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EAN : 9782848054780
152 pages
Sabine Wespieser (02/03/2023)
3.56/5   110 notes
Résumé :
Au tournant de l’année 1868, elles sont quatre très jeunes femmes à converger vers les ateliers de soierie lyonnaise où elles ont trouvé à s’employer : « ovalistes », elles vont garnir les bobines des moulins ovales, où l’on donne au fil grège la torsion nécessaire au tissage.
Rien ne les destinait à se rencontrer, sinon le besoin de gagner leur vie : Toia la Piémontaise arrive à Lyon en diligence, ne sachant ni lire ni parler le français, pas plus que Rosali... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Le fil de soie grège ne peut être tissé directement. Il faut le rendre plus résistant en le moulinant, c'est-à-dire en lui faisant subir une torsion avant de l'enrouler sur les bobines de moulins rendus plus performants par leur forme ovale. Au milieu du XIXe siècle, cette opération emploie des milliers d'ouvrières en France, dont beaucoup dans la région lyonnaise où on les appelle les ovalistes. Sans qualification, elles travaillent douze heures par jour, sont payées à la pièce bien moins cher que leurs homologues masculins, et comme on les recrute dans les campagnes environnantes et même jusqu'au Piémont, elles s'entassent dans des dortoirs insalubres et surpeuplés, totalement assujetties au strict règlement de leurs « usines-pensionnats ». A l‘été 1869, ces filles illettrées, qui se voient contraintes d'avoir recours à un écrivain public pour exposer leurs revendications, se mettent en grève, réclamant un meilleur salaire et un temps de travail réduit. C'est la première grève de femmes connue. Elle va durer un mois, se solder par des emprisonnements et des expulsions des ateliers-dortoirs, avant que le travail ne reprenne sans aucune avancée significative. Elle marque cependant l'histoire d'une pierre blanche, celle qui inaugure la longue lutte dont les femmes se sont passé le relais jusqu'à aujourd'hui pour l'amélioration progressive de leur condition.


Cette image du passage de relais entre les femmes s'est si bien imposée à l'auteur lorsqu'elle s'est intéressée à la grève des ovalistes qu'elle en a fait le fil conducteur de son roman. Soif d'émancipation, prise de conscience de leur sororité face à la toute-puissance des hommes et des employeurs qui les traitent en « bonnes filles » modestes et dociles : sans violence ni sang versé, avec la seule calme détermination née d'un trop-plein d'injustice et de servitude silencieuse, ces femmes sont les premières, non pas à se révolter, mais à en prendre l'initiative. Ce sont elles qui s'autorisent enfin à ne plus courber l'échine. Et même si elles n'obtiennent pas gain de cause, elles sont des pionnières qui ouvrent à leurs semblables, femmes de leur temps ou des générations à venir, le long chemin du féminisme. Alors, à cette troupe en jupons perdue dans l'oubli incolore de l'anonymat, Maryline Desbiolles a choisi de prêter quatre visages imaginés comme en technicolor, leur redonnant chair et vie en quelques scènes croquées sur le vif, et insistant sur la sororité des femmes par-delà les siècles.


Jonglant avec les mots et les images dans une langue courant comme une rivière en longs rubans de phrases non dénuées de poésie, l'écrivain met l'originalité, probablement clivante, de son style au service d'un roman social et féministe, construit sur un fait historique oublié pour mieux nous inviter à reprendre le flambeau de la lutte.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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C'est toujours un plaisir pour moi de retrouver l'écriture de Maryline Desbiolles, une grande styliste injustement méconnue selon moi. Et voici un gros coup de coeur avec ce dernier roman paru cette année.

« Tout se passe entre 1868 et 1869, d'abord en Italie, au Piémont, puis en France, enfin da la seule vielle de Lyon. Les personnages sont essentiellement des femmes. » Ainsi commence Il n'y aura pas de sang versé, et ce récit va raconter un pan d'histoire tout à fait méconnu : la première grève officielle de femmes ouvrières sur les pentes de la Croix Rousse.

La première s'appelle Toia, elle vient du Piémont, et on lui a proposé un travail qui ne peut pas se refuser : elle ira dans un atelier à Lyon, sera logée et nourrie avec d'autres bonnes filles comme elle . On les appelle les ovalistes : elles vont garnir les bobines des moulins ovales, où l'on donne au fil grège la torsion nécessaire au tissage.
Elle va gagner un Franc quarante, 1.40 F par jour aux ovalistes, 2 F aux ouvriers moulineurs.

La seconde s'appelle Rosalie Plantavin. Elle vient de Nioun, on dira Nyons plus tard en français. Elle est tombée enceinte bien malgré elle, elle a mis son petit en pension et elle doit travailler. Elle en sait un peu plus que les autres à propos de ce fil de soie qui vient de magnaneries, et des cocons qu'il faut ensuite dévider. Elle dort sur un paillasse contre le mur du dortoir, et elle a bientôt une amie qui s'appelle Thérèse et qui vient de l'Ain, mais ni l'une ni l'autre ne connaissent la ville d'origine de l'autre ni ne sauraient la situer.

La troisième s'appelle Marie Maurier. Un peu plus petite que Rosalie et elle est bien aimable. « Marie Maurier a été embauchée chez Pichat, dans la rue Boileau qui vient d'être tracée, un petit atelier où travaillent quelques autres Marie ainsi que Suzette, Catherine, Colombe, Félicie, Julie, Rosalie, Cécile, Adèle, elle ne se souvient pas des prénoms de toutes. » Marie est de bonne humeur et va au bal public de la Rotonde des Brotteaux le dimanche.

La quatrième s'appelle Clémence Blanc, elle a les cheveux blonds, presque blancs. Elle aide Suzette Cordier, âgée de 21 ans à se présenter à l'hospice de la Charité où se présentent les futures filles-mères. L'accouchement sera difficile, l'enfant mourra à la naissance et Suzette Cordier le lendemain. Clémence demandera que Suzette soit enterrée avec son châle rose, et elle a mis des chaussons assortis pour l'enfant mort. « Clémence Blanc a de la chance, le garni où elle habite seule désormais est pourvu d'une fenêtre. »

Maryline Desbiolles utilise la métaphore de la course en relai pour parler de ses quatre femmes que le destin va bientôt réunir, et son style est magnifique.

Dans la seconde partie, elle va décrire le mouvement qui va embraser les ateliers : une certaine Philomène Rozan leur parle et leur explique qu'il n'est pas normal qu'elles soient payées moins que les hommes, pour le même travail. Les ouvrières présentent leurs doléances le 17 juin 1869, ce n'est pas la première fois que des femmes participent à des mouvements de protestation, mais cette fois-ci ce sont elles qui en ont l'initiative.
Il leur est répondu que l'administration ne peut intervenir dans des questions de travail ou de salaire. Donc on va vers la grève.

Les quatre relayeuses vont participer au mouvement. Une façon de découvrir une liberté à laquelle elles n'ont jamais été confrontées, une expression de soi qui les surprend.

Il faut dire qu'elles partent en bande, et que cela ne s'est jamais vu. Malgré les patrons, malgré la police, malgré les hommes qui désapprouvent le mouvement. Il y a des arrestations, dont Rosalie Plantavin, condamnée à six jours de prison. Elle y croisera d'autres femmes, pauvres comme elle.

Mais le sang ne sera pas versé.

La suite sera la reprise par un bureau de 12 délégués, pour s'affilier à L Association internationale des travailleurs. Mais ce sont les hommes qui prennent la parole, et ils trouvent les revendications des ouvrières bien exagérées. Seul le temps de travail restera une revendication acceptable, on tentera de faire passer à la journée à dix heures au lieu de douze.
Le 21 juillet la grève des ovalistes sera officiellement terminée.

Mais ces femmes poursuivront leurs vies, Rosalie Plantavin prendra des cours auprès d'une religieuse, Toia retournera faire l'ovaliste chez Chareyre, ira quelquefois au café des Acacias, mais mourra un peu plus tard après avoir pris froid. Marie Maurier se mariera et décidera de tout quitter pour partir en Algérie. Clémence Blanc continuera de travailler, mais obtiendra de ne travailler que dix heures par jour.

Ces femmes sont les premières héroïnes. Les combats féministes d'aujourd'hui pour une égalité de salaire entre les femmes et les hommes, toujours pas acquise, sont directement inspirés de ces toutes premières grèves.
Maryline Desbiolles, dans un style magique, a réussi une prouesse : révéler un pan de l'histoire ouvrière enterré – la voix des femmes n'a jamais vraiment compté – et donner chair et sang à quatre portraits de femmes attachantes. Une superbe leçon de vie et une bouffée de liberté : un grand coup de coeur de mon côté.

Lien : https://versionlibreorg.blog..
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Librarie Périple 2 - Boulogne-Billancourt- 28 avril 2023

**Déjà deux mois et demi que j'ai achevé cette lecture fort émouvante !

Nous voilà plongés en plein 19e, au tournant de l'année 1868, faisant connaissance alternativement avec nos 4 "héroïnes " , Toia, Rosalie, Marie et Clémence, convergeant vers les ateliers de soierie lyonnaise où elles ont trouvé à s'employer comme « ovalistes » !

"Rien ne les destinait à se rencontrer, sinon le besoin de gagner leur vie : Toia la Piémontaise arrive à Lyon en diligence, ne sachant ni lire ni parler le français, pas plus que Rosalie Plantavin, dont l'enfant est resté en pension dans la Drôme, où sévit la maladie du mûrier. La pétillante Marie Maurier vient de Haute-Savoie. Seule Clémence Blanc est lyonnaise : elle a déjà la rage au coeur après la mort en couches de l'amie avec qui elle partageait un minuscule garni, rue de la Part-Dieu.

"C'est en juin 1869 que la révolte éclate : les maîtres mouliniers font la sourde oreille aux revendications des ouvrières qui réclament de meilleures conditions de travail et de logement. Les filles s'enhardissent, le mouvement s'amplifie ..(...)
Maryline Desbiolles imagine ses quatre personnages en relayeuses, à se passer le témoin dans une course vers la première grève de femmes connue."

Je ne connaissais rien à rien de cette première grève de" femmes soyeuses "; j'ai donc appris beaucoup...et de plus, appréciais pour la toute première fois , la prose et le style magnifiques de Maryline Desbiolles...

Une prose ciselée qui décrit en détails les conditions insensées d' exploitation de ces ouvrières de la Soie, ainsi que la conquête de leur dignité et début d'émancipation par cette première grève massive; exploit d'autant plus admirable que la majorité de ces femmes et jeunes filles étaient analphabètes !!
Les soumettre, les exploiter était d'autant plus facile.Les forts contre les faibles, sans parler , en sus, de l'inégalité des salaires entre ceux des femmes et ceux des hommes !!!

"En attendant, toute la semaine, debout douze heures par jour, elles veillent jusqu'à sept heures du soir sur les moulins dont elles garnissent et dégarnissent les bobines, vérifient la qualité de la soie, nouent et dénouent les fils cassés.Nul besoin de qualification. Toia, si brave, si pleine de bonne volonté comme l'a dit monsieur le curé, Toia fait tout de suite l'affaire.Et puis dans son pays où les moulins sont ronds et non ovales, et puis dans son pays, on l'a appris, elle gagnerait deux fois moins que les femmes françaises qui gagnent bien moins que les quelques hommes qui ont la même tâche et ne s'appellent pas des ovalistes mais des ouvriers moulineurs.Un franc quarante,
1,40 F par jour aux ovalistes, 2F aux ouvriers moulineurs.
Femmes sans qualification. Femmes sans qualités. Ovalistes. Les mots dépassent la petitesse de la paie comme de la pensée. "

Il me reste à faire connaissance avec d'autres écrits de Maryline Desbiolles dont j'ai amplement " savouré " l'élégance de la plume !

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Maryline Desbiolles s'est emparée d'un évènement assez peu connu pour en faire le centre de son roman : la grève des ovalistes à Lyon en 1868.
Evénement peu connu mais qui est en réalité la première manifestation et grève de femmes.
Une ovaliste est une femme qui travaille dans les ateliers de soierie lyonnaise . Elles garnissent les bobines des moulins ovales afin de donner au fil grège la torsion nécessaire au tissage.
Elles sont plus de 2 500 ovalistes à travailler dans la soierie lyonnaise.
Ces ovalistes venaient de toute la région depuis l'Ain, l'Ardèche, la Drôme, les Savoie et jusqu'au Piémont Italien. Venir est un terme édulcoré. "Les soyeux " allaient chercher ces jeunes femmes illettrées dans les territoires reculés pour en faire une main d'oeuvre bon marché vivant dans la misère.
Maryline Desbiolles va suivre quatre d'entre elles : Toia la piémontaise, Rosalie Plantavin de Nyons dans la Drôme, Marie Maurier de Haute Savoie et Clémence Blanc qui est lyonnaise.
C'est le point fort du roman : avoir personnalisé cette foule d'ovalistes à partir de ces quatre personnages. Cela donne force et réalité.
Malheureusement l'écriture de Maryline Desbiolles est difficile car faite de répétitions comme si il fallait enfoncer le clou pour mieux se faire comprendre.
De même pour le découpage du roman et la métaphore qu'en fait l'autrice.
Les quatre ovalistes sont comparées à des relayeuses sur un stade, dans l'ovale de la cendrée. Un chapitre est consacré à chaque relayeuse sans que cette description apporte un plus au roman.
Reste de ce roman la grève des ovalistes , la condition féminine, la connaissance de la soeirie lyonnaise. Un roman documentaire sur les années 1868/ 1869 à Lyon chez les soyeux et les ovalistes.
Le destin de Toia, Rosalie, Marie ou Clémence nous a t il bouleversé ?
Pas vraiment et c'est dommage.
Lien : http://auxventsdesmots.fr
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Un petit livre de 150 p, assurément du style et une belle écriture mais dont on aurait pu en attendre plus.

1868, Lyon, les ateliers de soieries et la première grève des femmes.

Bémols.

Maryline Desbiolles construit son histoire autour de 4 jeunes femmes et imagine une course de relais pour un supposé lien. Ce stratagème pourra plaire à certains, en ce qui me concerne plutôt non, cette démarche me paraît inutile, curieuse les courses de relais existaient elles en ce temps là et porteuse de confusion, décrire des jeunes femmes misérabilis et les imaginer en tenue fluo courant aux jeux olympiques, cela ne colle pas trop.

Zola était contemporain de Germinal, ici, les descriptions à l'aune d'aujourd'hui sont elles véridiques ou une extrapolation de ce que l'auteur en imagine. de même du fait du décalage temporel quel crédit accorder au jugement présent sur les choses du passé. Les excès wokistes sauf pour ceux qui y adhèrent en sont une illustration discutable.

Bien que ne s'agissant pas d'un livre d'histoire, j'aurais aimé plus de développements historiques.

La Savoie, française et comment l'est elle devenue.
Marx, Proudhon et Bakounine, à peine évoqués auraient mérité une plus ample évocation.
La grève son déroulement, un peu trop succinct. Idem pour les détours en prison et les peines aberrantes pour un vol de paires de ciseaux, on est loin des rallyes scooters dans les ruelles de banlieue et d'ailleurs.

Le titre, il n'y aura pas de sang versé ? Pourquoi, il aurait fallu ?

Les quatre relayeuses bien que travaillant dans un atelier de soierie, elles ne sont pas assez étoffées.

Enfin, la gente masculine, peu présente et pourquoi la limiter aux piliers voyeurs de café.

Il n'y aura pas de sang versé.

Assurément du style et une belle écriture.
Un éclairage d'un épisode inconnu de l'histoire de France.
Des bémols sur lesquels j'ai dû un peu trop appuyer.
150 p de plus n'auraient pas été un luxe.

La phrase de la fin ainsi que j'aime à les citer.
Pour ne pas se faire remarquer, elle se retient de courir, de traverser le musée en courant et de porter la nouvelle, de porter en elle, avec la jeune fille douce et grave, une joie qui ne mourra jamais.

Traduction. Hommage au passé et aux disparues, et confiance en l'avenir
Beau programme.
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critiques presse (4)
SudOuestPresse
17 mai 2023
Le destin croisé de quatre ouvrières des soieries lyonnaises qui vont participer à un premier mouvement social en 1869.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeFigaro
06 avril 2023
Un roman fiévreux sur la révolte des ouvrières des soieries de Lyon en 1869.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaCroix
23 mars 2023
Maryline Desbiolles dresse le portrait sensible de quatre jeunes ouvrières des soieries lyonnaises qui menèrent la première grève de femmes, au XIXe siècle.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
03 mars 2023
Les femmes du roman s’appellent Toia, Rosalie, Marie et Clémence. Elles sont très jeunes, et leurs vies sont vraiment minuscules. Mais le pouvoir du roman est bien de transformer en personnages des figurants de l’histoire.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Philomène Rozan ne mène pas ses paroles à la baguette, ses paroles s’envolent, elles ne se dispersent pas, elles se posent sur la tête des ovalistes, sur leur langue, des paroles qui ne font pas tourner la tête, ou qui la font tourner mais pas à la manière des ritournelles, des paroles qui n’enivrent pas, mais qui donnent soif, gagner davantage que 1,40 F, gagner 2 F comme les hommes même si c’est impensable, être payées au temps, pas aux pièces, et pas nourries logées comme des domestiques, avoir le droit de s’asseoir, prendre plus de pauses, avoir une chambre à soi, ou du moins un lit à soi, travailler dix heures et non pas douze, avoir un lit et du temps à soi, c’est pas la lune et c’est la lune à voir la tête des patrons auxquels ces doléances sont présentées le 17 juin 1869, de vive voix, bien sûr de vive voix, ces dames et demoiselles ne savent ni lire ni écrire (…).
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Avec notre quatuor nous infiltrons l’orchestre. Nous ne connaissons pas la musique. Avec nos quatre relayeuses, nous chantons les yeux fermés. Elles nous conduisent vers la foule des femmes en grève, la foule des ovalistes, dans les deux mille, deux mille femmes au moins, deux mille ovalistes, deux mille femme ovalistes, et pas pour s’y diluer, se fondre dans la foule comme on dit, jamais peut-être elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits-là, des mois de juin et juillet 1869, si être soi-même consiste à se mêler, à parler fort, à être d’accord, à ne pas être d’accord, à rire, consiste à marcher sans se presser dans la rue, au milieu des autres, à marcher dans la rue de nuit, à envahir les cafés, pas en famille, pas discrètement en tête-à-tête, à sortir des ateliers, des dortoirs, de soi, être soi-même en sortant de soi, consiste à éprouver ce que nous ignorons, une ferveur ? une joie ? la joie et la peur de trahir les parents, les patrons ? un déchirement ? une rage ? Un allant ? consiste à reconnaître pareils sentiments, à se reconnaître.
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Elle oublie les mauvaises pensées dans le travail qui consiste à surveiller les moulins, garnir et dégarnir les moulins, vérifier la qualité de la soie, nouer et dénouer les fils cassés, donner au fil de soie la torsion nécessaire à son tissage. Chez Détrie, le plus gros atelier des Chartreux, trente-quatre ouvrières, on est payé à l’heure et non pas à la pièce, quinze centimes de l’heure, c’est plutôt mieux payé qu’ailleurs. Comme toutes les ovalistes, elle travaille comme un homme qui gagne plus pour la même tâche, mais elle travaille non pas comme une brute, car le moulinage requiert de la concentration et de la délicatesse, mais plus que les autres qui la regardent d’un mauvais œil, elle rogne sur les pauses, le matin vers huit heures trente, neuf heures, pour manger un bout de pain, et à midi, deux heures en tout.
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Il est cinq heures de l’après-midi, les ovalistes commencent à se disperser, mais pour certaines il s’agit d’aller débaucher des ateliers. Elles vont en bande. Une bande de femmes. Le mot bande bien loin de son premier sens, bien loin du ruban, bien loin de la joliesse du ruban sur les cheveux des femmes ou autour de leur cou. Les femmes sont dénouées, nombreuses, dans la rue, comme on ne voit jamais, elles ne forment pas une troupe mais une bande mal indentifiable, dangereuse par conséquent. La police relève les lieux de leurs passages. Elles se dirigent en nombre vers les anciens couvents des Chartreux.
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La cour de relais

La soie ovalée composée de huit, douze ou seize brins de soie grège tordus, chacun séparément puis ensemble, en sens inverse.Car il s'agit de donner de la force au fil, et même une force extraordinaire afin qu'il résiste aux extensions et aux fatigues du travail de l'étoffe. La soie grège est ainsi moulinée, travaillée, torsadée, affinée, consolidée pour se transformer en un fil brillant et régulier, prêt au tissage, le fil d'organsin.Organsin, venu du mot Ourguentch, le nom d'une ville d'Ouzbékistan. Tout le jour, attelée au lointain Ouzbékistan, comment Rosalie Plantavin pourrait-elle le savoir ? Ovaliste, organsin, Ourguentch, Ouzbékistan, les ouvrières n'ont aucune qualification, mais les mots rares leur sont accolés, des mots rares, inconnus, y compris d'elles-mêmes.

( p.48)
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