Citations de Scholastique Mukasonga (396)
« Elle était assurée que sa fille recevrait au lycée Notre-Dame du Nil l’éducation démocratique et chrétienne qui convenait à l’élite féminine d’un pays qui avait fait la révolution sociale qui l’avait débarrassé des injustices féodales. » (p. 28)
Evidemment, je veux avoir des enfants, comme les autres. Mais je veux des enfants qui ne soient ni hutu ni tutsi. Ni à moitié hutu, ni à moitié tutsi. Je veux qu'ils soient mes enfants, c'est tout.
« Quand je mourrai, quand vous me verrez morte, il faudra recouvrir mon corps. Personne ne doit voir mon corps, il ne faut pas laisser voir le corps d’une mère. C’est vous mes filles qui devez le recouvrir, c’est à vous seules que cela revient. Personne ne doit voir le cadavre d’une mère, sinon cela vous poursuivra… vous hantera jusqu’à votre propre mort, où il vous faudra aussi quelqu’un pour recouvrir votre corps ».
Je reviendrai quand le soleil de la vie brillera à nouveau sur notre Rwanda. J'espère que je t'y reverrai.
Je me doutais bien que l’étagère de la salle de réunion n’était pas une vraie bibliothèque, aussi quand, à la suite du père Martin, je pénétrai dans l’ancienne, j’eus l’impression intimidante et exaltante à la fois d’être introduite dans un lieu sacré, un sanctuaire, le saint des saints réservé à de rares initiés. Je m’y suis sentie toute petite. Je levais respectueusement les yeux jusqu’au haut des rayonnages qui couvraient les murs et tapissaient la pièce jusqu’au plafond. Je retenais ma respiration. C’étaient de vrais livres qui se tenaient bien droits les uns contre les autres, comme des militaires le jour de la fête nationale, les uns dans leur bel uniforme de cuir, certains aussi gros que le missel dans lequel le prêtre lisait, pour ne pas se tromper d’une syllabe, les prières de la messe, les autres, comme de simples soldats dans leur modeste tenue de carton bleu ou noir.
Cette colline où ma flèche s'est plantée et toutes les collines que, de la-haut, tu pourras apercevoir, je te les donne, je suis Ruganzu Ndori, le mwami du Rwanda, elles sont à toi : tu les gouverneras. Mais à une seule exception, la colline où j'ai planté ma flèche que personne n'y bâtisse son enclos.
Ma flèche y a pris racine, elle deviendra un grand arbre rempli de la puissance des rois, ce sera Kivumu, le grand arbre, umuvumu, qui engendrera la forêt. Maudit soit celui qui y portera la hache.
Le plus grand malheur qui soit arrivé aux Rwandais, c'est d'habiter aux sources du Nil, là où, depuis l'Antiquité, s'était déposé le mythe d'une contrée originelle, d'un paradis perdu et inaccessible.
Chercher les sources du Nil, "Caput Nili quaerere" était, paraît-il, chez les Romains, une expression qui signifiait "chercher l'impossible".
Le Rwanda fut la dernière tache blanche sur la carte d'une Afrique que les explorateurs livraient à la colonisation.
- Ce ne sont pas des mensonges, c'est de la politique.
Ce que l'on racontait des Tutsi l'avait convaincu.
D'où venaient-ils?
Le mystère des Tutsi le tracassait.
Il avait tout lu sur le sujet. Personne n'était d'accord. Les Tutsi venaient d'Ethiopie, c'étaient des sortes de Juifs noirs, des coptes émigrés d'Alexandrie, des Romains égarés, des cousins des Peuls ou des Massaï, des Sumériens rescapés de Babylone.
- Tu sais bien que tout ça repose sur des mensonges.
- Ce ne sont pas des mensonges, c'est de la politique.
Cependant les Tutsi de Nyamata comprirent bien vite que la survie précaire qu'on semblait leur avoir concédée n'était qu'un sursis. Les militaires du camp de Gako, établi entre les villages et la frontière toute proche du Burundi, étaient là pour leur rappeler qu'ils n'étaient plus tout à fait des êtres humains mais des inyenzis, des cafards, qu'il était loisible et juste de persécuter et, en fin de compte, d'exterminer.
Elles dévalèrent le raidillon qui menait à la source, se tordant les orteils dans les ravines. La statue de Marie leur parut bien haute, inacessible sous son édicule de tôles coincé, entre deux gros rochers. Malgré son abri, les saisons des pluies avaient laissé leurs marques sur la statue. Son visage noir était craquelé de sillons blanchâtres et ses mains jointes et ses pieds nus ajourés de taches de la même couleur.
J'ai peur de tous les hommes, je sais que chaque être humain cache en lui quelque chose d'horrible.
Modesta, c'est un beau nom pour une femme, pour une chrétienne, et chaque mois, désormais, ce sang te fera souvenir que tu n'es qu'une femme, et si tu te crois trop belle, il sera là pour te rappeler ce que tu es, seulement une femme.
Tu vois, Modesta, rien n'empêchera jamais les Tutsi de faire du trafic : même quand ils conduisent leurs filles pour la rentrée, il faut que ça leur rapporte.
Quand les tueurs se jetteront sur nous, certains diront : en Afrique, ça a toujours été comme ça, des tueries de sauvages auxquelles il n'y a rien à comprendre et, même si certains se cloîtrent dans leur chambre pour pleurer, leurs larmes ne nous sauveront pas.
La classe de sixième se divisa bientôt en deux clans : il y avait celles qui avaient des seins et celles qui n'en avaient pas. Celles qui avaient des seins se mirent à mépriser celles qui n'en avaient pas. Elles discutaient beaucoup avec les grandes qui, toutes, avaient des seins. On aurait dit qu'elles avaient des secrets à partager. Modesta faisait partie de celles qui n'avaient pas de seins. Deux petits mamelons gonflaient pourtant sa poitrine, des bourgeons de seins. Mais les grandes, Modesta se demandait pourquoi, n'avaient pas voulu l'accueillir dans leur secte.
C'est que les demoiselles du lycée sont promises à un beau mariage. Il faut qu'elles y parviennent vierges, au moins qu'elles ne tombent pas enceintes avant. Vierges, c'est mieux. Le mariage, c'est du sérieux. Les pensionnaires du lycée sont filles de ministres, de militaires haut gradés, d'hommes d'affaires, de riches commerçants. Le mariage de leurs filles, c'est de la politique. Les demoiselles en sont fières : elles savent ce qu'elles valent. Il est loin le temps où seule comptait la beauté. Pour la dot, leurs familles ne recevront pas que les vaches ou les cruches de bière traditionnelles, il y aura aussi des valises remplies de billets, un compte bien garni à la Belgolaise, à Nairobi, à Bruxelles.
Parmi toutes les souffrances de la déportation et de l'exil, ne plus pouvoir soigner leurs enfants comme elles en avaient l'habitude, comme elles l'avaient toujours vu faire par leurs mères, ne fut pas pour les femmes le moindre des drames.
![](https://m.media-amazon.com/images/I/31kzASASplL._SX95_.jpg)
Madeleine savait bien que rien ni personne ne pourrait empêcher Julienne d’aller rejoindre sa sœur. Elle ne pouvait que l’aider, même si elle se sentait coupable de détourner l’argent dont elle avait la garde. Avait-elle le choix entre voler au secours de Julienne et trahir la confiance de sa mère ? Finalement, en bonne comptable, elle établit le budget : 80 francs pour le voyage, 100 francs pour les militaires de Gako, 50 francs pour les douaniers du Burundi, 10 francs pour un cornet de cacahouètes : cela faisait 240 francs. À Kirundo, au Burundi, une fois passé la frontière, tout le monde savait que les candidats à l’exil étaient accueillis par Mama Thérésa, une réfugiée rwandaise depuis 1960 qui avait monté, avec deux camionnettes, une petite entreprise de transport qui convoyait jusqu’à Bujumbura passagers et marchandises. Elle était la providence de tous ceux qui passaient clandestinement la frontière. Ils pouvaient faire étape dans sa vaste maison et y trouver repos, conseils et assistance. De là, Julienne pourrait aller à Bujumbura retrouver enfin sa sœur.