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Critiques de Nikos Kazantzakis (157)
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Ascèse

«  Nous venons d’un abîme de ténèbres et finissons dans un abîme de ténèbres. L’espace lumineux entre ces deux abîmes, nous l’appelons la vie.», premières lignes du prologue d’Ascèse de Nikos Kazantzaki.





Par une belle matinée Ascèse m’attendait sur l’étal d’une de mes librairies de prédilection, je ne sais si c’est l’illustration de la première de couverture ou le titre, je pencherai pour l’association des dieux, oups des deux, le fait est que je me suis précipitée sur ce texte. Je dis texte car à première vue c’est un ouvrage court mais combien riche et profond une fois sa lecture achevée.





Ascèse ou lumière dans mon cas car la tempête intérieure, la lutte évoquée par Nikos Kazantzaki pour l’atteindre se nourrit d’éléments contraires et complémentaires. Une ascension, une élévation pour s’extraire des ténèbres et percevoir l’invisible, le céleste. Lumière ou outre lumière, espace nécessaire pour l’apercevoir bien que la lumière ne soit pas ici une couleur mais un état qui réconcilie l’être humain avec sa part d’ombres, sa face noire dans un mouvement ascensionnel dont l’auteur développe en quelques pages les préceptes et degrés de discipline pour l’atteindre.





L’homme touché de cécité, aveuglé par ses paradoxes peut retrouver son unicité si il tend à l’universalité, en étant conscient de sa place dans le chaos du monde. Si Josef Kjellgren, un de ses contemporains, écrit Je suis des milliers Nikos Kazantzaki note « Je suis mes ancêtres, je porte leurs vœux , leurs doléances » en étant aussi ses descendants.



Une vision de la condition humaine vécue comme une communion, un élan collectif partagé par l’être humain en réponse au vide existentiel et à la quête de sens.

Un texte fort qui nous amène à réfléchir et à méditer sur la marche du monde, et l’engagement de chacun dans sa course en prônant l’action pour en faire tourner la roue.

L’homme comme un élément du grand Tout, cohabitant avec les éléments et leurs forces ; l’homme éphémère et immortel, particule de l’univers délivrée : « Meurs chaque jour. Nais chaque jour. La vertu suprême n’est pas d’être libre, mais de lutter pour la liberté. »





René Bouchet, préfacier et traducteur de Ascèse Salvatores Dei nous donne les références socio-historiques et littéraires pour mieux considérer l’oeuvre de Nikos Kazantzaki disciple de Bergson et Nietzche , inspiré ente autre par Saint Ignace de Loyola ou Saint François d’Assise. Il cite à ce propos les mots de Pandélis Prévélakis : Ascèse est « la clef de la pensée et de l’oeuvre kazantzakienne », sa matrice.



Ecrivain, poète, penseur, journaliste, traducteur, homme politique et grand voyageur, Nikos Kazantzaki (1883-1957) est une des figures de proue de la littérature grecque moderne.



Un texte que j’ai pris de face sans en connaître les aspirations mais qui m’a ébloui !

Un chant lyrique, poétique et mystique qui nous invite à une aventure collective et universelle.

Une Odyssée philosophique et spirituelle.



Une autre belle découverte des éditions Cambourakis.



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Alexis Zorba

Je suis tombé sur Zorba le Grec un peu par hasard à la bibliothèque. J’en avais déjà entendu parler, le personnage éponyme du roman est devenu un référent culturel, même si on ne connaît pas vraiment son histoire. En tous cas, moi, je ne la connaissais pas. Je m’attendais surtout à des aventures pittoresques, dans le genre Tartarin de Tarascon. Erreur. Il s’agit d’un roman touchant, d’une ôde à la liberté et à la beauté du monde.



Tout commence dans un port de Grèce continentale. Le narrateur attend le bateau qui l’amènera sur l’île de Crète où il désire exploiter une petite mine. Il croise alors le chemin d’Alexis Zorba, qui cherche du travail. L’entrée de ce personnage exubérant est assez marquante. Un peu comme une vision. C’est que le type est un original. Fin soixantaine, fier, mais qui a roulé sa bosse, un bon vivant. Ce sera le début d’une association heureuse.



Zorba, en plus d’être travailleur et bon cuisinier, est un excellent conteur. Toutes ces soirées en tête à tête avec le narrateur, après de dures journées à la mine, il raconte bride par bride sa longue existence. Ses aventures de coureur de jupon, de sa Macédoine natale à Constantinople, et même en Russie. Ses démêlés avec les Bulgares et les Turcs. Ses diverses occupations sur les mers du monde, d’Alexandrie à Alger. De toutes ses aventures, il en a retiré une certaine sagesse, une philosophie de la vie. Rien de trop cérébral, après tout, Zorba est un homme de terrain, qui aime le concret. Les deux vont discourir longuement sur les femmes, la Grèce, la vie, la mort. Ajoutez à cela quelques petites péripéties comico-tragiques, à propos de la mine ou de Dame Hortense, une ancienne femme de joie sur le déclin, vous ne pourrez qu'adorer.



Et le tout dans le décor enchanteur de la Crête. Sur la plage de sable blanc, sous les figuiers de Barbarie et les oliviers, envirés par les odeurs de fleurs d’oranger et de thym. En buvant un verre de santouri et en mangeant un repas copieux. Il y a un je-ne-sais-quoi de magique tant dans la description des lieux, dans l’atmosphère. Même l’écriture est sensuelle, évocatrice. Un grand roman de Nikos Kazantzaki que je recommande vivement !
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Le Christ recrucifié

"Je n'espère rien,

je ne crains rien,

je suis libre."

(Epitaphe de N. Kazantzakis)



Quand vous vous baladez sur les remparts d'Héraklion en Crète où Nikos Kazantzakis est enterré, vous vous dites que finalement, l'endroit n'est pas si mauvais que ça. Lui accorder le dernier repos en terre consacrée n'était pas tout à fait envisageable, car même s'il pensait d'abord à une carrière religieuse, il s'est quelque peu brouillé avec l'Eglise, en lui préférant la philosophie de Bergson et de Nietzsche, et sa propre pensée. Mais après tout, une belle vue sur la mer et le vent dans les cheveux : quoi d'autre peut mieux symboliser cet éternel désir grec de la liberté ?



J'aime ses livres. Il a parfaitement saisi "l'âme grecque" dans tous ses états, et il est imbattable pour décrire ce mélange de nationalisme, religion et spiritualité avec une bonne dose de fanfaronnade. Que ce soit dans "Alexis Zorbas", dans l'autobiographique "Lettre au Greco", ou dans ses livres qui ont pour thème la religion. La religion, ou plutôt les doutes qu'elle peut engendrer, car malgré la "simplicité" de l'écriture qui lui était souvent reprochée par ses contemporains, sa "Dernière tentation du Christ" s'est retrouvée assez rapidement sur l'Index du Vatican. C'est le thème récurrent chez Kazantzakis, qui trouve peut-être son aboutissement, justement, dans "Le Christ recrucifié".



Mais de quelle religion s'agit-il ? Celle de Pope Grigoris et des notables qui vont embrasser les icônes à l'église et compter leur jarres d'huile et de vin une fois rentrés à la maison, ou celle de Manolios, un simple berger qui veut suivre à la lettre le message des Evangiles ? Quel est véritablement le message légué par le Christ : message de paix, ou message de guerre ? Une belle partie de l'Humanité prétend accepter et suivre les préceptes des Evangiles, mais êtes-vous vraiment prêts à "tendre l'autre joue" ? Renoncer à tous vos biens et même à l'amour ? Quel serait le destin du Sauveur, s'il revenait sur Terre ?



Lycovrissi est une riche bourgade en Anatolie. La communauté grecque vit sous la domination de l'agha turc, mais le cruel agha se fiche un peu de la vie de ses "Roumis", tant qu'ils ne se tapent pas entre eux et tant qu'il y a assez de raki à boire.

Selon la tradition, tous les sept ans, la Passion du Christ est rejouée à Pâques par les villageois, dans la veine des anciens mystères. On choisit soigneusement les acteurs une année en avance, ainsi ont-ils tout le temps de se préparer pour leur rôle.

Kazantzakis a l'occasion de déployer une palette de caractères typiques : le jeune berger Manolios dans le rôle du Christ, ses amis Michélis et Yannakos en apôtres, la belle veuve Katerina en Marie-Madeleine, le bougon cordonnier Panayotis en Judas. D'autres personnages complètent le tableau dans le style presque archétypal : l'avare Ladas et sa femme demi-folle, le gros pope Grigoris, le notable Patriarchéas, l'instituteur féru d'hellénisme... la scène pour la Passion est prête !

Au moment où arrive au village un groupe de réfugiés grecs pour demander l'asile, les parallèles avec l'histoire biblique commencent à se déployer comme une évidence.

Une sorte de "comédie humaine" transformée en "Divina Commedia" sur la scène du grand theatrum mundi.

Le groupe des affamés menés par le père Photis se fait chasser du village par les notables, et leur seul espoir de survie reste Manolios et ses amis, qui vont prendre leurs rôles à coeur avec une authenticité effrayante. De quel côté se tourner ? Existe t-il quelque chose comme la "justice suprême"? Kazantzakis va soulever un tas de questions, en nous nommant les seuls arbitres de son histoire.



Les dernières pages où le Judas-Panayotis accompagne Manolios devant l'agha, tandis que dehors hurle la foule fanatisée qui réclame le bouc émissaire, suivent déjà presque pas à pas le texte biblique. Commencée à Pâque, l'histoire se finit dans une flaque de sang au sol de l'église, le jour de Noël :



"Le père Grigoris fit le signe au sacristain; celui-ci s'approcha en titubant.

-Ouvre la porte, lui dit le pope, et viens vite laver les dalles. N'oublie pas que ce soir, à minuit, c'est la Nativité."



L'histoire de Kazantzakis est dure, même s'il montre beaucoup de compassion pour tous ses personnages. Il avait un respect profond pour le message biblique, mais dans ses livres il veut nous faire comprendre qu'il n'existe pas un seul visage du Christ, tout comme ces deux sculptures différentes que Manolios taille au début et à la fin du livre. L'Humanité est-elle déjà "sauvée", peut-elle encore l'être, ou va-t-elle recrucifier ses Sauveurs à l'infini ? 5/5
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Le Christ recrucifié

On ne connaît pas forcément le nom de Nikos Kazantzaki en France, mais on a forcément entendu parler de l'adaptation cinématographique de son roman La Dernière tentation du Christ, et souvent aussi de Zorba le Grec. À la lecture du Christ recrucifié, je me dis que c'est injuste, c'est un très grand écrivain, qui mériterait d'être beaucoup plus lu. Donc mille mercis Bobby the Rasta Lama pour cette super découverte.

L'intrigue est plutôt originale et inspire à Nikos Kazantzaki un roman qui brasse avec profondeur et vivacité des questions aussi bien spirituelles que sociales et politiques. Elle lui donne une sorte de dimension mythique avec l'image forte de ce Christ éternellement crucifié-ressuscité-recrucifié... Ce qui n'entrave en rien la malice et l'humour.

Dans un petit mais néanmoins plutôt riche village d'Anatolie, tous les sept ans, les notables choisissent quelques habitants pour incarner les personnages de la Passion du Christ. Celui qui joue Jésus, explique le pope Grigoris, devra toute l'année faire revivre avec son corps et son âme la Sainte Écriture. Le problème, c'est que Manolios va trop se prendre au jeu. Considérer les pauvres comme des frères certes ce sont de «justes et saintes paroles, bonnes à entendre à l'église, quand le pope les prononce le dimanche, du haut de la chaire! Mais pour les mettre en pratique une fois rentré chez soi, pauvre tête de linotte, il faut être fou à lier!»

L'arrivée d'un groupe de migrants miséreux, chassés de leur village par les Turcs, va ainsi être source de trèèès vives tensions, entre notre Manolios christique et ses apôtres, désireux de les aider, et les notables, Pope en tête, qui veulent chasser sans pitié les affamés. On rit un peu jaune en voyant Grigoris jouer sur les peurs, agitant le chiffon rouge du bolchévisme pour monter les villageois contre notre sympathique petite bande de christiano-bolcheviks qui veulent partager les fruits de la terre avec leurs frères dans le besoin.

C'est drôle, c'est bouleversant, ça fait réfléchir. C'est écrit en 1954, mais ça reste d'actualité. Sûr que je lirai d'autres livres de Kazantzaki!



(Mon seul petit bémol concerne les personnages féminins, ce n'est pas que je sois une intégriste de la parité au point de vouloir l'imposer aux créations littéraires, mais

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Alexis Zorba

La vie de lecteur est pleine de surprise : voilà un livre qui sera passé directement de mon Inconnu à mon Panthéon ! et il est certain que je m'en viendrai régulièrement lui rendre hommage à ce magnifique, tellurique, truculent Zorba !

Tout du long, cette lecture fut une bénédiction : l'immersion dans ce paysage crétois magnifié et gorgé de soleil, le choc salutaire de la rencontre des contraires entre le narrateur engoncé dans ses livres et Alexis Zorba, l'ouvrier de la vie aux cent vies, pétulant de joie, d'intelligence sans fard et de liberté ; l'alchimie merveilleuse qui se crée entre ces deux hommes ; les danses de Zorba, ses maximes puisées au coeur du réel, son énergie vitale, son désespoir traversé de lumière, sa sagesse de guerrier mille fois meurtri et mille fois relevé.

Quelle leçon, quelle belle philosophie que celle de ce livre, à vous faire fermer tous les autres, défaire toutes les chaînes et sauter à pieds joints dans la vie !

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Alexis Zorba

De retour en Crète pour reprendre la gestion et l'extraction d'une mine de lignite, le narrateur, un jeune intellectuel rencontre le truculent Zorba dans un café. Alexis Zorba la soixantaine, éternellement accompagné de son santouri, fort en gueule, ayant vécu mille vies dont il partage les anecdotes avec beaucoup de verve. Deux personnalités diamétralement opposées, l'une cérébrale, l'autre volcanique, qui vont s'apprécier, s'enrichir l'une l'autre...

J'abordais ce roman avec un peu de crainte, me souvenant du magnifique film avec Anthony Quinn, Alan Bates et Irène Pappas, crainte de ne pas aimer le texte ou qu'il soit complètement divergent par rapport au souvenir lointain que j'avais du film. En fait j'ai été complètement séduite par cette amitié improbable entre un jeune intellectuel qui travaille sur un récit sur Bouddha, catapulté dans la vie par un Zorba qui vit toutes les expériences de façon épique, et plus il se livre, plus l'on découvre les failles et les malheurs qu'il a essayé de surmonter et l'on comprend mieux sa vision libre de la vie ; il remet tout en cause, le gouvernement, l'armée, la religion, le mariage, l'attachement, sa foi en l'homme, l'immobilisme, la paresse, se relevant de toutes les épreuves grâce à la musique de son santouri.

Le roman de Nikos Kazantzakis est une invite à vivre chaque jour comme s'il était le dernier, une promesse de se relever malgré les malheurs, un hymne à l'optimisme. C'est surtout le magnifique portrait d'un homme incroyablement vivant.
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Alexis Zorba

Les îles grecques, la plage, l’odeur de la mer, chanter, danser et rire, en oubliant la vie de « gratte-papier ».



Lorsque je reviens de voyage, j’essaie de le prolonger avec un livre qui me ramène dans ce coin de pays. C’est ainsi que j’ai rencontré Alexis Zorba, un Grec du siècle dernier.



Bien sûr, j’avais entendu parler du film, surtout de la trame sonore et de la danse « traditionnelle » inventée spécialement pour le cinéma. Mais, dans le roman, c’est toute une philosophie, une religion de la beauté, de la liberté et de la joie de vivre.



Des idées intéressantes, sauf pour la conception des femmes et des rapports hommes/femmes. On souhaite vraiment que ce discours soit chose du passé, que les Grecs actuels ne partagent pas sa façon de penser. Je ne suis pas du tout à l’aise avec l’image diabolique ou, au mieux, pitoyable, qu’il attribue aux personnages féminins.



Un roman à l’atmosphère attrayante, mais avec des idées misogynes vraiment dépassées… du moins je l’espère !

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Le Christ recrucifié

Quand j'ai choisi ce livre, le Christ recrucifié, je m'attendais à un ouvrage religieux décrivant (ou réécrivant) un quelconque moment de la vie du personnage biblique. Après tout, l'auteur Nikos Kazantzakis s'y était déjà prêté avec La dernière tentation du Christ, que j'ai lu il y a quelques années. Cette fois-ci, mon choix n'était pas dicté par un ravivement du mystique mais tout simplement parce que je voulais retourner à la plume d'un auteur que j'apprécie. Eh bien, finalement, et à mon grand plaisir, ce livre n'a qu'un lien très indirect avec la vie du Christ.



En 1922, à Lycovryssi, un village grec de l'Asie Mineure, les habitants s'activent à une cérémonie répétée tous les sept ans : la reconstitution de la Passion du Christ. le début est assez tranquille, les anciens décident de l'attribution des rôles. C'est une excellente façon de découvrir les nombreux personnages. Puis, un groupe de réfugiés, grecs eux aussi, déambule jusqu'à chez eux. Leur village d'origine a été incendié par les Turcs (on se rappelle que, cette année-là, c'est la fin de la guerre). Mais aucun élan de sympathie de la part des leurs : le très peu charitable père Grigoris ne prêche pas par l‘exemple et les rejette, aussitôt imité par la majorité de ses coreligionnaires. Les exilés se réfugient dans la montagne avoisinante Sarakina.



Cet événement, assez peu caractéristiques des enseignements du Christ si importants pour eux, n'augure rien de bon. Assez rapidement, les malheurs s'abattent sur Lycovryssi. Les uns tombent malades, d'autres meurent, les passions se déchainent, des fiançailles sont défaites, l'avarité des uns mènent à des conflits, etc. Puis survient l'assassinat de Youssouf, le favori de l'agha. Pendant un bref moment, un sursis, les villageois se serrent les coudent pour éviter les représailles des Turcs. Mais, sitôt la menace passée, les dissensions sont exacerbées à nouveau. Doit-on venir en aide aux réfugiés ou les encourager à s'en aller? Puis le vieux Patriarchas meurt et il laisse ses terres aux exilés. C'est comme si une guerre ouverte avait été déclarée. La violence se déchaine entre les Grecs qui s'entretuent.



L'intrigue est prenante. Cette Passion que les habitant tentaient de reconstituer, c'est comme si elle s'était réellement déroulée dans Lycovryssi. Manolios, le jeune berger choisi pour interpréter le Christ, se sentira torturé entre ses (nouvelles) convictions et l'attitude des villageois. Plusieurs parallèles peuvent être faits entre des membres de la communauté et les rôles qu'ils devaient tenir dans la reconstitution. Yannakos reniera son ami brièvement comme Pierre, la veuve Katérina sera rejetée comme une catin, le riche et mesquin Ladas fermera son coeur comme Caïphe et ainsi de suite. Mais n'ayez crainte, malgré les drames personnels, le roman n'est pas exempt de moments plus légers, voire comiques. Certains des personnages peuvent parfois sembler caricaturaux et, étrangement, ils gagnent alors en sympathie.



Un seul élément m'a un peu chatouillé : la faible présence/participation des femmes. Outre la veuve Katérina, on ne compte que la vieille servante Martha (mais compte-t-elle, si on me permet ce jeu de mot facile) et les deux jeunes filles Mariori et Lénio. Et ces deux-là, elles sont presque réduites à leur rôle de fiancées. Mais bon, s'il faut absolument rester collé sur les Saintes Écritures…



Outre l'intrigue, et les multiples symboles qu'on peut déceler ici et là (entre autres, les références aux communistes, qui peuvent laisser croire qu'on peut lire la situation autrement, y voir aussi la guerre civile des années 40 et pourquoi pas d'autres conflits ailleurs dans le monde et à d'autres époques), la force de la plume de Kazantzakis réside aussi dans sa beauté. On peut la trouver dans les images évoquées mais également à travers la poésie. En voici un exemple :

« Les lettres de son nom tracées dans la neige

Ont fondu au soleil, se sont perdues dans l'eau. » (p. 547)



Ces mots, qui terminent le roman, renforcent l'impression laissée par la dernière scène, ajoutent au tragique qui s'en dégage. Pour ceux qui sont intéressés par cette période de l'histoire (la guerre gréco-turque, pas la Passion), celle de la fin du rêve d'une Grande Grèce, des désillusions, et du départ précipité de millions de Grecs de l'Asie Mineure, je suggère le roman Labyrinthe, écrit par Panos Karnezis.
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Alexis Zorba

J'ai ouvert avec appréhension Zorba dont j'avais un souvenir ébloui. La magie allait-elle opérer à nouveau?

J'ai douté, Ce vieux lubrique, Cette vie patriarcale où les femmes sont oubliées au mieux,si ce n'est pas méprisées, ou pire, comme la belle veuve, est-ce que je vais laisser passer cela?

C'est un hymne à l'amitié, à la Crète, à la Grèce et à la vie toute entière. L'humanité de Zorba est tellement magnifique et généreuse, qu'il est impossible de mégoter. Jamais de mesquinerie. La faiblesse humaine,de ce ver, de cette limace, il la reconnait, il en rit, il l'efface avec le vin, la danse et la musique.

La beauté de la mer, du printemps, du parfum de la fleur d'oranger, il l'exalte, ouvre ses yeux comme s'il la découvrait chaque jour.




Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Le Lys et le Serpent

J'avais déjà lu quelques unes des oeuvres connues de Nikos Kazantzakis mais pas ce roman court, ou cette nouvelle, c'est selon. le lys et le serpent est une jolie histoire d'amour, racontée sous la forme du journal intime d'un jeune homme dont l'identité reste cachée. Dès le début, il a la fièvre, tout son corps est traversé de frissons, quelque chose s'agite dans son esprit. Il est malade ? Non ! Il est pris dans les tourments de l'amour.



Au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, sur une période d'un peu moins d'un an, le lecteur est témoin de la montée des sentiments du jeune homme, le tout dans un style digne des romantiques du début du 19e siècle. Il est en est tout transformé, ses yeux ne se lassent pas de contempler l'élue de son coeur. Mais il n'ose la toucher, encore moins lui parler. Ça semble être une histoire d'amour à sens unique.



Mais, éventuellement, la demoiselle lui accorde un peu de son attention, elle semble partager ses sentiments. Mais n'était-ce qu'une illusion ? Dans tous les cas, il est en tout ému, il adresse des prières au Tout Puissant miséricordieux, à la déesse de l'Amour.



Toutefois, l'amour s'effrite et disparaît, les élans poétiques du jeune homme se transforment en lamentations, en plaintes toutes aussi poignantes que belles. Il espère quand même qu'elle viendra à nouveau vers lui, ne serait-ce que par des chemins sinueux semblables à un serpent. Mais il y a plus de chance que ce serpent apporte un venin empoisonné… La fin est assez inattendue mais tout à fait appropriée.

Le lys et le serpent est un petit bijou sous-estimé de la littérature grecque.
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L'ascension

Choisi le 4 mars 2021 à la Librairie Quilombo (librairie engagée, libertaire)- 23,rue Voltaire-Paris // repris le 29 avril 2022



Un fabuleux texte qu'il faut toutefois "mériter "....Un inédit que les éditions Cambourakis ont eu la très belle idée de rééditer...d'autant plus ,que ce texte a eu une destinée plus que mouvementée, complexifiée par son auteur, qui éprouvait des réticences à le faire publier, trop de résonances autobiographiques...des thématiques exploités dans d'autres écrits...

Ouvrage composé en 1946,à Cambridge...Comme une sorte de testament artistique, politique et spirituel !...



Je reprends la lecture de cet inédit près d'une année après l'avoir débuté ; j'avais été freinée, à tort, par un style que je trouvais trop grandiloquent, un ton regorgeant d'emphase....Une fois,cette réticence mise de côté, l'ouvrage est d'une incroyable actualité : l'industrialisation à outrance, laissant de côté trop de personnes, un monde abîmé par la guerre, le rôle de l'Intellectuel pour proposer un autre modèle, plus pacifiste, réunissant tous les pays dans un projet commun, etc.



Le narrateur, Cosmas, "aspirant ecrivain" revient après une longue absence sur sa terre natale,la Crète, qui se relève tout juste de la Seconde Guerre mondiale. Il retrouve sa famille : un père aimé mais terrifiant, une mère bienveillante et effacée...Cosmas leur présente sa jeune épouse, Noémi, juive survivante des camps de concentration...Cosmas et Noémi s'aiment sincèrement mais ne se trouvent pas dans les mêmes cheminements intellectuels et personnels...

Noemi est,de façon légitime, hantée par les horreurs vues et vécues ...Elle se retrouve sur une terre étrangère, dans une famille inconnue, attendant un enfant. Son époux, Cosmas est obsédé,quant à lui par le "devenir" du monde,par la peur d'une nouvelle guerre; il s'interroge sur ce qu'il pourrait faire à son échelle, avec d'autres "intellectuels" pour participer à l'éveil d'un monde meilleur.





Il est déjà bien loin de son épouse, en dépit de ses sentiments...il décide de partir seul,pour l'Angleterre, pour progresser dans un double objectif: l'avancée de son oeuvre littéraire mais aussi politique...il prend contact avec des intellectuels qui pourraient partager ses espérances d'un monde pacifié, plus fraternel.Avec une journaliste irlandaise qui l'entraîne dans le monde des usines,des ouvriers....



il prend conscience de la misère noire du peuple britannique...Comme l'argumentaire du 4e de couverture le formule joliment,Cosmas ( sorte de double de l'écrivain)souhaite" se faire le scribe pacifique de temps nouveaux".Cosmas( l'auteur) insiste tout le long de cet écrit sur l'énorme responsabilité des Intellectuels à participer à la construction d'un monde meilleur...



"Le devoir de l'intellectuel,notre devoir,est aujourd'hui plus grand et plus difficile: dans le chaos de l'après-guerre,nous avons à ouvrir une voie et à mettre de l'ordre;à trouver et à formuler le nouveau mot d'ordre mondial qui apportera l'unité, autrement dit l'harmonie,dans le coeur de l'esprit de l'homme; à trouver la bonne parole,la parole simplequi fera redécouvrir aux hommes cette chose toute simple: que nous sommes frères. ( p.137)"



Il se bat pour son travail d'écrivain et pour ses idéaux...Par contre, il est convaincu que pour atteindre ces objectifs, il doit laisser de côté sa vie personnelle,amoureuse qui l'entrave.Noemi est "sacrifiée " sur l'autel de la grande oeuvre à venir,de son époux !! Nikos Kazantzaki n'est pas " méditerranéen " pour rien !!! (*** autre bémol à écarter..pour apprécier les analyses,observations, critiques sociales,politiques,humanistes,dans leur ensemble...dont une défense vigoureuse de la terre et des paysans !)



"Il faudrait qu'un nouveau scribe,avec les mêmes yeux,qu'un nouveau Dante,qui aimerait plus l'homme queéDieu passe dans toutes les usines du monde et pousse,lui aussi,un cri.(...)

Mais en disposant les mots avec magie,le scribe triomphe du temps et immortalise la récompense et le châtiment. Quand une civilisation fait naufrage,seul le scribe se tient au-dessus des flots du temps et surnage.

C'est un scribe de cette trempe que notre époque industrielle devrait enfanter avant que nous sombrions dans l'abîme ! Car il y a toujours autour de nous des crises et des pleurs qui ne doivent pas se perdre.(p.155)"





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Le Christ recrucifié

Nous sommes dans un petit village d'Anatolie habité par des Grecs mais sous la domination d'un "Aqha" Turc (chef Turc),

Tout va démarrer avec la fête de Pâques qui se termine et le fait que les notables entendent désigner de suite ceux qui participeront à celle de l’année qui vient. Le village a pour habitude de représenter les scènes. Ils doivent donc répartir des rôles entre des membres de la population. Il faut un apôtre Pierre, un autre qui fera Jean, mais il faut aussi désigner un Judas !... Pour Marie-Madeleine ils ont, tout naturellement « la veuve », jeune, très jolie et généreuse de ses charmes vu ses propres besoins et sa jeunesse. Puis arrive le choix pour faire le Christ… Un jeune et beau berger, Manolios, va être désigné. Mais voilà que tous vont croire à fond en leurs rôles et cela va changer toute la vie du village !

C'est un roman très coloré, bourré d'humour et de tendresse, un ample roman qui prend son temps. La nature est superbement évoquée, que ce soit le soleil qui réchauffe la terre et dore le blé, ou la lune et le ciel étoilé, .. les éléments naturels prennent part dans l'histoire de manière quasiment sensuelle. Tout ce petit peuple est dépeint avec humour et chaleur, de manière un peu picaresque. L'histoire est une mise en abîme de l'évangile et une réflexion sur le message évangélique ainsi que sur l'idéal communiste. On sait que l'auteur avait eu une attirance pour le marxisme mais avait été dégoûté par l'expérience de Staline, il était aussi fortement attiré par le mysticisme.

C'est un grand classique de la littérature Grecque, par l'auteur de Zorba le Grec, un auteur mainte fois nominé pour le prix Nobel. Un roman qui se lit avec beaucoup de plaisir.
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Alexis Zorba

Alexis Zorba est la démonstration qu’un homme sans culture, sans lecture, sans littérature, peut être un grand bonhomme. Il suffit, mais ce n’est pas rien, qu’il ait gardé une âme d’enfant émerveillé, une tendresse inextinguible pour la vie qui s’offre, une indulgence infinie pour les faiblesses de ses congénères.

Cet homme sans savoir, connaît tout de ses semblables, de l’existence, et se pose les mêmes questions fondamentales que Kazantzakis, son « patron, » mais tellement aussi son faire-valoir au cours du livre.

Car Kazantzakis, chargé de lectures, de raisonnements et de philosophie, n’a pas plus de réponses que Zorba.



C’est donc l’histoire d’un brave homme, d’un homme brave, et c’est aussi celle d’une amitié magnifique. Celle, sans pareil, qui lie les deux hommes, celle que Kazantzakis n’oubliera pas, à laquelle il consacrera ces quatre-cent-cinquante pages.

Un grand livre qui fait passer par toutes les émotions, les émotions de Zorba. Merci, monsieur Kazantzakis !

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Alexis Zorba

« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd’hui, on va parler d’un roman grec publié en 1946, Alexis Zorba de Nikos Kazantzakis. Je n’ai pas vu le film.



Or donc le narrateur se sépare d’un ami et part ouvrir une mine en compagnie de Zorba, un homme âgé, pétulant, dont il va découvrir la vie rocambolesque et la philosophie toute personnelle.



Alors, pour commencer, quelle ne fut pas ma joie ! Ce roman exploite le sens de l’odorat et va donc rallonger ma précieuse liste. Les descriptions, élégantes et sans lourdeur, m’ont transportée dans des paysages enchanteurs.



-Pfff… C’est un roman pour mecs, bien mecs, de mecs satisfaits de n’être pas des femmes ! Comment veux-tu que j’accroche à ça ?



-Euuuh… en savourant la beauté de la prose ? Parce que, il faut le dire, le texte est splendide. Il recèle des réflexions intéressantes sur le bonheur dans la simplicité. Savourer le moment présent, la bonne chère, admirer la beauté de ce qui nous entoure, saisir les occasions…



-Mouais. Alexis Zorba m’a procuré une expérience littéraire inoubliable.



-Ah oui ? Laquelle ?



-C’est la première fois que je suis virée d’un roman par les personnages ! Faut le faire, quand même !



-Hein ? Mais non, voyons…



-Ah si. Je suis exclue de cette lecture par des persos qui prennent soin de me rappeler que je suis inférieure, que je représente la source de leurs malheurs, que je suis condamnée à les servir à cause de mon genre. Zorba disserte pendant des paragraphes entiers sur l’infériorité des femmes et la malédiction qu’elles représentent ! Oooh, mais quel bonheur à lire ! Quelle joie, quelle magnifique occasion de jouir du moment présent !



-D’accord… ce roman célèbre la liberté, Zorba va où il veut, fait ce qu’il veut…



-Ah oui, la liberté. Oh oui, c’est bô. Bon, on t’explique aussi que ce n’est pas pour tout le monde, hein, la liberté, si t’es trop pauvre, c’est non, si t’es une femme, la question ne se pose même pas, et on parle des Noirs ou pas ? Ah, le bon vieux temps des colonies…



-Bon, Méchante Déidamie… oui, il y a des choses discutables, mais le texte est splendide… et puis on adore Maupassant alors qu’il a écrit des horreurs, lui aussi !



-Maupassant, il prétend pas me donner des leçons de vie quand il rédige ! C’est ça qui me gonfle : cette posture « oh, je suis plein de réflexions élevant l’âme » tout en affichant un sexisme et un racisme assumés. ‘Scuse-moi, mais j’peux pas en tirer quoi que ce soit pour mon âme, sauf de l’amertume.



-Oui, mais… c’est bô… élégant…



-Tu sais quoi ? Je te propose un truc. Et si on appliquait les grands principes de liberté prônés par ce texte ? Et si on arrêtait de perdre notre temps avec des papiers inutiles comme le narrateur ? Et si... on se préparait quelques instants de délectation afin de se donner un peu de bonheur et de joie durant notre court passage sur cette planète ?



-Ah ouais, ça me tente ! On fait quoi ?



-ON LAISSE TOMBER CE BOUQUIN AVANT LA FIN ET ON EN PREND UN AUTRE !!! »

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La dernière tentation

Quand les icônes descendent des tableaux et quittent les nichoirs inaccessibles des églises pour redevenir des hommes et des femmes avec un corps qui sue et souffre, des élans de rage et de peur, des espoirs et des doutes...

Que l'on croit ou pas, ce roman profond, incarné et palpitant, écrit comme une prière par un fervent croyant qui renverse les dogmes en ramenant le destin de Jesus à hauteur d'homme, donnant même vie aux paraboles mais sans jamais manquer de respect à son sujet. est absolument fascinant.

J'adore cet auteur, un homme que l'on sent riche et dense , qui n'en finit pas de me dérouter et m'embarquer dans son univers.
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Toda-Raba

La grande idée... l'étoile rouge... Moscou a crié!

On s'est quasiment engueulés avec mon mari quand je lui ai fait part de mon enthousiasme pour ce roman: "Comment peux-tu faire l'éloge d'un livre qui fait l'éloge du communisme et ses atrocités? Ecrit en 27? c'était déjà les exécutions de masse, Lenine est un bourreau sanglant etc etc".

D'accord. N'empêche que j'ai adoré. Pourquoi?

D'abord parce que c'est Nikos Kazantzakis, un bonhomme de conviction qui me plait et qui a écrit l'un des livres que j'emmènerais sur une île déserte: Alexis Zorba.

Ensuite parce que je trouve absolument passionnant de pouvoir, par la lecture, faire l'effort intellectuel de se plonger non seulement dans la psyché d'un auteur mais en plus dans le contexte idéologique d'une époque et en 1927, la mise en oeuvre à l'échelle de l'URSS de la grande idée que beaucoup attendaient depuis plusieurs générations était encore neuve, brûlante de fièvre et d'espoir. Il y avait une énergie, un enthousiasme, une détermination féroce à changer le monde, qui, si elles sont désagréables à envisager aujourd'hui à la lumière des millions de morts de l'expérience soviétique, n'en constituent pas moins une réalité historique et un courant idéologique puissant qui a bouleversé le 20ème siècle.

Et d'ailleurs l'auteur, qui a rédigé ce roman au retour d'un voyage en URSS pour le dixième anniversaire de la révolution, ne se positionne pas dans la pure hagiographie. Il fait parler les voix discordantes, critiques, amères, autant que celles des zélotes de l'homme nouveau, à l'instar de Svetlana Alexievitch dans La fin de l'homme rouge.

Et enfin parce que j'ai adoré la forme de ce roman, métaphorique, furieusement poétique, plein du souffle vital qui m'avait déjà emportée dans Zorba, révélant l'humanité profonde de l'écrivain derrière ses mots.

Morte, la grande idée? La plume de Kazantzakis, elle, est éternelle.
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La dernière tentation

Ο τελευταίος πειρασμός

Traduction : Michel Saunier - Notons que le titre original signifie "La Dernière Tentation"



ISBN : 978226602644



Ce roman de Kazantzáki, sorti en 1954, lui valut les foudres du Vatican de Pie XII et même une mise à l'Index . De son côté, le clergé orthodoxe, tirant parti du fait que le délit de blasphème existait encore en Grèce, tenta même d'interdire carrément la vente de l'ouvrage dans ce pays. Mais il n'obtint pas gain de cause et, ainsi que cela se passe d'habitude en pareil cas, offrit ainsi au livre une excellente publicité qui lui permit notamment, de cartonner en France - une France il faut le dire où ne sévissaient pas encore les arriérés actuels qui veulent, de gré ou de force, réinstaurer le délit de blasphème mais avant tout, semble-t-il, pour une religion bien précise et qui n'est pas le christianisme.



Qu'y a-t-il donc, me demanderez-vous, dans ce livre, qui soit si terrible et nous fait toucher de près les flammes de l'Enfer ? Oui, je sais, sur Nota Bene, il n'y a pas si longtemps, une chrétienne estampillé bon teint (selon ses seuls dires, précisons-le tout de même ), sous-entendait que mon goût prononcé pour les romans d'épouvante et les films du même genre, lesquels font grande consommation, surtout s'ils viennent des Etats-Unis, de Satan le Roi des Blasphémateurs, trahissait ma nature réelle de Servante du Grand Cornu. Je ne m'attarderai pas sur pareille et si étrange assertion et je vous confesserai donc que le seul "crime" de "La Dernière Tentation" et de son auteur, Níkos Kazantzáki (ou Níkos Kazantzákis, comme vous préférez ) est de mettre l'accent sur la nature humaine de Jésus le Nazaréen.



Le personnage de Jésus, le "fils de Marie", comme on le nomme habituellement à Nazareth, est ici un être qui doute, qui refuse d'écouter la voix divine (il faut dire que, parfois, il la soupçonne d'être inspirée par Satan), qui se révolte même et qui refuse plus ou moins la "mission" qu'il est chargé d'accomplir. C'est un être déchiré, écartelé, qui souffre et qui se torture lui-même, un être qui est "mal dans sa peau" et dont la famille excuse les agissements et les tirades exaltés en le définissant comme "un possédé." C'est aussi un être doux, charpentier de son métier comme son père, Joseph, qui accepte, bien que juif, de construire les croix dont les Romains se servent pour leurs exécutions, un être amoureux de la jolie Marie de Magdala mais qui, au moment où il va lui demander sa main (ou se livrer à un rituel équivalent à cette époque et dans cette civilisation), tombe raide dans une sorte de crise d'épilepsie. La jeune fille en conçoit un tel chagrin qu'elle décide alors d'abandonner son corps à tous les hommes qui passent pourvu qu'ils veuillent bien lui payer ses faveurs. Mais Jésus aime toujours Marie-Madeleine - il l'aimera jusqu'à la fin - même si Marie et Marthe, les soeurs de ce Lazare à la santé si fragile, qu'il ressuscitera un jour tel quel, avec un corps déjà corrompu (imaginez un instant les têtes vaticanes à la lecture de ce détail), tombent elles aussi sous son charme.



Le Jésus de Kazantzáki est comme nous le sommes si souvent : il sent en lui palpiter son âme qui aspire à l'Infini mais sa chair la retient car, qu'il soit fils de Dieu ou pas, cette chair est chez lui aussi forte que chez n'importe qui. Il tente tout d'abord de la calmer en se faisant moine dans un couvent du désert mais rien n'y fait. Il s'enfonce alors tout seul dans le désert pour y jeûner et percevoir ainsi la voix du grand Jehovah. Mais là non plus, la réponse n'est pas au rendez-vous ou alors, elle se révèle contradictoire. Revenu à Nazareth, il renie plus ou moins sa mère et les siens en affirmant officiellement que sa famille véritable, ce sont ceux qui deviendront ses apôtres et ceux qui renonceront à tout sur cette terre pour le suivre. Commence alors, pour lui et ses premiers disciples - dont Jean, le futur auteur de "L'Apocalypse" et de l'Evangile qui porte son nom ; Pierre, le pêcheur à la tête dure, véritable girouette qui, effectivement, comme son maître le lui prédit un jour, reniera trois fois celui-ci avant que le coq ait chanté ; et bien sûr Judas Iscariote, surnommé ici "le rouquin" en raison de sa toison et de sa barbe flamboyantes, un Zélote qui attend un Messie guerrier et non angélique mais n'en reste pas moins fasciné par le charisme de Jésus - une période un peu hédoniste. C'est l'été, puis la saison des vendanges : la vie, la joie, battent leur plein.



Âme aussi flamboyante et aussi torturée que celle de l'homme qu'il admire autant qu'il se défie de lui, Judas somme Jésus de se rendre auprès de Jean le Baptiste, le Prophète de Feu qui crie dans le désert et baptise au Jourdain. "S'il te reconnaît comme le Messie," lui dit-il en substance, "alors, moi aussi, je le ferai et je te suivrai jusqu'à la mort."



Jésus doute, doute de plus en plus et à peu près de tout ... Et il est aussi profondément terrifié. Car, au fond de lui, il sait que le Baptiste le reconnaîtra et il tremble et aspire tout à la fois à cette reconnaissance qui, il le sait aussi, le condamne à une mort atroce mais à un destin surhumain. Néanmoins, suivi des futurs apôtres, Judas marchant à leur tête, il traverse la Galilée, la Samarie et une ou deux autres provinces pour demander le baptême à Jean. Et le Baptiste le reconnaît. Immédiatement. Cet homme qui se définit lui-même comme le glaive de Jéhovah voit arriver vers lui son successeur, un autre genre de glaive, qui versera son sang mais ne demandera pas aux autres de verser le leur.



S'inclinant devant la parole du Baptiste, qu'il respecte tant, Judas se fait alors le gardien et le protecteur de Jésus. Une amitié profonde naît entre ces deux hommes pourtant si différents. Une amitié si puissante que, quand le temps arrive pour lui de mourir, Jésus supplie Judas d'accepter le mauvais rôle, celui du traître qui le livrera au Jardin des Oliviers. Et Judas, résigné, Judas, le plus courageux, le meilleur des apôtres, Judas accepte. Pour le Maître qu'il a enfin reconnu, il fera tout - y compris endosser à jamais la plus honteuse des réputations.



Le roman - plus de cinq cents pages en fins caractère chez Pocket - est si long, si dense, avec des pages poétiques si belles et si amples, qu'on ne saurait le raconter en détails. Mais rien qu'avec ce que je viens de vous livrer, vous comprendrez sans peine pourquoi l'Eglise chrétienne dans son ensemble s'est détournée avec épouvante de cet ouvrage pourtant si beau.



Un : Judas n'est pas un félon, il est l'allié de Jésus et, sans lui, la crucifixion n'eût pas été possible. Deux : Jésus ressent, tout comme vous et moi, les affres de la chair et possède une authentique sexualité. Trois : Matthieu, le Publicain, qui a rejoint les disciples, cherche à écrire la vie de Jésus et se révolte contre la voix d'un ange qu'il ne voit pas mais qui lui ordonne de présenter Jésus non comme le fils de Joseph mais bel et bien comme celui de Dieu. Quatre : Jésus lui-même, quand il lit ces pages, se met dans une profonde colère et clame qu'il est le fils de Joseph et de Marie et non celui de Dieu. Cinq : les disciples, y compris Jean, le Bien-Aimé, sont montrés comme des opportunistes à qui l'idée du "Royaume des Cieux" ne parle guère mais qui se verraient bien, une fois Jésus au pouvoir, tétrarques et gouverneurs. Six : Jésus comprend que, après lui, certains déformeront ses paroles et les récupéreront de façon trop matérialiste ; mais il s'incline, réalisant qu'on ne peut vaincre ainsi la nature humaine d'un coup et que, beaucoup plus importantes sont la profondeur, l'humanité généreuse et l'universalité de la Parole qu'il laisse. Sept : la figure de Saül, devenu Paul de Tarse, qui marquera si bien de son empreinte la structure de ce que nous appelons le christianisme que l'on peut penser parfois que cette religion mériterait de se sous-titrer "le paulisme", apparaît également et ce n'est certainement pas un hasard si Kazantzáki souligne la déformation qu'il infligea à la Parole du Christ. Huit et dernier : quand Jésus s'évanouit sur la croix, sous l'effet de l'épuisement et de la douleur, le Malin s'immisce et, sous la forme d'un ange aux ailes vertes, lui fait vivre en rêve une vie humaine longue et couronnée d'enfants et de petits-enfants.



Mais sous l'effet des vapeurs de vinaigre aromatisé qui montent de l'éponge que lui tend, au bout d'une pique, un soldat romain, Jésus reprend conscience. Et alors, sans regret aucun, avec une joie indicible, comprenant que, fils de Dieu ou pas, il n'a pas trahi plus que Judas et est, lui aussi, parvenu au bout de sa "mission", trouve la force de s'écrier : "TOUT EST ACCOMPLI !" Et l'auteur grec de conclure sobrement : "Et c'était comme s'il disait : tout commence."



Tout commence en effet. Et le livre de Kazantzaki nous fait aussi comprendre que tout est susceptible de recommencer. Pour vous, pour votre voisin, pour moi - n'importe quand, n'importe où. Si vous avez lu et si vous appréciez les Evangiles qui ne glorifient que l'aspect divin du Christ, il vous faut également lire "La Dernière Tentation" de Nikos Kazantzáki. C'est un être humain que vous y rencontrerez, un être humain imparfait, qui le sait et qui tente, lentement, péniblement, en se blessant aux pierres du chemin, en s'arrêtant bien souvent, en tentant même tout aussi souvent de revenir sur ses pas parce que l'avenir l'effraie, d'accéder malgré tout à un niveau spirituel supérieur.



Un être qui vous ressemble. Et c'est bien là sa force et la vôtre - la nôtre. Surtout aujourd'hui. ;o)

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Alexis Zorba

Un jeune intellectuel vient en Crète exploiter une mine de lignite, et essayer d’écrire aussi. Son chemin croise celui d’Alexis Zorba, d’un tout autre milieu et plus âgé, qui a déjà beaucoup roulé sa bosse, et qui va proposer ses services au narrateur. Et qui va d’ailleurs au final tout faire : organiser le travail à la mine, car son patron, comme il l’appelle n’y connaît pas grand-chose, cuisiner, gérer le quotidien et surtout l’enchanter, par ses récits, son appétit de vivre, sa musique… Il va tenter d’insuffler à son jeune employeur une plus grande vitalité, une envie de vivre et non pas de penser sa vie en permanence.



Sous les apparences d’un récit picaresque et drôlatique, Nikos Kazantzakis interroge notre rapport au monde, à la vie. Aux choix que l’on fait ou non à un moment, à l’envie que l’on possède ou pas. Zorba qui mord dans la vie à belles dents, au risque de la catastrophe, s’oppose à l’intellectuel qui n’arrive pas à faire autre chose qu’observer et évaluer, au risque de l’impuissance. Le monde dépeint n’a rien d’idéalisé, il est violent, plein de préjugés, et surtout rempli de la peur de la mort, à laquelle personne n’échappe à un moment ou un autre. Et toutes les sagesses du monde n’ont aucune réponse, aucun véritable apaisement face à cette crainte qui habite dans chaque être humain. Chacun y est confronté à un moment où un autre.



Face à la difficulté d’exprimer ce qui habite au fond de chaque être, la peur, la joie, le bonheur comme la peine, chacun trouve sa voix : celle du narrateur est celle du mot, du verbe. Alors que celle de Zorba est celle de la musique et du corps, à travers la danse. D’une certaine manière, un être humain complet posséderait les deux, les maîtriserait aussi bien l’un que l’autre. Mais est-ce vraiment possible ?



Un beau livre, qui pose beaucoup de questions, et qui nous fait faire un beau voyage.
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L'Odyssée

Voici le compte rendu que j'en ai publié dans le journal Le Monde du 28 janvier 1972 :



UNE ODYSSEE DE NOTRE TEMPS



Ronsard disait dans un poème des Amours « Je veux lire en trois jours l'Iliade d'Homère. » Combien de jours faut-il, dans notre monde d'aujourd'hui, pour lire les trente-trois mille trois cent trente-trois vers de l'Odyssée de Nikos Kazantzakis, que voici traduite en français ? Dès que l'on aborde les premières mesures de cette rhapsodie gigantesque, oeuvre d'une vie entière, le temps s'efface, les jours ne comptent plus. Ce poème est un vertige continuel, une démesure, un défi au lecteur lui-même, qui doit, pour l'affronter, s'arrimer solidement au livre, comme pour un long périple au pays des cyclones. Car cet océan poétique ne se traverse pas impunément. Tel Ulysse, on en sort épuisé, mais comme renouvelé, au terme d'une constante et prodigieuse initiation.

L'Odyssée de Kazantzakis n'est ni une traduction ni une adaptation de l'Odyssée d'Homère, mais une oeuvre entièrement originale. Cette Odyssée commence exactement où finit celle d'Homère : au moment où Ulysse, revenu à Ithaque, décide d'en repartir à jamais sur les mers et les routes du monde.

Cinq étapes marquent, au cours des vingt-quatre chants de l'épopée, ce cheminement d'Ulysse, de son départ d'Ithaque à sa mort solitaire dans les glaces du pôle.

Première étape : l'assouvissement de la Beauté et l'expérience de l'Eros. C'est la rhapsodie de l'Amant, du conquérant des femmes. Ulysse enlève Hélène à Sparte, enlève Dictynna, fille du roi de Crète, où il s'adonne aux orgies et aux mystères taurins, et qu'il quitte après avoir incendié le palais de Cnossos. Femmes et flammes, tels sont les thèmes de cette première étape, un voyage au coeur du Désir.

Deuxième étape; la Faim et la Justice. Cadre : l'Egypte. Dans ce pays où le peuple asservi est en proie à la misère, à la famine, Ulysse combat contre le Pharaon. Capturé et condamné à mort, il se sauve grâce à sa ruse. Ses compagnons sont ici des militants de notre monde : le soldat, le paysan et l'ouvrier. C'est la rhapsodie de la lutte contre l'injustice et la tyrannie, la rhapsodie du Combattant.

Troisième étape : la Cité idéale. Avec quelques desperados échappés comme lui des geôles de Pharaon, Ulysse s'en va vers les déserts du Sud pour fonder la cité dont il rêve. C'est le monde de la soif et du dénuement volontaire, et, plus tard, de la jungle et des fauves. Les faibles, les indécis, seront éliminés. Seuls resteront les purs, les courageux, "ceux qui sont décidés à tout, même à tuer". Ils édifient une cité mirifique, dont Ulysse établit les lois : ce sont les Dix Commandements du monde nouveau. C'est la rhapsodie du Bâtisseur et du Maçon des âmes.

Quatrième étape : l'Ascèse et la Délivrance. Cadre : les montagnes et les rivages de Haute-Egypte. Le rêve s'écroule. La Cité idéale disparaît au cours d'un séisme. Les derniers compagnons d'Ulysse sont engloutis dans le feu de la terre. Resté seul, Ulysse se réfugie sur une montagne, où il vit en ascète. Beauté, justice, Cité, tout lui paraît vain désormais. L'Amant, le Combattant, le Bâtisseur s'effacent devant l'Ascète, qui redescend vers le monde des hommes pour y vivre en mendiant. C'est la rhapsodie de l'expérience libératrice, des ombres congédiées de l'Ascète errant, de la totale liberté.

Cinquième étape : la mort dans l'univers réconcilié. Cadre : les glaces du pôle Sud. Après avoir erré un temps sur les rivages de la mer Rouge, rencontré sous des formes transposées : Bouddha - un prince indien -, Don Quichotte - un chevalier capturé par des anthropophages -, Jésus - un pêcheur d'une bourgade de la mer Rouge -, Ulysse construit un esquif et se laisse emporter vers le sud. A mesure qu'il avance vers le pôle - où la Mort viendra lui tenir compagnie à la proue du vaisseau - tous les fantômes de son passé, ses femmes, ses compagnons, ses adversaires, ses héros préférés et même les éléments de l'univers, l'escorteront jusqu'à l'ultime instant où il se diluera dans la blancheur de la mer et du ciel.

Ce que ce résumé est impuissant à rendre, c'est évidemment et en premier lieu le poème lui-même. Car tout cela est dit en vers de dix-sept syllabes que la version française de Jacqueline Moatti a transposés dans une prose évocatrice. La langue utilisée par Kazantzakis - que tant de Grecs ont eu l'absurdité de lui reprocher - n'est pas, comme on l'a dit, une langue fabriquée, absconse, artificielle. C'est la langue même que le poète a employée toute sa vie, celle qui n'existe dans aucun dictionnaire savant. Kazantzakis va chercher ses mots là où ils se trouvent et où bien peu avant lui ont songé à les recenser - «sur la bouche des paysans, des pêcheurs, des bergers et des artistes ».

Le poète a passé des années à parcourir la Grèce, à noter tout ce qu'il entendait - noms de fleurs, de métiers, appellations familières, termes religieux - pour créer peu à peu une langue qui soit pleinement panhellénique. Ce seul aspect de l'oeuvre est déjà en lui-même une entreprise novatrice. Et ce poème, fait de milliers de mots - rarement ou jamais utilisés jusqu'alors en langue littéraire - apparaît déjà, de ce seul point de vue, comme un monument linguistique, un corpus où se trouvent recueillies et souvent rehaussées les expressions, les inventions les plus précieuses de la langue démotique. D'ailleurs, tous ceux qui, dans cette oeuvre, vivent et luttent aux côtés d'Ulysse, qui sont-ils ? Ce ne sont pas des intellectuels, encore moins des linguistes, mais des corsaires, des artisans, des bergers, des klephtes, des mendiants, toute une foule de déracinés, de coeurs et de têtes brûlés. Malgré le parti poétique pris par Kazantzakis, malgré ces vers longs et rythmés comme une houle venue du large, c'est bien leur langue que l'on retrouve, toute la langue du monde hellénique. L'Odyssée est aussi le plus grand et le plus merveilleux dictionnaire dont on puisse rêver, c'est une anthologie vivante de la parole grecque.

Quant aux thèmes et à l'éthique qui se dégagent de cette oeuvre, ils constituent le credo que Kazantzakis n'a cessé de proclamer toute sa vie depuis Ascèse, son premier livre, qui se trouve ici magnifié, épuré, au terme d'une série d'épreuves ulysséennes qui recouvrent les itinéraires personnels de l'auteur. A chaque épreuve on peut d'ailleurs faire correspondre le modèle humain ou mythique, l'ombre initiatrice qui dominèrent l'auteur aux différentes époques de sa vie. En Ulysse se conjuguent et se dissolvent tour à tour Tantale, Héraclès, Lénine, Bouddha, don Quichotte, Nietzsche, le Gréco, saint François d'Assise, maître Eckhart et bien d'autres, que l'auteur a nommés «les gardes du corps de l'Odyssée ». Et ce qu'Ulysse vit et découvre au terme du voyage, c'est ce pessimisme héroïque, déjà affirmé dans Ascèse, credo de notre temps. Tout connaître et tout vivre - y compris le meurtre et le sang - pour épuiser le mal, absorber le néant. Etre amant jusqu'au bout pour ensuite renoncer à l'Eros, militer jusqu'au bout pour ensuite se désengager, devenir un héros pour renoncer à l'héroïsme, et devenir un saint pour renoncer à la sainteté même.

Vingt ans avant les philosophes et écrivains de l'Occident, Ulysse découvre en haut de sa montagne l'absurde de la vie. Et en ce sens, cette oeuvre nous révèle que ni Camus, ni Sartre ne furent - sur le plan littéraire - les premiers à ressentir et exprimer l'absurde de toute existence, mais Ulysse le conquistador, l'amant, le bâtisseur et le desperado. Les universitaires auront beau jeu - si le coeur leur en dit - de rechercher dans cette oeuvre lyrique les influences philosophiques qui, par endroits, la marquent. Ce qu'ils ne pourront toutefois lui ôter - une fois mises en lumière les révélations esthétiques, éthiques, métaphysiques qui jalonnent le voyage d'Ulysse - c'est la flamme qui d'un bout à l'autre la parcourt. Elle emporte le lecteur sur des mers inconnues, des déserts jamais entrevus, des montagnes où le coeur s'endurcit et qui tous sont de notre temps. Beaucoup moins que le chant d'un passé pastoral où l'homme vivait à sa mesure étroite, l'Odyssée est celui d'un présent élargi aux dimensions de la planète.



Jacques LACARRIERE, Dictionnaire amoureux de la Grèce, Plon, 2001, pp. 323-329.
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Alexis Zorba

Ce qui me fascine le plus dans ce roman (un petit univers romanesque, un organisme bien construit, comme la toile d'une arraignée dont les singnes ne s'enchaînent pas au hasard comme ils semblent le faire, mais ils sont tissés avec soin par l'esprit d'un génie qui nous tient captives dans sa toile) est la manière par laquelle le narrateur personnage essaie de gagner la délivrance, en s'echappant à des mots comme 'éternité', 'amour', 'esperance', 'patrie', 'Dieu' qui sont des 'mots anthropophages', surtout l'éternité.

Admirant et enviant Zorba, il aurait voulu à un certain moment dans la narration faire 'tabula rasa' (effacer tout, tout ce qu'il a malheureusement appris, tout son passé et entrer à l'école de Zorba, l'école de la vie), mais c'était trop tard pour un 'tel avortement spirituel' et pour se délivrer il faudra naître, faire naître le manuscrit qu'il portait en lui et avec lui. L'acte de l'écriture, c'est un acte de naissance, voilà pourquoi on peut dire que l'écrivain incarne le principe feminin, passif, aquatique, intérieur, en temps que Zorba symbolise le principe masculin, actif, terreste, extérieur: 'Depuis deux ans, dans les tréfonds de moi-même, frémissait un grand désir, une semence: Bouddha. Je le sentais à tout moment dans mes entrailles me dévorer et mûrir. Il grandissait, s'agitait, commençait à donner dans ma poitrine des coups de pied pour sortir. Maintenant je n'avais plus le courage de le rejeter. Je ne le pouvais pas. Il était déjà trop tard pour un pareil avortement spirituel.'

En fait, l'amitié de l'écrivain avec ce 'mec' de soixante cinq ans qui ne veut pas mourir, qui vit comme s'il ne devait jamais mourir, est une relation oxymorique, une sorte de 'coincidentia oppositorum' (du latin: qui renvoie aux principes contraires qui s'attirent). Ce couple est une variante moderne, une actualisation du couple Don Quichotte - Sancho Panza.

Je considère que le dialogue du berger avec Bouddha est aussi fort intéressant parce qu'il en resulte que celui qui ne rien craint peut être considéré un homme, un esprit libre. L'un a ce qu'il a besoin pour vivre(des vaches, des prairies, une femme), mais il est simple, l'autre n'a rien et il est simple aussi. Tous les deux disent les mêmes choses regardant le ciel: '- Et toi, tu peux pleuvoir tant que tu veux, ciel!' et Bouddha ajoute: 'Je n'ai rien. Je ne crains rien.'

Sur la tombe de Nikos Kazantzakis est inscrite l'épitaphe: Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre. Ça dit tout.
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