Non, le populisme ne saurait être réduit ni à l'icône de ses sectateurs, ni à la caricature de ses détracteurs. Par-delà les espérances et les insurrections, les craintes et les répressions qu'il a suscitées, alors que ce mouvement hier planétaire semble aujourd'hui retomber, c'est le propos de cet essai novateur que de le réinstaurer à sa juste place dans l'histoire. En décryptant sa gestation à la lumière de l'anthropologie. En scrutant sa construction à l'aune des théories politiques et des imaginaires culturels. Et si le populisme était le signe d'une crise de civilisation ? D'une fracture majeure dans l'idéologie du progrès ? Et s'il était né d'un refus de la neutralisation de la Cité ? D'une nostalgie des passions, des aventures, des utopies ? Mais aussi d'un retour du sens commun, du sacré, de la souveraineté ? Et si les peuples étaient simplement partis à l'assaut du ciel pour se recréer un horizon ?
Ce livre d'histoire immédiate, qui offre un panorama mondial des mutations en cours, s'attache aussi à en éclairer les soubassements symboliques. Il fait dialoguer Régis Debray et Marcel Gauchet avec Jeff Bezos. Ou encore Antonio Gramsci et Norbert Elias avec Daenerys Targaryen. Mais aussi les aristocrates paupérisés du Grand Siècle avec les occupants rebelles de Wall Street. Et les esthétiques des avant-gardes avec les révoltes émeutières des masses. Pour mieux appeler au sursaut.
Diplômé de Sciences Po, fondateur du média en ligne Le Vent Se Lève, membre des conseils scientifiques de l'Institut Rousseau et de la Fondation Res Publica, Antoine Cargoet a dirigé l'ouvrage collectif L'Histoire recommence. Il est aujourd'hui éditeur et signe ici, à 25 ans, son premier livre.
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Dans le monde désacralisé, il n’y a que l’art qui puisse fournir un analogue ou un équivalent du sacré.
"Sur la laïcité, les élites macroniennes ont un double langage", d'après un entretien accordé à Elisabeth Lévy, webtélé Reac'nroll, 17 février 2020.
Marcel Gauchet commente la définition de la liberté de conscience selon Mme Belloubet : "C'est le relativisme intégral. C'est la liberté de croire ce que l'on veut à l'abri de toute critique, le droit de soutenir une opinion quelle qu'elle soit, jusqu'au point où il est interdit à quiconque de la mettre en question à quelque titre que ce soit. C'est la philosophie des "safe spaces" à l'américaine. La susceptibilité individuelle est consacrée. "Ma position est sacrée puisque que c'est la mienne ; donc passez votre chemin". Evitons la confrontation, qui ne peut être qu'un acte d'hostilité."
Entre l'amour de soi jusqu'à l'éviction du reste (narcissisme) et la volonté d'abolition de soi dans ses expressions les plus variées, entre l'absolu de l'être et l'être rien, peut-être n'aurons-nous plus jamais fini de balancer. Voilà en tout cas la douleur lancinante, journalière, que nul objet sacral ne nous permettra d'oublier: l'inexpiable contradiction du désir inhérente au désir même d'être sujet.
La sortie de la religion :
p. 11
Sortie de la religion ne signifie pas sortie de la croyance religieuse, mais sortie d'un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés et où elle définit l'économie du lien social. Une thèse qui s'inscrit donc rigoureusement en faux contre la compréhension du phénomène religieux en termes de superstructure. C'est précisément dans des sociétés sorties de la religion que le religieux peut être pris pour une superstructure par rapport à une infrastructure qui fonctionne très bien sans lui - à tort, mais l'illusion d'optique est inhérente à la structure des sociétés contemporaines. Dans les sociétés antérieures à cet événement, en revanche, le religieux fait partie intégrante sur fonctionnement social. La sortie de la religion, c'est le passage dans un monde où les religions continuent d'exister, mais à l'intérieur d'une forme politique et d'un ordre collectif qu'elles ne déterminent plus.
P 122 : La représentation, au sens de la mise en scène publique de la diversité sociale, tend à devenir une fin en soi, dans ce nouvel idéal de la démocratie dont on essaie de reconstituer la logique. Qui participe, et pourquoi, à quel titre, voilà ce qui compte, plutôt que ce qu'il en advient. Nous vivions, avec le modèle classique de la démocratie majoritaire, sous le coup d'une certaine tyrannie du résultat à obtenir, l'essentiel étant de parvenir à dégager une volonté générale, au péril du froissement et de la méconnaissance des parties intéressées. Nous passons, avec le modèle pluraliste-identitaire-minoritaire en train de s'installer, sous le coup d'une certaine tyrannie du parcours à suivre et de la procédure à respecter, le spectacle de la discussion politique et l'habilitation de ses protagonistes prenant le pas sur son issue, au risque d'une dilution de la décision et de la possibilité effective de la contrôler. La priorité est que les problèmes soient représentés, avec ceux qui les posent, pas qu'ils soient traités. La considération de la collectivité dans son unité tendait à s'imposer au détriment de la multiplicité de ses composantes ; la considération des composantes tend à prévaloir au dépens de l'unité collective, qui n'en continue pas moins d'exister, mais qui passe dans la pénombre, en quelque sorte, et se soustrait la prise politique. C'est dire que nous échangeons une gamme de difficultés contre une autre et que la configuration nouvelle n'est pas moins problématique que la précédente. Elle n'apporte pas la formule magique de la démocratie.
C'est à une véritable intériorisation du modèle du marché que nous sommes en train d'assister - un événement aux conséquences anthropologiques incalculables. ... Du devoir de désintéressement qui définissait l'homme public (...), à l'injonction tacite de s'aligner sur son intérêt propre, le pas est immense, et les suites promettent d'être lourdes. (p. 118-119)
Le monde humain dans lequel nous vivons me paraît tout aussi inconnu que le monde spatial pouvait l'être pour Christophe Colomb et Vasco de Gama. Nous connaissons le globe, possédons des cartes, des GPS... Mais humainement parlant, nous sommes désorientés. Nous comprenons mal comment fonctionnent les sociétés et qui sont les individus qui les composent. La mondialisation géographique a eu lieu ; nous sommes aujourd'hui au tout début de la mondialisation humaine et sociale.
(Sciences humaines - 2020)
C'est l'équivoque fondamentale du macronisme : le souci réel de se mettre à l'écoute de la demande sociale, mais associée à la conviction hâtive, de la part des membres du groupe dirigeant, de savoir ce qu'elle est et ce qu'il faut faire ! Dès lors, pourquoi perdre du temps ?
Le problème de nos élites méritocratiques, c'est leur crédulité à l'égard de ce qu'elles ont appris a l'école, qui les détourne de regarder autour d'eux.
Tout le parcours de la République restera hanté par cette propension à une radicalité théorique butant sur sa traduction pratique.