J'ai un peu de mal à faire cette critique parce que d'un côté Réjean Ducharme est un auteur québécois important et de l'autre son premier roman "L'avalée des avalés" ne m'a pas entièrement séduite car il y a un peu trop de noirceurs pour moi.
Le texte est d'une grande puissance comme d'ailleurs les chansons qu'il a écrites pour Robert Charlebois mais j'ai eu un peu de mal avec le langage québécois. Il y a des expressions que je ne comprends pas bien.
La narratrice s'appelle Bérénice Einberg. C'est une petite fille qui se réfugie "dans son palais de solitude" où elle trouve ses seules joies. Pourtant c'est une révoltée qui crie souvent "Vacherie de vacherie!". Il faut dire qu'elle a une famille un peu compliquée : un père juif, une mère catholique et un frère qu'elle aime d'amour. Ils vivent sur une île dans la banlieue de Montréal où les parents font tout pour les séparer. Bérénice cherche à partir de cette maison qui l'enclave, quitter sa mère qui la terrifie et son père qui l'ignore. Elle grandit avec la rage nourrit de tristesse.
Il y a un côté loufoque que j'aime bien comme quand son frère Christian qu'elle aime lui raconte qu'il veut devenir lanceur de javelot alors qu'il fait des études de biologie. Mais ce qui m'a gênée c'est que Bérénice parle de la même façon à 9 ans et à 20 ans.
Ce roman a été créé en 1966 et il a fortement marqué les esprits. Je comprends pourquoi car il y a quelque chose de Boris Vian dans ce texte de Réjean Ducharme qui porte vraiment un très beau nom.
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Vacherie de vacherie ! (je reprends l’expression favorite de Bérénice, la narratrice de ce livre)
Quel livre !
Bérénice est une petite fille au début du livre (huit ans à peu près) et à la fin du livre elle a une vingtaine d’années.
Elle vit au Canada sur l’île des sœurs avec son père, sa mère et son frère qui a deux ans de plus qu’elle. Les parents se détestent et se déchirent : Ils décident de se séparer et gardent chacun un des enfants. Le père Einberg est juif et élève sa fille dans la religion juive. La mère est catholique et veut élever le fils, Christian, dans sa religion à elle. Au début, j’ai cru que Bérénice était une sorte de petite sœur de Zazie (celle du métro) ; grande gueule, avec un franc-parler bien à elle et plutôt assez chipie.
En fait il n’en est rien : Bérénice est une petite fille qui souffre énormément des disputes continuelles de ses parents. Pour survivre à ce climat impossible et anxiogène, elle a une affection démesurée pour son frère Christian. Pauvre petite fille ! au début on est en totale empathie avec elle, écartelée entre son père et sa mère. Elle ne reçoit aucune tendresse, aucune attention si bien qu’un jour elle essaie de se laisser mourir. Elle survivra à cette maladie (forte fièvre) et la ressemblance avec Zazie s’arrête là. Bérénice, un peu après cette maladie, devient franchement antipathique : elle tue les chats de sa mère qu’elle dit détester, une page plus loin elle dit l’aimer. Elle en fait voir de toutes les couleurs à son entourage (entourage détestable de son père et sa mère, pas un pour rattraper l’autre, certes ils ont souffert pendant la guerre mais comme peut on torturer, psychologiquement, ainsi ses propres enfants). De rage, son père l’expédie chez son oncle, juif orthodoxe à New York pendant cinq ans. Son amie Constance la suit mais l’apaisement sera de courte durée.
Pendant cinq années, elle ne verra pas du tout son frère et lui écrira des lettres enflammées : l’aime-t-elle vraiment ce frère ou écrit elle ces lettres uniquement pour faire enrager son père qui lit tout son courrier ?
La petite fille espiègle et malheureuse du début du livre devient une adulte détestable et malheureuse qui se rend, contrainte et forcée par son père en Israël pour faire son service militaire. La petite fille a disparu, reste une jeune adulte perturbée qui accomplira l’indicible.
Au delà de l’histoire très prenante, l’écriture de Réjean Ducharme est somptueuse et très poétique (Roman paru en 1966 en France, Wiki me dit qu’il a été en lice pour le prix Goncourt)
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C'est dommage que Dévadé ait un style si maniéré, parce que dans le fond, tout le reste est génial. C'est dommage parce que je suis un fervent admirateur de Réjean Ducharme, mais là, il pousse la chansonnette un peu trop loin. Un peu comme dans les derniers livres de Beckett, pas à ce point, mais l'engrenage est mis en marche. C'est le plaisir/désir de faire des rimes, des mots qui sautillent, qui fendillent ou qui frétillent, qui ont la malencontreuse conséquence de fragmenter le récit et de le faire bégayer. Il suffit de lire à haute voix pour s'en rendre compte. C'est surement dû à l'époque, fin des années 80, où la tempête déconstructiviste frappait encore, du bout de la queue.
Ce désagrément de lecture, qui fait qu'on ne lit pas ce livre d'une traite, peut être défendu en disant que ces effets de style sont les lubies du personnage principal, que c'est lui qui vrille sur la glace avec la vieille Oldsmobile, saoul, sans casque ni pantalon, et par conséquent, la forme est cohérence avec ce personnage haut en couleur. Peut-être. Mais c'est dommage parce que ce Pierre Lafond, au fond, la pierre au fond du lac, que tout le monde appelle Bottom, est un personnage hors du commun, avec de la répartie aux kilomètres, capable de retourner toutes les balles qu'on lui lance, son malheur est inébranlable et il y tient.
Derrières cette virtuosité renversante, Ducharme nous peint des personnages touchants, les poches pleine de contradictions. Tu m'aimes - tu m'aimes pas - tu m'aimes pas comme je t'aime - pardon, on dit plutôt je t'aide comme tu m'aides.
On pourrait voir cette histoire comme une sorte de triangle amoureux où Bottom se trouverait à l'extérieur, courant d'une femme à l'autre, avec l'espoir de recevoir un peu de tendresse. Le problème pour Bottom, c'est que lorsque la tendresse arrive, s'approche, il ne peut s'empêcher de l'éviter, parce que ça peut faire mal la tendresse : quand elle s'en va, elle ne revient pas. Pour cette raison, Bottom ne peut s'empêcher de blesser, de fuir avec l'Oldsmobile pour avaler ses 6 bières quotidiennes. Pourquoi 6 ? parce qu'il n'en supporte pas tant ! Ça y est, on comprend, Bottom aime entretenir des relations torturées, il y tient, comme ceux qui aime leur steak saignant. Bottom a aussi la manie de parler au téléphone. Quand il est chez l'une, il appelle l'autre, et vise-et-versa. La troisième est là lorsque la ligne est occupée, c'est Nicole le pot de colle, qui a toujours la porte ouverte. Elle se laisse si facilement amadouer cette Nicole, par tout le monde, sauf par lui, elle lui résiste, ce sera trop facile. Pauvre Bottom, qui court d'une à l'autre, avec l'espoir du désespoir.
Au final, c'est peut-être mieux comme ça, que Dévadé ne lise pas d'une traite, on est heureux de retrouver soir après soir ce Bottom qui semble dire que c'est seulement quand on souffre vraiment qu'on sait qu'on est bien en vie.
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Génies rebelles jusqu'au-boutistes ou loosers alcooliques névrosés? Les personnages de ce roman sont à la fois exaspérants et fascinants! Un couple fusionnel d'artistes manqués, nihilistes et désabusés, atteints d'une forme particulièrement aiguë de déni et complètement obsédés par une jeune célébrité aussi riche qu'égocentrique.
Le roman propose un portrait cynique du milieu artistique montréalais des années 70 : une Bohème québécoise, à la fois déprimante et amusante, savamment agrémenté des truculents tours de langue de Réjean Ducharme. Un auteur à découvrir!
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Ce livre est une horreur. Il est écrit de manière à ce qu’on peut lire une page et ne pas avoir compris du tout ce qu’on vient de lire. L’histoire est désolante et donne l’impression qu’avoir une une dépression est plus agréable que de passer une heure à lire cette « œuvre ». Les personnages ne sont pas attachant voir detestable et la fin est certainement la pire que j’ai pu lire de toute ma vie. Les personnages adorent perdre leur temps tout au long du récit et c’est justement ce qu’on a l’impression de faire en lisant ce livre.
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Pièce absurde où les personnages principaux, Inès et Inat, se battent contre un monde qui voudrait leur dérober leur attachement aux idées et à la liberté qu'ils aimeraient faire perdurer au milieu des convenances sociales et de l’obéissance docile à laquelle se plient leurs contemporains, devenus des personnages-fonctions porteurs d’uniformes plutôt que des êtres humains vraiment habilités à aimer et à penser. Ducharme écrit toujours des textes de qualité, mais il faut apprécier l'humour absurde pour y trouver son compte.
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C'est dans le roman que je trouve que la plume de Réjean Ducharme atteint sa cible et provoque des images d'une force incomparable. Je n'ai pas retrouvé cette force des mots, des métaphores, des idées dans le théâtre de l'auteur. La pièce n'est pas inintéressante, mais elle est à des années-lumières de la qualité des romans de Ducharme.
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J'ai lu récemment "L'avalée des avalés". J'étais familier des textes de Réjean Ducharme par les chansons de Robert Charlebois, je connaissais ce titre de nom et la réputation énigmatique de son auteur. Je partage plusieurs des avis publiés ici, il faut prendre un tel texte sans souci de réalisme mais un aspect m'a quand même laissé perplexe : ce que Ducharme dit du judaïsme (et accessoirement d'Israël mais je laisse cette partie de côté), et de la pratique religieuse juive, à travers Einberg et l'oncle de New-York. C'est sidérant soit de fausseté volontaire, au titre de quelque licence poétique, soit d'ignorance pure et simple. Au début des années 60, il y avait probablement une communauté juive organisée à Montréal. Ducharme l'a-t-il seulement approchée ? Avait-il déjà mis les pieds dans une synagogue ? On en doute à lire des énormités comme la jeune Bérénice marquant sa révolte par un refus de "jeûner le jour du Chabat"... alors que le Chabat est précisément un jour de repas de fête et de sérénité, et tout le contraire d'une mortification qui n'a lieu qu'une fois par an à Kippour. Entre autres aberrations, encore, la description de l'étrange matinée de Kippour, justement, de l'oncle "orthodoxe" Zio se trempant dans l'eau glacée de l'Hudson, ou encore les hommes et les femmes sur les mêmes bancs, comme à l'église, dans la synagogue new-yorkaise, nécessairement orthodoxe dans le contexte, où les sexes sont séparés comme chacun sait. Bien sûr l'anticléricalisme de l'auteur a le droit de s'exercer sur n'importe quelle religion, avec toute la virulence qui n'épargnait pas le catholicisme dans le Québec des années 60/70, ici à travers son personnage d'adolescente révoltée à laquelle son père veut coller une identité juive qu'elle refuse. Mais en quoi ces grossières erreurs (donnant au passage la curieuse image d'une religion où on jeûnerait une fois par semaine...) sont-elles nécessaires au propos, ou au délire poétique de son expression ? Pourquoi Réjean Ducharme n'a-t-il pas eu l'idée de soumettre son manuscrit (les pages concernées au moins) à un rabbin ou à un ami juif ? Cela me laisse perplexe, et j'aimerais savoir si je suis le seul, si les autres lecteurs de ce livre n'y ont vu que la critique d'un rituel religieux sans s'étonner plus que cela de ce qui y est décrit ?
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Pour mieux comprendre le personnage majeur de ce roman, et donc le roman par lui-même, il convient de l’appréhender par son patronyme « MILLE MILLES » ( Mille : Au Canada, ancienne unité de mesure des distances, équivalente au mile britannique soit environ 1609 m ), un itinéraire phénoménal de plus d’ un million six cents mille kilomètres à parcourir, qui condamne le héros à une errance perpétuelle et par voie de conséquence, à une grande lassitude « j’ai tellement de milles dans les jambes" . Mais ce cheminement sans fin est, en fait, un parcours initiatique, une sorte de chemin de croix pour arriver à l’équilibre, à la stabilité voir à l’harmonie, à la paix, à l’âge adulte.
Ducharme métaphorise l’actualité politique et sociale du Québec de la décennie 60 : - La Révolution tranquille - le pays est alors fracturé entre tradition et modernité , innovation et atavisme, partagé entre deux cultures, quatre langues le français académique exacerbé , l’anglais, le franglais, et la québecité , entre pratique religieuse orthodoxe et rétrograde qui frise l’intégrisme et liberté de mœurs et de pensée…
Ce livre peut être lu en se plongeant et en analysant ce contexte historique , il peut être aussi étudié comme un rituel initiatique et traumatisant pour passer à l’âge adulte, d’autres pistes multiples existent, il peut être aussi, et c’est ce que j’ai fait, pris comme un amusement linguistique visant à rechercher les jeux de sonorités , à découvrir les mots- valises, les mots recyclés, les néologismes, les barbarismes, les gallicismes, en traquant les calembours, les contrepèteries , les métaphores, en collectant les références géographiques, historiques, mythologiques, celles concernant les Beaux-arts, … car l’œuvre de Ducharme foisonne de créations verbales, qui éclatent comme un feu d’artifice lexicologique , et c’est ce qui fait son charme ! En prenant cette option, c’est aussi échapper à toute cette noirceur qui a du mal à se diluer dans le blanc de la neige québécoise.
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Le récit est un foisonnement d’images très vivantes, et servit d’une remarquable lucidité. Ducharme forme sous les yeux du lecteur un paysage intérieur, en bouleversement permanent. On ne quitte pas un moment les pensées versatile de Bérénice, aux prises avec des conflits familiaux ― le père est juif, la mère est catholique ―, avec sa brûlante sensibilité. Elle devient sauvage, et il faut dire qu’elle et le récit forme un seul et même corps. Les autres personnages sont en elle, elle les dévore ou se fait dévorer par eux. La conscience d’être aimée (ou méprisée) et partant, que les autres fassent d’elle leur chose ; qu’elle-même, ne fait qu’aimer des idées, des projections et non des êtres. Elle devient une aventurière à la poursuite de quelque chose d’indéfinissable. Le récit, avec ses redondances, provoque une sorte d’épuisement, mais contient des moments de poésie assez unique. Très emporté.
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L'art de Ducharme dans ce livre est de pouvoir le comprendre à différents niveaux d'interprétation, fable sur l'amour, rite de passage vers l'âge adulte ou lutte pour la vie. Le langage comme toujours est le moteur premier de l'intrigue.
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Quand j'ai appris tout récemment la disparition, à l'âge de 76 ans, de l'écrivain québecois Réjean Ducharme, je me suis souvenu que j'avais un de ses romans dans ma bibliothèque, acheté l'été 2004 à la librairie Pantoute de Québec et que je n'avais pas encore lu. Je l'ai retrouvé là où il m'attendait patiemment. Il portait ce titre bizarre : "Le nez qui voque" (bizarrerie qui m'avait sûrement poussé à l'acheter à l'époque). Il s'agit du premier roman écrit par Réjean Ducharme, mais publié en second par Gallimard, en 1967, après le succès obtenu l'année précédente par "L'Avalée des avalés" alors que son auteur n'a que vingt-cinq ans. Réjean Ducharme publiera en tout 9 romans, des pièces de théâtre et des scénarios de film. Il écrira des chansons pour Robert Charlebois et Pauline Julien. Son dernier roman, "Gros mots" a été publié par Gallimard en 1999. Il est connu aussi pour avoir toute sa vie fui les média, les photographes et toute forme de publicité, comme les écrivains américains Salinger et Pynchon. Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur cet auteur, je vous invite à visionner cette vidéo, tournée à l'occasion de ses 70 ans et qui respecte sa vie privée : https://www.youtube.com/watch?v=64Nlwvbw3Z8 .
Si j'ai pris la peine de présenter aussi longuement l'auteur du "Nez qui voque" c'est que j'ai beaucoup de mal à parler du livre. Il s'agit d'un objet littéraire à l'interface entre le roman et la poésie, dans la lignée des romans de Queneau et de Vian. le livre comporte d'ailleurs plusieurs poèmes intercalés ça et là dans le texte. Comme Queneau et Vian, Ducharme aime beaucoup jouer avec les mots, leur faire subir diverses distorsions ou substitutions. Alors que La Zazie de Queneau parlait "d'homosessuel" (pour homosexuel), Mille Milles, le narrateur du "Nez qui voque", parle (très fréquemment !) de "s'hortensesturber" (pour se masturber). Disons le tout de suite, le sexe (ou l'absence de sexe) occupe une place très importante dans le roman. Mille Milles (c'est un surnom qu'il s'est donné) est un adolescent de seize ans et il a convié une amie d'enfance, de deux ans sa cadette, qui s'appelle de son vrai nom Ivugivic (elle est d'origine esquimaude), mais qu'il a rebaptisée "Chateaugué", a venir vivre avec lui, à Montréal. Ils couchent dans le même lit, mais s'abstiennent de toute relation sexuelle. Ils ont ensemble le projet de se suicider pour ne pas devenir adultes car "devenir adulte, c'est entrer, être pris de plus en plus, dans le royaume du mal".
Mais dans le monde des adultes, c'est surtout les femmes (et la sexualité) qui posent problème à Mille Milles. Tout au début du livre, il veut choisir un substitut au mot "suicide" et en ouvrant au hasard le dictionnaire, il tombe sur le mot "branle-bas" qu'il adopte immédiatement et désormais Chateaugué et lui parlent de se "branle-basser". le mot "branle-bas" est évidemment très évocateur (sans "nez qui voque" possible !) des difficultés que rencontre le narrateur avec le sexe féminin. Plus encore que la logorrhée du narrateur ou l'omniprésence obsédante de ses jeux de mots, ce sont ses propos caricaturaux, parfois très violents, envers les femmes qui m'ont le plus dérangé dans cette lecture. A titre d'exemple : "Amour ! Amour ! Amour ! Quelle déchéance ! L'homme n'est plus qu'un présent de Dieu à la femme. Il ne faut pas la brusquer, Georges. Il ne faut pas lui faire de mal. Il ne faut pas la violer, Georges. Il faut lui demander la permission." ou encore "Porcs ! Porcs ! Domestiques ! Domestiques de la femme et de l'agent ! Embarquer dans une porcherie, c'est accepter de devenir un porc apprivoisé. La maternité ! La porcherie ! [...] L'homme est le domestique. La femme et le dollar sont les maîtres." Et bien-sûr la femme est l'ennemie du poète, du créateur : "Quant à la femme, j'exècre son influence sur mes idées, ces désirs qu'elle flatte, ces parfums fabriqués avec lesquels elle essaie d'endormir mon aigle. Je subis la femme comme un homme qui se meurt de soif subit la torture d'un mirage. Je déplore la femme. [...] La femme, je la martyriserais ! Son petit visage, c'est à l'acide sulfurique que j'aimerais lui faire ravaler ses faux serments !".
On peut me rétorquer que c'est le narrateur qui tient ces propos, et que rien ne prouve que l'auteur les cautionne. Pourtant la fin du roman est conforme à cette haine de la femme puisque l'auteur met à mort la part féminine de cette histoire (et de son personnage principal ?) et laisse penser que tout est pour le mieux ainsi : "Elle était laide. Elle avait l'air stupide et médiocre dans sa robe trois fois trop grande, dans le lit défait, dans la chambre en désordre. L'odeur âcre du sang m'a pris à la gorge comme quand on passe près d'un abattoir. J'ai comme envie de rire. Je suis fatigué comme une hostie de comique."
On m'objectera aussi qu'Arthur Rimbaud (qui est une référence insistante de Ducharme dans ce roman) n'était pas tendre non plus avec ses "petites amoureuses" : "Ô mes petites amoureuses, / Que je vous hais ! [...] Je voudrais vous casser les hanches / D'avoir aimé !". Mais Rimbaud n'en fait pas un roman de 300 pages et il est difficile d'y voir un côté obsessionnel comme c'est le cas avec le roman de Ducharme.
Que sauver de ce livre amer ? Sans doute un témoignage sincère sur la douleur de vivre d'un adolescent mâle qu'une éducation religieuse culpabilisante aura traumatisé (Ducharme n'en parle pas explicitement mais on peut le lire entre les lignes). Et le dégât est hélas profond ! Et également quelques poèmes, généralement plus souriants que le reste du texte, comme celui-ci :
Les automobiles
Sur le chemin des édicules
Passent des hommes et des femmes
Greffés avec des véhicules
Qui éteignent le sang et l'âme.
Ils passent en automobile,
Ces hommes fous, ces femmes folles.
Et ils se croient, hélas, habiles
De ne vivre que de pétrole.
Ils ne parlent pas : ils klaxonnent.
Et ils ne marchent pas : ils roulent.
Vu qu'à deux jambes, je fonctionne,
Ils rient; ils me traitent de poule.
Ils sont jaunes, ou verts, ou noirs.
Entre eux, point de ségrégation :
Ils bougent entre les trottoirs
Côte à côte et à l'unisson.
––––
Il reste aussi ce dialogue à la fois surréaliste et poignant entre l'auteur et son lecteur : "O mon ami l'homme, que ne t'ai-je encore entretenu des délices symphoniques de t'entendre m'entendre ? Car je t'entends m'entendre.Tu m'entends et c'est comme si tu me parlais. Tu ne m'entends pas à voix basse, tu m'entends à haute voix. Chaque mot que je te dis se répercute en toi comme une goutte d'or, comme dans un puits d'or. Mes murmures te grattent comme les doigts du guitariste grattent la guitare, ô grotte d'or ! Tu es un puits profond et sonore, et un puits qui n'a pas de cordes, mais tu es une guitare, tu es ma guitare. Je joue du puits d'or comme on joue de l'orgue. Je t'entends dire que j'exagère... pourtant je n'entends rien, pourtant, il n'y a personne dans cette chambre."
Une lecture difficile donc, rébarbative, obsessionnelle, irritante à plus d'un titre mais qui ne peut laisser indifférent, comme un cri d'écorché vif qui résonnerait dans la nuit, ou bien peut-être dans un puits d'or.
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Réjean Ducharme est un auteur quebecquois, le Nez qui Voque est son deuxième roman. Publié en 1967 alors que son auteur n'avait que 26 ans, il fait partie de la période des "romans d'enfance" de Ducharme, ses trois premiers ouvrages en fait, dont l'Avalée des Avalés qui fut nommé pour le Goncourt 66.
Ducharme développe en 330 pages les tribulations d'un adolescent qui rejette le monde des adultes. "Je ne veux pas aller plus loin" assure-t'il, "on ne peut pas prétendre à la grandeur quand on est mêlé au sexuel." Aussi Mille Miles, le narrateur, et son amie d'enfance Chateaugué envisagent-ils de se suicider (on dit "branle-basser"), d'en rester là et de s'en tenir pour quitte, parce que "quand on est sorti de l'enfance, il n'y a pas moyen d'aller quelque part sans s'écoeurer." Mais Mille Miles est partagé entre son rêve de pureté et ses pulsions sexuelles.
Réjean Ducharme n'est pas Romain Gary : il n'écrit pas La Vie Devant Soi, il n'y a pas beaucoup de sourires dans ce Nez là ! Il n'y a que la lumière qu'il veut donner, elle est basse, et il fait sombre, il fait cynique. Seule la poésie éclaire un petit peu. L'auteur multiplie les néologismes et les associations d'idées pour en faire des jeux de maux. Et des idées, il en a, Ducharme ! Mais comme dit Mille Miles, ce sont les idées noires, comme les tulipes noires, qui sont les plus belles. Un peu sombre, tout ça. Un beau roman tout de même, à gros caractère. C'est ce qu'il faut pour lire les romans ténébreux.
Merci, précieuse camarade Coli, pour tes judicieuses orientations et cette découverte.
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Bérénice est un être humain dans toute sa splendeur, pleine d’envie (parfois à la limite de la décence), d’ambivalence. Ce qui rend Bérénice unique c’est qu’elle agit selon ses envies, ses pensées mêmes les plus noirs (celles que parfois l’on a et dont est parfois honteux), elle n’a pas de tabou. A travers tout cela il semble qu’elle cherche sans cesse quelque chose sans y arriver. On aime le personnage de Bérénice et on le déteste.
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