des avortons, des bavards. Mais on est tous le cauchemar de quelqu'un.
En proie à l‘énervement, les mains se crispent, elles se tordent quand on est stressé, parlent, moulinent, appuient, prouvent. Inutile de vouloir : elles vivent, autonomes, précèdent la pensée. Et pas seulement les mains. Les coudes, aussi.
Je vous laisse imaginer le réveillon.
Les silences gênés, les yeux rougis de ma mère qui ne fait aucun effort, les oeillades inquiètes de mamie Zazou, mon père qui demande le sel d'une voix de cadavre.
Et cette peste de Charlotte qui balance ses épinards sur Isidore [le chien].
Je me lève, l'assiette à la main, contourne la table, et flanque une taloche sur sa joue rebondie de bébé tout-puissant.
Mon oncle, [père de la petite], m'interpelle comme s'il était la statue du commandeur dans 'Don Giovanni'.
Genre, il m'effraie.
Je me baisse, offre mon foie gras à Isidore, me redresse, exhibe un majeur bien dégagé, un majeur qui ne laisse aucun doute quant à mon message, et je monte me coucher.
(p. 192-193)
Grâce à quelques séances, j'avais compris à quel point ma mère m'aimait ; que j'avais ma place. Que je lui ressemblais, même physiquement. Le mimétisme est un phénomène prodigieux. J'avais des mimiques de ma mère, des attitudes similaires. Elle ne m'avait pas fait grandir dans son ventre ? Peu importe. Elle était ma mère.
Le monde est flou. Soudain, je suis certaine que c'est la raison pour laquelle on pleure : s'extraire du monde qui nous fait souffrir. Les larmes brouillent les visages, les gens, elles protègent des méchants et de la réalité.
J’écoute le silence. Je n’y suis pas habituée. Au campement, le son est partout. Les tentes occultent la vue, mais laissent passer le reste : les disputes, les éclats de voix, les rires, les caresses, les respirations lourdes et les ronflements, les discussions à voix basse. L’intimité transpire à travers le tissu.
Et il a ouvert le livre.
C’était bourré de lettres, les mêmes qu’il m’avait appris à déchiffrer, mais ici, elles étaient minuscules et il y en avait beaucoup. On s’est mis à lire. C’était ardu.
Pourtant, petit à petit, des mots sont nés. Je ne les comprenais pas tous, loin de là, mais j’aimais leur musique. Certains étaient longs et touffus, d’autres secs, ronds, creux, doux ou élancés. Et même si aucune image n’apparaissait dans ma tête quand je les prononçais, j’essayais d’imaginer ce qu’ils pouvaient être, rien qu’à leur sonorité.
Ma cheville est énorme. On dirait que je suis enceinte et que je vais accoucher du pied. Cette pensée idiote me fait rire. Je ne vais pas rire beaucoup, coincée ici. J’ai intérêt à me faire rire toute seule.
Retomber en enfance avant de mourir, encollé dans les souvenirs, peut-être est-ce la seule façon qu’a trouvée le cerveau humain de s’apaiser, chacun passe de l’autre côté avec une once de douceur, on garde le meilleur, l’ingénuité de la vie au creux des mains, oiseau fragile, magique, sublime, moiré, on traverse et on ne sent presque rien, oui, ça doit être ça.
D'après Jamal, elle [Gertrude la mygale] ne peut pas être allée bien loin. Elle doit être morte de peur. La pauvre. Il ne l'a pas vue filer parce que le livreur de pizzas, "arachnophobe probable", l'a à moitié assommée avec l'appareil à Carte bleue avant de s'enfuir.
Moi, je dis que ce type a la notion de la priorité.
Quoi qu'il en soit, nous passons en revue l'escalier jusqu'au rez-de-chaussée, la courette, les poubelles, mais il faut nous rendre à l'évidence : Gertrude s'est volatilisée.