AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Maryline Desbiolles (129)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Il n'y aura pas de sang versé

Le fil de soie grège ne peut être tissé directement. Il faut le rendre plus résistant en le moulinant, c’est-à-dire en lui faisant subir une torsion avant de l’enrouler sur les bobines de moulins rendus plus performants par leur forme ovale. Au milieu du XIXe siècle, cette opération emploie des milliers d’ouvrières en France, dont beaucoup dans la région lyonnaise où on les appelle les ovalistes. Sans qualification, elles travaillent douze heures par jour, sont payées à la pièce bien moins cher que leurs homologues masculins, et comme on les recrute dans les campagnes environnantes et même jusqu’au Piémont, elles s’entassent dans des dortoirs insalubres et surpeuplés, totalement assujetties au strict règlement de leurs « usines-pensionnats ». A l‘été 1869, ces filles illettrées, qui se voient contraintes d’avoir recours à un écrivain public pour exposer leurs revendications, se mettent en grève, réclamant un meilleur salaire et un temps de travail réduit. C’est la première grève de femmes connue. Elle va durer un mois, se solder par des emprisonnements et des expulsions des ateliers-dortoirs, avant que le travail ne reprenne sans aucune avancée significative. Elle marque cependant l’histoire d’une pierre blanche, celle qui inaugure la longue lutte dont les femmes se sont passé le relais jusqu’à aujourd’hui pour l’amélioration progressive de leur condition.





Cette image du passage de relais entre les femmes s’est si bien imposée à l’auteur lorsqu’elle s’est intéressée à la grève des ovalistes qu’elle en a fait le fil conducteur de son roman. Soif d’émancipation, prise de conscience de leur sororité face à la toute-puissance des hommes et des employeurs qui les traitent en « bonnes filles » modestes et dociles : sans violence ni sang versé, avec la seule calme détermination née d’un trop-plein d’injustice et de servitude silencieuse, ces femmes sont les premières, non pas à se révolter, mais à en prendre l’initiative. Ce sont elles qui s’autorisent enfin à ne plus courber l’échine. Et même si elles n’obtiennent pas gain de cause, elles sont des pionnières qui ouvrent à leurs semblables, femmes de leur temps ou des générations à venir, le long chemin du féminisme. Alors, à cette troupe en jupons perdue dans l’oubli incolore de l’anonymat, Maryline Desbiolles a choisi de prêter quatre visages imaginés comme en technicolor, leur redonnant chair et vie en quelques scènes croquées sur le vif, et insistant sur la sororité des femmes par-delà les siècles.





Jonglant avec les mots et les images dans une langue courant comme une rivière en longs rubans de phrases non dénuées de poésie, l’écrivain met l’originalité, probablement clivante, de son style au service d’un roman social et féministe, construit sur un fait historique oublié pour mieux nous inviter à reprendre le flambeau de la lutte.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          836
Rupture

"Rupture" revient sur l'épisode tragique de la rupture du barrage de Malpasset près de Fréjus, le 2 décembre 1959.

Les pluies diluviennes qui s'étaient abattues sur la région avaient provoqué la rupture de la voûte, avec, comme conséquence une vague meurtrière qui avait causé la mort de 423 personnes dont 150 enfants.

Maryline Desbiolles choisit d'imaginer le point de vue de François, un ouvrier du chantier venu de Savoie.

François s'adapte très bien à la région, participe à la récolte des pêches, tombe amoureux.

Il est fier de son travail car il est persuadé qu'il participe au bien-être de la région pour l'apport en eau.

Après son service en Algérie, il revient pour participer à la construction du pont de l'autoroute toute proche du barrage.

Il loge à Fréjus.

Lorsque le barrage cède, il parvient à échapper à la vague et se lance dans le sauvetage des survivants et la reconnaissance des victimes avec les autorités du coin.

L'auteure nous montre bien le sentiment de culpabilité de François, l'ouvrier qui se sent un peu responsable du malheur des habitants.

Elle arrive aussi à faire revivre la région, les personnes avant les faits, l'inquiétude du gardien aussi.

Un très beau livre qui m'a fort intéressée car je n'avais que 4 ans lors de l'été qui a suivi la catastrophe mais mes parents passaient chaque année leurs vacances près de Sainte-Maxime avec des amis. Lors de l'été 1960, ils étaient allés se recueillir sur les lieux du drame.

J'en ai toujours gardé le souvenir et le livre m'a aidée à comprendre les faits terribles qui restaient pour moi inexpliqués.

Commenter  J’apprécie          570
Anchise

Un paysage de campagne, enfin pas vraiment la campagne arborée, évocatrice de douceur et de sérénité mais plutôt de ces lisières entre la ville et la campagne "vraie", la campagne d'autrefois mais comme contaminée, comme gangrenée par les boursouflures de la cité, par ses plastiques et son formica, par ses déchets et ses tôles, un paysage de campagne barbouillé de laideur par la main de l'homme... Un paysage qui a été et qui s'est comme obscurci...



Et alors, comment fait-on pour y vivre, pour habiter l'une de ces trois masures qui se tiennent serrées au bord de la route, peut-être pour faire front à un ultime coup du destin, à un ultime déferlement de l'orage citadin ? Comment accepte-t-on d'y passer une vie et de continuer à essayer d'exister quand les décennies s'ajoutent quand la souplesse s'amenuise, quand les difficultés du quotidien deviennent obstacles ...



Ce sont peut-être "les Sasso" qui ont la réponse quand lui déborde de colère n'aimant rien ni personne, ou encore un peu son potager qu'il cultive pour montrer qu'il sait tout à son propos et finalement en ne mangeant que les fruits du labeur de l'année précédente qu'il a congelés, parce que tout ça, c'est trop pour eux deux... Quand elle, soumise, ne se rend plus trop compte, se tait.

Un peu comme le paysage qui s'est enlaidi, leurs esprits ont fait de même, ils luttent en désaimant, ils survivent en cultivant la hargne au milieu des salades et ça pousse plutôt bien...



Cela pourrait être aussi "la Thomas", veuve, que la liberté de vivre seule effraie, mieux valait être invisible derrière un mari que visible solitaire. Elle ne sort que pour fermer ses volets, les journées immuables, toujours l'horloge qui guide les pas. Un silence l'habite… Elle attend, les années qui passent se résument au silence qui se fait plus épais, aux gestes qu'on économise… Elle attend le silence qui recouvrirait tout et les gestes qui ne seraient plus…



"Anchise c'est autre chose" comme le répète le récit comme un refrain, comme un leitmotiv qu'il ne faudrait pas oublier. Et on remarque tout à coup le soleil, il brille pour Anchise...



Et c'est vrai, Anchise, c'est différent.

Anchise ne vit pas dans le présent, son esprit s'en est vidé, il n'est comblé que de la mémoire... pour se souvenir des peines, de la perte du père à la première guerre qui a fait de lui Anchise quand jusque là tout le monde le nommait Eugène. C'était plus doux, Eugène, et cela allait mieux avec "la Blanche", celle qui a illuminé sa vie, celle qui a embrasé son être... mais comme un feu follet, une étincelle... Emportée par les fièvres pendant qu'il était parti se battre à la seconde guerre.

Anchise, c'est l'éphémère qui s'éternise, c'est le bonheur qu'on met sous un globe de mariée, Anchise, c'est l'innocent, le doux, celui qui écoute ses rêves parce qu'il n'y a qu'à travers eux que sa Douce peut lui parler et c'est pour cela qu'il est devenu l'ami des abeilles....

Anchise, on s'assoit, on l'écoute, on ne l'interrompt pas, il nous parle de ce mince temps de félicité qui a été si bref et pourtant Anchise en a tissé sa vie, en a tricoté son existence.

A quatre-vingt ans, il arrive au bout de cette compagnie des souvenirs, il les a tant tournés et observés, écoutés et modelés, rêvés et imaginés qu'est-ce qu'il reste à Anchise pour continuer ? Surtout si ses pensées sont comme les abeilles, qu'elles s'envolent en essaim pour aller s'installer dans l'arbre creux ?



Il existe des livres dans lesquels davantage que le récit, c'est la langue qui captive, ensorcelle, aimante... Celui-ci est de ceux-là, un phrasé tricoté, crocheté plein d'arabesques et noeuds, coloré, diaphane ou parfois ténébreux.

Un récit qui tisse les mots autour du temps qui s'effrite, un récit qui parle de l'âge qui avance… Je ne l'ai pas trouvé triste, ce récit, même ce qu'on pressent être la fin parce que la présence d'Anchise éclaire le texte, choisissant d'être en marge de la vie pour mieux la laisser s'écouler. La colère ne le gagne pas, la solitude est sa compagne acceptée, il vit dans un monde qu'il s'est créé et qu'il cultive, en discrétion, comme son potager, caché au milieu des herbes. Personnes ne remarque ses tomates ou ses choux mais lui sait qu'ils sont là… C'est comme ses pensées, elles ne prennent vie que pour lui…

A l'automne, le potager se vide, s'endort, disparaît, les abeilles cessent leurs danses folles… Anchise le sait et le lecteur, aussi, l'a deviné, Anchise ce n'est pas autre chose...
Commenter  J’apprécie          4914
Rupture

L'auteur nous plonge au coeur de la nuit du 2 decembre 1959..

Quand le barrage hydraulique de Malpasset céda, détruisant tout sur son passage, emportant plus de 423 habitants de la vallée, soudain " gainés de boue , méconnaissables ", dont 150 enfants , pour la plupart touchés en plein sommeil , faisant 79 orphelins .......

Elle met en scène François, un jeune homme venu d'Ugine, sa ville natale, cette cité- usine , de la sombre vallée de la Maurienne , afin de participer à la construction du barrage .

François , confiant dans le progrès social découvre ce territoire du Sud, où l'été , là- bas est vaste comme la mer .

Il aime prendre des photos avec l'appareil qu'il s'offre avec sa 1ère paie .

Quand il croise Louise Cassagne, fille d'un riche producteur fruitier, opposé à la construction du barrage, il trouve qu'elle a l'allure d'une danseuse avec ses espadrilles à lacets , ils vont au cinéma ensemble , se fréquentent ........

De santé fragile, elle part en cure et cesse de donner de ses nouvelles .

Malheureux , au printemps suivant , François aura vingt ans : la classe 55.

Très vite, il y aura " la sale guerre ", les Aurès, l'ennui, l'embuscade, la chaleur , la peur, la douleur lancinante, l'alcool, beaucoup, beaucoup d'alcool .........

L'auteur ne conte pas seulement la chronique des années d'apprentissage de François mais c'est aussi l'histoire des " Ruptures, familiale avec la disparition du pére, géographique lorsqu'il quitte sa ville, violence amoureuse douloureuse avec le silence soudain de Louise ( "ce n'est pas une fille pour toi," disait son ami René ) , .-Rupture naturelle lorsque la construction monumentale se transformera en tombeau !

Rupture aurait pu prendre un "S".

C'est un roman court à l'écriture simple , juste , mais ciselée, lumineuse comme les ciels de là- bas, où l'auteur , amoureuse de la nature, devient le porte parole de tous ces morts ensevelis , ces voix qui se sont tues, après ce bruit épouvantable, le grondement assourdissant de plus de cinquante millions de mètres cubes d'eau et l'énorme vague déferlante renversant tout sur son passage , comme dix avalanches à la fois !

Un ouvrage fort, pétri d'émotions , qui retrace cette violence , ces faits vrais , avec une grande justesse !

L'auteur est née à Ugine .



Commenter  J’apprécie          426
Anchise

Au bord d’une route qui mène au col de Nice, une poignée de maisons s’éparpille, toutes trois juchées là, au ras de la départementale .



Elles n’ont pas beaucoup d’allure, , la première aux volets toujours tirés, aux pierres déchaussées.

Habitées par de très vieilles gens, elles ont l’entêtement de leur âge: le Sasso et sa femme , la Sasso, la Thomas, veuve et Anchise le boiteux, une légère infirmité qui lui vient d’avant, tout ce qui lui reste de sa vie de vivant.



Les vieux n’ont rien choisi du tout .



Anchise est le seul à habiter là depuis toujours , plus vieux que les Sasso , plus vieux que la Thomas..

Anchise n’avait jamais pu oublier sa femme, si jeune quand il l’avait connue, si belle, si blonde qu’on l’appelait LA Blanche.... au yeux blonds , pas miel,une caresse vaporeuse, morte très jeune d’une fièvre typhoïde, alors qu’il était à la guerre.



Il vit seul , avec ses souvenirs, il porte «  sa Blanche en bandoulière » elle, son présent , son passé.

il la porte sur son dos, ses adorables seins à l’abri dans sa cage thoracique, elle fourmille dans ses doigts ,s’égosille dans sa gorge...

Anchise est une mémoire, La Blanche ne pèse plus que le poids des murmures, elle, si consentante et si altière .

La mémoire a horreur de ce qui se fige , mange, se goinfre , vieillit , elle fait feu de tout bois , cependant «  La Blanche » , grâce à elle, marche encore dans les jambes d’Anchise.



L’auteure a l’art de rendre cette morosité éblouissante, à l’aide d’une écriture magnifique, lyrique, ciselée, poétique ,sèche mais parfois d’une ampleur bienfaisante, comme parée du vernis chaud du lever du soleil au couchant ....





M. Desbiolles fait renaître l’incandescence d’une après - midi d’amour très lointaine , vivante, colorée, poétique, sensuelle , la lumière flamboyante d’un grand amour perdu autant que la douleur du deuil et de son temps étiré infiniment....



Ce livre court au style remarquable : symphonie de couleurs , d’images , beauté exquise de la nature : abeilles, campagne, étendue de pays plat et découvert, ruisseaux et rivières, fleurs fraîches , temps accumulant les vécus , les vieux, la mort , la guerre, les pierres , les campagnes oubliées, la dureté, du monde , procurent des émotions puissantes au lecteur .



Ces vieilleries confites mêlées à l’odeur «  culottée » de la mémoire sans oublier l’accomplissement morbide de la fin où Anchise a choisi de s’arrêter donnent à cet ouvrage une incroyable beauté ,à la fois intime et universelle.

Grand merci à Sabine qui m’a permise de l’emprunter à la médiathèque.

Une œuvre qui a reçu le Prix Femina en 1999.

Commenter  J’apprécie          406
Il n'y aura pas de sang versé

C'est toujours un plaisir pour moi de retrouver l'écriture de Maryline Desbiolles, une grande styliste injustement méconnue selon moi. Et voici un gros coup de coeur avec ce dernier roman paru cette année.



« Tout se passe entre 1868 et 1869, d'abord en Italie, au Piémont, puis en France, enfin da la seule vielle de Lyon. Les personnages sont essentiellement des femmes. » Ainsi commence Il n'y aura pas de sang versé, et ce récit va raconter un pan d'histoire tout à fait méconnu : la première grève officielle de femmes ouvrières sur les pentes de la Croix Rousse.



La première s'appelle Toia, elle vient du Piémont, et on lui a proposé un travail qui ne peut pas se refuser : elle ira dans un atelier à Lyon, sera logée et nourrie avec d'autres bonnes filles comme elle . On les appelle les ovalistes : elles vont garnir les bobines des moulins ovales, où l'on donne au fil grège la torsion nécessaire au tissage.

Elle va gagner un Franc quarante, 1.40 F par jour aux ovalistes, 2 F aux ouvriers moulineurs.



La seconde s'appelle Rosalie Plantavin. Elle vient de Nioun, on dira Nyons plus tard en français. Elle est tombée enceinte bien malgré elle, elle a mis son petit en pension et elle doit travailler. Elle en sait un peu plus que les autres à propos de ce fil de soie qui vient de magnaneries, et des cocons qu'il faut ensuite dévider. Elle dort sur un paillasse contre le mur du dortoir, et elle a bientôt une amie qui s'appelle Thérèse et qui vient de l'Ain, mais ni l'une ni l'autre ne connaissent la ville d'origine de l'autre ni ne sauraient la situer.



La troisième s'appelle Marie Maurier. Un peu plus petite que Rosalie et elle est bien aimable. « Marie Maurier a été embauchée chez Pichat, dans la rue Boileau qui vient d'être tracée, un petit atelier où travaillent quelques autres Marie ainsi que Suzette, Catherine, Colombe, Félicie, Julie, Rosalie, Cécile, Adèle, elle ne se souvient pas des prénoms de toutes. » Marie est de bonne humeur et va au bal public de la Rotonde des Brotteaux le dimanche.



La quatrième s'appelle Clémence Blanc, elle a les cheveux blonds, presque blancs. Elle aide Suzette Cordier, âgée de 21 ans à se présenter à l'hospice de la Charité où se présentent les futures filles-mères. L'accouchement sera difficile, l'enfant mourra à la naissance et Suzette Cordier le lendemain. Clémence demandera que Suzette soit enterrée avec son châle rose, et elle a mis des chaussons assortis pour l'enfant mort. « Clémence Blanc a de la chance, le garni où elle habite seule désormais est pourvu d'une fenêtre. »



Maryline Desbiolles utilise la métaphore de la course en relai pour parler de ses quatre femmes que le destin va bientôt réunir, et son style est magnifique.



Dans la seconde partie, elle va décrire le mouvement qui va embraser les ateliers : une certaine Philomène Rozan leur parle et leur explique qu'il n'est pas normal qu'elles soient payées moins que les hommes, pour le même travail. Les ouvrières présentent leurs doléances le 17 juin 1869, ce n'est pas la première fois que des femmes participent à des mouvements de protestation, mais cette fois-ci ce sont elles qui en ont l'initiative.

Il leur est répondu que l'administration ne peut intervenir dans des questions de travail ou de salaire. Donc on va vers la grève.



Les quatre relayeuses vont participer au mouvement. Une façon de découvrir une liberté à laquelle elles n'ont jamais été confrontées, une expression de soi qui les surprend.



Il faut dire qu'elles partent en bande, et que cela ne s'est jamais vu. Malgré les patrons, malgré la police, malgré les hommes qui désapprouvent le mouvement. Il y a des arrestations, dont Rosalie Plantavin, condamnée à six jours de prison. Elle y croisera d'autres femmes, pauvres comme elle.



Mais le sang ne sera pas versé.



La suite sera la reprise par un bureau de 12 délégués, pour s'affilier à L Association internationale des travailleurs. Mais ce sont les hommes qui prennent la parole, et ils trouvent les revendications des ouvrières bien exagérées. Seul le temps de travail restera une revendication acceptable, on tentera de faire passer à la journée à dix heures au lieu de douze.

Le 21 juillet la grève des ovalistes sera officiellement terminée.



Mais ces femmes poursuivront leurs vies, Rosalie Plantavin prendra des cours auprès d'une religieuse, Toia retournera faire l'ovaliste chez Chareyre, ira quelquefois au café des Acacias, mais mourra un peu plus tard après avoir pris froid. Marie Maurier se mariera et décidera de tout quitter pour partir en Algérie. Clémence Blanc continuera de travailler, mais obtiendra de ne travailler que dix heures par jour.



Ces femmes sont les premières héroïnes. Les combats féministes d'aujourd'hui pour une égalité de salaire entre les femmes et les hommes, toujours pas acquise, sont directement inspirés de ces toutes premières grèves.

Maryline Desbiolles, dans un style magique, a réussi une prouesse : révéler un pan de l'histoire ouvrière enterré – la voix des femmes n'a jamais vraiment compté – et donner chair et sang à quatre portraits de femmes attachantes. Une superbe leçon de vie et une bouffée de liberté : un grand coup de coeur de mon côté.


Lien : https://versionlibreorg.blog..
Commenter  J’apprécie          397
Anchise



Un court roman qui a obtenu le prix Femina 1999, et que j'ai découvert par hasard au village du livre belge de Redu ( pour anecdote, j'y ai croisé Benoît Poelvoorde!)



Un texte évoquant la désolation de la vieillesse, de la solitude, dans un hameau de l'arrière-pays niçois. Un texte pourtant de toute beauté. Un style vraiment superbe, tour à tour lapidaire, sec, et poétique, ample, enfiévré. C'est cette belle écriture particulière qui emporte le lecteur, et lui fait aborder l'histoire plombante et triste de facon plus légère.



Blanche et Anchise, quel bel amour trop tôt consumé! Leur envol dans le vent, leur fusion dans l'or des mimosas...Quelle longue attente , après la mort de sa jeune femme, pour cet homme embrasé, quelles étincelles presque éteintes, quelle folie... Tout se brouille, la mémoire, le grand âge dessèche tout. Le silence aussi, les voisins à qui il ne parle plus. A quoi bon?



Ce livre pourrait paraître empli de désespérance, il l'est, certes, mais la plume de l'auteure transfigure tout. Une découverte intéressante.
Commenter  J’apprécie          3910
Le neveu d'Anchise

Aubin est un jeune homme très attachant.

Son Grand Oncle, Anchise, était un apiculteur installé sur les hauts de Nice, tout comme toute la famille d’Aubin. Celui-ci garde un souvenir mémorable de la fois où les abeilles de son rucher avaient attaqué sa mère et lui, par un soir d’orage, sans que le Grand Oncle se décide à leur prêter main forte : il riait à gorge déployée devant le spectacle et ne voyait pas l’intérêt de lever le moindre petit doigt pour éviter l’attaque. De ce souvenir douloureux, dont Aubin conservera quelques jours un œil gonflé par une piqure d’abeille, sa mère gardera l’idée que son oncle est quelqu’un d’infréquentable, et il ne sera plus question de le revoir. Pourtant cet Anchise n’était qu’un original qui, quelques temps plus tard se suicidera en s’immolant par le feu, inconsolable de la mort de sa femme 60 ans plus tôt, une femme portant un prénom un peu désuet mais adorable : « Blanche » ….



Aubin grandit.

Entre une mère caissière et un père ripeur – on aurait pu dire aussi « agent de collecte des déchets ou bien encore éboueur, mais le père préférait ripeur, plus chic – qui les quitta tous deux du jour au lendemain, sans coup férir, et remplacé un an plus tard par un dénommé Maxence dit Maxou, avec qui Aubin ne veut rien à voir à faire.

Ça tombe bien : Maxou joue aux jeux vidéo, tandis qu’Aubin grimpe dans la colline derrière chez lui. Il habite proximité de son oncle et de sa tante : Tante Stefi est maître-chien et le beauceron qu'elle a dressé loge dans sa niche à côté de la maison, tandis que les deux jumeaux passent leur temps à se goinfrer et que l’oncle regarde des films pornos. Un cadre charmant, quoi …



Il y a peu la maison d’Anchise a été rasée. Mais juste avant Aubin trainait souvent dans la maison désaffectée, une maison tout en fouillis et dans laquelle il a déniché une trompette. L’instrument trône maintenant sur une étagère au-dessus de son lit : trouvera-t-il une occasion de l’utiliser un jour ?

La maison d’Anchise rasée, la commune décide d’y installer une déchetterie. Des déchets, il en sera question tout au long de ce récit, et c’est un des thèmes de ce récit qui révèle plein de surprises. A l’image de cet Abdel, jeune gardien de la déchetterie, qu’Aubin va rencontrer : « Adel je ne sais pas le décrire, il a des yeux jaunes, et tout est dit ». Adel va faire découvrir une musique à Aubin, une musique dont il n’a jamais entendu parler – chez lui on écoute « Chériefem » - une musique qu’il appelle Jazz. Alors Aubin fouille sur Internet et découvre l’histoire triste et belle de Chet Baker. Ce trompettiste hors norme lui donne envie de s’essayer à la trompette d’Anchise : « La trompette pourrait-elle être un leurre pour attraper Adel ? »



Je connaissais Maryline Desbiolles pour avoir lu plusieurs de ses livres, notamment « la Seiche » que je vous recommande. Elle avait déjà brossé le portrait d’Anchise dans un livre qui avait pour titre ce seul nom, « Anchise ». Ici l’autrice poursuit et fouille encore la question de la mémoire, de la transmission, des restes que nous laissons derrière nous et de cette civilisation du déchet recyclé que nous connaissons.



Et bien sûr, on croisera des migrants. Ils passeront comme des ombres sur la route qu’empruntera Aubin avec son père, et, tout comme nous le faisons, les deux hommes détourneront les yeux pour ne pas savoir ce qu’il adviendra de ses jeunes garçons, à peine plus vieux que lui, mais venus d’ailleurs.



Maryline Desbiolles excelle aussi à décrire ces zones urbaines délaissées, bien loin de Nice et de ses beaux quartiers, et ses romans pourraient être des manuels de sociologie, s’il n’y avait surtout chez elle quelque chose de très fort : le style.

Le mieux pour en rendre compte est d’en lire quelques extraits, car il relève à la fois de la poésie, de la peinture aussi, qui a touché était très importante pour Maryline Desbiolles, et qui ressort dans sa façon de décrire ses paysages que plus personne ne regarde, mais encore de la mélancolie, avec ce regard tendre qu’elle porte sur des personnages qui ont de la profondeur.



Roman initiatique, qui verra Aubin passer d’une adolescence solitaire à l’entrée dans l’âge adulte par le désir, avec un état de tension qui nous conduira jusqu’au drame final, ce « Neveu d’Anchise » est un de mes coups de cœur 2021.

Commenter  J’apprécie          382
Il n'y aura pas de sang versé

Librarie Périple 2 - Boulogne-Billancourt- 28 avril 2023



**Déjà deux mois et demi que j'ai achevé cette lecture fort émouvante !



Nous voilà plongés en plein 19e, au tournant de l'année 1868, faisant connaissance alternativement avec nos 4 "héroïnes " , Toia, Rosalie, Marie et Clémence, convergeant vers les ateliers de soierie lyonnaise où elles ont trouvé à s'employer comme « ovalistes » !



"Rien ne les destinait à se rencontrer, sinon le besoin de gagner leur vie : Toia la Piémontaise arrive à Lyon en diligence, ne sachant ni lire ni parler le français, pas plus que Rosalie Plantavin, dont l'enfant est resté en pension dans la Drôme, où sévit la maladie du mûrier. La pétillante Marie Maurier vient de Haute-Savoie. Seule Clémence Blanc est lyonnaise : elle a déjà la rage au coeur après la mort en couches de l'amie avec qui elle partageait un minuscule garni, rue de la Part-Dieu.



"C'est en juin 1869 que la révolte éclate : les maîtres mouliniers font la sourde oreille aux revendications des ouvrières qui réclament de meilleures conditions de travail et de logement. Les filles s'enhardissent, le mouvement s'amplifie ..(...)

Maryline Desbiolles imagine ses quatre personnages en relayeuses, à se passer le témoin dans une course vers la première grève de femmes connue."



Je ne connaissais rien à rien de cette première grève de" femmes soyeuses "; j'ai donc appris beaucoup...et de plus, appréciais pour la toute première fois , la prose et le style magnifiques de Maryline Desbiolles...



Une prose ciselée qui décrit en détails les conditions insensées d' exploitation de ces ouvrières de la Soie, ainsi que la conquête de leur dignité et début d'émancipation par cette première grève massive; exploit d'autant plus admirable que la majorité de ces femmes et jeunes filles étaient analphabètes !!

Les soumettre, les exploiter était d'autant plus facile.Les forts contre les faibles, sans parler , en sus, de l'inégalité des salaires entre ceux des femmes et ceux des hommes !!!



"En attendant, toute la semaine, debout douze heures par jour, elles veillent jusqu'à sept heures du soir sur les moulins dont elles garnissent et dégarnissent les bobines, vérifient la qualité de la soie, nouent et dénouent les fils cassés.Nul besoin de qualification. Toia, si brave, si pleine de bonne volonté comme l'a dit monsieur le curé, Toia fait tout de suite l'affaire.Et puis dans son pays où les moulins sont ronds et non ovales, et puis dans son pays, on l'a appris, elle gagnerait deux fois moins que les femmes françaises qui gagnent bien moins que les quelques hommes qui ont la même tâche et ne s'appellent pas des ovalistes mais des ouvriers moulineurs.Un franc quarante,

1,40 F par jour aux ovalistes, 2F aux ouvriers moulineurs.

Femmes sans qualification. Femmes sans qualités. Ovalistes. Les mots dépassent la petitesse de la paie comme de la pensée. "



Il me reste à faire connaissance avec d'autres écrits de Maryline Desbiolles dont j'ai amplement " savouré " l'élégance de la plume !



Commenter  J’apprécie          290
Vallotton est inadmissible

Emprunté début avril 2023 à la Bibliothèque Buffon- Paris.





Une lecture des plus imprévues, dénichée en fouinant dans les rayonnages...pour me récompenser comme chaque fois, de mes heures studieuses, achevées !!!



Texte très bref... mais combien dense et déroutant.... Il est certain que je ne regarderai plus une toile de Bonnard , de la même façon....après cette lecture....



Ecrit lapidaire et percutant, tant par les descriptions des réactions de l'auteure devant les oeuvres de Vallotton,que par les notes sur la personnalité de l'artiste: en un mot : INCLASSABLE , tant dans sa peinture que dans son caractère !!



Deux extraits choisis pour illustrer cette brève chronique...



"Vallotton et le mot violence qu'il soulève en moi. Mais une violence sans gesticulations, sans cris. Une violence contenue dans le trait qui parfois cerne les figures, dans les couleurs, poussées à bout, dans leur brutale juxtaposition. Car il s'agit de refuser avec la dernière fermeté le flou, les jeux diplomatiques pour passer d'un ton à l'autre, les négociations, les entremises doucereuses."



" Il ne faut pas perdre de vue que Vallotton a été anarchiste, dreyfusard de la première heure comme il a été nabi, c'est-à-dire d'avant-garde, contre la peinture académique-son surnom " de guerre" était "le nabi étranger" ( étranger même aux nabis ?)- Il ne faut pas perdre de vue que Vallotton a été, qu'il est rebelle, qu'il exècre la bourgeoisie. (...)

Vallotton exècre la bourgeoisie qu'il épouse, il exècre au fond sa propre espèce, sa propre engeance, il n'aura pas d'enfants."
Commenter  J’apprécie          284
La seiche

Lu dans le cadre de la prochaine rencontre du club-lecture auquel j'appartiens, j'avoue qu'en commençant ce livre, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre et d'un côté, tant mieux car, au moins je n'ai pas été déçue. Eh oui, comme vous l'aurez compris, je n'ai pas du tout accrochée avec cet ouvrage, trouvant les phrases bien souvent trop longues (j'ai horreur de cela...enfin, cela dépend dans quelles circonstances bien sûr) et le thème du livre sans grand intérêt.



Une femme, que l'on suppose avoir la quarantaine (simple déduction puisque lorsqu'elle se décrit, elle fais allusion à l'apparition de ses premiers cheveux blancs), seule, prépare pour ses amis un dîner. A menu : des sèches farcies ! Elle n'est pas très sûre que ce soit des sèches ou des calmars (des calamars, si vous préférez, les deux termes sont exacts comme elle le dit elle-même), voire des encornets. Elle nous décrit donc les douze étapes qui vont l'amener à la préparation de ladite Sèche, au cours desquelles elle se met à se remémorer des souvenirs d'enfance, lorsque sa vieille voisine d'enfance qu'elle se plaît à appeler sa marraine, en référence à l'histoire de Cendrillon, cuisinait et qu'elle se glissait dans sa cuisine.

Pour elle, ce dîner est un vrai défi (et j'avoue que pour moi aussi, défi réussi pour moi puisque je suis allée au bout de ce livre mais qu'en sera-t-il du sien ?).



Un livre très court et très vite lu, et même si je dois reconnaître qu'il est bien écrit, ce fut pour moi une lecture très ennuyeuse. Mais tous les goûts étant dans la nature (et heureusement), je vous invite à le découvrir pour me dire ce que vous en avez pensé !

Commenter  J’apprécie          260
Anchise

Désespérant et désespéré, désespérement bien écrit.

Au-dessus de Nice. 12 km ce n'est pas beaucoup comme distance et pourtant. Au bord de la départementale trois maisons se serrent les unes contre les autres. Bien sûr vous ne les avez pas vues ces maisons ou si vous les avez remarquées pour vous elles sont abandonnées. Pourtant ils sont quatre à y vivre. Quatre petits vieux, octogénaires, la Thomas veuve depuis déjà longtemps, venue de l'autre côté de la Méditerranée, les Sasso les plus récemment arrivés et Anchise qui est né dans cette maison, y a passé sa vie et y mourra. Anchise qui a perdu sa femme Blanche voilà si longtemps et vit plongé dans le passé.

La plume de Maryline Desbiolles est une pure merveille mais qu'il m'a été difficile d'affronter la tristesse qui suinte au fil des pages ...

Prix Fémina 1999.
Commenter  J’apprécie          250
Rupture



Maryline Desbiolles revisite la tragédie de Malpasset (1959).

Elle retrace la construction du barrage, le quotidien de deux jeunes ouvriers fiers d'y participer. Ils ont quitté leur usine sombre d'Ugine pour travailler «  à ciel couvert », la pénibilité compensée par la liberté, la «  pleine lumière », la beauté de la vallée rose. Une idylle naissante transcende François, mais le voici envoyé en Algérie.



Un récit qui interroge sur la pérennité d 'un « ouvrage d'art », sa solidité, ainsi que sur les responsabilités dans ce drame. Roman, basé sur les contrastes, hanté par le spectre du père disparu, des victimes .

L'eau omniprésente dans tous ses états : ça suinte, ruisselle, jaillit, cascade. L'inquiétude grandit,soudain une vision d'apocalypse !



Par une écriture nerveuse, cinématographique,un style anaphorique,l'auteure rend avec réalisme l' intensité de l'indicible. On ferme le livre, pourtant saturé de couleurs, plongé dans le noir comme au début,hébété, abasourdi par ce bruit terrifiant de la déferlante qui balaye tout, mêlé aux hurlements, au tocsin.

Une lecture qui provoque un vrai tsunami émotionnel devant ce paysage de désolation. Prégnant. Déchirant mais teinté de poésie.
Commenter  J’apprécie          212
Il n'y aura pas de sang versé

Maryline Desbiolles s'est emparée d'un évènement assez peu connu pour en faire le centre de son roman : la grève des ovalistes à Lyon en 1868.

Evénement peu connu mais qui est en réalité la première manifestation et grève de femmes.

Une ovaliste est une femme qui travaille dans les ateliers de soierie lyonnaise . Elles garnissent les bobines des moulins ovales afin de donner au fil grège la torsion nécessaire au tissage.

Elles sont plus de 2 500 ovalistes à travailler dans la soierie lyonnaise.

Ces ovalistes venaient de toute la région depuis l'Ain, l'Ardèche, la Drôme, les Savoie et jusqu'au Piémont Italien. Venir est un terme édulcoré. "Les soyeux " allaient chercher ces jeunes femmes illettrées dans les territoires reculés pour en faire une main d'œuvre bon marché vivant dans la misère.

Maryline Desbiolles va suivre quatre d'entre elles : Toia la piémontaise, Rosalie Plantavin de Nyons dans la Drôme, Marie Maurier de Haute Savoie et Clémence Blanc qui est lyonnaise.

C'est le point fort du roman : avoir personnalisé cette foule d'ovalistes à partir de ces quatre personnages. Cela donne force et réalité.

Malheureusement l'écriture de Maryline Desbiolles est difficile car faite de répétitions comme si il fallait enfoncer le clou pour mieux se faire comprendre.

De même pour le découpage du roman et la métaphore qu'en fait l'autrice.

Les quatre ovalistes sont comparées à des relayeuses sur un stade, dans l'ovale de la cendrée. Un chapitre est consacré à chaque relayeuse sans que cette description apporte un plus au roman.

Reste de ce roman la grève des ovalistes , la condition féminine, la connaissance de la soeirie lyonnaise. Un roman documentaire sur les années 1868/ 1869 à Lyon chez les soyeux et les ovalistes.

Le destin de Toia, Rosalie, Marie ou Clémence nous a t il bouleversé ?

Pas vraiment et c'est dommage.
Lien : http://auxventsdesmots.fr
Commenter  J’apprécie          200
Le Goinfre

Un homme fuit en voiture jusqu’à Bari, au sud de l’Italie Là, tous les gens qu’il côtoie lui rappellent des gens de sa vie d’avant.

L’écriture est belle, intelligente, tout sauf niaise.

Par contre l’histoire est un peu alambiquée, il faut beaucoup de temps pour voir où l’auteur veut en venir.

Je vois que Maryline Desbioles a publié un livre presque chaque année.

J’en retenterai peut-être un autre, juste pour le charme de l’écriture.

Commenter  J’apprécie          200
Il n'y aura pas de sang versé

Un court roman sur le destin de quatre femmes ouvrières dans des ateliers de soieries à Lyon en 1868. Lentement la gronde s'installe et chacune entrera dans le mouvement de grève.

Trop court pour véritablement s'installer dans l'histoire et s'attacher aux personnages. L'écriture est belle et rythmée.
Commenter  J’apprécie          190
Primo

Maryline Desbiolles nous raconte l'histoire de la branche italienne de sa famille, originaire de Villa de Tresana en Toscane, « mais pas celle des tableaux, la Toscane irreprésentable, trop sombrement verte, la Toscane des forêts de châtaigniers,... ». Ses grands-parents maternels, fuyant la misère comme beaucoup d'italiens à cette époque, sont venus trouver du travail en France. Ils se sont installés à Ugine, en Savoie. L'auteur mêle l'histoire familiale qui lui a été racontée par sa grand-mère à ses propres souvenirs quand elle venait de Nice passer des vacances chez ses grand-parents. Il sera surtout question de ses trois oncles, Primo (le premier né), Renato Romano (appelé René par la suite) et Jean-Claude. Primo, celui qui donne son nom au livre, aura un destin aussi mystérieux que tragique mais la vie des deux autres en sera bouleversée.



J'ai retrouvé avec grand bonheur la manière d'écrire de Maryline Desbiolles, que j'avais déjà adorée dans "La sèche", faite de petits détails savamment cousus entre eux et qui en disent long, qui laissent entendre des joies et des peines (ici, plus de peines que de joies) mais aussi du courage, de l'espoir, l'attachement aux paysages de l'enfance, la force et l'importance des souvenirs. Un souffle qui fait du bien.
Commenter  J’apprécie          193
Lampedusa

Ce petit livre (même pas 80 pages) c’est comme un poème ou un rêve. Le narrateur dérive dans son enfance, dans ses souvenirs de Lampedusa, des gens qu’elle rencontre. Un beau texte très bien écrit .
Commenter  J’apprécie          150
Le beau temps

J’ai reçu le livre de Maryline Desbiolles dans le cadre d’une masse critique. Je n’en connaissais pas le sujet, et en lisant la quatrième de couverture, j’avoue avoir été hésitant à me lancer dans la lecture.

Une fois mon hésitation vaincue, le livre de Maryline Desbiolles s’est révélé passionnant, attachant et profond.



Passionnant, parce qu’il nous révèle la vitalité des années de l’entre deux guerres, dans la ville de Nice et à Paris, foisonnantes de personnages qui ont donné à la culture française une dimension universelle pour ne pas dire internationale, en explorant des domaines nouveaux.



Attachant parce qu’en nous racontant le parcours d’un compositeur de musique de films originaire de Nice, Maurice Jaubert, Maryline Desbiolles re-situe ce récit dans ce qu’est Nice aujourd’hui, le Nice qu’elle connait, dans lequel elle se lance sur les traces de Jaubert.



Profond parce qu’il va au-delà d’une simple biographie et nous interroge sur la relation que nous avons aux lieux, à leur histoire et à l’histoire de ceux qui nous ont précédés dont nous sommes quelque part les héritiers.



Maurice Jaubert est un jeune homme de bonne famille. Enfant, il partage les mêmes jeux que les enfants Renoir. Un père avocat et tout à la fois musicien et chansonnier l’amène à choisir le barreau, il devient le plus jeune avocat de France en 1919, mais ne néglige pas pour autant la musique dont assez rapidement il envisage d’embrasser la carrière.

«(...)devenir musicien est pour lui aussi envisageable et aussi difficile que parvenir au somme des monts Gelas ou Argentera (3297 mètres), les plus hauts du Mercantour.»

«Pour Maurice Jaubert la musique et la foi sont étroitement mêlées. L’une et l’autre sont d’accès difficile et réclament l’ascèse.»

L’autre passion de Maurice est la mer. «On ne peut guère oublier la mer. Elle sous-tend la musique de Jaubert et mon penchant pour elle.»

Nice est alors un lieu de villégiature pour de grands compositeurs : « Berlioz, Wagner, Massenet ou Fauré qui en 1911 inaugure la nouvelle salle de l’Artistique et accueille Camille Saint Saëns en récital. Stravinsky réside quelques années à Nice où il compose intensément.»

C’est ce Nice là qui a fait Maurice Jaubert.

Après avoir suivi l’enseignement d’Adeline Bailet au conservatoire de la ville, il en obtient à 16 ans le premier premier prix, en même temps que son baccalauréat.

A Paris, il est surveillant à l’Institut Bossuet. Il correspond presque chaque jour avec sa mère, Haydée. Il est membre actif du cercle Montalembert et fréquente Mounier, le fondateur de la future revue Esprit.

«Les jeunes gens de sa trempe et de sa génération méprisent les carrières (...) ils préfèrent la grâce du renoncement à «l’amour éperdu de la sécurité et du bonheur.» Mounier dira «la grâce du renoncement et de l’engagement pour le spirituel.»

Il épouse Marthe Bréga - «(...) une jeune femme pétulante, belle, séductrice, fantasque(...) un antidote à la tristesse sévère d’Haydée.» - le 5 octobre 1926, en l’église de la Trinité à Paris dans le 9ème arrondissement. Son témoin est Maurice Ravel.

Albert Groz, Jean Gremillon, Marcel Delannoy, Arthur Honneger, sont ses compagons de l’époque.

Il travaille pour la maison Pleyel,

A la façon d’une détective, Maryline Desbiolles nous entraine à la chasse aux indices et nous rend familier de Jaubert. En la lisant, nous n’ignorons plus rien de son parcours, de son séjour en Algérie, de sa correspondance, de son apparence, de ses craintes, de ses espérances, de ses questionnements.

Rien ne lui échappe. Rien ne nous échappe. Nous devenons familier de Jaubert.



Maryline Desbiolles nous parle de Jaubert, plus qu’elle n’écrit sur lui, ou du moins écrit-elle en nous en parlant à la façon d’une amie impatiente de nous faire partager sa découverte du musicien.

Sans prêter attention, dans un premier temps, à la chronologie des faits, mais en nous entrainant dans le cheminement de sa pensée et dans l’avalanche de sentiments qu’il lui inspire.

Cela commence par son intervention auprès des élèves du collège Maurice Jaubert à Nice :

«Je ne sais pas qui est Maurice Jaubert. Je ne sais pas qu’il est un compositeur de musique et qu’il est né à Nice, ce qui vaut à son nom d’apparaître sur la façade d’un collège qui est niçois et qui l’est si peu.»

Elle fouille le passé de Maurice - «Je trouve l’acte de naissance de Maurice Jaubert, Fascinants papiers officiels, Leur trop plein de réalité m’éclate à la figure.» «Maurice Jaubert a vingt ans.(...)Il est sapeur de deuxième classe au 7ème Génie d’Avignon. Je déniche même son numéro matricule : 2777.» - le relie à son présent. Elle regarde une fois de plus La chambre verte de Truffaut dont elle nous apprends qu’il admire Jaubert depuis qu’il a entendu les illustrations musicales de ce dernier pour les films de Vigo, L’Atalante et Zéro de conduite.



L’écriture de Desbiolles est invasive, une écriture insistante, répétitive, elle ne laisse pas le lecteur indifférent.

En lisant le dernier paragraphe de la page dix-neuf, j’éprouve le besoin de re-visionner le DVD de la chambre verte. Un film que j’ai vu à sa sortie. Je n’avais pas prêté attention aux crédits musicaux de la bande annonce. Mais comme Maryline Desbiolles, je cherche le nom de Jaubert au générique. Il y figure effectivement. Ce nom qui ne m’a rien inspiré alors, devient, à la lecture de ce livre, un nom signifiant.



Je ne peux plus dès lors ignorer l’existence Jaubert, de son Nice, de ses amis, de ses parents, de son apport à la musique de film, de ses engagements, du Front Populaire, de la guerre.



Maryline Desbiolles, à l’instar de Julien Davenne pour ses morts, personnage principal de La chambre verte, joué par Truffaut lui-même, construit une passerelle entre nous et Jaubert :

«je marche avec Maurice Jaubert. Je soulève des pierres; Dessous, quelquefois, se cache un menu trésor. J’avance ainsi, sans dessein, en m'accroupissant de temps à autre pour scruter des brimborions révélés par la lumière.»

«Un soir du 15 aout, je suis sur la plage de Nice pour regarder les feux d’artifice tirés depuis la mer. A côté de moi, des touristes, mais aussi des familles niçoises venues notamment des quartiers périphériques. Une grosse dame voilée et ses trois enfants âgés de cinq à dix ans portent sur la tête des petites cornes clignotantes.»

Le Nice de Maurice Jaubert, celui qu’elle interroge, existe-t-il toujours ?

«Qu’est-ce que Maurice Jaubert a entendu de Nice, de la plage, des montagnes, quels sons les paysages ont-ils plantés en lui ?»

La démarche de Maryline Desbiolles est comparable à celle de Agata Tuszynska, la biographe de Singer, dans son ouvrage «Les paysages de la mémoire». (Les personnages de Singer sont des ombres, qu'une imagination affutée peut encore croiser dans les rues de Varsovie désormais refaite à l'identique de ce qu'elle avait été avant sa destruction).

En interrogeant les lieux et leurs occupants, parviendrais-je à faire revivre ceux qui n’y vivent plus ?

«Un type lave sa voiture dans la rue, je lui demande s’il connait la villa Mektoub, il me répond plutôt sèchement qu’il n’y a pas de Mektoub ici, mektoub, le destin de l’homme fixé par Dieu, le fatum, en arabe (est-ce Maurice qui a trouvé le nom ? Bien entendu, j’ai tendance à le penser) (...) La villa ne s’appelle plus Mektoub mais le Clos Marjac. (...) Mais la villa, son ventre clos, ne me dit rien. Privée de son nom des Mille et Une Nuits, elle est muette.»



La ville de Nice est la Méditerranée sont les autres personnages du roman. Son titre, Le beau temps, en atteste. C’est une Nice, loin de la Nice actuelle, qu’il nous est donnée de connaître :

(en 1936) «Nice n’est pas en reste, le 3 mai, vingt-mille Niçois étaient descendus dans la rue pour fêter la victoire du rassemblement populaire et ses trois députés élus dont Virgile Barel, grand figure du communisme alors très implanté à Nice.»

L’opposition entre le Nord et le Sud est l’un des thèmes qui traversent le roman. Jaubert ne se définit-il pas lui même à Paris comme un «Ouistiti tropical», tournant en dérision ce que les Parisiens pensent des gens du Sud ?

Et Maryline Desbiolles d’abonder dans ce sens : «Je me souviens d’une amie niçoise, très brillante, à qui le jury d’agrégation avait reproché le bronzage.»



Maryline Desbiolles s’interroge, à la page 63 :

«Comment se tenir près de Jaubert et ne pas faire corps avec lui ? Comment ne pas se fondre dans ses lettres et plus encore dans sa musique sans plus ajouter un seul, un traitre mot ? Comment s’engager toute entière dans cette histoire et en même temps tenter de décoller, tenter de dégager une épaule, deux épaules, le torse, comment prendre la tangente ? En somme, comment ne pas assujettir Maurice Jaubert ? Comment ne pas en faire mon sujet ? Comment le laisser libre et, ce qui va de pair, comment rester libre moi-même ?»



Au terme de la lecture, je serai tenté de dire, moi l’humble lecteur, qu’elle y est parvenue, elle nous a restitué Maurice Jaubert, en nous permettant de mettre un nom, une histoire, sur ce musicien (relégué au second plan par des images, des acteurs, des dialogues), qui fut à l’origine de sentiments que nous avons éprouvés sans prêter attention à celui qui en était à l’origine.





Le travail musical de Maurice Jaubert m'a inspiré un quiz :

http://www.babelio.com/quiz_resultats.php?q=15722&scores=1
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
Commenter  J’apprécie          140
Il n'y aura pas de sang versé

Un petit livre de 150 p, assurément du style et une belle écriture mais dont on aurait pu en attendre plus.



1868, Lyon, les ateliers de soieries et la première grève des femmes.



Bémols.



Maryline Desbiolles construit son histoire autour de 4 jeunes femmes et imagine une course de relais pour un supposé lien. Ce stratagème pourra plaire à certains, en ce qui me concerne plutôt non, cette démarche me paraît inutile, curieuse les courses de relais existaient elles en ce temps là et porteuse de confusion, décrire des jeunes femmes misérabilis et les imaginer en tenue fluo courant aux jeux olympiques, cela ne colle pas trop.



Zola était contemporain de Germinal, ici, les descriptions à l'aune d'aujourd'hui sont elles véridiques ou une extrapolation de ce que l'auteur en imagine. De même du fait du décalage temporel quel crédit accorder au jugement présent sur les choses du passé. Les excès wokistes sauf pour ceux qui y adhèrent en sont une illustration discutable.



Bien que ne s'agissant pas d'un livre d'histoire, j'aurais aimé plus de développements historiques.



La Savoie, française et comment l'est elle devenue.

Marx, Proudhon et Bakounine, à peine évoqués auraient mérité une plus ample évocation.

La grève son déroulement, un peu trop succinct. Idem pour les détours en prison et les peines aberrantes pour un vol de paires de ciseaux, on est loin des rallyes scooters dans les ruelles de banlieue et d'ailleurs.



Le titre, il n'y aura pas de sang versé ? Pourquoi, il aurait fallu ?



Les quatre relayeuses bien que travaillant dans un atelier de soierie, elles ne sont pas assez étoffées.



Enfin, la gente masculine, peu présente et pourquoi la limiter aux piliers voyeurs de café.



Il n'y aura pas de sang versé.



Assurément du style et une belle écriture.

Un éclairage d'un épisode inconnu de l'histoire de France.

Des bémols sur lesquels j'ai dû un peu trop appuyer.

150 p de plus n'auraient pas été un luxe.



La phrase de la fin ainsi que j'aime à les citer.

Pour ne pas se faire remarquer, elle se retient de courir, de traverser le musée en courant et de porter la nouvelle, de porter en elle, avec la jeune fille douce et grave, une joie qui ne mourra jamais.



Traduction. Hommage au passé et aux disparues, et confiance en l'avenir

Beau programme.
Commenter  J’apprécie          120




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Maryline Desbiolles (543)Voir plus

Quiz Voir plus

Musique d'écran, Musique des grands !

Quel réalisateur, icône de de la nouvelle vague, a choisi une musique de Maurice Jaubert pour accompagner un film (avec Nathalie Baye et Antoine Vitez) réalisé en 1978, d'après trois nouvelles de Henry James ? La femme de Gérard Mazet vient de décéder. Julien Davenne est arrivé dans l'est de la France pour le réconforter, mais lui-même vit un véritable drame : il est veuf, vit avec une gouvernante et Georges, un enfant sourd et muet à qui il apprend à parler. Dans cette même maison, où il abrite sa solitude, il a aménagé une chambre entièrement consacrée au souvenir de sa femme Julie.

Jean-Luc Godard
Claude Lelouch
François Truffaut
Jules Dassin
Jacques Rivette
Eric Rohmer

12 questions
9 lecteurs ont répondu
Thème : Le beau temps de Maryline DesbiollesCréer un quiz sur cet auteur

{* *}