Après avoir découvert Toxoplasma en 2017, il peut être intéressant de se replonger dans la bibliographie déjà fournie de Sabrina Calvo : Elliot du néant, par exemple, est paru en 2012 et fut son premier roman chez les éditions La Volte, dont on connaît la ligne éditoriale volontairement expérimentale.
Islande, petit peuple et course-poursuite
Bracken est un professeur de dessin français exerçant en Islande. En 1986, il séjourne à Hafnafjördur où il vient de démissionner de son poste dans l’école du coin. Pourtant, un collègue l’appelle paniqué pour venir l’aider à retrouver le concierge de l’école qu’il apprécie, mais qui est aussi très vieux et très muet (sauf pendant les cours de dessin de Bracken puisqu’il lui permet de s’exprimer autrement). Dans tous les cas, il semblerait que de sa chambre au sous-sol de l’école, le dit concierge, Elliot, a disparu sans laisser de traces et sans passer par les issues habituelles. Or, dehors l’école va normalement accueillir une kermesse locale, ce n’est pas le moment de faire mauvaise impression, d’autant plus que nous sommes en plein dans une contrée où le petit peuple, celui des fées et des elfes, est particulièrement présent (Hafnarjördur est d’ailleurs un site touristique réputé pour ses voyages de « l’Autre Côté » avec ses rochers dissimulant trolls et lutins). Bracken et son collègue ne sont bientôt plus les seuls à chercher l’infortuné Elliott : le principal, deux autres collègues ainsi que deux tortues recueillies par Elliott se mettent en quête, en quête de quelque chose que nous ne voyons apparemment pas.
La quête du Néant
Déjà dans Délius, Sabrina Calvo mettait en scène une histoire d’enquête loufoque sur fond de monde féérique, mais ici, dans Elliot du néant, elle va franchement plus loin dans le concept, puisque les personnages sont censés trouver le Néant. Rien de moins ! Dans ce but, Elliot est un puissant « McGuffin », car le lecteur ne se le représente pas forcément bien au départ, mais il est la puissance qui fait agir chacun des personnages. Bracken, alors qu’il n’est plus censé être à l’école, s’est pris d’affection pour cette personne et s’inquiète vraiment pour lui ; chacun des autres personnages également a quelque chose à trouver en suivant la piste d’Elliot. De plus, dans cette quête, régulièrement les deux tortues d’Elliot interviennent sans que les personnages ne les entendent, s’échangeant des pensées toujours utiles ou amusantes ; de temps à autre également, intervient un certain « Kor » qui prononce des sentences qui raisonnent comme des haïkus. Étrange donc comme ambiance, loufoque pour le moins, mais qui ne doit pas faire oublier que nous cherchons le Néant : non pas le vide, ni ce qui est « derrière les choses », mais bien ce qui est entre les lignes, dans l’impossible, l’intangible. Plus récemment, et toujours chez La Volte, à peu près les mêmes concepts sont utilisés dans Black Bottom, de Philippe Curval, mais cette fois dans l’espoir de trouver le Néant (ou l’ « aréel ») dans l’art contemporain. Dans Elliot du néant, cela nous emmène très vite dans des réflexions et des considérations assez métaphysiques sur ce qu’est un créateur, ce qu’est un personnage et ce à quoi nous renvoie n’importe quelle histoire, de science-fiction ou non. L’imagination de l’autrice emmène Bracken, et le lecteur, particulièrement loin dans les méandres du Néant.
Transtextualité
Comme toujours finalement avec Sabrina Calvo, le récit n’est qu’une petite composante dans un champ bien plus vaste. D’ailleurs, le récit en lui-même peut se résumer en gros à quatre scènes principales (la première dans la chambre d’Elliot dure à elle seule au moins 75 pages). Cela fait peu de scènes, mais l’essentiel est sûrement ailleurs. À l’image de la plupart des textes poétiques, il y a la recherche claire, franche et assumée d’une transcendance : jusqu’où va nous emmener spirituellement cette quête ? Sabrina Calvo met également à profit, pêle-mêle, sa connaissance des anciens jeux vidéo, son goût pour la féérie et son amour pour la poésie de Stéphane Mallarmé qui est particulièrement mise en scène dans une intertextualité assez nette. Chaque art est une voie possible pour atteindre une forme de quintessence de la vie et du pouvoir de création. Elle passe de l’un à l’autre, usant même de quelques symboles graphiques pour faire traverser le lecteur d’un monde à l’autre ou d’une réalité à une autre.
Elliot du néant est donc un roman diablement troublant : d’un côté, on peut s’y perdre en trois phrases ou juste complètement être déconnecté de cette histoire au départ simplette et qui vire au loufoque (pour être sobre), d’un autre, il offre en peu de pages des possibilités assez folles sur l’écriture. Difficile d’oublier ce genre de sensations de lecture.
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Ce roman réussit à allier l'Islande, Stéphane Mallarmé, Nick Kershaw et la mythologie pour nous embarquer dans une aventure féérique et loufoque, parfois teinté d'horreur !
J'ai pensé un moment à un Alice au Pays des Merveilles pour adulte car le héros part à la poursuite d'un "lapin blanc" -Elliot- et qu'il passe de notre monde à un autre et y rencontre des personnages extravagants mais ensuite... c'est tout autre chose.
J'ai trouvé particulièrement audacieux de partir d'un poème et d'une chanson pour imaginer tout un univers qui en découlerait. Cela donne une réalité et un relief bluffant à une histoire à priori impossible à faire tenir debout.
Ces pages nous offrent une réflexion profonde sur l'acte imaginateur de l'artiste : poète, dessinateur, joueur...
De la poésie brut dans un écrin de lave.
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Coté positif : une idée de départ très enthousiasmante, une écriture originale, toute faite d'images, de métaphores, de jeux de langage.
Coté négatif : une écriture TROP originale. À force de se perdre en divagations qui se veulent poétique, l'auteur a un peu négligé de soigner son rythme. On s'ennuie. Les personnages se lancent dans des divagations dont on peine à suivre le cours. Le ton est absurde, soit, mais ce n'est ni vraiment beau ni vraiment drôle, cela ne fait pas réfléchir non plus. J'ai juste eu l'impression de suivre le délire littéraire d'un homme doué pour jongler avec les virgules mais moins pour conter une histoire prenante.
Un peu déçu de ce bouquin publié par la pourtant excellentissime maison d'édition La Volte.
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« Je sais qu’il ne s’agit pas d’un rêve, car je ne rêve pas, et pourtant : si je n’ai jamais rêvé, comment savoir si ce que j’expérimente à l’instant n’est pas le produit d’un sommeil profond ? Comment trouver quelque chose dont on ignore l’existence ? Si l’apprentissage suppose l’aide d’un maître, où vais-je trouver la sagesse nécessaire pour sortir de ce dédale onirique où se retire notre âme le sommeil venu ? »
Terre d’Islande « déchirée entre deux continents », 1986. Une petite école est en émoi : Elliot, le concierge autiste, a disparu. Bracken, professeur de dessin déchu, les mains muselées dans des moufles, est appelé à la rescousse : parviendra-t-il à retrouver Elliot ? Il lui faudra affronter bien des paradoxes, quitter un monde plein pour gagner un antre vide, le Néant. D’ailleurs, est-il possible de le nommer par un mot qui d’emblée lui dessine un contour ? Au creux de ce Néant paradoxal, au fond de ses détours, se niche peut-être la poésie, et son paradoxe suprême : le trésor des signifiants qui tranchent dans le vif du réel.
« Elliot du Néant » est une œuvre déroutante, comme les lignes qu’elle porte, qu’elle célèbre, les lignes que Bracken, dessinateur talentueux, va manier, remanier, jusqu’à en tordre les contours, les interstices, pour essayer de redonner forme au réel. Quand on accepte de se laisser porter par cette intrigue qui semble n’avoir ni queue ni tête, alors le voyage est sublime et un sens se donne au milieu du chaos… Voyage au bout des paradoxes que portent les mots, voyage dans un monde poétique, féérique, où les tensions dialectiques se gèrent de manière inattendue, insolite, décalée.
L’humour est présent, en toile de fond, et l’on sympathise avec Bracken qui essaie, tant bien que mal, de composer avec ses doutes, d’opérer des choix… jusqu’au final où les certitudes se figent, se cristallisent, annonçant, déjà, la fin d’un monde bien instable…
Une œuvre qui, au final, me laisse un goût empli d’ambivalence, entre sentiment de déroute et fascination pour la puissance créatrice qui se dégage des mots posés là, entre les lignes, les interstices du réel…
« Je suis la dernière marche avant la chute, l’escalier qui devient bâtiment. Je suis entre deux pensées, où se niche la nuance des paradoxes, réunies pour toujours, liées pour dire ce que je suis, composées par le défaut, pour dire qui a le mot qui dit et le trait qui fait. »
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Calvo a une écriture et un imaginaire réellement très original qui fait qu'on est toujours surpris même si on n'adore pas ce qu'il écrit.
Dans ce livre, Calvo nous emmène très loin dans son monde et avec un compagnon de voyage dont la poésie est difficile, à savoir Stéphane Mallarmé. le compagnonnage est d'ailleurs compréhensible car l'écriture de Calvo est, elle aussi, très poétique. Elle l'est plus dans Elliott du Néant que dans les précédents livres que j'avais lu, Délius, une chanson d'été (magnifique à mon goût) et Wonderful. Cependant, l'intrigue avance vraiment péniblement dans la première moitié du livre comme si Calvo peinait à se débarrasser de notre réalité commune pour imposer la sienne. La deuxième partie du livre est plus enlevée, plus magique aussi même si la fin m'a déçue. Bref, je me suis accrochée au monde de Calvo plus qu'à l'histoire pour aller jusqu'à la fin. Ce n'est pas ma meilleure expérience de lecture mais elle en valait tout de même la peine.
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"Hacker la peau" nous emmène à Lyon, dans un futur proche ou un présent alternatif, pour rencontrer une communauté LGBT+ militante qui fait face à l'oppression de l'extrême droite qui vient de remporter les élections laissant ses partisans les plus violents agir en toute liberté.
J'ai aimé les couleurs et les ambiances que le dessinateur a mis en scène. J'ai aimé la poésie et la magie incarnées par les deux femmes du trio amoureux qui met en lumière trois façons de s'opposer à l'oppression : l'art pour Molly, la spiritualité pour Prin et la violence pour Axl.
Par contre, les relations ambivalentes entre les personnages qui mêlent amour passionné et agressivité m'ont mise mal à l'aise ; je n'avais pas envie de me projeter dans ces personnages aux réactions disproportionnées. Ils étaient à l'image du monde dur dans lequel ils vivaient...
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Une nuit dans le monde de Polly, AXL et Prin qui forment une triade amoureuse en temps de guerre contre des factions haineuses et rances. La confrontation entre les groupes, la tension et l'urgence sont très bien retranscrites. C'est très sérieux, très bavard, mais les propos ont le grand mérite d'exposer des modes de relation, des modes de vie, de lutte trop souvent méconnus et incompris. Un peu plus de légèreté aurait été bienvenue dans tout ce sérieux mais l'heure n'est peut-être pas à la légèreté...
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Cette BD suit 3 intrigues :
1- Il y a une guerre civile à Lyon. Fachos et antiracistes se disputent des territoires.
2- Il y a quelques tensions dans un polycule. (Un trouple polyamoureux.)
3- Un personnage cherche la source d'une rivière mythique, inconnue de Lyon.
Sans être mauvais, je crois que le livre gère mal le dosage entre les trois éléments et ne les relie pas suffisamment bien ensemble vers une chute satisfaisante.
Tout vient vers les personnages. Iels attendent les attaques des fascistes. Iels attendent que les circonstances atténuent leurs disputes. Et ils attendent que la rivière mystérieuse se présente à eux.
Cela ne rend pas la lecture passionnante, même si les thèmes abordés et l'univers le sont.
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Bon, ma note en dit déjà long sur mon opinion par rapport à cette BD...
Mais commençons par quelque chose qui relève vraiment du subjectif, je n'ai pas du tout apprécié les graphismes, j'ai trouvé que certains dessins n'étaient pas très beaux et qu'ils flouent l'action par moments. Parlons des personnages de cette BD, je ne me suis absolument pas attachée à eux. Ils me semblaient juste grossier et frivole pour le contexte politique qui d'ailleurs n'est pas très développé, bref cette BD aurait mérité d'être plus longue, mais je suis passée à côté...
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Une bande dessinée cyberpunk queer qui reflète bien le style foutraque de Sabrina Calvo et ses thématiques habituelles, mais qui peine malheureusement à les mettre en valeur.
Sans rien enlever à la qualité des illustrations de Jul Maroh, j’ai l’impression que l’œuvre serait mieux passée en roman qu’en BD. Là, on a peine à suivre le fil de pensées des personnages, au point qu’on a du mal à s’y attacher et que leurs atermoiements finissent par nous perdre, voire nous agacer.
Dommage, parce que le fond m’intéressait beaucoup !
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Une poésie, une utopie dans un monde dystopique, une utopie où rien n'est utopique, pas même ses fondements.
Mais qu'est ce qui nous empêche de croire quand même ? De voir le beau dans tout ce que l'on voit, traverse, vit, ressent ?
Merci pour la représentation de minorités de genres, merci pour la délicatesse du trait, la tendresse des couleurs.
Merci de nous offrir une faille où se glisser quand il fait trop peur.
Malgré tout, je trouve dommage que la mise en avant montre beaucoup de négatif dans des relations non "classiques".
Et un peu triste aussi que l'aspect politique soit qi peu développé.
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Club N°55 : BD non sélectionnée
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Je suis resté complètement hermétique à cette histoire qui m'a ennuyé.
Le vocabulaire n'est pas le mien.
Trop moderne ?
Cette BD me laisse la désagréable impression d'être un vieux c...
Jean-François
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Un graphisme très agréable et une palette de couleurs superbe.
Trois niveaux dans cet album : une relation polyamoureuse, une situation de politique fasciste, une quête d'un 3ᵉ fleuve.
Mais trop de sujets mêlés et inégalement développés.
Les personnages sont touchants, les émotions bien décrites et le questionnement de soi bien travaillé.
Par contre, le langage n'est pas à la portée de tous et a peu de chance de toucher les personnes qui souhaitent s'ouvrir à la différence. Le vocabulaire est clairement orienté pour une minorité (même les personnes de mon entourage faisant partie de cette communauté n'ont pas toutes les références).
Dommage, j'aurais aimé ouvrir une porte au café littéraire que j'anime.
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