Décédé en 2016, Maurice Pons reste avant tout dans les mémoires pour un livre culte publié aux éditions Juillard en 1965 : Les Saisons.
Réédité de façon régulière par les éditions Christian Bourgeois depuis, le roman développe en réalité la nouvelle La Vallée paru en 1960 dans la revue des Lettres Nouvelles.
Volontiers qualifié de trésor méconnu de la littérature française par ses lecteurs, qu’est-ce qui rend Les Saisons si inoubliable ?
Dans la vallée…
« Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l’automne », ainsi commence les 215 pages des Saisons.
Que sait-on à propos de cette histoire ?
Qu’elle nous est narrée du point de vue de l’étranger, un certain Siméon, qui s’installe dans un village totalement perdu quelque part en montagne, dans un endroit lugubre appelé La Vallée par ses habitants miséreux.
Où nous trouvons-nous réellement ? Nul indice véritable même si le décor ressemble à s’y méprendre à la France rurale d’un autre âge.
Si une rivière coulait jadis près du village, La Belière, elle a disparu depuis longtemps et seule perdure la culture de la lentille, unique aliment de la commune qu’on utilise également sous la forme d’un alcool locale pour le moins décapant.
Principale particularité de la région, il n’existe que deux (longues) saisons : seize mois d’automne pluvieux et quarante mois d’hiver glaçant.
Les conditions de vie, forcément terribles, ne laissent que peu de chances aux habitants, condamnés à survivre dans la pourriture et le froid.
Sur ce tableau peu engageant, Maurice Pons accouche d’une galerie de personnages étranges, aussi bon que mauvais, toujours répugnants et inquiétants. Les deux douaniers-gendarmes gèrent les affaires courantes, le seul café-hôtel du village, aussi pourrissant et délabré que tout le reste, est tenu par une obèse antipathique au possible que tous appellent la veuve Ham (un « jambon » de cinq tonnes au corset monstrueux) et les soins « médicaux » sont assurés par un ivrogne reclus avec son âne décharné et répondant au sobriquet du Croll (celui-ci faisant office de rebouteux, médecin et vétérinaire, rien que ça).
Autour de ce joli monde, les (rares) animaux apparaissent comme malades, faméliques, mourants… on s’en sert volontiers pour se réchauffer l’hiver en les maintenant contre soi plutôt que comme du bétail à consommer.
En nuances de noirs, Les Saisons se concentre sur le changement consécutif à l’arrivée de Siméon, un narrateur pourtant radicalement différent.
L’espoir des lettres
Siméon, contrairement aux villageois primitifs et dégoûtants qui l’entourent, cultive un goût pour le beau et pour demain. S’il est arrivé dans ce coin du monde, c’est à la fois pour fuir un passé que l’on devine particulièrement atroce (puisqu’il a perdu sa sœur Enina torturée à mort dans de troublantes circonstances) et pour écrire un avenir meilleur.
Car, chose importante, Siméon se considère comme écrivain. Même s’il n’a jamais écrit un seul bouquin, il entretient un journal intime dont Maurice Pons nous livre certaines passages.
Réfléchissant sur le rôle de l’écrivain et sur le rôle de l’écriture, procédé à la fois cathartique pour Siméon et témoignage d’une époque qu’il souhaite révolu, Les Saisons étouffe progressivement cette écharde de beauté et d’espérance dans la pourriture qui entoure son héros candide et naïf.
L’écriture, travail manuel qui vise à exhumer la beauté du monde, même le plus terrible, se heurte ici à l’ignorance, la violence et la déshumanisation.
Si Siméon vient d’un pays chaud et désertique, le froid ne lui apporte finalement aucune libération, au contraire…
La mort du beau, la terreur du désespoir
Maurice Pons dresse donc un tableau d’une noirceur extrême qui dérange sans cesse. Entre ses personnages tour à tour écœurants, troublants et violents, le français façonne un monde où la plus infime lueur d’espoir crève et étouffe. Dans la boue. Dans la glace. Dans la pourriture.
Même lorsque Siméon tombe amoureux de Clara, image virginale au yeux du Candide étranger qu’il représente, la finalité de cette non-relation fantasmée s’achève dans un coït ritualisé et répugnant où la tendresse n’a rien à dire.
De passages marquants et choquants, Les Saisons n’en manquent pas.
Du vêlage d’un fœtus rongé par les vers au cadeau grouillant d’une grand-mère oubliée en passant par les multiples amputations subies par Siméon, Maurice Pons choque par sa noirceur absolue.
De son héros, il ne reste qu’un être humain misérable aussi estropié que ses hôtes et aussi désarmés par la Nature et ce qui l’entoure, de son rêve d’enfant-messie et du pouvoir de la science, il ne reste qu’un col infranchissable et un cimetière de moutons.
Perle de noirceur, Les Saisons laisse le lecteur à bout, glacé et effaré.
Voyage au cœur d’un enfer rural et montagnard où la pourriture ronge et où le froid tue, Les Saisons détonne par son aventure pétrie de noirceur et son caractère de fable désespéré où rien ne sauve l’être humain. Fascinant jusqu’au bout, le roman de Maurice Pons mérite largement sa réputation.
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