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Citations de Scholastique Mukasonga (396)


Puisque, comme moi, parce que tu étais tutsi, tu as été
déplacée à Nyamata, tu as connu toi aussi cet ennemi
implacable qui gîtait au plus profond de nous-mêmes, ce
maître impitoyable auquel nous devions payer un tribut que,
dans notre pauvreté, nous étions incapables d’acquitter, ce
bourreau inlassable qui tenaillait sans répit nos ventres et
brouillait notre vue, tu l’as reconnu, c’est l’Iguifou, la Faim,
que nous avions reçu à notre naissance comme un mauvais
ange gardien…
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 Stefania évaluait soigneusement les informations, décryptait les rumeurs et conjecturait l’imminence ou l’absence de danger. 
 Chaque jour, elle rusait avec le destin implacable auquel, parce que nous étions tutsi, on nous avait voués. Aujourd’hui encore, ses enfants étaient toujours vivants à ses côtés. Elle les avait subtilisés à la mort. Elle nous regardait toutes les trois, Julienne, Jeanne, Scholastique. Ce soir, nous étions vivantes. Il n’y aurait peut-être pas d’autres soirs. 
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 Nous étions persuadées qu’il fallait sans cesse veiller sur maman et nous tenir prêtes, si la mort, brusquement, venait la saisir, à la recouvrir de son pagne afin que nul ne puisse jeter un regard sur son corps sans vie. Et il est vrai que la mort rôdait opiniâtrement autour des déportés de Nyamata, mais il nous semblait, à nous, les petites filles, qu’elle menaçait d’abord notre mère comme le léopard silencieux qui s’avance sur sa proie. Notre angoisse la suivait tout au long de la journée.
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A-t-on oublié le génocide? Est-on déjà au delà de la réconciliation? Les habitants de Kigali sont aux affaires. Ils travaillent, ou cherchent coûte que coûte un boulot, s'inventent au besoin un job. Le travail, ce serait cela la réconciliation?
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Au début je chuchotais puis, sans m'en rendre compte, je proclamai à haute voix les titres, telles des découvertes merveilleuses et improbables, comme pour me prouver que ces livres étaient bien là à ma portée. Je promenais mon doigt sur les ouvrages avant d'en ouvrir quelques-uns. Les étudiants me suivaient des yeux, surpris et choqués. J'ignorais encore que , comme à l'église, les bibliothèques imposent un silence respectueux. (p. 130)
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« Ce livre est le linceul dont je n'ai pu parer ma mère. C'est aussi le bonheur déchirant de la faire revivre, elle qui, jusqu'au bout traquée, voulut nous sauver en déjouant pour nous la sanglante terreur du quotidien. C'est, au seuil de l'horrible génocide, son histoire, c'est notre histoire. »
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- Dis-moi, Virginia, as-tu bien fait la reine chez Fontenaille ? dit Veronica.
- J'ai fait ce que je devais faire. Mais j'ai aussi appris que les Tutsi ne sont pas des humains : ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes.
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Ce ne sont pas des mensonges, c'est de la politique.
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Les Blancs, ils parlent tout le temps de ce qu'ils mangent, de ce qu'ils ont mangé, de ce qu'ils vont manger.
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Tu sais bien, Veronica, que, nous autres les Tutsi, nous savons garder nos secrets. On nous appris à nos taire. Il le faut bien, si nous tenons à la vie.
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Elle se rappelait l’histoire que lui racontaient en riant au lycée de Kigali ses camarades hutu : « Un jour, un enfant demanderait à sa mère : “Dis-moi, maman, qui étaient ces Tutsi dont j’ai entendu parler ?
À quoi pouvaient-ils bien ressembler ? — Ce n’était rien,
mon fils, répondrait la mère, ce n’était qu’une légende.
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- Mon père, mon père, dit la mère supérieure, pas de politique, pas de politique, essayons simplement d'éviter le scandale, de tenir éloignées nos filles innocentes.
- Mais, dit le père Herménégilde, Frida et l'ambassadeur sont fiancés. Disons qu'ils viennent ici pour la préparation au mariage, je suis l'aumônier du Lycée... Soeur Gertrude, allez prévenir Frida que son fiancé l'attend. Moi, j'irai leur rendre visite dans la soirée et je ramènerai Frida pour le réfectoire.

Peu de temps avant la sonnerie qui appelait au réfectoire, le père Herménégilde se présenta devant le perron du Bungalow. Il s'adressa aux deux gardes en treillis militaire qui étaient assis sur les marches.
- Veuillez prévenir Son Excellence que je désire lui parler et que je viens pour ramener la jeune fille au lycée.
- L'ambassadeur ne reçoit personne, répondit l'un des gardes en swahili, et il a dit que la fille resterait là pour la nuit.
- Mais je suis le père Herménégilde, l'aumônier du lycée, et Frida doit rentrer au lycée pour le souper comme toutes les autres élèves. Je dois parler à Son Excellence.
- Pas la peine d'insister, dit le garde, c'est M. l'Ambassadeur qui a décidé que la fille resterait là pour la nuit, vous pouvez vous en retourner.
- Mais la jeune fille ne peut pas rester là toute la nuit. C'est une élève, il faut...
- On vous le dit encore une fois : pas la peine d'insister, répéta l'autre garde qui en se levant révéla au père Herménégilde son imposante stature, la petite est d'accord, il ne faut pas déranger.
- Mais, mais...
- J'ai dit que ce n'était pas la peine d'insister, la petite est avec son fiancé, M. l'Ambassadeur est venu pour ça.
Le gigantesque gardien descendait lentement l'escalier et s'avançait, menaçant, vers le père Herménégilde.
- C'est bien, c'est bien, dit le père Herménégilde en reculant, présentez mes hommages à Son Excellence et souhaitez-lui bonne nuit, je le verrai demain.
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Parmi tous les professeurs, M. de Decker avait deux particularités remarquables. La première était qu'il était le seul à avoir une épouse. Les autres, ou bien étaient célibataires -ce qui pouvait être le cas des jeunes Français- ou bien avaient laissé leurs femmes en Europe, celles-ci refusant peut-être de les suivre dans des montagnes si isolées. D'une certaine manière, Mme de Decker était la seule femme vraiment blanche au lycée Notre-Dame-du-Nil, car la mère supérieure et la soeur intendante n'étaient ni tout à fait des femmes ni tout à fait des Blanches ; c'étaient des soeurs. Elles ne pouvaient se marier, elles n'auraient pas d'enfants, elles avaient perdu leurs seins. Elles étaient au Rwanda depuis si longtemps qu'on avait oublié leur couleur. Ni hommes ni femmes, ni blanches ni noires, elles étaient des êtres hybrides auxquels on avait fini par s'habituer comme, dans les paysages du Rwanda, les carrés de café ou les champs de manioc qu'au temps des Belges on nous avait contraints de planter. Quant à miss South, elle avait dû être une femme, mais elle n'était pas blanche, elle était rouge, c'était une Anglaise.
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"Vos contes pour les veillées, disaient les pères, nous les conservons pour vos enfants et surtout pour vos petits-enfants quand ils seront évolués, civilisés, lettrés. Alors nous leur expliquerons ce que vos histoires voulaient vraiment dire et que vous étiez incapables de comprendre parce qu'elles annonçaient notre venue pour vous révéler le vrai Dieu. Eux, vos petits-enfants, ils seront capables de le les lire sans y croire. Vous, vous êtes à peine sortis des chaînes de Satan, vous croyez encore plus qu'à moitié aux sornettes des sorciers. Il vous faut d'abord oublier tout ça et écouter seulement l'histoire du vrai Dieu. Pour vous qu'il n'y ait plus que cette histoire !"
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Les blancs avaient déchaîné sur les Tutsi les monstres insatiables de leurs mauvais rêves [...].
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Ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes.
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Car les garçons sont toujours méchants avec les filles, c'est une façon pour eux d'affirmer qu'ils sont des garçons, bientôt des hommes.
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EXTRAITS DE KITAMI :
Alors petit, tu veux devenir tambouyé ? Tu ne veux pas plutôt apprendre un vrai métier, un métier de blancs ? Tu veux chevaucher le tambour, sais-tu jusqu’où il te mènera ? Eh bien soit, je vais t’apprendre la mauvaise vie. Si tu en es capable, je vais faire de toi un vrai tambouyé. J’espère que le tambour aura pitié de toi et qu’il te donnera à manger. […] Quand tu auras ton tambour à toi, bien à toi, […], n’oublie pas de lui parler, de la cajoler, de la caresser comme si c’était une belle fille, alors il te chuchotera des secrets que tu fredonneras sans que personne ne les comprenne. Mais n’oublie pas de donner à boire à ton tambour, tu partageras ton rhum avec lui avant de le battre, fais couler ton rhum sur sa peau. N’oublie jamais, tu n’auras pas d’autre compagne que ton tambour : sois lui fidèle.

[…]

Il se disait tantôt rwandais tantôt ougandais et montrait son passeport ougandais en riant : « avec celui-là, c’est plus sûr, mais sans papiers je suis aussi bien rwandais ; ce n’est pas moi qui ai décidé d’être rwandais ou ougandais, ça c’est passé il y a longtemps, je ne sais où en Europe, des Blancs à gros ventres et à moustache avec leurs gros cigares, à la fin d’un grand repas, des diplomates ont dit au maître d’hôtel qui était un Noir : “Firmin, apporte le dessert, il y a un bon gâteau qui s’appelle Afrique, on s’est mis à table pour se le partager, chacun en aura sa part, une grosse pour les Anglais, une autre pour les Français, et les Allemands et les Portugais auront la leur, on ne les oublie pas, et laissez-en pour Léopold qui en veut aussi“. Alors, ils ont envoyé en Afrique des commissaires, des officiers, des géographes, des topographes, des géomètres, des arpenteurs avec leurs askaris et les tirailleurs et les King’s Afrikan Rifles et beaucoup de Noirs pour porter sur la tête le matériel et les poteaux frontières. Et ils ont planté les poteaux où ils ont voulu […]. Alors Nyabingui a dit : “ les poteaux des Blancs feront votre malheur, arrachez vite ces poteaux des Blancs“. Nyabingui, c’est un esprit, mais c’est aussi une femme…
Mon père est resté du côté anglais, ses frères sont restés du côté allemand qui est devenu belge à cause de la guerre que se sont faite les Blancs entre eux. Mes petits cousins n’ont pas eu de chance : c’est la machette des Rwandais qui les a tués. Il y en a qui se sont échappés en Ouganda, mais ils ne sont pas ougandais, ce sont des réfugiés. Moi, je suis ougandais, j’ai un passeport ougandais, pourtant je suis allé à l’école sur la colline en face, qui était au Rwanda, et quand je repense à tous mes petits cousins qui étaient en classe avec moi, je deviens rwandais».

[…]

L’Éthiopie, s’emportait-elle, c’est là qu’on voudrait déporter les Tutsis. Vous autres, à la Jamaïque, vous voulez être éthiopiens, nous autres les Tutsis, les blancs ont décidé pour nous que nous étions éthiopiens, certains les ont crus et ce fut pour notre malheur : parce qu’on nous a déclarés éthiopiens, nos frères, des Rwandais comme nous, nous ont massacrés, et les rescapés errent de par le monde, bannis de leur seule patrie. Mon chant est celui de l’exil. Ne le comprenez-vous pas ? Je sais qu’un jour nous reviendrons chez nous, au Rwanda, mais je ne sais pas pourquoi ce jour qui devrait être un jour de joie, ce jour me remplit de terreur et je dis en tremblant : que ce jour vienne, mais que je ne le voie pas.
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Il pleuvait sur le lycée Notre-Dame-du-Nil. Depuis combien de jours, de semaines ? on ne comptait plus. Comme au premier ou au dernier jour du monde, montagnes et nuages n’étaient plus qu’un seul chaos grondant. La pluie ruisselait sur le visage de Notre-Dame du Nil, délavant son masque de négritude. La présumée source du Nil avait submergé la margelle du bassin en un torrent fougueux. Les passants sur la piste (au Rwanda, il y a toujours des passants sur la piste, on ne saura jamais où ils vont ni d’où ils viennent), ils s’abritaient sous de grandes feuilles de bananier qu’une mince pellicule d’eau changeait en miroir vert.
La pluie pendant de longs mois, c’est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d’autrefois ou le président d’aujourd’hui, la Pluie, c’est celle qu’on attend, qu’on implore, celle qui décidera de la disette ou de l’abondance, qui sera le bon présage d’un mariage fécond, la première pluie au bout de la saison sèche qui fait danser les enfants qui tendent leurs visages vers le ciel pour accueillir les grosses gouttes tant désirées, la pluie impudique qui met à nu, sous leur pagne mouillé, les formes indécises des toutes jeunes filles, la Maîtresse violente, vétilleuse, capricieuse, celle qui crépite sur tous les toits de tôle, ceux cachés sous la bananeraie comme ceux des quartiers bourbeux de la capitale, celle qui a jeté son filet sur le lac, a effacé la démesure des volcans, qui règne sur les immenses forêts du Congo, qui sont les entrailles de l’Afrique, la Pluie, la Pluie sans fin, jusqu’à l’océan qui l’engendre.
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Maintenant, j'en suis certaine, il y a un monstre qui sommeille en chaque homme : au Rwanda, je ne sais qui l'a réveillé.
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