AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Maylis Besserie (41)


Pourquoi faut-il que même dans ses vieux jours, à l’hiver de son existence –hiver de son déplaisir –, l’homme qui n’aspire pourtant plus à grand-chose, si ce n’est à un peu de paix, soit confronté, bien malgré lui, à tant de bêtise ? Je veux dire : comment se fait-il que le vieux –dès lors qu’il se voit contraint de fréquenter une population qu’il tentait de fuir jusqu’alors : personnel médical, garçon coiffeur, etc. –devienne un animal de compagnie devant lequel on déblatère ? Pas tellement différent du caniche ballot, le vieux auquel on confie ses petites opinions sur les choses. Réceptacle des déchets du langage et de la pensée. Victime des niaiseries de tous, et en prime, devant témoin. Un privilège de plus.
Commenter  J’apprécie          342
Like a fish out of water. Ne mélange pas tout, tu as choisi ta langue. Seul comme un poisson hors de l’eau. Fin inexorable. Et te voilà, asphyxiant loin de la mer d’Irlande, loin de la mer éternelle qui me racontait toujours la vieille histoire au fond du jardin. La mer au bord de laquelle, enfant, tu rôdais déjà comme un fantôme. Enfant déjà mort. Presque pas né. Vieillard, pas encore mort.
Commenter  J’apprécie          200
Oui, d’accord sur ce point, le veston suffit. C’est peut-être même trop, eu égard aux circonstances pénibles, au calvaire conjugal – le pléonasme – qui les guette. Qui nous guette tous. Raison pour laquelle je n’en portais pas, le jour du mien. Mon mariage. Jamais pu me résoudre à employer ce mot pour qualifier ma liaison – en l’occurrence il n’y en a pas, hasard de la phrase – avec Suzanne. Tant il me semble impropre. Je veux dire le mariage. Enfin, impropre, disons que ce qui me chiffonne, c’est le fossé – décidément -, le fossé qu’il y a entre le mariage tel qu’on l’entend d’ordinaire et le mariage tel qu’il nous phagocyte. Tel qu’il nous digère et finalement nous rejette. Se rejette lui-même, comme une mauvaise greffe. Jamais aucune information à ce sujet dans les actualités. Aucune alerte sur ce fléau qui depuis des millénaires fait pourtant d’innombrables victimes. Pas un seul mot avant d’y être soi-même confronté.
Avant qu’il soit trop tard. Alors même qu’on nous bassine chaque jour avec le prix du baril – autour de dix-neuf dollars, me semble-t-il ? Passons. Toujours est-il que le jour de mon mariage, je ne portais pas de veston.
Commenter  J’apprécie          180
L’Editeur, ami fidèle parmi les fidèles, s’approcha le plus naturellement du monde, feignant de n’être en rien décontenancé par ma position qui, au moment précis de son entrée dans la chambre, était la suivante : tête en arrière, abandonnée comme sur l’échafaud aux mains du figaro, regard au plafond et reste du corps drapé dans une blouse noire tel le grand prêtre de Tullow Church pendant l’office.
Me vient alors une formule complètement désuète, qui me sembla adaptée sur le moment :
- Finissez d’entrer.
Commenter  J’apprécie          170
I bury my head in books as the ostrich does in the sand.

J'enterre ma tête dans les livres comme l'autruche dans le sable.

William Butler Yeats
Commenter  J’apprécie          150
« Tu as fait le tour de la violence. L’as traversée. T’en est guéri. C’en est fini désormais. Fin des tragédies. Il ne te reste qu’à leur rendre hommage – à tous ceux qui t’ont hanté – jusqu’à ce que ta peinture se tarisse, que tes os craquent à leur tour, à ta peinture encore humide. Vivante. »
Commenter  J’apprécie          140
Au Tiers- Temps ---30 juillet 1989

Je rassemble les dernières cellules valides de mon esprit rabougri. Travail laborieux : deux lignes, tout au plus, les jours de grand vent. J'avance si lentement que j'ai le sentiment d'avoir arrêté. D'ailleurs, conformément aux règles de la physique, il est probable qu'à force de ralentir je m'arrête. Que j'en finisse avec les mots ou eux avec moi. (p. 32)
Commenter  J’apprécie          140
Pour l'amour de Dieu, mon petit ! Oh, mon chéri, quelle horreur, non mais quelle horreur ! Regarde-moi dans quel état tu es ! Ton œil, Francis, on croirait un œuf d'autruche, tu ne peux même plus l'ouvrir, est-ce que tu y vois quelque chose au moins ? Et ta joue en sang, criblée de bouts de verre, doux Jésus, on jurerait que tu as été attaqué par une bête sauvage ou que tu as croisé l'Eventreur en personne.

Tu es devenu son chien, tu es devenu l'ombre qui s'accroche à ses chevilles. Ton attirance pour lui est ta maladie honteuse, ton obsession, ton calvaire. Tu le peins inlassablement. C'est ton œil qui a commencé, qui a travaillé le premier, a tout fait à l'avance. Ton œil s'est promené sur la nudité de Peter, a découpé ses contours, tiré sur la nappe de l'image et tout emporté.
Ton œil à demi-clos a tout consigné : les ténèbres du canapé, la lumière bleutée du décor qui l'enferme, la marbrure de la chair de ton amant quand il te menace - la seconde avant qu'il ne bascule.
Commenter  J’apprécie          110
Notre pays n’était pas encore lui-même, c’était une pâte à pétrir, un fruit vert que nous, membres du mouvement révolutionnaire de la Jeune Irlande, espérions faire mûrir et goûter. Dans la revue The Nation était née une littérature gaélique de combat, nous mettions la Jeune Irlande au-dessus de tout, au-dessus de Dieu et des dogmes qui avaient scindé notre île, qui lui avaient coupé les bras et fait plier les genoux. Maud devint catholique, baptisée en France comme une reine. Moi j’étais protestant comme Synge, néanmoins comme lui, le dramaturge je me retrouvais chez les catholiques d’Irlande, ceux qui connaissaient les secrets de la terre, les racines vivantes et dures des bouleaux, des noisetiers et des ifs ; ceux pour qui les arbres formaient un alphabet oghamique dont jadis les druides de Silgo extrayaient des bâtonnets divinatoires. Ils les jetaient sur le sol, en tombant les bâtons effectuaient une danse prémonitoire, disait-on – par eux les sages savaient de quel bois serait fait l’avenir
Commenter  J’apprécie          110
Tu croyais peindre un gorille dans un champ de maïs, à côté d'oiseaux de proie. Tu te prenais pour un fauve, voyais déjà la lumière safranée enflammer ta toile, les mailles se tendre sous le fouet brûlant des épis.

Pauvre folle. Tes doigts n'ont pas voulu. Ton pinceau impuissant n'a rien donné. Images coincées dans la cage de tes pupilles opaques, piégées par ton esprit que tes mains en panne ont trahi. Figures avortées sur la toile. Menace de rejet. Envie de meurtre.

Il n'y a que la chance pour sauver tes créatures - le gorille droit comme un i, le couple d'oiseaux à longue queue -, la chance pour te sortir de l'impasse, faire tressaillir ta toile, la faire trembler. Tu jettes des pigments en vrac sur le fatras de ton esquisse. Tu mises tout sur le prochain coup de pinceau : rouge, faites vos jeux, numéro 12 (pinceau blaireau souple en poils d'écureuil). Tu le frottes contre ton meilleur pull, ton torse de cachemire, coules le noir bleuté dans les plis du tissu, l'enduis de fibres. Tu prépares ton lancer, la touche fruste que tu t'apprêtes à faire à l'aveugle. Tu fermes les yeux, laisses ton bras partir tout seul, ta main fesser la toile, la frapper comme une peau de tambour - spank. Excité, sur le point de desserrer tes paupières, tu te demandes ce que le sort te réserve : l'échec ou la victoire, un sauvetage miraculeux ?
Commenter  J’apprécie          70
Ils entrent dans le petit cimetière celtique. Ben Bulben leur saute aux yeux, elle est si proche, juste derrière le mur qui ceint les morts, qu'elle semble une frontière avec l'au-delà. La montagne est si voisine que les sépultures semblent couchées à ses pieds, lui servir de vieux orteils gris endurcis par les années. La montagne veille ses morts, veille sur ses morts, les protège du vent et des tempêtes, leur chante les histoires qu'elle connaît par cœur, qui ont traversé ses parois, troué sa peau de roc, éboulé ses entrailles. Elle est la grande gardienne devant laquelle Yeats fait se prosterner sa poésie immortelle. (p129)
Commenter  J’apprécie          50
Le boucher se se salit même pas les mains, il laisse faire les larbins et profite du spectacle. Il insinue le poison par ses mots, dégoûte l'enfant de lui-même par la parole, le tord pour mieux se plaindre ensuite qu'il soit tordu. Il agit ainsi jusqu'à ce que l'enfant né soit plus qu'une ombre, qu'il ne lui en fasse plus.
Commenter  J’apprécie          40
Il se peut bien que dans l’enfer auquel je ne crois pas j’aie déjà une solide réputation.
Commenter  J’apprécie          40
Tête II
Tu n’épargnes personne. Ton massacre a toi est déjà fait, ta tête numéro II, définitivement endommagée.
Commenter  J’apprécie          30
Vous savez, quand j'ai pris mon service à Cannycourt House, je n'avais aucune idée de l'endroit où je mettais les pieds, de ce qui se passait en Irlande. Vous pensez, l'arrivée de George V sur le trône me passionnait bien plus que leur guéguerre ou leurs histoires de pommes de terre.
Commenter  J’apprécie          30
Le maître de la langue qui avait mis la sienne dans sa poche. L'avait avalée. Maître craintif qui tenait sa langue. Par peur qu'elle ne tombe. Par peur qu'elle ne fourche. Ou qui, en désespoir de cause, la donnait au chat pour qu'il l'en débarrasse.
Commenter  J’apprécie          30
Musique de la langue, des langues. Je tape son anglais plein d’Irlande. Il la crache page après page, l’Irlande de nos mères. L’Irlande de May. Il la rend sous mes doigts. C’est très contagieux. Contagieux par la langue. J’ai mis longtemps à en guérir. De l’Irlande, de Joyce, de May. De Joyce, de ma mère, de ma langue. 
Commenter  J’apprécie          30
Encore la dingo mitoyenne qui miaule. Elle chante chaque matin, au moment de la toilette - c’est récurant. A croire que le robinet ouvre son gosier et tire sur la corde. Deux tours à droite et ça part : chants de jeunesse, chants d'automne, shampoing. Au grès de la température de l'arrosage, la vieille s'emballe : plus c'est chaud, plus c'est haut et inversement proportionnel à l'intensité de la voix indexée sur le taux d'humidité de la pièce. Là, perchée, la vieille bique varie amplitude et répertoire : alternance de chants gais et d'air tristes. Ça fuit, ça dégouline, ça s'enfonce comme les bottes dans la vase, ça traverse la cloison, ravive les amertumes. Jusqu'à ce que la bonde se lève, que se tarisse le refrain de la sirène, commémorant sa déchéance au milieu de ses semblables. Que le silence se remette à bramer. Le silence bruyant de la vieillesse dans sa dernière demeure. p.83
Commenter  J’apprécie          31
Au cours de mon existence, il me semble que peu d’êtres sont parvenus à me supporter. Je veux dire : à me supporter d’une manière qui me soit supportable. Il faut dire que je ne supporte pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          30
Au Tiers- Temps ---29 juillet 1989

L'Irlande de May. (...) C'est très contagieux. Contagieux par la langue. J'ai mis longtemps à en guérir. De l'Irlande, de Joyce, de May. De Joyce, de ma mère, de ma langue. Y suis-je parvenu ? Je ne sais pas. Il faut dire que c'est une condamnation que nous recevons dès la naissance : être les fils de nos pères et de nos mères. (p. 27)
Commenter  J’apprécie          30



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Maylis Besserie (197)Voir plus

Quiz Voir plus

Déjà un siècle pour ces romans !

Qui a écrit La Prisonnière ?

Agatha Christie
Marcel Proust
Raymond Radiguet
P.G. Wodehouse

8 questions
11 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature anglaise , romans policiers et polars , écrivain , littérature française , classiqueCréer un quiz sur cet auteur

{* *}