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Citations de Scholastique Mukasonga (396)


Si tout lui semblait normal, elle restait longtemps à nous contempler sans rien dire. C'était sa satisfaction de voir ses enfants manger. Elle les avait sauvés de la famine en allant travailler chez les Bagesera pour quelques patates douces, en mettant en culture par son travail acharné une brousse hostile. Chaque jour, elle rusait avec le destin implacable auquel, parce que nous étions tutsi, on nous avait voués. Aujourd'hui encore, ses enfants étaient toujours vivants à ses côtés. Elle les avait subtilisés à la mort. Elle nous regardait toutes les trois, Julienne, Jeanne, Scholastique. Ce soir, nous étions vivants. Il n'y aurait peut-être pas d'autres soirs.
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Cosmas, mon père, je peux dire que je lui dois deux fois la vie. D'abord, c'est mon père, mais c'est lui aussi qui m'a encouragée à aller à l'école, moi qui, petite fille, préférais trottiner accrochée au pagne de ma mère (...)
C'est grâce à lui que le français, qu'il ne connaissait pas, est devenu pour moi cette seconde langue qui fut mon passeport et mon sauveur. Mon père s'était juré de sauver au moins un de ses enfants par l'école, et il ne s'est pas trompé. (p. 174-175)
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Si nous sommes ici, pour la plupart, c'est pour la promotion de la famille, pas pour notre avenir mais pour l'avenir du clan. Nous étions déjà de bonnes marchandises puisque nous sommes presque toutes des filles de gens riches et puissants, filles de parents qui sauront nous négocier au plus haut prix, et un diplôme va encore ajouter à notre valeur. Je sais bien que beaucoup ici se plaisent à ce jeu, puisqu'il y en a pas d'autre, qu'elles en tirent même leur orgueil. Moi, je ne veux plus participer à ce marché.
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"Tiens, dit soeur Gerda, c'est Modesta, je ne l'attendais pas si tôt. Alors on devient une petite femme.Tu vas voir comme il faut souffrir pour cela : c'est Dieu qui l'a voulu ainsi à cause du péché d'Ève, la porte du diable, notre mère à toutes. Les femmes sont faites pour souffrir. Modesta, c'est un beau nom pour une femme, pour une chrétienne, et chaque mois, désormais, ce sang te fera souvenir que tu n'es qu'une femme, et si tu te crois trop belle, il sera là pour te rappeler ce que tu es : seulement une femme."
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Les malheurs du pauvre Edmond Dantès me fascinaient. Reviendrais-je comme lui au pays ? Mais faudrait-il comme lui, devenu comte de Monte-Cristo, exercer vengeance ? Ces questions me dépassaient mais, en attendant, l'école d'assistantes sociales devenait mon château d'If et il ne me restait plus qu'à trouver un abbé Faria et son trésor. Comment aurais-je deviner que mon trésor serait de pouvoir écrire ? (p. 18)
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Les jeunes d'à présent, ils n'ont plus de mémoire, ils écrivent...
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Elle dit que les gorilles, autrefois, c'étaient des hommes, ils se sont enfuis dans la forêt, elle ne sait pas pourquoi, ils ont oublié d'être des hommes, à force de vivre dans la forêt ils sont devenus des géants couverts de poils mais, quand ils voient une jeune fille vierge, ils se souviennent qu'ils ont été des hommes, ils cherchent à l'enlever, mais les femelles, qui sont leurs épouses légitimes et bien entendu jalouses, les empêchent violemment.
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Mais j'ai aussi appris que les Tutsi ne sont pas des humains : ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes.
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Évidemment, je veux avoir des enfants comme les autres. Mais je veux des enfants qui ne soient ni hutu, ni Tutsi. Ni à moitié hutu, ni à moitié Tutsi. Je veux qu'ils soient mes enfants, c'est tout.
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Alors j’ai pensé à ce que racontait la mère de Gorreti : qu’autrefois les gorilles étaient des hommes Moi, j’ai une autre histoire à proposer : c’est que les gorilles ont refusé d’être des hommes, ils étaient presque des hommes, mais ils ont préféré rester des singes dans leur forêt, tout en haut des volcans. Quand ils ont vu que d’autres singes comme eux étaient devenu humains, mais qu’ils étaient aussi devenus méchants, cruels, qu’ils passaient leur temps à s’entre-tuer, ils ont refusé de se faire hommes. C’est peut-être ça le péché originel dont parle tout le temps le père Herménégilde : quand les singes sont devenus des hommes !
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Moi, je connaissais bien les lunettes; comme je l'ai dit, papa en possédait une paire même si, à la maison, il ne les mettait jamais, sauf pour lire la Bible. Mais personne d'autre n'en avait au village. Beaucoup pensaient que c'était réservé aux missionnaires, qu'avec les lunettes ils lisaient dans les pensées, traquaient jusqu'aux tréfonds de nos âmes les péchés qu'on s'efforçait de leur dissimuler.
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 Encore une fille ! Bien sûr, c’était une honte de ne donner le jour qu’à des filles. Une sorte de malédiction.
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Un diplôme tutsi, ce n'est pas comme un diplôme hutu. Ce n'est pas un vrai diplôme. Le diplôme, c'est ta carte d'identité. S'il y a dessus Tutsi, tu ne trouveras jamais de travail, même pas chez les Blancs. C'est le quota.
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Mes enfants grandissaient, leurs petits copains étaient français, l’aîné entrait à l’école française. Je me refusais à leur parler en kinyarwanda. Ils me le reprochent amèrement aujourd’hui : « Maman, pourquoi ne nous as-tu pas appris le kinyarwanda ? Ne sommes-nous pas nous aussi rwandais ? Nous avons honte quand nous allons au Rwanda voir nos cousins et nos cousines. Que pensent-ils de nous ? que nous méprisons leur langue ? » À cette époque, j’avais peur pour mes enfants. La langue est une identité, et cette identité, on me l’avait niée. Elle était devenue une menace de mort. Je voulais leur épargner cette menace, qui semblait planer sur eux comme elle planait sur moi. Je voulais les éloigner de mes cauchemars. Je ne voulais pas qu’ils soient tutsi. 
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D'une certaine manière, Mme de Decker était la seule femme vraiment blanche au lycée Notre-Dame-du-Nil, car la mère supérieure t la soeur intendante n'étaient ni tout à fait des femmes ni tout à fait des Blanches : c'étaient des soeurs. Elles ne pouvaient se marier, elles n'auraient pas d'enfants, elles avaient perdu leurs seins. Elles étaient au Rwanda depuis si longtemps qu'on avait oublié leur couleur. Ni hommes ni femmes, ni blanches ni noires, elles étaient des êtres hybrides auxquels on avait fini par s'habituer comme, dans les paysages du Rwanda, les carrés de café ou les champs de manioc qu'au temps des belges on nous avait contraints de planter. Quant à Miss South, elle avait dû être une femme, mais elle n'était pas blanche, elle était rouge, c'était une Anglaise.
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Moi, j'ai une autre histoire à proposer: c'est que les gorilles ont refusé d'être des hommes, ils étaient presque des hommes, mais ils ont préféré rester des singes dans leur forêt, tout en haut des volcans. Quand ils ont vu que d'autres singes comme eux étaient devenus humains, mais qu'ils étaient aussi devenus méchants, cruels, qu'ils passaient leur temps à s'entre-tuer, ils ont refusé de se faire hommes. C'est peut-être ça le péché originel dont parle tout le temps le père Herménégilde: quand les singes sont devenus des hommes!
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Et parfois je m'imagine dans une autre vie plus heureuse comme il n'y en a sans doute que dans les films...
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Il pleuvait sur le lycée Notre-Dame-du-Nil. Depuis combien de jours, de semaines ? On ne comptait plus. Comme au premier ou au dernier jour du monde, montagnes et nuages n'étaient plus qu'un seul chaos grondant.
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On s’est installé dans une maison abandonnée, celle de Mbayiha, un homme jeune et vigoureux qui avait réussi à défricher une grande parcelle. Mon père déclara qu’elle conviendrait pour la famille. Il planta son bâton. À Gitagata. C’est là qu’il a passé tout le reste de sa vie. C’est là qu’on l’a tué avec ma mère. Maintenant, il n’y a plus rien. Les tueurs se sont acharnés sur la maison jusqu’à en effacer la moindre trace. La brousse a tout recouvert. C’est comme si nous n’avions jamais existé. Et cependant, ma famille a vécu là. Dans l’humiliation, la peur de chaque jour, dans l’attente de ce qui allait survenir et que nous ne savions pas nommer : le génocide. Et je suis la seule à en détenir la mémoire. C’est pour cela que j’écris ces lignes.

[…]


Ma mère cultivait avec soin, il faudrait dire avec piété, les plantes anciennes. […] Elle passait parfois un après-midi entier sur la petite parcelle réservée aux plantes en voie de disparition. C’était pour elle comme les survivants d’un temps plus heureux auprès desquels, semblait-il, elle puisait une énergie nouvelle. Elle les cultivait non pas pour la consommation quotidienne mais en témoignage de ce qui était menacé de disparaître et qui, effectivement, dans le cataclysme du génocide a disparu.

[…]

Les Tutsis du Nyamata attendaient l’holocauste. Comment auraient-ils pu y échapper ? […] Une satisfaction morbide me traversa l’esprit : à Nyamata, depuis si longtemps, nous savions ! Mais comment aurais-je pu imaginer l’horreur absolue dans laquelle allait être plongé le Rwanda : un peuple tout entier se livrant aux pires des crimes sur les vieillards, les femmes, les enfants, les bébés, avec une cruauté, une férocité si inhumaines qu’elles laissent aujourd’hui les assassins sans remords.
Je n’étais pas parmi les miens quand on les découpait à la machette. Comment ai-je pu continuer à vivre pendant les jours de leur mort ? Survivre ! C’était, il est vrai, la mission que nous avaient confié les parents à André et à moi. Nous devions survivre et je savais à présent ce que signifiait la douleur de survivre. […] J’avais en charge la mémoire de tous ces morts : ils m’accompagneraient jusqu’à ma propre mort.
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Maintenant, j'en suis certaine, il y a un monstre qui sommeille en chaque homme : au Rwanda, je ne sais qui l'a réveillé.
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