Avec brio et drôlerie, T C Boyle tricote l’histoire de Mungo Park, un écossais de 24 ans, et celle de Ned Rise, dont chaque tentative pour se sortir de la misère est contrecarrée comme une loi inévitable du destin. Mungo Park, lui, est choisi par l’African Association de Londres, pour chercher les tenants et aboutissants du fleuve Niger ;
Se jette t il dans le Nil, se perd t il dans le désert , bifurque- t-il vers le Sud, ce Djoliba, nom mandingue du Niger ?
Les sociétés géographiques anglaises, et derrière eux, les puissances européennes, connaissent l’Afrique au dessus du Sahel, connaissent les côtes où elles ont établi des comptoirs, mais ne connaissent pas encore l’intérieur de ce continent, et veulent comprendre où coule le Niger (bien sûr, avec la certitude d’un pays rengorgeant d’or et de richesses diverses et l’espoir d’un commerce juteux). « Les nations primitives de l’endroit mouraient d’envie d’échanger d’énormes quantités d’or contre des perles, des miroirs ou des saucières en étain »
De plus, l’Angleterre veut coiffer la France au poteau, on est les meilleurs et les plus rapides.
Qui pourrait s’aventurer dans une terre inconnue, sans cartes, sans guides, avec quelques prédécesseurs européens, qui n’en sont pas revenus ? Qui sera assez inconscient pour explorer les rives et le cours du fleuve Niger, en 1795 ? Ce sera Mungo l’ingénu.
Dans le film de Weber « la chèvre » François Perrin passe avec ingénuité à travers tous les tracas de la vie quotidienne, la salière qui se renverse sur ses œufs, la porte vitrée dans laquelle il s’empaffe, les sables mouvants, les guêpes, car son bonheur ne peut pas être atténué pour si peu.
Mungo Park , de même, découvre avec candeur, préférant partir seul avec un interprète et un serviteur, au lieu de suivre les caravanes d’esclaves ( allant de la côte jusqu’à l’intérieur des terres, Je me pose la question ?)visiter les terres qui le conduiront au fleuve Niger : il connaît tous les pires affronts à cause de sa peau trop blanche- c’est un revenant, il a la peau et l’âme délavée, voilà l’esprit des morts -et de ses yeux de chat, horreur, puis est mis en prison par le calife Ali, détroussé de tous les cadeaux qu’il apportait de bonne foi aux différents puissants de cette terre , mis en pièces, mourant de faim et de soif , en proie aux fièvres dont la redoutable malaria, allant de malheur en malheur. Peu lui importe, il n’a à défendre aucun honneur, il n’a aucun bénéfice autre que la découverte du Niger, et ce qui lui arrive représente un prix bien maigre à payer.
Un François Perrin qui accueille tout ce qui lui advient comme une expérience et qui continue son petit chemin.
Ned de son côté connait les désastres de la prison, la faim, les mauvais traitements, et TC Boyle ne lésine pas sur les détails de la barbarie londonienne de cette fin de siècle : pour mendier, des doigts en moins, pour manger, récupérer des cadavres en vue des premières autopsies, vive la science, pour survivre, jouer de la flute avec « Barrenboyne » et organiser des sortes de bacchanales ou vendre des œufs de maquereau noircis au cirage comme du vrai caviar russe.
D’ailleurs, le sort des paysans pauvres de l’Ecosse de la fin du XVIII siècle est très similaire à un servage/ esclavage. Ils n’ont rien et sont attachés à la demeure du maitre jusqu’à ce que mort s’ensuive. Les pauvres, même pas paysans, oublions, ils crèvent de faim, point.
La différence entre les deux personnages, Mungo et Ned, c’est l’inconscience du premier et le cynisme de l’autre.
L’intérêt du livre, en plus de cette psychologie des deux personnages et de leur attitude devant le malheur – acceptation pour Mungo, révolte pour Ned- ce sont les références historiques, en plus de l’humour toujours.
Livre foisonnant, ultra bien documenté, mélangeant il est vrai histoire et inventions crédibles, évoquant longuement aussi les sentiments d’Allison, la femme abandonnée pour un fleuve, décrivant ce qui lui semble être la vérité, et la rapprochant, en se moquant bien sûr, du livre « feel good » écrit à son retour par Mungo Park.
Car ce petit ingénu , qui sourit alors qu’on l’on s’apprête à lui crever les yeux, qui ne connaît rien des coutumes des différents royaumes qu’il visite, qui découvre avec candeur les codes, les péages à payer, les interdictions , par exemple de boire l’eau d’un puits si l’on est un « infidèle », finit par s’en sortir , par rentrer en Ecosse, par se marier, par faire des enfants.
De plus il écrira, car il est le premier européen à visiter et à avoir vu ce que personne plus ne verra.
Le second voyage est plus difficile, et plus violent, car malgré la volonté de Park, il est entouré de soldats, dont le travail est de tirer sur tout ce qui bouge, et se font bien entendu décimer par les fièvres, la faim, l’humidité qui entre dans les os, et la riposte de ceux qui sont agressés.
L’histoire garde la mémoire de ce voyageur, qui meurt cependant avant d’avoir vu l’embouchure du Niger, car son bateau sombre dans les chutes de Boussa. Et avant d’avoir livré ses mémoires du second voyage interrompu par la mort.
Est ce sa candeur preuve de sa probité, qui émeut ? Est ce le fait qu’il soit le premier, plus innocent qu’intrépide, et que grâce à lui nous connaissons ces royaumes gorgés de richesses, policés, différents les uns des autres, souvent ralliés à l’islam, prospérant grâce à leurs échanges commerciaux. ? le fait est que Mungo Park est inoubliable, et le livre Water Music racontant en détail sa vie inoubliable lui aussi. Je l’avais lu lors d’une hospitalisation due à une forte crise de malaria, et je viens de le relire avec encore plus de bonheur.
Sans malaria, c’est mieux.
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